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Date: 19980416

Dossier: 96-503-IT-G

ENTRE :

LILIANE OBADIA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Garon, C.C.I.

[1] Il s’agit d’un appel d’une cotisation en date du 9 septembre 1994 émise par le ministre du Revenu national sous l’autorité de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’obligation de payer une somme de 78 557,51 $ établie par cette cotisation résultait, selon le ministre du Revenu national, du transfert le ou vers le 5 avril 1993 par M. Robert Obadia à l’appelante de 25 484 actions du capital-actions de la société Air Canada et 5 000 actions du capital-actions de la société Sportscene Restaurant Inc.

[2] En établissant cette cotisation, le ministre du Revenu national s’est appuyé sur les allégations de fait énoncées au paragraphe 6 de la Réponse modifiée à l’avis d’appel qui se lit ainsi :

6. In so assessing the Appellant, the Minister made the following assumptions of fact:

(a) on or about April 5, 1993, Robert Obadia transferred to the Appellant 25 484 shares of Air Canada and 5 000 shares of Sportscene Restaurant Inc. (the ‘Shares’);

(b) the Appellant is the spouse of Robert Obadia;

(c) the Appellant and Robert Obadia are not dealing at arm’s length;

(d) at the time of transfer, the fair market value of the Shares was as follows:

Market value

par share at

Shares #of Shares time of transfer Total

Air Canada 25 484 3,30 $ 84 097,20 $

Sportscene Rest. 5 000 6,37 $ 31 850,00 $

115 947,29 $

(e) at the time of the transfer, no consideration was given by the Appellant for the Shares;

(f) the aggregate of all amounts that the Transferor was liable to pay under the Act in or in respect of the taxation year in which the Shares was transferred or any preceding taxation year was at least 78 557,51 $.

[3] Les allégations formulées aux alinéas a) à c) inclusivement du paragraphe 6 de la Réponse modifiée à l’avis d’appel n’ont été l’objet d’aucune contestation de la part de l’appelante. Ces allégations doivent être considérées comme admises. Quant à l’allégation figurant à l’alinéa d), les parties ont convenu, peu de temps après la mise en délibéré, que la juste valeur marchande au 5 avril 1993 des deux blocs d’action d’Air Canada et de Sportscene Restaurant Inc. s’élevait à 103 000,00 $. Cette preuve supplémentaire fut acceptée par le tribunal. L’allégation figurant à l’alinéa e) du même paragraphe fut contestée pour le compte de l’appelante. Le quantum de la dette fiscale de M. Obadia à l’époque pertinente ne fut pas débattu à l’audience.

[4] L’appelante fut la seule à témoigner.

[5] L’appelante a relaté qu’elle et son mari, M. Obadia, détenait en mars 1993 chacun un portefeuille d’actions par l’intermédiaire de la maison de courtage, Scotia McLeod. C’est M. Patrick Hofman qui avait la charge de leurs dossiers. En mars 1993, M. Hofman quittait Scotia McLeod pour se joindre à Burns Fry. M. Hofman a alors demandé à M. Obadia s’il pouvait continuer à s’occuper de leurs portefeuilles. M. Obadia a acquiescé à cette demande et lui a demandé de faire un seul compte au nom de l’appelante. Selon l’appelante, M. Obadia l’a informé de cette nouvelle situation en ces termes[1]:

Et puis quand il est venu, il m’a dit : “Bon, Patrick Hofman a déménagé, il est parti chez Burns Fry. Je lui ai dit d’emporter nos portefeuilles avec lui, que c’était d’accord, et qu’il fasse un seul portefeuille; ça va faire moins de paperasse tous les mois et au fur et à mesure, quand j’en aurai besoin, tu me les sortiras.”

Alors, j’ai dit : “Bon, d’accord.” J’avais pas le choix, c’était fait.

À la question suivante de son avocat[2] :

Q. Pouvez-vous nous dire, Madame, quelle a été la considération que vous avez versée à ce moment-là pour ces actions?

l’appelante a ainsi répondu[3] :

R. La considération, c’est que j’ai fait plusieurs versements de mon compte personnel au compte conjoint pour qu’on puisse ...

[6] En contre-interrogatoire, l’appelante a reformulé les termes de l’entente au sujet du transfert des actions dans les termes que voici[4] :

R. Bien, mon mari m’a dit : “Bon, j’ai dit à Patrick Hofman de faire un seul compte avec les actions, et quand j’en aurai besoin, tu me les donneras au fur et à mesure.” Bon. J’avais déjà sorti ... je considérais qu’il me devait déjà de l’argent, mais j’ai dit : “Bon, d’accord.” Et puis au fur et à mesure, chaque fois qu’il y avait un chèque, comme ça, pour des besoins personnels, je considérais que c’était ... je déduisais ça.

Elle ajoutait ceci en réponse aux questions suivantes[5] relativement au nouveau compte d’actions qui fut ouvert en son nom :

Q. Mais le nouveau compte, vous voulez dire ... le nouveau compte qui montrait les actions à vous et les actions de votre époux ...

R. Oui.

Q. ... il était au nom de qui?

R. À mon nom.

Q. À votre nom personnel?

R. Puis mon mari m’a dit : “Au fur et à mesure, tu me les donneras.”

Q. O.K.

R. Mais c’est pas facile de ...

Q. Alors, l’entente, c’était que vous, il vous transférait l’argent ... bien, pas l’argent mais les actions.

R. Et quand il en avait besoin, bien, j’allais m’occuper de lui payer ses dépenses, ce genre de dépenses-là. C’est tout.

Q. Quel genre de dépenses?

R. Bien, Dôme Communications, les avocats. Il m’a dit : “Ça va servir ...”

Q. O.K.

R. “Je vais en avoir besoin.”

Q. Alors, quel était le montant des actions sur lequel vous vous étiez entendus qui devait être remboursé?

R. Il m’a dit qu’il avait à peu près pour cent mille dollars (100 000 $).

Q. O.K.

MONSIEUR LE JUGE :

Q. Ça, c’est ... cent mille dollars (100 000 $) représentent la valeur à ce moment-là?

R. Oui, il m’avait dit qu’il y avait à peu près pour cent mille dollars (100 000 $) d’actions, à lui.

Q. Dans ces deux compagnies-là?

R. Qui est passé de Scotia McLeod à Burns Fry. Alors, j’ai dit : “Bon, d’accord.”

[7] Certaines explications furent données quant à la façon dont elle devait rembourser M. Obadia à l’égard de cette dette qu’elle aurait contractée à la suite du transfert d’actions et comment elle aurait comptabilisé le remboursement de sa dette[6] :

Q. O.K. Et puis vous, si je comprends bien votre témoignage, vous avez dit ... vous vous êtes entendus de manière à ce que vous payeriez ...

R. Oui. Oui. J’avais déjà avancé une certaine somme, mais j’ai dit : “Bon ...”

Q. Des montants, O.K.

R. Oui.

Q. Si je comprends bien, les montants qui allaient être remboursés allaient être crédités à un compte? Comment ça fonctionnait?

R. Non, c’est pas ...

Q. Comment vous faisiez pour savoir que vous aviez remboursé?

R. Je ne sais pas ce qu’il avait dans sa tête, s’il pensait que j’allais chaque fois courir, aller vendre quelques actions pour lui ... bon. Mais moi, c’était plus facile pour moi de ... à même la dette que ... ou des fois je lui payais puis je me disais : “quand j’en aurai besoin, bien, je les utiliserai.” Et effectivement, quand j’en ai eu besoin, je les avais déjà entièrement payées à mon mari.

Q. O.K. Comment saviez-vous ... comment pouviez-vous savoir si vous aviez tout remboursé le montant qui était dû?

R. Je vous ai dit, je notais ça dans un petit coin d’un carnet et, au train où ça allait, à coup de dix mille dollars (10 000 $), vingt mille dollars (20 000 $), vingt-cinq mille dollars (25 000 $), j’ai dit à mon mari : “Mais au train où ça va, il ne te reste plus grand-chose.” Vous savez, il fallait pas avoir une mémoire extraordinaire pour ... j’avais pas besoin d’avoir des livres comptables.

Q. Si je comprends bien votre témoignage, c’était noté ans un carnet.

R. Oui, j’avais noté ça dans un petit coin et ...

Q. De quel carnet il s’agissait?

R. C’était carnet de banque de la ...

MONSIEUR LE JUGE :

Q. Carnet de?

R. J’avais noté ça sur deux carnets de banque.

Q. Deux carnets de banque.

R. De la Banque Royale.

Me CHARLES CAMIRAND :

Q. Et c’était les carnets de banque de quel compte?

R. De la Banque Royale. C’était un carnet de banque d’un compte conjoint que j’utilisais tout le temps, mais ...

Q. O.K., ça provenait d’un compte conjoint. C’était dans celui du compte conjoint ou dans l’autre, un autre compte?

R. Le compte conjoint.

Q. Est-ce que c’était seulement dans le compte conjoint ou c’était des annotations et dans le compte conjoint et dans un autre compte?

R. Non, c’était dans un compte conjoint.

Q. Vous pourriez parler plus fort.

MONSIEUR LE JUGE :

Q. Parlez un peu plus fort.

R. Excusez-moi. Non, c’était ... bien, c’était dans le compte que j’utilisais tout le temps et puis quand j’ai changé de banque, je continuais à écrire dans un petit coin et ... il n’y avait pas cinquante (50) annotations, vous savez.

MONSIEUR LE JUGE :

Q. Il y en avait combien à peu près d’annotations?

R. Bien, il y en avait une dizaine. Au fur et à mesure que je sortais un montant, je le marquais.

Q. Une dizaine d’annotations durant l’année ... quelle année?

R. 1993.

Me CHARLES CAMIRAND :

Q. O.K. Avez-vous conservé ces livrets-là?

R. Non, malheureusement. J’ai cherché, il y en a un, je le trouve pas, j’ai cherché; puis l’autre, je l’ai trouvé mais il est amputé de sa couverture.

Q. L’avez-vous avec vous, aujourd’hui?

R. Oui. C’était ... j’avais écrit ça sur le dos et puis là ...

Q. Sortez-le. Montrez, expliquez.

R. Bien, voilà. J’avais écrit sur le dos et quand je l’ai retrouvé - j’ai cherché partout et quand je l’ai retrouvé, bien, il lui manquait la première page.

Q. Si je comprends bien, vos annotations étaient sur le dos de la première page?

R. C’est ça.

Q. Et aujourd’hui il vous manque le dos de cette première page?

R. Il me manque le dos de cette première page.

MONSIEUR LE JUGE :

Q. Qu’est-ce qui a pu arriver?

R. Hein?

Q. Qu’est-ce qui a pu arriver? C’est pas un feu?

R. Non. Mais, vous savez, c’est difficile des vieux papiers de ... Vous savez, des fois, on pense qu’on n’en a plus besoin, ça reste à traîner, à traîner puis un jour, ça devient vital et on ...

Me CHARLES CAMIRAND :

Q. Alors, ce que vous dites, c’est que seulement la première page qui a ... qui n’est plus là, qui est disparue.

R. Mais, vous savez, même si je ne l’avais pas noté, c’était pas difficile de retrouver au fur et à mesure. vous savez, des fois, vous gardez une comptabilité dans votre tête et vous dites : “Bon, bien, ça fait vingt-cinq mille (25 000 $) en moins, ça fait trente mille (30 000 $).”

[8] L’appelante a témoigné qu’elle avait un compte personnel d’épargne à la Banque royale du Canada qui était surtout alimenté par des cadeaux que son mari lui a faits en particulier au cours des années 1990, 1991 et 1992. Elle a expressément fait état d’inscriptions au compte qui montrent qu’aux dates suivantes, les dépôts ci-après indiqués ont été effectués à son compte :

17 mai 1990 39 456,14 $

10 août 1990 75 000,00 $

19 décembre 1990 30 000,00 $

3 avril 1991 400 000,00 $

27 juin 1991 60 000,00 $

27 août 1991 290 000,00 $

17 décembre 1991 40 000,00 $

10 juillet 1992 160 118,77 $

29 octobre 1992 250 000,00 $

18 novembre 1992 25 000,00 $

[9] Elle a fourni des explications au sujet de chacun de ces dépôts ou de chacune de ces inscriptions :

a) en ce qui concerne le dépôt date du 17 mai 1990 portant sur un montant de 39 456,16 $, l’appelante a affirmé qu’il représente le solde d’un autre compte que l’appelante détenait antérieurement;

b) les dépôts ci-dessus du 10 août 1990, du 19 décembre 1990, du 27 juin 1991, du 17 décembre 1991 et du 18 novembre 1992 représentent des cadeaux faits par M. Obadia à l’appelante, bien que, dans le cas de certaines inscriptions, sa déposition ne soit pas tout à fait claire;

c) en ce qui a trait aux inscriptions du 3 avril 1991, du 27 août 1991 et du 10 juillet 1992, elle a affirmé que ces sommes avaient été utilisées en grande partie soit aux fins d’acquitter l’impôt sur le revenu de M. Obadia ou d’effectuer un paiement relatif au renouvellement de l’hypothèque sur la maison;

d) l’inscription du 29 octobre 1992 fait état d’un montant de 250 000,00 $ qui a été, selon son expression, “retourné à Nationair”, sans plus de précision.

[10] À la fin de décembre 1992, le solde au compte personnel de l’appelante s’établissait à 61 715,49 $.

[11] L’appelante, au cours de son témoignage, a établi une corrélation entre les sorties de fonds de son compte personnel d’une part et les dépôts au compte conjoint de l’appelante et de M. Obadia, d’autre part, en substance comme il suit :

a) au 7 janvier 1993, du compte personnel de l’appelante, il y a eu un retrait de 41 500,00 $ et un dépôt le même jour de 40 000,00 $ au compte conjoint. L’appelante a retenu pour elle-même en espèces le solde de 1 500 $ du retrait de 41 500,00 $;

b) le 23 mars 1993, il y a eu un retrait de 14 000,00 $ du compte de l’appelante et un dépôt de 14 000,00 $ le même jour au compte conjoint;

c) le 13 avril 1993, il y a un retrait de 5 000,00 $ du compte personnel de l’appelante et un dépôt le même jour au compte conjoint;

d) le 6 mai 1993, il y a un autre retrait de 5 000,00 $ et un dépôt le même jour du même montant au compte conjoint;

e) le 10 mai 1993, il y a un retrait du compte personnel de 2 111,97 $ et un dépôt le même jour de la même somme au compte conjoint;

f) le 18 mai 1993, il y a un retrait de 5 000,00 $ du compte personnel et un dépôt du même montant ce même jour dans le compte conjoint;

g) les 20 et 29 octobre 1992, l’appelante a effectué deux retraits de 5 000,00 $ et ces argents ont été déposés dans le compte conjoint.

[12] Le total de tous les transferts dont il est question dans le paragraphe précédent du compte personnel de l’appelante au compte conjoint s’établit à 81 111,97 $.

[13] L’appelante explique ensuite qu’un “monument” religieux a été fait à la mémoire de la mère de M. Obadia, Mme Fortuna Obadia. Cette allégation est attestée par un faire-part qui fut produit à l’audience. C’est un grand rouleau qui est dédié à la mémoire d’un parent ou d’un événement. Dès que le “monument” est achevé, une fête est organisée et le “monument” est présenté en public. Deux chèques aux montants respectifs de 20 000,00 $ et de 2 897,96 $ à l’ordre de Merkaz Stam[7] ont servi à défrayer le coût de fabrication de ce “monument” et de certains accessoires. Ces chèques furent tirés sur le compte conjoint.

[14] L’appelante a aussi mentionné que son mari, qui était président de Nationair notamment en 1993, a été l’objet d’une mauvaise publicité de la part des médias durant cette dernière année. Pour contrer cette publicité, M. Obadia a retenu les services d’une firme de relations publiques, Dôme Communications, et pour ses services, cette firme a reçu un chèque de 25 000,00 $ tiré sur le compte conjoint de l’appelante et de M. Obadia. Durant la même période, M. Obadia a aussi eu recours pour l’aider à mettre de l’ordre dans ses affaires à une firme de comptables Boisjoli et Associés, laquelle reçut 5 000,00 $ pour ses services. Une somme de 10 000,00 $ fut versée à une étude d’avocats, Unterberg Labelle, pour services rendus à la suite d’un recours collectif exercé par les employés de Nationair contre M. Obadia à titre d’administrateur. Les paiements de 5 000,00 $ et 10 000,00 $ ci-dessus mentionnés à Boisjoli et Associés et à Unterberg Labelle furent effectués au moyen de deux traites en date du 16 juin 1993 et des fonds du compte conjoint furent utilisés à cet effet. Un autre chèque de 7 000,00 $ fut tiré sur le compte conjoint de l’appelante et de M. Obadia à l’ordre de la firme Richter Usher & Vineberg et encaissé le 11 mai 1993 en paiement de services rendus à M. Obadia en sa qualité d’administrateur de la société Nationair. Finalement Me Stein, un avocat, a reçu un paiement de 10 000,00 $ sous forme d’un chèque tiré sur le compte conjoint en date du 28 juillet 1993 qui fut encaissé le 30 juillet de la même année pour services rendus à M. Obadia concernant certaines cotisations. Deux comptes d’American Express furent payés en utilisant les fonds provenant du compte personnel de l’appelante. Ces comptes, formant un total de 2 500,00 $, avaient trait à des dépenses faites par M. Obadia concernant les affaires de la société Nationair. L’appelante n’était pas à l’époque titulaire d’une carte émise par American Express.

[15] L’appelante n’a pu indiquer trop clairement quelles dépenses représentaient les inscriptions au relevé bancaire en date du 18 janvier 1993 du compte conjoint montrant notamment deux débits, l’un de 16 000,00 $ et l’autre de 20 470,00 $. Toutefois, lorsque le chèque d’un montant de 16 000,00 $ lui fut montré elle a affirmé qu’il s’agissait de versements relatifs à l’hypothèque sur la maison. À cet égard, l’appelante a mentionné que les mensualités hypothécaires relatives à la maison étaient d’environ 7 000,00 $ et que l’hypothèque était d’environ 700 000,00 $. Elle a indiqué que cette résidence, qui avait été acquise en 1988, avait une valeur d’environ 3 000 000,00 $.

[16] Le solde du compte conjoint au moment du transfert des actions le 5 avril 1993 s’établissait à 2 068,83 $.

[17] L’appelante a précisé qu’elle n’a jamais fait de calculs précis au sujet des comptes qu’elle avait avec M. Obadia. C’est ce dernier qui était chargé d’assumer les charges de la famille; l’appelante n’avait pas durant la période qui nous concerne d’emploi rémunéré.

Position de l'appelante

[18] On fait valoir pour le compte de l’appelante que celle-ci ne travaillait pas depuis des années, que la responsabilité des dépenses du ménage incombait à M. Obadia et que le compte conjoint était utilisé pour ces dépenses. On a souligné que l’appelante avait un compte personnel qui était alimenté par des dons qui lui étaient faits par M. Obadia.

[19] L’avocat de l’appelante a appuyé sur le point que durant les années 1992 et 1993 l’appelante a retiré des fonds de son compte personnel pour les transférer au compte conjoint. Ces argents ont servi surtout à payer des dépenses personnelles de M. Obadia ou de l’entreprise Nationair dont M. Obadia était président.

[20] Avec jurisprudence à l’appui, l’avocat de l’appelante a soutenu que les fonds d’un compte conjoint sont la propriété de celui qui avance les fonds, à moins d’une entente contraire. Il s’est référé à un article de Me Nicole L’Heureux publié dans la Collection Monographies Juridiques et aux décisions de cette Cour dans les affaires Dupuis v. The Queen,[8] et Tanguay v. The Queen.[9]

[21] De ce qui précède, l’avocat de l’appelante a ainsi conclu que M. Obadia était endetté envers l’appelante pour un total de 81 111,97 $. Ce dernier montant représente le total des montants transférés du compte personnel de l’appelante au compte conjoint de l’appelante et de M. Obadia durant la période qui va d’octobre 1992 à mai 1993. Cette dette constitue, selon lui, la contrepartie versée par l’appelante à M. Obadia à l’égard du transfert des actions.

[22] L’avocat de l’appelante a souligné que jusqu’en 1992, tous les fonds du compte conjoint provenaient de M. Obadia. Pour sa part, l’appelante n’a jamais versé d’argent à ce compte; elle a contribué pour la première fois en octobre 1992.

[23] Pour le compte de l’appelante, on a fait valoir que comme l’appelante a avancé au cours des années 1992 et 1993 au compte conjoint 81 111,97 $ donc un peu au-delà de ce qui était dû par M. Obadia à Revenu Canada, il s’ensuit que l’appelante ne doit plus rien au Gouvernement du Canada. D’après lui, la loi exige que la contrepartie versée par la partie qui bénéficie du transfert soit au moins égale au montant dû à Revenu Canada à la date en question.

Position de l'intimée

[24] Pour le compte de l’intimée, on a fait valoir qu’au moment du transfert en faveur de l’appelante des deux groupes d’actions, il n’y a pas eu d’entente établissant qu’une contrepartie devait être versée par l’appelante.

[25] L’avocat de l’intimée a aussi souligné que l’appelante n’a pu établir un système ou un mode de remboursement de sa dette à l’égard de M. Obadia, ce que les pages manquantes des livrets de banque auraient pu établir.

[26] L’avocat de l’intimée prétend que du côté de l’appelante on s’est efforcé sans succès, selon lui, de trouver dans le témoignage de l’appelante l’existence d’une contrepartie pour le transfert des actions. Au mieux, les montants qui ont été versés par l’appelante après le 5 avril 1993 formant un total de 17 111,97 $ pourraient constituer une contrepartie. Même en prenant pour acquis l’existence d’une contrepartie s’élevant à 17 111,97 $ ou peut-être même à 19 611,97 $ comme il a été mentionné à un moment donné, la cotisation dont appel serait quand même bien fondée.

Analyse

[27] Tout d’abord, il a été établi clairement par la jurisprudence que l’existence d’un compte conjoint n’a pas pour conséquence de constituer les cosignataires du compte comme propriétaires indivis des sommes figurant au compte. Il faut plutôt rechercher l’entente originaire intervenue lors de l’ouverture du compte.

[28] Les observations suivantes du juge Phelan de la Cour supérieure du Québec dans l’espèce Desrosiers c. Héritiers de feu Albert Laroche et une autre[10] sont tout à fait claires sur cette question :

...

A review of the authorities relating to the nature of joint bank accounts indicates that the existence of such an account is not, in itself, indicative that each co-depositor has a proprietary interest in the funds of the account. As noted by Perrault (1):

Pour déterminer les droits des déposants entre eux, il faut rechercher la convention originaire, l’entente intervenue lors de l’ouverture de ce compte-joint. Ont-ils eu l’intention de faire de la somme d’argent ainsi déposée une propriété indivise? L’un a-t-il eu l’intention de constituer l’autre déposant son argent ou son mandataire, à titre onéreux ou à titre gratuit? A-t-il voulu consentir une donation? Il faut, dans chaque cas, rechercher l’intention des parties, appliquer les principes généraux du droit civil concernant soit le mandat, soit la donation, soit la stipulation pour autrui.

And Falconbridge(2):

The instructions given to the bank, however, are of course not conclusive of the actual title to the debt represented by the account.

The presumption may be rebutted and the real ownership of the debt must be determined upon all the facts.

It may turn out that the debt really belongs to the estate of the deceased depositor.

Care must be exercised in considering common law authority in view of the concepts of ‘joint tenancy’ and ‘remaindermen’ which are not found in our law. However in each jurisdiction it appears accepted that the proprietorship of the funds in a joint account must be determined upon the facts in each case and the intention of the parties in entering into the arrangement.

______________________

(1) A. Perrault, Traité de droit commercial, t.2. Montréal

Lévesque, 1936, p. 387.

(2) J. D. Falconbridge, Banking and bills of exchange, 7th ed.,

Toronto, Canada Law Book, 1969, pp. 303 et sqq.

[29] De ce qui précède, il s’ensuit que dans le cas actuel les argents déposés au compte conjoint provenant du compte personnel de l’appelante sont la propriété de l’appelante étant donné qu’aucune entente n’a été mise en preuve faisant foi d’un arrangement spécial entre l’appelante et M. Obadia quant à la propriété de ces fonds au moment de l’ouverture de ce compte conjoint et postérieurement.

[30] Tout d’abord, il n’est pas contesté que M. Obadia a transféré les blocs d’actions en question à l’appelante qui en est devenue propriétaire lors de son acquiescement.

[31] L’examen minutieux du témoignage de l’appelante, dont les extraits les plus pertinents ont été reproduits antérieurement, ne me convainc pas qu’au moment où le transfert des actions s’est opéré, l’appelante et M. Obadia se soient entendus, de façon suffisamment précise, sur une contrepartie à être fournie par l’appelante. À cet égard, le témoignage de l’appelante est vague et manque de clarté sur les éléments essentiels de ces arrangements, si arrangements il y a eu, entre elle et M. Obadia. Par exemple, comme cela appert de l’extrait de son témoignage reproduit au paragraphe 6 de ces motifs, l’appelante affirme ceci : “je considérais qu’il me devait déjà de l’argent”. La preuve ne révèle pas si au moment du transfert des actions, M. Obadia partageait le point de vue de l’appelante sur le point qu’il était endetté vis-à-vis de celle-ci et, dans l’affirmative, sur le montant de cette dette.

[32] On décèle le même caractère flou ou vague au sujet des arrangements relatifs au remboursement de la dette de l’appelante à l’égard de M. Obadia découlant du transfert des actions en question. En effet, à la question “Comment vous faisiez pour savoir que vous aviez remboursé”, l’appelante a répondu, comme il appert de l’extrait figurant au paragraphe 7 de ces motifs, ceci :

R. Je ne sais pas ce qu’il avait dans sa tête, s’il pensait que j’allais chaque fois courir, aller vendre quelques actions pour lui ... bon. Mais moi, c’était plus facile pour moi de ... à même la dette que ... ou des fois je lui payais puis je me disais : “quand j’en aurai besoin, bien, je les utiliserai.” Et effectivement, quand j’en ai eu besoin, je les avais déjà entièrement payées à mon mari.

Somme toute, le lien entre le transfert des actions d’une part et l’existence d’une contrepartie fournie en date du 5 avril 1993 ou à être fournie postérieurement par l’appelante, n’a pas été établie par une prépondérance de la preuve.

[33] En outre, je n’ai pas été persuadé de la véracité du témoignage de l’appelante au sujet de ces arrangements dans leur ensemble. Ne m’a pas paru vraisemblable sa version notamment au sujet de la page couverture manquante d’un livret de banque et à un autre moment donné de deux livrets de banque où aurait figuré une liste des avances au compte conjoint.

[34] Au surplus, le tribunal n’a pas eu l’avantage du témoignage de M. Robert Obadia, l’autre partie à l’entente. On ne m’a pas fourni d’explications satisfaisantes au sujet de son absence.

[35] Bien que les observations qui suivent ne soient pas nécessaires vu la conclusion à laquelle j’en suis arrivé, j’aimerais souligner que si j’avais accepté la proposition de l’appelante selon laquelle la contrepartie qu’elle a fournie est constituée des dépôts faits par elle de son compte personnel au compte conjoint avant la date du transfert des actions, je ne pourrais faire droit à l’appel qu’en partie. En effet, l’alinéa 160(1)e) de la Loi de l’impôt sur le revenu précise bien que le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement de la dette fiscale de ce dernier dans la mesure où la valeur des biens qui sont l’objet du transfert excède la juste valeur marchande de la contrepartie fournie par le bénéficiaire du transfert. Cette conclusion s’infère nettement des termes de l’alinéa 160(1)e) qui se lit comme suit :

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une des ces années;

[36] Or, dans le présent cas, il est admis que la juste valeur marchande des biens au moment de leur transfert était égale à 103 000,00 $ alors que la juste valeur marchande de la contrepartie selon la proposition avancée par l’appelante était de 81 111,97 $. Il y a donc un excédent de la valeur marchande des biens transférés sur la contrepartie de 21 888,03 $. Dans cette hypothèse, la cotisation aurait dû être réduite à 21 888,03 $.

[37] J’ai ajouté les observations formulées aux paragraphes 35 et 36 qui précèdent parce que l’avocat de l’appelante a dans sa plaidoirie fait valoir que “tout ce que la loi exige c’est qu’il y ait eu considération versée et que cette considération soit au moins égale au montant dû au Ministère à la date en question”. D’après moi, il y a méprise sur la portée des deux sous-alinéas (i) et (ii) de l’alinéa 160(1)e) de la Loi de l’impôt sur le revenu. En peu de mots, d’après moi, l’obligation du bénéficiaire du transfert de biens en vertu de l’alinéa 160(1)e) est, en quelque sorte, égale à la mesure de son enrichissement aux dépens du fisc.

[38] J’en viens donc à la conclusion que l’appelante ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait de démontrer, par une prépondérance des probabilités, de l’existence d’une contrepartie au moment du transfert des deux blocs d’actions en question.

[39] Pour ces motifs, l’appel est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d’avril 1998.

“ Alban Garon ”

J.C.C.I.



[1] Notes sténographiques à la page 11, ligne 1 à 9.

[2] Notes sténographiques à la page 13, ligne 6.

[3] Notes sténographiques à la page 13, ligne 9.

[4] Notes sténographiques à la page 43, ligne 23 jusqu’à la page 44, ligne 5.

[5] Notes sténographiques à la page 46, ligne 14 jusqu’à la page 47, ligne 25.

[6] Notes sténographiques à la page 48, ligne 5 jusqu’à la page 52, ligne 17.

[7] Le nom du bénéficiaire de ces chèques est difficile à déchiffrer; il se peut qu’il n’ait pas été reproduit correctement.

[8] 93 DTC 723.

[9] 97 DTC 947.

[10] [1977] C.S. 25 à la page 26.

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