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Date: 20000927

Dossier: 1999-2921-IT-I

ENTRE :

PERCY R. SMITH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] Le présent appel est interjeté à l’encontre d’un avis de prestation fiscale pour enfants dans lequel le ministre du Revenu national a déterminé que l'appelant n'avait pas droit à des prestations fiscales pour enfants de 1 745 $, de 6 633 $ et de 1 105 $ pour les années de base 1994, 1995 et 1996 respectivement, parce qu'il n'était pas un “ particulier admissible ” au sens de l'article 122.6 de la Loi de l'impôt sur le revenu. La question est de savoir si l'appelant était un résident du Canada durant la période pertinente.

[2] L'appelant a quitté la Guyane pour immigrer au Canada vers 1973 et est devenu citoyen canadien en 1978. Il est très intelligent et cultivé. Il a eu un fils, Christopher, né hors mariage vers 1980. De son premier mariage sont issus six enfants, nés entre mai 1982 et décembre 1991. Sa première femme est décédée du lupus en 1992. Il s'est remarié en 1994, et quatre enfants sont issus de cette union. En août 1993, il a acheté en Guyane un immeuble à son oncle pour 9 000 $[1]; l’immeuble valait alors à son avis 40 000 $. Le 31 mai 1994, il est allé habiter en Guyane avec sa femme et six enfants.

[3] L'immeuble qu'il avait acheté contenait quatre ou cinq logements qui représentaient manifestement un passif plutôt qu'un actif. L'appelant ne recevait aucun loyer et avait beaucoup de mal à évincer les occupants; il souhaitait céder un terrain vacant. Il a fini par y arriver et a vendu le terrain pour 90 000 $ en juillet 1998. Il lui fallait être un résident de la Guyane depuis au moins deux ans selon les lois de ce pays pour acheter le terrain, évincer les locataires et éventuellement vendre le terrain.

[4] À l'automne 1994, il a acheté en Guyane une entreprise de taxi avec quatre taxis, et l’a exploitée à perte pendant trois ans. Il a expliqué qu'il avait acquis cette entreprise pour que ses six enfants inscrits à différentes écoles soient conduits aller-retour en toute sécurité.

[5] Avant d'aller s'installer en Guyane, il habitait Oakville (Ontario), vivant du produit d'une police d'assurance devenue payable au décès de son épouse en 1992. Au cours de cette période, il a publié un journal chrétien appelé Inner City.

[6] Bien que la preuve ait été quelque peu déroutante, il semblerait que l'appelant soit retourné au Canada quatre ou cinq fois entre juin 1994 et juin 1998, pour une période totale d'au plus trois semaines au cours de chacune des quatre années. Son épouse est retournée au Canada en juillet 1995 pour avoir un bébé; elle y est restée trois mois. L'appelant est revenu au Canada : (i) deux semaines en novembre 1994; (ii) moins de deux semaines en mars ou avril 1995; (iii) moins de deux semaines en mars 1996; (iv) puis finalement en septembre 1998. Alors qu'il vivait en Guyane, son fils Christopher était resté au Canada, avec sa mère, je présume. La mère et le père de l'appelant étaient également restés au Canada. Lorsqu’il est revenu au Canada avec son épouse et ses enfants, en septembre 1998, l’appelant a acheté une maison à Winnipeg. Ses enfants sont de remarquables élèves et athlètes. Deux de ses filles ont assisté à l'audience avec lui.

[7] Parmi les objections formulées par l’appelant dans son avis d'appel, mentionnons les suivantes :

[TRADUCTION]

1. [...] J'ai séjourné au Canada plus de 190 jours au cours de l'année de base 1994, de sorte que cette année-là devrait être exclue.

2. [...] Mes objections avaient été acceptées par M. Andrew Ng, du bureau des appels, le 17 décembre 1998, à 10 h 02. Cette décision a été confirmée par deux témoins : (i) Mme Patricia Smith (204 783-6728), soit mon épouse; (ii) Mme Della Hurley (204 984-2843), soit une employée de la division de Revenu Canada responsable de la prestation fiscale pour enfants à Winnipeg. Mme Hurley a, à ma demande, téléphoné à M. Andrew Ng moins de 10 minutes après que ce dernier m'eut communiqué sa décision. M. Ng a confirmé sa décision selon laquelle j'étais, pour reprendre ses propres paroles, “ un résident de fait aux fins de l'impôt sur le revenu ” et selon laquelle mes objections étaient acceptées; Mme Hurley m'a donc rappelé, s'est entretenue avec ma femme et avec moi et a dit qu'on lui avait également confirmé que j'étais un “ résident de fait ” pour les années de base 1994, 1995 et 1996 et que mes objections étaient acceptées. Comme je n'avais exercé aucune pression sur M. Ng et qu'aucune preuve supplémentaire n'a été citée à l'appui de l'annulation de cette décision le vendredi 21 décembre 1998, je demande à la Cour de confirmer la décision initiale et de conclure que l'annulation était une bévue.

3. [...] La notification de ratification du ministre semble faire état d’une des deux suppositions suivantes :

a) soit que les 9 484,25 $ m'ont été versés entre le 7 mars 1996 et le 1er septembre 1998 pour les années de base 1994, 1995 et 1996,

b) soit que les sommes ont été versées au cours des années de base 1994, 1995 et 1996 respectivement,

et que, comme j'étais hors du pays entre le 7 mars 1996 et le 1er septembre 1998, l'article 122.6 permettrait l'imposition de mesures punitives rétroactives. Je ne suis pas d'accord sur ces deux hypothèses, car les prestations fiscales pour enfants ont été versées au cours des années de base, et l'article 122.6 (y compris la modification qui y a été apportée en juin 1998) ne permet pas l'imposition de mesures punitives rétroactives pour la période allant des années de base 1994, 1995 et 1996 à septembre 1998.

4. La quatrième raison de mon appel tient au fait que je me suis fié aux règles et règlements énoncés dans les formulaires de Revenu Canada pour les années de base 1994, 1995 et 1996, qui indiquent les critères en matière de “ résidence de fait ”, critères qui sont basés sur des liens de résidence que j'avais, soit les biens personnels et liens sociaux suivants :

(i) enfant à charge demeuré au Canada

(ii) carte de crédit en vigueur

(iii) permis de conduire en vigueur

(iv) compte bancaire actif

J'ai également pu fournir de la documentation concernant une assurance et des revenus mensuels de location relatifs à un gros entrepôt situé à Oakville (Ontario), y compris relativement aux taxes payées.

5. [...] La disposition législative citée dans l'avis de ratification du ministre doit être limitée à la Loi de l'impôt sur le revenu pour ces années de base.

6. [...] L'article 122.6 n'est pas une disposition législative rétrospective et ne peut donc être appliqué rétroactivement.

7. [...] Voici un extrait du guide général d'impôt pour les années de base 1994, 1995 et 1996 : [TRADUCTION] “ Si, le 31 décembre 1996, vous résidiez à l'extérieur du Canada et si vous aviez gardé des liens de résidence (selon la définition figurant à la page 5) avec le Canada, vous pourriez être considéré comme un résident de fait d'une province ou d'un territoire. Si c'est le cas, utilisez la trousse de la province ou du territoire où vous avez gardé ces liens ”. Non seulement je satisfaisais aux exigences énoncées en matière de liens de résidence pour 1996 et pour d'autres années de base en cause dans mon appel, mais j'ai également suivi les instructions et j'ai utilisé la trousse de l'Ontario, soit la province où étaient mes liens de résidence.

8. [...] D'après les lignes directrices établies par Revenu Canada pour les années de base en cause dans mon appel, il était essentiel de résider à l'extérieur du Canada pour être considéré comme un “ résident de fait ”. Il est donc contradictoire et discriminatoire que l'on invoque le fait que je vivais hors du Canada pour justifier le rejet de mon objection.

[8] L'appelant a produit, au moins pour 1996, 1997 et 1998, des déclarations de revenus indiquant moins de 1 000 $ d'impôt à payer. Il a expliqué qu'il n'avait pas été bien traité par les fonctionnaires de Revenu Canada et que son compte bancaire de Mississauga avait été soit saisi soit l’objet d’une saisie-arrêt en décembre 1999, alors que les procédures relatives au présent appel avaient été engagées. Par suite de cette saisie, il a intenté une action en dommages-intérêts contre Revenu Canada devant la Cour fédérale. Bien que ce soit regrettable s'il a été traité incorrectement, j'ai expliqué que cela n'est pas pertinent aux fins de ma décision.

Analyse

[9] Pour être admissible à la prestation fiscale pour enfants, l'appelant avait la charge de prouver qu'il était un résident du Canada durant les années de base conformément à la définition de “ particulier admissible ” qui figure à l'article 122.6.

[10] Je me fonde sur la décision et l'analyse du juge Mogan dans l'affaire Boston c. La Reine[2], dans laquelle le juge devait trancher une question de résidence à partir de faits quelque peu semblables. Dans l'affaire Boston, le contribuable avait été transféré de l'Alberta en Malaisie par son employeur. Il a travaillé en Malaisie de septembre 1989 jusqu'en 1992 au moins. Au cours de cette période, il a fait deux visites de 14 jours au Canada. Sa femme a continué à vivre au Canada, au domicile conjugal, et lui a rendu visite huit fois au cours de la période de quatre ans. Le juge Mogan n'a pas hésité à conclure que M. Boston était un résident non pas du Canada mais de la Malaisie durant les quatre années. J'applique le raisonnement du juge Mogan à la présente espèce. Voici d'ailleurs un large extrait de la décision rendue par le juge Mogan dans cette cause-là :

Lorsqu’on tente de déterminer le droit en ce qui concerne la résidence d’un particulier aux fins de l’impôt sur le revenu, l’arrêt Thomson v. Minister of National Revenue, [1946] S.C.C. 209, de la Cour suprême du Canada est celui qui fait autorité. Dans cette décision, le juge Rand a dit ceci, aux pages 224-225 :

[...] Il faut uniquement déterminer les limites géographiques dans lesquelles il passe sa vie ou auxquelles sa vie ordinaire ou quotidienne est liée. [...]

[...] Au minimum, il faut faire une distinction entre les expressions dans lesquelles la notion de résidence est en cause comme elles le sont, à mon avis, dans le langage courant, et la notion de “ séjour ” ou de “ visite ”.

[...] Si j’applique au cas de l’appelant les remarques précises que le juge Rand a faites dans l’arrêt Thomson, je conclus qu’après 1988, l’appelant avait établi, maintenu ou axé son mode ordinaire de vie en Malaisie avec tous les éléments qui s’y rattachent au point de vue des relations sociales, des intérêts et des commodités.

[...]

Dans l’affaire Griffiths v. The Queen, 78 DTC 6286, M. Griffiths, qui avait longtemps résidé au Canada, avait décidé de prendre sa retraite dans les îles Vierges britanniques où il vivait à bord de son yacht, qui était immatriculé au Canada. En décidant que M. Griffiths avait cessé de résider au Canada, le juge Collier a dit ceci, à la page 6288 :

Je n’attache aucune importance et ne vois aucune incompatibilité à ce qu’on établisse sa résidence hors du Canada tout en y conservant des intérêts financiers.

[...] Je ferais une distinction entre la présente espèce et l’affaire Ferguson parce que l’appelant s’est rendu en Malaisie pour une période d’au moins trois ans; il avait d’importantes responsabilités professionnelles dans ce pays; il espérait continuer à y vivre une fois les trois années écoulées, s’il devenait directeur de la raffinerie de Port Dickson; il s’est mis à participer aux activités de la collectivité de Port Dickson.

[...] Pendant les quatre années ici en cause, l’appelant n’a été présent au Canada que brièvement. En fait, il n’a été présent au Canada que pendant 14 jours en 1990 et pendant une autre période de 14 jours en 1992. En 1989 ou en 1991, il n’est pas venu au Canada. Si, comme le juge Rand l’a fait remarquer dans le jugement Thomson, il faut faire une distinction entre la “ résidence ” d’une part et un “ séjour ” ou une “ visite ” d’autre part, je crois qu’en ce qui concerne les années 1990 et 1992, il peut être plus exact de considérer que l’appelant a visité le Canada. Je conclus que de 1989 à 1992, l’appelant ne résidait pas au Canada.

[11] Je traiterai maintenant des arguments formulés dans l'avis d'appel précité, en suivant le même ordre numérique :

1. Les années de base sont celles qui sont indiquées dans la réponse du ministre à l'avis d'appel, ce qui n'est pas contesté par l'appelant, c'est-à-dire que, conformément à l'article 122.6 de la Loi :

a) l'année de base 1994 désigne les mois de juillet 1995 à juin 1996 inclusivement;

b) l'année de base 1995 désigne les mois de juillet 1996 à juin 1997 inclusivement;

c) l'année de base 1996 désigne les mois de juillet 1997 à juin 1998.

2. Il n'y a eu aucune autre preuve d'un règlement au procès, et je ne vois aucune entente liant l'appelant et le ministre. L'avis de ratification est la décision du ministre.

3. Je pense que l'avis de prestation fiscale pour enfants est l'équivalent de la cotisation du ministre. Normalement, en vertu du paragraphe 152(3.1), le ministre a trois ans après le jour de mise à la poste d'un avis de première cotisation pour établir une nouvelle cotisation.

4. Pour les motifs énoncés, en particulier à la lumière de l’affaire Boston, l'appelant n'était pas un “ résident de fait ” du Canada. C'est une conclusion fondée sur le bon sens. Avec son épouse et six enfants, l'appelant a déménagé en Guyane, où il a été un résident habituel pendant quatre ans. Il avait acheté et exploitait une entreprise de taxi, avait un investissement immobilier l'obligeant à être résident de la Guyane et avait inscrit ses enfants à l'école en Guyane.

5. Voir mes observations à la rubrique no 1 ci-devant.

6. Voir mes observations à la rubrique no 3 ci-devant.

7. Voir mes observations à la rubrique no 4 ci-devant.

8. Suivant la définition donnée à l'article 122.6 concernant la prestation fiscale pour enfants, un “ particulier admissible ” est notamment une personne qui réside au Canada. L'appelant n'était pas un résident du Canada, n'était pas un “ particulier admissible ” au sens de l'article 122.6 et n'était donc pas en droit de recevoir la prestation fiscale pour enfants au sens de l'alinéa 122.61(1)a) de la Loi pour les années de base 1994, 1995 et 1996. Je ne trouve cette conclusion ni contradictoire ni discriminatoire. Il est clair que c'est ainsi que doit être interprétée la Loi de l'impôt sur le revenu étant donné les faits de l'espèce.

[12] L'appelant soutenait en outre que, du fait qu'il a dû produire des déclarations d'impôt canadiennes et payer de l'impôt canadien, il doit nécessairement être un particulier admissible. Encore là, l'essentiel est de savoir s'il était un résident du Canada. Qu'il ait payé de l'impôt au Canada ne fait pas de lui un résident du Canada.

[13] Pour les motifs précités, je conclus que l'appelant était un résident de la Guyane tout au long des années considérées en l'espèce.

[14] Le ministre a correctement calculé les montants des prestations fiscales pour enfants auxquels l'appelant avait droit aux termes de l'article 122.61 de la Loi pour les années de base 1994, 1995 et 1996, et les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de septembre 2000.

“ C. H. McArthur ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de février 2001.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]               Tous les montants mentionnés sont en monnaie canadienne et, dans tous les cas, j'ai arrondi les chiffres.

[2]               Boston c. La Reine, C.C.I., 96-1454(IT)G, 29 septembre 1997 (98 DTC 1124).

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