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Date: 20000925

Dossiers: 2000-183-IT-APP; 2000-185-IT-APP

ENTRE :

JOHN HAIGHT, SOPHIE HAIGHT,

requérants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs de l'ordonnance

Le juge Bell, C.C.I.

[1] Chacun des requérants demande, en vertu de l’article 166.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “ Loi ”), qu’une ordonnance, soit rendue afin de proroger le délai de signification d’un avis d’opposition en ce qui a trait aux années d’imposition 1996 et 1997.

[2] Les dates des avis de cotisation et les dates limites de production d’un avis d’opposition sont les suivantes :

John :

Année d’imposition 1996 :

date de cotisation 29 mai 1997

expiration de la période d’opposition 27 août 1997

Année d’imposition 1997 :

date de cotisation 11 juin 1998

expiration de la période d’opposition 9 septembre 1998

Sophie :

Année d’imposition 1996 :

date de cotisation 5 juin 1997

expiration de la période d’opposition 3 septembre 1997

Année d’imposition 1997 :

date de cotisation 17 août 1998

expiration de la période d’opposition 15 novembre 1998

[3] John Haight a indiqué dans son témoignage que sa conjointe et lui avaient acheté une salle de quilles en 1967 et qu’ils l’avaient exploitée jusqu’au 11 juin 1993, puis l’avaient vendue. Il a déclaré que, lorsqu’il avait examiné les déclarations de 1996 et de 1997 préparées par un cabinet d'expertise comptable national, il avait déterminé que la valeur utilisée pour le calcul du gain en capital était manifestement erronée.

[4] Il a fait parvenir une lettre datée du 24 septembre 1997 (la “ lettre ”) au centre fiscal de Sudbury, réclamant un rajustement pour [TRADUCTION] “ les cotisations d’impôt relatives aux années 1990, 1993, 1994, 1995 et 1996 ”. Cette lettre soulignait un certain nombre de faits appuyant sa demande de modification de la valeur. Selon les requérants, cette lettre constitue une demande valide de prorogation de délai pour l’année d’imposition 1996. Les requérants sont également d’avis qu’une requête produite par leur avocat le 18 août 1999 constitue une demande valide de prorogation de délai pour l’année d’imposition 1997.

[5] À cet égard, le requérant a témoigné relativement à son état physique. De plus, une lettre du Dr Peter G. Turner, psychiatre, datée du 17 janvier 2000, précisait qu’il soignait le requérant depuis le 1er mars 1994 et que ce dernier manifestait alors des symptômes moyennement sévères de dépression et des symptômes de névrose obsessionnelle, et qu’il se trouvait au beau milieu d’une crise familiale au sujet de l’une de ses filles, qui consommait des drogues et faisait des chèques falsifiés. La lettre est rédigée en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Au moment de la présentation initiale, M. Haight manifestait des symptômes de dépression reflétés par des troubles de l’humeur, des sentiments de tristesse, des préoccupations grandissantes, des sentiments de culpabilité, des difficultés à prendre des décisions en ce qui concernait les tâches à accomplir, des troubles du sommeil, une perte de l’énergie habituelle, certains problèmes de mémoire et de concentration et une augmentation de la tension. Il avait tenté, au prix d’immenses efforts, de combattre les symptômes de la dépression en recourant à différentes techniques cognitives, comme la volonté et la prière. Celles-ci n’ont cependant pas réussi à lui procurer un soulagement.

[6] Le Dr Turner a également écrit que, parmi les éléments supplémentaires ayant contribué à l’état psychiatrique de M. Haight, il y avait une blessure à la tête et une fracture du crâne subies à l’âge de onze ans, des antécédents de tendances obsessionnelles-compulsives ainsi que des antécédents de dépression caractérisés par des troubles de l’humeur et l’abus occasionnel d’alcool. Sa lettre se termine comme suit :

[TRADUCTION]

D’un point de vue psychiatrique, il existe des éléments de preuve convaincants établissant que M. Haight manifestait des symptômes psychiatriques importants. Cela a entraîné une déficience de sa pensée, de sa prise de décision et de sa façon d’aborder ses affaires personnelles et commerciales. Ses symptômes étaient très invalidants pendant la période allant de 1994, tout juste avant qu’il soit venu me consulter, à la fin de 1996. Depuis ce temps, il continue à montrer des signes d’amélioration lente et régulière des symptômes psychiatriques résiduels.

[7] En plus de cette lettre, des documents ont été présentés à la Cour, dont les suivants :

1. Une lettre de Revenu Canada, datée du 10 novembre 1998, signée par Ron Woelek, directeur du Bureau des services fiscaux de St. Catharines, et envoyée à John Haight, qui portait sur la juste valeur marchande et dans laquelle le directeur indiquait qu’il estimait que le ministère avait exercé sa discrétion d’une manière juste et raisonnable.

2. Une copie d’une lettre manuscrite datée du 23 mars 1998, signée par les deux requérants et rédigée en partie comme suit :

[TRADUCTION]

J’interjette appel de l’évaluation de la valeur marchande (soit 90 000 $) établie par Mark Danko, de Kernahan & Graves, au motif que ce dernier ne connaissait pas l’offre [...]

Une note manuscrite figurant au bas de la page 1 de cette lettre indiquait qu’elle avait été envoyée au directeur.

3. Une copie de la lettre du 16 juin 1998 envoyée par le Bureau des services fiscaux de St. Catharines à Mme Haight, portant sur les déclarations de revenus de 1990 et de 1993 à 1996 et précisant que, si celle-ci n’était pas d’accord avec la décision du ministère, elle pouvait :

[TRADUCTION]

[...] demander par écrit au directeur du Bureau de faire procéder à un autre examen. Nous avons, par conséquent, fait parvenir votre lettre d’appel au bureau du directeur afin qu’il y donne suite.

4. Une lettre de Ron Woelek, directeur du Bureau des services fiscaux de St. Catharines, envoyée à John Haight, datée du 7 mai 1999 et portant sur la question de la valeur soulevée à l’origine par ce dernier. La lettre est rédigée en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Tout autre examen de votre dossier nécessiterait un examen global du rapport d’évaluation rédigé par Kernahan & Graves. Comme vous avez indiqué que vous n’aviez plus de copie de ce rapport, nous avons discuté de cette question avec Mark Danko, du bureau de Kernahan & Graves, qui nous a indiqué qu’il vous en remettrait une copie, que vous pourriez ensuite nous faire parvenir, puisqu’il ne peut nous la donner directement.

Si nous ne recevons pas ce document d’ici au 31 mai 1999, nous considérerons que l’affaire est close.

5. Une lettre du chef des appels du Bureau des services fiscaux de St. Catharines, datée du 10 novembre 1999, envoyée à l’avocat des requérants, Me Robert Jason, et accusant réception de ses requêtes pour l’obtention d’une prorogation de délai afin de produire une opposition. Il y est déclaré qu’une prorogation ne pouvait être accordée pour l’année 1996, puisque la requête n’avait pas été produite dans l’année suivant l’expiration du délai par ailleurs imparti pour produire une opposition. Pour ce qui est de l’année 1997, il y est écrit :

[TRADUCTION]

Nous demandons de plus amples renseignements qui nous permettront de déterminer si la prorogation sera accordée ou non. Particulièrement, il est nécessaire que les contribuables démontrent que :

a) dans le délai imparti pour signifier une opposition, ils n’ont pu agir ni charger quelqu’un d’agir en leur nom ou ils avaient véritablement l’intention de faire opposition à la cotisation;

b) compte tenu des raisons indiquées dans la demande et des circonstances de l’espèce, il est juste et équitable de faire droit à la prorogation du délai; et

c) la demande a été présentée dès que les circonstances l’ont permis.

[8] La lettre précisait ensuite que, si aucun autre renseignement n’était reçu au cours des 30 jours suivants, Revenu Canada considérerait l’affaire comme close et fermerait ses dossiers.

OBSERVATIONS ÉCRITES DES REQUÉRANTS :

[9] Les observations écrites des requérants sont rédigées en partie comme suit :

[TRADUCTION]

1. M. John Haight a fait une grave dépression. Les éléments concernant ses symptômes sont expliqués en détail par son psychiatre, le Dr Turner, dans une lettre datée du 17 janvier 2000 (onglet 10 des documents des requérants présentés à la Cour lors de l’audition de la requête le 20 mars 2000). Les graves troubles médicaux de M. Haight l’ont empêché de prendre des décisions quotidiennes et commerciales. En plus des problèmes médicaux de M. Haight, les requérants ont également eu des problèmes familiaux. Leur fille cadette, Emilia, consommait de la drogue, causant ainsi un stress énorme aux requérants.

2. En conséquence, en raison de tous ces problèmes, les requérants n’ont pas été en mesure de s’occuper convenablement de leur situation fiscale. Des erreurs ont été commises au moment de la préparation des déclarations de revenus de 1993 des requérants, lesquelles erreurs sont en grande partie reliées à la valeur au jour de l’évaluation de la salle de quilles.

3. M. John Haight était dans un meilleur état physique en 1996 et en 1997 et était en mesure de s’occuper de sa situation fiscale. Les requérants ont produit des déclarations de revenus en 1996 et en 1997 et ont demandé une réserve pour gains en capital relativement au gain en capital réalisé en 1993.

4. Peu de temps après avoir produit les déclarations de revenus de 1996, les requérants se sont aperçus que des erreurs avaient été commises dans les déclarations de revenus de 1993 et ils ont communiqué avec le ministre du Revenu national (ci-après appelé le “ ministre ”) afin de faire des rajustements à l’égard de ces erreurs.

5. Le ministre a établi une cotisation à l’égard des requérants pour les années d’imposition 1996 et 1997 au moyen d’avis de cotisation datés du 5 juin 1997 et du 17 août 1998 et envoyés à ces dates à Mme Sophie Haight ainsi que d’avis de cotisations datés du 29 mai 1997 et du 11 juin 1998 et envoyés à ces dates à M. John Haight.

6. Les requérants ont écrit au ministre au bureau de district de Sudbury afin de demander, pour les années d’imposition antérieures, un rajustement visant à corriger le gain en capital reporté.

7. Comme l’indiquent les documents des requérants, ces derniers ont écrit au ministre en de nombreuses occasions afin de demander que l’on procède à des rajustements dans leurs déclarations de revenus des années d’imposition antérieures.

8. Les requérants ont obtenu un avis juridique. Leur avocat a écrit au ministre afin de lui demander d’accepter que les déclarations de revenus de 1996 et de 1997 tiennent lieu d’avis d’opposition.

9. Le ministre a répondu à la lettre de l’avocat des requérants et a nié qu’un avis d’opposition avait été produit pour les années d’imposition 1996 et 1997.

10. La question dont est saisie la Cour est celle de savoir si la lettre du 24 septembre 1997 envoyée par les requérants au ministre constitue une demande valide de prorogation de délai afin de s’opposer aux cotisations visant les années d’imposition 1996 et 1997, conformément au paragraphe 166.1(2) de la Loi.

[10] Le paragraphe 166.1(1) de la Loi est rédigé en partie comme suit :

166.1(1) Le contribuable qui n'a pas signifié d'avis d'opposition à une cotisation en application de l'article 165 ni présenté de requête en application du paragraphe 245(6) dans le délai imparti peut demander au ministre de proroger le délai pour signifier l'avis ou présenter la requête.

(2) La demande doit indiquer les raisons pour lesquelles l'avis d'opposition n'a pas été signifié ou la requête, présentée dans le délai par ailleurs imparti.

[11] L’avocat des requérants a déclaré que, si le ministre refuse de proroger le délai de signification de l’avis d’opposition ou de production de la demande de dépôt d’un avis d’opposition, le contribuable peut demander à cette Cour une prorogation du délai de production d’un avis d’opposition en vertu de l’article 166.2 de la Loi, qui est ainsi libellé :

166.2(1) Le contribuable qui a présenté une demande en application de l'article 166.1 peut demander à la Cour canadienne de l'impôt d'y faire droit après :

a) le rejet de la demande par le ministre;

b) l'expiration d'un délai de 90 jours suivant la présentation de la demande, si le ministre n'a pas avisé le contribuable de sa décision.

Toutefois, une telle demande ne peut être présentée après l'expiration d'un délai de 90 jours suivant la date de la mise à la poste de l'avis de la décision au contribuable.

(2) La demande se fait par dépôt, ou par envoi par courrier recommandé, au greffe de la Cour canadienne de l'impôt, de trois exemplaires des documents visés au paragraphe 166.1(3) et de trois exemplaires de l'avis visé au paragraphe 166.1(5).

[12] L’avocat des requérants a ensuite affirmé que l’intimée s’opposait à l’octroi de la prorogation du délai de production d’un avis d’opposition pour deux raisons.

[TRADUCTION]

D’abord l’avocat de l’intimée soutient que, si la lettre du 24 septembre 1997 des requérants envoyée au centre fiscal de Sudbury devait être considérée comme un avis d’opposition, elle a été envoyée trop tard, puisqu’elle n’a pas été produite au cours des 90 jours suivant la date de l’avis de nouvelle cotisation. Par conséquent, les requérants doivent présenter au ministre une demande de prorogation de délai. Ensuite, les lettres envoyées par les requérants au ministre ne peuvent être considérées comme une demande de prorogation de délai, étant donné que les requérants n’ont pas “ indiqu[é] les raisons pour lesquelles l’avis d’opposition n’a pas été signifié ou la requête, présentée dans le délai par ailleurs imparti ”.

[13] L’avocat a poursuivi ses observations écrites de la manière suivante :

[TRADUCTION]

En ce qui concerne l’observation de l’intimée selon laquelle aucune demande n’a été faite par les requérants, ces derniers soutiennent que la lettre du 24 septembre 1997 qu’ils ont écrite à l’intention du ministre et envoyée au centre fiscal de Sudbury constitue bel et bien une demande en vertu du paragraphe 166.1(2) de la Loi [...]

L’avocat de l’intimée prétend que la lettre du 24 septembre 1997 ne peut être considérée comme une demande de prorogation de délai parce qu’elle n’indique pas les raisons pour lesquelles l’avis d’opposition n’a pas été signifié au cours des 90 jours suivant la date de la cotisation.

En réponse à cet argument, les requérants soutiennent que le mot “ doit ” figurant au paragraphe 166.1(2) de la Loi “ devrait être interprété comme directif et non comme impératif ”. Dans l’affaire La Reine c. Ginsberg, [1996] 3 C.F. 334 (96 DTC 6372), la Cour d’appel fédérale a examiné la signification du mot “ doit ” à la lumière du paragraphe 152(1) de la Loi. Elle a déclaré, aux pages 340 et 341 (DTC : à la page 6374) :

Le mot “ doit ”, que l'on trouve au paragraphe 152(1) et qui est vraisemblablement impératif, devrait être interprété comme “ directif ” et non comme “ impératif ”. Mais, ce qui est encore plus important, c'est qu'il ressort de la jurisprudence récente que les étiquettes “ impérative ” et “ directive ” ne sont elles-mêmes d'aucun secours pour définir la nature d'une fonction prévue par la loi. L'analyse doit être axée sur le résultat. Si le fait d'interpréter une fonction prévue par la loi comme étant impérative crée de graves inconvénients, il faut éviter une telle interprétation. Dans le cas qui nous occupe, le paragraphe 152(4) devrait être interprété comme ayant un résultat directif.

[14] Dans l’affaire R. c. Smith, C.F. 1re inst., no IMM-1-91, 11 mars 1991, à la page 18 (4 Admin. L.R. (2d) 97 : à la page 112), le juge Cullen, de la Section de première instance de la Cour fédérale, a formulé les observations suivantes :

[...] Dans leur ouvrage Principles of Administrative Law (1985, Carswell), Jones et de Villars font observer, aux pages 110 et 111, que pour déterminer si une condition prévue par la loi est impérative ou indicative, le tribunal doit tenir compte :

[TRADUCTION] [...] de l'esprit de la loi, de l'ensemble de ses dispositions, de la raison pour laquelle on a inclus l'exigence législative en question, de la question de savoir si la loi prévoit des conséquences en cas d'inobservation, et des effets pratiques de l'inobservation sur le plaignant ou sur toute autre personne.

[15] L’avocat des requérants a soutenu que l’approche correcte pour l’interprétation du mot “ shall ” (“ doit ”) était celle énoncée dans l’ouvrage de Driedger, Construction of Statutes, 2e édition, à la page 14 :

[TRADUCTION]

Il est soutenu que la question initiale fondamentale est : qui est lésé par le respect ou le non-respect? La réponse est facile à trouver lorsque la loi impose une pénalité, comme dans les lois pénales : à ce moment-là, le contrevenant doit payer, et “ doit ” est par conséquent “ directif ”. Les affaires difficiles sont celles où la loi n’indique pas quelles seront les conséquences du non-respect. Ainsi, les conséquences du respect et du non-respect doivent être examinées à la lumière de l’objet et du texte de la loi et des faits de l’affaire particulière. Les tribunaux ont démontré une tendance à ne pas pénaliser une personne innocente qui n’avait pas pris part à la violation.

[16] L’avocat a également renvoyé à la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, qui précise que le mot “ doit ” devrait être interprété comme étant impératif. Il a ensuite soutenu qu’il était également directif, et a mentionné l’affaire R v. Buchanan, (1878), 1 C.C.C. 442, au soutien de cette déclaration, citant le juge d’appel Bain :

[TRADUCTION]

La Loi d’interprétation stipule que le mot “ doit ” devrait être interprété comme étant impératif. Il semble toutefois que, selon ces termes, la Loi d’interprétation ne dit pas que “ doit ” devrait toujours être interprété comme étant impératif, en ce sens que le résultat nécessaire de la désobéissance est l’annulation de la procédure. En parlant de la même disposition des lois de l’Ontario, le juge d’appel Burton a déclaré : “ La Loi d’interprétation laisse le droit plus ou moins dans le même état que celui qui leur avait précédemment été conféré par décision judiciaire. ” L’affaire Trenton v. Dyer, 21 A.R. 379, et la décision de la Cour suprême à l’égard de la présente affaire (24 S.C.R. 474) confirment ce point de vue. Parlant des directives d’une loi selon lesquelles certaines choses devraient être accomplies, le juge en chef Strong a déclaré : “ La présomption à première vue, autant en vertu de la Loi d’interprétation que sans elle, est qu’elles sont impératives. Il revient aux appelants de démontrer qu’elles ne sont que directives. ”

[17] L’avocat a laissé entendre que le mot “ doit ” devrait être interprété à la lumière de l’objet du texte de la loi et des faits de l’affaire. Il a soutenu de plus que l’article 166.1 de la Loi avait été modifié conformément à ce que le ministre appelle le “ dossier Équité ”, lequel a été introduit en 1991. Il a poursuivi en reprenant les mots du ministre Otto Jelinek :

[TRADUCTION]

Le dossier Équité constitue une partie importante de mon engagement continu de rendre le système fiscal plus simple, plus facile et plus équitable. Les mesures que j’annonce aujourd’hui s’accordent avec le bon sens lorsqu’il s’agit de traiter avec les contribuables qui, en raison d’une infortune ou de circonstances personnelles échappant à leur contrôle, ne sont pas en mesure de respecter nos délais ou de se conformer à nos règles.

[...]

En outre, le dossier Équité autorisera des remboursements pour les années d’imposition débutant en 1985 et rationalisera le processus grâce auquel des particuliers peuvent soulever une opposition officielle à l’encontre d’une cotisation établie par le ministère.

[...]

Les modifications auront pour effet d’éliminer les formalités associées à la production d’une opposition. Actuellement, les contribuables sont tenus de produire un avis d’opposition en utilisant un formulaire prescrit, en deux exemplaires, et de l’envoyer par courrier recommandé au sous-ministre de Revenu Canada, Impôts. Cela doit être fait dans les 90 jours suivant la date figurant sur l’avis de cotisation qui a été envoyé au contribuable.

Les modifications permettront à tous les contribuables d’initier le processus d’appel en énonçant simplement les faits et les motifs d’opposition dans une lettre envoyée au chef des appels de leur bureau de district ou de leur centre fiscal local. Les contribuables continueront d’avoir le choix d’utiliser un formulaire fourni par le ministère.

[18] L’avocat a déclaré que, à la lumière de ce qui précède, l’objet de l’article 166.1 est de rendre “ le système fiscal plus simple, plus facile et plus équitable ” et que, par conséquent, les requérants ne devraient pas être pénalisés en raison de problèmes familiaux et d’états physiques qui échappent à leur contrôle.

OBSERVATIONS ÉCRITES DE L’INTIMÉE :

[19] L’avocat de l’intimée a soutenu que la lettre ne pouvait être considérée comme une demande de prorogation de délai, puisqu’elle n’indiquait pas les raisons pour lesquelles l’avis d’opposition n’avait pas été signifié au cours des 90 jours suivant la date de la cotisation. L’avocat a avancé le même argument relativement à la demande du 16 août 1999 ayant trait aux cotisations de 1997.

[20] L’avocat a déclaré qu’en ce qui a trait à l’année d’imposition 1996, la demande n’a pas été faite dans l’année suivant l’expiration du délai par ailleurs imparti pour la signification d’un avis d’opposition, comme l’exige l’alinéa 166.1(7)a) de la Loi. Il a soutenu que nulle part dans la lettre M. Haight n’avait même demandé une prorogation de délai. Il a renvoyé la Cour au paragraphe 166.1(2), qui précise que :

La demande doit indiquer les raisons pour lesquelles l'avis d'opposition n'a pas été signifié ou la requête, présentée [...]

[21] Il a affirmé que le requérant n’avait donné aucune raison dans sa lettre.

[22] L’avocat a ensuite déclaré que l’article 11 de la Loi d’interprétation était rédigé comme suit :

L'obligation s'exprime essentiellement par l'indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l'occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L'octroi de pouvoirs, de droits, d'autorisations ou de facultés s'exprime essentiellement par le verbe “ pouvoir ” et, à l'occasion, par des expressions comportant ces notions.

[23] Il a renvoyé la Cour à l’affaire Reference re Language Rights Under the Manitoba Act :

[TRADUCTION]

Il revient par conséquent à cette Cour de conclure que le législateur, lorsqu’il a utilisé le mot “ doit ” [...] souhaitait que ces articles soient interprétés comme directifs ou impératifs, en ce sens qu’ils doivent être respectés, à moins qu’une telle interprétation du mot “ doit ” soit totalement incompatible avec le contexte dans lequel il a été employé et rende les articles illogiques ou dépourvus de sens.

[24] L’avocat a ensuite soutenu qu’interpréter le paragraphe 166.1(2) en lui donnant un sens autre qu’impératif rendrait l’article 166.1 illogique dans son ensemble. Il a déclaré que le ministre ne pouvait admettre la demande sans qu’on lui ait donné des raisons expliquant pourquoi l’opposition n’avait pas été signifiée à temps. Il a ensuite cité le paragraphe 166.1(7), qui est ainsi rédigé :

(7) Il n'est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

a) la demande est présentée dans l'année suivant l'expiration du délai par ailleurs imparti pour signifier un avis d'opposition ou présenter une requête;

b) le contribuable démontre ce qui suit :

(i) dans le délai par ailleurs imparti pour signifier l'avis ou présenter la requête, il n'a pu ni agir ni charger quelqu'un d'agir en son nom, ou il avait véritablement l'intention de faire opposition à la cotisation ou de présenter la requête,

(ii) compte tenu des raisons indiquées dans la demande et des circonstances de l'espèce, il est juste et équitable de faire droit à la demande,

(iii) la demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient.

[25] Il a déclaré, dans la conclusion de ses observations écrites, qu’on ne demandait même pas une prorogation de délai dans la lettre, encore moins fournissait-on au ministre les raisons pour lesquelles il aurait dû accorder une prorogation.

ANALYSE ET CONCLUSION :

[26] La lettre qui a été remise à Revenu Canada dans le délai requis pour une demande de prorogation de délai faisait clairement référence à la cotisation de 1996. Même si on n’y déclarait pas qu’il s’agissait d’une demande, il est facile d’interpréter, selon les termes qui y sont employés, que les requérants souhaitaient que leurs affaires soient examinées pour cette année-là. De plus, la lettre du 23 mars 1998 envoyée au directeur et signée par les deux requérants, contenant la mention suivante :

[TRADUCTION]

J’interjette appel de l’évaluation de la valeur marchande [...]

a été envoyée dans le délai requis pour une demande de prorogation. On a encouragé les requérants à supposer que la question était en effet ouverte, la lettre du 16 juin 1988 envoyée par Revenu Canada à Mme Haight indiquant que celle-ci pourrait [TRADUCTION] “ demander une autre entrevue ”. Cette lettre ne contenait aucune indication selon laquelle les requérants pouvaient présenter une demande de prorogation de délai afin de produire un avis d’opposition.

[27] La lettre du 7 mai 1999, envoyée à John Haight par le directeur du Bureau des services fiscaux de St. Catharines, avait également amené les requérants à croire que la question n’était pas encore réglée puisqu’on y faisait mention d’un [TRADUCTION] “ autre examen de votre dossier ”.

[28] Je retiens les observations de l’avocat des requérants selon lesquelles le mot “ doit ”, d’après les faits en l’espèce, devrait être interprété comme étant directif, et non impératif. L’article 166.1 est manifestement conçu de manière à accorder une mesure de redressement au contribuable qui conteste une cotisation. Bien qu’il prévoit des conditions précises, cet article ne devrait pas être interprété, dans les circonstances de l’espèce, de façon à empêcher un contribuable sérieux – profane en matière fiscale – de poursuivre un appel. Cela est tout simplement injuste. Les lettres datées du 24 septembre 1997 et du 23 mars 1998 ont toutes deux été envoyées à Revenu Canada dans l’année suivant la date d’expiration prévue pour la production d’un avis d’opposition en ce qui concerne l’année d’imposition 1996[1]. L’une ou l’autre des lettres, ou les deux, devrait être considérée comme une demande de prorogation du délai de signification d’un avis d’opposition.

[29] Comme il semble que l’élément qu’on cherche à modifier pour l’année 1997, à savoir la réserve pour gain en capital[2], soit le même que pour 1996, et comme une demande a pour 1997 été faite en temps opportun, bien que n’ayant pas rempli toutes les conditions, je conclus que les requérants ont le droit de se voir accorder une ordonnance de prorogation de délai afin de produire un avis d’opposition pour les deux années d’imposition.

[30] Les requérants ont droit aux dépens de la présente demande.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2000.

“ R. D. Bell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de mars 2001.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]                Paragraphe 166.1(7).

[2]               Lequel gain en capital serait modifié par une plus grande valeur au jour de l’évaluation.

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