Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19980210

Dossiers : 97-1291-UI; 97-144-CPP

ENTRE :

SLUMBER MANAGEMENT LTD.,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1] Le présent appel a été entendu à Vancouver (Colombie-Britannique) le 22 janvier 1998 sous le régime de la procédure informelle de la Cour.

[2] Le litige porte sur la question de savoir si des personnes dont l'appelante a retenu les services étaient des employés régis par des contrats de louage de services ou si elles étaient des entrepreneurs indépendants régis par des contrats d'entreprise. Les dispositions législatives qui s'appliquent sont l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage et l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi.

[3] Dans un avis de cotisation daté du 10 février 1997, l'intimé a établi une cotisation dans laquelle il a réclamé à l'appelante, entre autres, certains montants se rapportant aux cotisations d'assurance-chômage, aux intérêts et aux pénalités qui, soutient-il, seraient payables conformément aux Lois susmentionnées relativement aux services fournis pour l'appelante en 1996 par les personnes dont le nom figure à l'annexe “ A ” jointe à la réponse à l'avis d'appel. En réponse à un appel interjeté par l'appelante pour que soit effectué un nouvel examen de la cotisation, l'intimé a confirmé la cotisation le 30 avril 1997.

[4] Les faits principaux sont les suivants :

1. Le 13 juin 1996, la compagnie mère de l'appelante, Slumber Holdings Ltd., a acheté 13 motels, appelés Slumber Lodges, de Western Dominion Investment Company Ltd.

2. À la date de l'achat ou vers cette date, l'appelante a fait des offres aux diverses personnes qui, à l'exception de l'une d'entre elles, étaient déjà au moment de l'achat les gérants des différents motels. La seule exception est David Bennett. La preuve a révélé qu'il était un entrepreneur indépendant s'occupant de location de véhicules. Aucune preuve n'a contredit cet élément et, par conséquent, il ne fait aucun doute que David Bennett n'a pas été employé aux termes d'un contrat de louage de services.

3. Aux termes du contrat de gestion type conclu entre l'appelante et les gérants de motel, le gérant devait toucher un montant brut de façon périodique. Ce montant brut était supérieur à celui que le gérant touchait avant l'achat. Parce que l'appelante cherchait activement à revendre chacun des motels qu'elle exploitait, le contrat prévoyait qu’elle pouvait mettre fin à l'emploi du gérant sur avis de 14 jours. Le contrat stipulait également que, si la compagnie mère de l'appelante était toujours propriétaire du bien après six mois, “ un examen sera effectué à ce moment-là ”. Bien que seulement deux copies de ce contrat aient été soumises, il semble que tous les gérants et l'appelante aient signé des contrats à peu près semblables. En fait, 11 des 13 motels achetés ont été vendus dans les six mois, certains quelques jours seulement après l'achat. Avant l'achat, les gérants avaient été traités comme des employés par le propriétaire précédent, qui effectuait les retenues au titre de l'assurance-chômage et du Régime de pensions du Canada. Cependant, le nouveau contrat de gestion prévoyait clairement que les gérants devaient toucher un “ montant brut qui tient compte du coût de remplacement des avantages que vous receviez auparavant et qui étaient payés par l'employeur ”. Deux des gérants ont témoigné et ils ont déclaré qu'ils s'étaient sentis contraints de signer les contrats et que, s'ils ne les avaient pas signés, ils auraient perdu leur emploi. Je n'ai pas été convaincu que c'était le cas. De toute évidence, les personnes qui, logiquement, étaient les mieux placées pour gérer, étaient celles qui connaissaient les activités du motel concerné. Quoi qu'il en soit, les gérants en poste ont effectivement signé les contrats et accepté la “ paie ” supérieure, sans avantage.

4. Les conditions de travail des gérants n'ont pas changé après l'achat, si ce n'est que les gérants étaient désormais tenus de déclarer à l'appelante, tous les jours plutôt que toutes les semaines, les revenus et les dépenses de leur motel respectif.

5. Les prix des chambres de motel sont demeurés les mêmes après l'achat. Cependant, les gérants pouvaient modifier ces prix en respectant certaines limites, selon les prix demandés par les autres motels dans la région en cause.

6. Les principaux instruments étaient ceux que l'on trouve normalement dans un motel, à savoir les installations matérielles, les meubles, les lits, la literie, l'équipement de bureau et les fournitures. Dans certains cas, les gérants utilisaient leur propre véhicule dans une certaine mesure aux fins de l'exploitation du motel, et certains étaient également propriétaires d'ordinateurs qu'ils utilisaient dans l'entreprise. L'identité des gérants qui faisaient partie de ces catégories n'a pas été précisée. Dans le cadre de l'exploitation des motels, les gérants engageaient des préposés à l'entretien des chambres ainsi que des employés de bureau à temps partiel, dont l'appelante payait les salaires.

7. La preuve a révélé également qu'il arrivait aux gérants de faire visiter le motel à des acheteurs éventuels.

8. Les gérants n'avaient pas d'heures fixes et, en général, ils étaient en disponibilité jour et nuit.

9. Les gérants n'étaient pas supervisés dans l'exécution de leurs fonctions. Ils avaient pour unique obligation de déclarer les revenus et les dépenses tous les jours.

10. Les gérants ne pouvaient pas réaliser de profits et ils ne risquaient pas de subir des pertes du fait des activités du motel.

11. Les gérants auraient pu travailler pour d'autres personnes, mais, étant donné le nombre de fonctions dont ils devaient s'acquitter, ils n'en avaient pas le temps.

Analyse et décision

[5] De nombreuses décisions portent sur la question soulevée dans le présent appel. La jurisprudence a élaboré un critère à quatre volets, à savoir a) le degré de contrôle et de supervision, b) la propriété des instruments de travail, c) les chances de bénéfices et les risques de pertes et d) l'intégration. Il ressort également clairement de la jurisprudence qu'il ne suffit pas d'examiner les quatre critères traditionnels séparément. Le tribunal doit également tenir compte de la preuve dans son ensemble, prendre en considération ceux des critères qui pourraient s'appliquer et accorder à toute la preuve le poids que les circonstances justifient.

[6] L'un des critères indique clairement l'existence d'une relation employeur-employé car les travailleurs n'avaient pas la possibilité de réaliser des profits ou de subir des pertes.

[7] Quant à la propriété des instruments de travail, la preuve est incomplète car on s'est contenté de mentionner que certains des gérants étaient propriétaires de certains instruments, tels des ordinateurs et des véhicules utilisés aux fins de l'exploitation du motel. Cependant, à mon avis, lorsqu'il s'agit d'un motel, la propriété des instruments de travail n'est pas un facteur important.

[8] À mon sens, le critère relatif au contrôle et à la supervision révèle que les personnes en cause étaient des entrepreneurs indépendants. Il n'y avait pas d'heures fixes, les gérants pouvaient engager des préposés à l'entretien des chambres et les autres employés nécessaires, et ils s'occupaient des activités quotidiennes des motels de façon indépendante. Leur unique obligation était de déclarer les revenus et les dépenses à l'appelante tous les jours.

[9] Le critère de l'intégration présente des difficultés mais, à mon avis, tout bien considéré, il indique que quant à la relation, l’appelante faisait affaire avec un entrepreneur indépendant, principalement parce que les motels ont été acquis dans le but d'être revendus rapidement et non pas aux fins de l’exploitation continue d'une entreprise de motels. Si les services des gérants avaient été retenus pour une longue durée et que l'élément de vente rapide n'eût pas existé, le critère de l'intégration aurait probablement révélé l'existence d'une relation employeur-employé.

[10] Le contrat de gestion, dont un exemplaire a été déposé sous la cote A-1 et un autre, à l'onglet 5 de la pièce R-1, indique clairement l'existence d'une relation dans laquelle les gérants sont des entrepreneurs indépendants. À cet égard, je suis d'avis que, si le contrat de gestion est révélateur en substance de la relation véritable qui existait entre les parties, on ne peut en faire fi. Dans l'affaire Chauvco Resources Ltd. c. Le ministre du Revenu national, le juge Bowie, de notre cour, dans un jugement rendu le 27 février 1997, a déclaré que le contrat écrit “ ne constitue [ ] qu'une façade ” et qu'il ne reflète pas la véritable nature de la relation entre les parties. Par conséquent, le contrat écrit dont il était question dans l'affaire Chauvco ne permettait pas de trancher la question et, en fait, il n'en a pas été tenu compte. Je ne crois pas que ce soit le cas en l'espèce car, à mon avis, le contrat de gestion reflète en grande partie la relation entre l'appelante et les gérants.

[11] Par conséquent, à mon avis, bien que le critère des profits et des pertes indique l'existence d'une relation employeur-employé, les autres critères n'en font rien. En particulier, le critère du contrôle ne révèle pas l'existence d'une telle relation, ni, à mon avis, le critère de l'intégration. Par conséquent, je conclus que l'appelante a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu'elle était liée aux gérants non pas par des contrats de louage de services, mais par des contrats d'entreprise. En conséquence, l'appel est accueilli et la décision du ministre est infirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de février 1998.

“ T. P. O'Connor ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 3e jour de juillet 1998.

Philippe Ducharme, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.