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Date: 19990813

Dossier: 98-1011-IT-I

ENTRE :

GUY FAVREAU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 concernant la déduction de pertes locatives.

[2] Pour établir les nouvelles cotisations le ministre du Revenu national (le “Ministre”) s'est fondé sur les faits décrits au paragraphe 12 de la Réponse à l'avis d'appel (la “Réponse”) comme suit :

a) au cours des années en litige, l'appelant était propriétaire de la propriété sise aux 890, 892 et 894, rue St-Édouard à St-Jude en la province de Québec, (ci-après, la “propriété”);

b) l'appelant a mentionné au Ministre en date du 12 juillet 1996, que le but initial de l'acquisition de la propriété était de procurer un logement à ses enfants;

c) l'appelant a aussi mentionné au Ministre qu'il procédait par annonce au “club vidéo” et “par bouche à oreille” afin de louer ses logements;

d) pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995, l'appelant a déclaré les revenus et les dépenses de locations suivants :

Description 1993 1994 1995

Revenus : 3 150 $ 3 000 $ 3 875 $

Dépenses :

Taxes 1 556 $ 1 206 $ 1 225 $

Électricité 850 $ 883 $ 773 $

Assurances 953 $ 963 $ 1 516 $

Intérêts/hypothèque 6 622 $ 5 902 $ 6 241 $

Entretien/réparations 1 993 $ 134 $ 1 152 $

Sous-total 11 974 $ 9 088 $ 10 907 $

PERTE NETTE( 8 824 $) ( 6 088 $) ( 7 032 $)

e) les frais fixes totalisaient à eux seuls 9 981 $ en 1993, 8 954 $ en 1994 et 9 755 $ en 1995;

f) l'appelant a subi les pertes nettes suivantes au cours des dernières années :

Année Perte nette

1991 10 630 $

1992 10 002 $

1993 8 824 $

1994 6 088 $

1995 7 032 $

g) au cours des années en litige, le 894, rue St-Édouard étaient utilisé par l'appelant qui était propriétaire d'un club vidéo;

h) au cours des années en litige, l'appelant déclarait un loyer pour le 894, rue St-Édouard, pour un montant mensuel 100 $ par mois, montant qui était de beaucoup inférieur à la juste valeur du marché;

i) un examen des livres du club vidéo par le Ministre, a permis de constater que les loyers mentionnés au paragraphe h) ci-dessus n'ont jamais été versés à l'appelant;

j) pour les années d'imposition 1993 et 1994, l'appelant a indiqué sur ses déclarations de revenus le 890 St-Édouard, St-Jude comme adresse personnelle;

k) au cours des années en litige, l'immeuble était loué par les enfants de l'appelant à un prix inférieur à la juste valeur marchande;

l) au cours des années en litige, le 892, rue St-Édouard n'était pas loué;

m) conséquemment, il n'y a donc aucun espoir d'obtenir un profit de la location de la propriété;

n) au cours des années en litige, l'appelant n'a donc pu démontré que les dépenses aux montants de 8 824 $ pour l'année d'imposition 1993, de 6 088 $ pour l'année d'imposition 1994, et de 7 032 $ pour l'année d'imposition 1995, ont été faites ou engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

[3] Les témoins ont été l'appelant lui-même et monsieur Robert Lévesque. Ce dernier a témoigné à la demande de l'avocat de l'intimée.

[4] L'appelant est mécanicien de profession et était employé d'une entreprise de Montréal dont il est maintenant à la retraite.

[5] L'appelant a admis les alinéas 12 a) à 12 j) et 12 l) de la Réponse.

[6] En ce qui concerne l'alinéa 12 a) de la Réponse, l'appelant a indiqué que l'immeuble avait été acquis en 1991.

[7] L'appelant a ajouté à l'énoncé de l'alinéa 12 b) que s'il était exact que le but initial était de procurer un logement à ses enfants, ceci devait se faire moyennant le paiement d'un loyer raisonnable de 300 $. Il a produit à cet égard la pièce A-1 qui est le bail entre lui et le mari de sa fille pour le logis situé au 890 St-Édouard. La période était du 1er janvier 1993 au 1er janvier 1994.

[8] Deux autres baux ont été produits pour le 890 St-Édouard, un 6 1/2, comme pièce A-3. Le premier des deux commence le 1er juillet 1995 pour se terminer le 30 juin 1997. Le loyer est 375 $ par mois. Le deuxième bail est du 1er juillet 1997 au 30 juin 1998. Le loyer est de 390 $ par mois.

[9] En ce qui concerne l'alinéa 12 j) de la Réponse, l'appelant explique qu'au cours de l'année 1993, son petit-fils, le fils de sa fille qui habitait le 890 St-Édouard est devenu malade. L'appelant a donc proposé à sa fille de changer de logis, de prendre sa maison et que lui prendrait le logement. Cela s'est fait au cours de l'année 1993. C'est ainsi que l'appelant habitait le 890 St-Édouard dans les années 1993 et 1994.

[10] En ce qui concerne l'énoncé de l'alinéa 12 l) de la Réponse, le 892 St-Édouard n'était pas loué parce qu'il était en rénovation. La pièce A-4 montre un bail commençant le 1er mars 1996 pour le 892 St-Édouard au loyer de 350 $ par mois. Il s'agit d'un 3 1/2 selon la pièce I-2, Questionnaire concernant les biens locatifs, rempli le 12 juillet 1996 par l'appelant.

[11] L'appelant répond ainsi aux questions 6, 13 et 15 du questionnaire (pièce I-2):

6. Quel financement a été obtenu en vue de louer le bien? Indiquez le moment précis de la date des emprunts, leur objet, le montant et les modalités.

Prêt personnel

13. Est-ce que le bien locatif est loué à l'heure actuelle? Sinon, veuillez expliquer pourquoi. Si le bien a été vendu, veuillez indiquer la date et le produit de la disposition.

Oui, le logement est fini de rénover et je le loue électricité fourni. Le prêt étant fini de payer cela me permet d'obtenir une rentabilité.

15. Quelles mesures ont été prises pour assurer le financement, l'agrandissement et l'amélioration de votre bien locatif? Indiquez, de façon plus précise, la source et les méthodes de financement.

Voir No 6.

[12] La pièce A-2 est un contrat en date du 31 mars 1995 par lequel l'appelant et Club Vidéo Fleur d'Elysée Inc., à titre de locateur, louent le 894 St-Édouard ainsi que les biens situés à l'intérieur du local qui servent à l'exploitation de l'entreprise. La première année pour un montant mensuel de 400 $ et par la suite pour 500 $ par mois. Le locataire a cessé de faire affaires en 1997. L'appelant a expliqué que tout le revenu locatif a été inclus dans le calcul de son revenu et rien dans le revenu de Club Vidéo Fleur d'Elysée Inc.

[13] Le représentant de l'appelant a demandé à monsieur Lévesque, agent des appels à Revenu Canada, s'il était au courant que l'appelant avait pris en 1996 et 1997 des dépenses d'amortissement. Monsieur Lévesque a répondu que cela ne paraissait pas aux relevés informatisés et qu'il n'en avait pas pris connaissance. Je m'étais alors étonnée que cela eut été possible vu les montants élevés des intérêts dans les années en litige. À la lecture de la réponse, donnée en 1996 à la question No 13 du questionnaire (pièce I-2), voulant que l'emprunt ait été entièrement payé, cela peut se comprendre. Mais il n'y a pas eu de preuve à savoir quel était le montant initial de l'emprunt, pourquoi les intérêts étaient si élevés dans les années en litige et comment d'une année à l'autre l'emprunt ait pu être remboursé.

[14] La pièce I-3 sont les déclarations de revenu de l'appelant pour les années 1996, 1997 et 1998. Pour l'année 1996, il n'y a que l'énoncé d'un revenu locatif brut au montant de 14 700 $, ce qui indique selon monsieur Lévesque, que les dépenses ont été aussi élevées que les revenus. En 1997, il y a la déclaration d'un revenu locatif brut de 14 490 $ et un revenu locatif net de 1 637 $ et en 1998, un revenu locatif brut de 3 875 $ et des pertes de 8 994 $.

[15] Les deux parties se sont référé aux arrêts de la Cour d'appel fédérale dans Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73 et Mohammad c. Canada, [1998] 1 C.F. 1020.

[16] Le représentant de l'appelant a fait valoir que l'appelant est un bon menuisier et qu'il avait rénové plusieurs maisons. Il avait donc de l'expérience immobilière. Il est vrai que la propriété avait été acquise en partie pour procurer un logement aux enfants de l'appelant et pour le commerce de vidéo de l'appelant. Mais en ce qui concerne ses enfants, le loyer devait être le loyer normal pour ce genre d'habitation. Il ne s'agissait pas de faire des cadeaux. Il ne s'agit donc pas pour la Cour de juger du sens des affaires de l'appelant.

[17] Le représentant de l'appelant a insisté sur le fait que dans les années postérieures aux années en litige il y avait eu du revenu positif et que la propriété pouvait générer du profit. Il a soumis qu'il fallait permettre à un locateur le temps de s'organiser pour que son entreprise devienne rentable. Il a aussi soumis que si l'appelant n'avait pas mentionné dans ses déclarations de revenu qu'il avait occupé une des propriétés à titre personnel, il avait fait des tentatives de corriger cette situation lors de négociations au niveau de la division des appels à Revenu Canada. Ce document a été montré à la Cour. Il ne s'agissait pas d'une demande de correction de la déclaration de revenu mais uniquement d'un document de négociation où plusieurs éléments du calcul du revenu locatif étaient modifiés. Ce document ne pouvait donc pas être accepté comme pièce à l'appui de quoi que ce soit.

[18] L'avocat de l'intimée fait valoir qu'il y a un élément personnel indéniable et que dans ces circonstances il ne s'agit pas de la seule appréciation du jugement commercial d'un contribuable mais de l'influence que peut avoir sur ce jugement des éléments personnels qui normalement n'ont pas de place dans une entreprise de nature strictement commerciale.

Conclusion

[19] Je me réfère aux propos du juge Dickson dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, aux pages 485 et 486 :

Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s'en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants : l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidement pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l'importance de l'entreprise : ...

(Le souligné est de moi)

[20] Je me réfère aux propos du juge Linden dans la décision de la Cour d'appel fédérale dans Tonn (supra), aux pages 102, 103 et 104 :

L'application du critère de l'arrêt Moldowan principalement comme critère objectif vise donc à empêcher les réductions d'impôt illégitimes; le critère ne doit pas servir d'instrument permettant de faire des conjectures sur l'appréciation commerciale des contribuables. Un avertissement doit être formulé dans les cas où le critère est appliqué aux activités commerciales. Sauf s'il en est prévu autrement dans la Loi, les erreurs de jugement n'empêchent pas un contribuable de réclamer les déductions des pertes qui en découlent. ...

...

... je, par ailleurs, reconnais que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué avec modération lorsque l'“appréciation commerciale” du contribuable est concernée, qu'aucun élément personnel n'a été établi et que le montant des déductions réclamées n'est pas contestable à première vue. Cependant, lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise. Par conséquent, des circonstances douteuses appelleront plus souvent un examen plus approfondi comparativement à celles qui ne soulèvent aucun doute.

[21] Je suis d'avis que la preuve a révélé dans cette affaire un élément personnel important. Un tel élément n'est pas nécessairement fatal mais la Cour doit s'assurer que les caractéristiques normales d'une entreprise commerciale se retrouvent pour accorder l'appel. Il ne s'agit pas seulement de l'appréciation du jugement commercial d'un contribuable.

[22] Il est important de noter au départ que le Ministre a accordé deux ans de délai à l'appelant en ce qui concerne ses activités de location. En 1991 et 1992, le Ministre a accordé des pertes aux montants respectifs de 10 630 $ et 10 002 $.

[23] Les circonstances de fait qui ne paraissent pas concorder avec celles d'une entreprise normale de location sont les suivants :

- Un des logis, le 892 St-Edouard n'a été rénové qu'en l'année 1996, malgré l'investissement coûteux en capital si l'on se fie aux intérêts élevés réclamés sur un emprunt fait pour la propriété.

- L'appelant habite un des logis, le 890 St-Édouard, et prête sa maison à sa fille et la famille de cette dernière.

- L'appelant utilise un des logis, le 894, à un prix inférieur à la valeur du marché pour son commerce de vidéos.

- Le montant des frais fixes, soit les taxes, l'électricité, les assurances et les intérêts, totalisaient à eux seuls 9 981 $ en 1993, 8 954 $ en 1994 et 9 755 $ en 1995. Les revenus bruts étaient au montant de 3 150 $ en 1993, 3 000 $ en 1994 et 3 875 $ en 1995.

[24] En ce qui concerne ce dernier aspect, la structure financière de la propriété ne permettait aucun profit. Quoique le représentant de l'appelant dise que dans les années postérieures aux années en litige les activités de location de l'appelant ont produit des profits, ce ne fut le cas que pour une année et de plus, il n'y a eu aucune explication en ce qui concerne la modification de la capitalisation. En termes de capital, la propriété n'avait donc aucune capacité dans les années en litige de réaliser un profit.

[25] En bout de ligne, prenant en compte toutes les circonstances de fait de l'activité de location de l'appelant, on ne peut que conclure que cette activité ne possédait pas les caractéristiques normales d'une entreprise commerciale.

[26] L'appel est en conséquence rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce13er jour d'août 1999.

“Louise Lamarre Proulx”   

J.C.C.I.

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