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Date: 20000915

Dossier: 1999-203-GST-I

ENTRE :

IMMEUBLES SANSFAÇON INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit de l'appel d'un avis de cotisation portant le numéro 7213209, en date du 24 octobre 1997 au montant de 79 716,91 $, confirmé, à la suite de l'opposition du 31 août 1998, par une décision qui se lit comme suit :

Le ministre du Revenu a étudié les faits et motifs énoncés dans votre avis d'opposition et a décidé que :

La cotisation a été établie conformément aux dispositions de la Loi notamment, mais sans restreindre la généralité de ce qui précède, en ce que la fourniture par la municipalité, la Ville de Saint-Émile, du service d'installation des infrastructures des égouts sanitaires et pluviaux pour le projet domiciliaire Développement Plein-Sud – Phase VI et divers travaux de bordures et pavage de rues, est exonérée en vertu de l'article 22 de l'annexe V, Partie VI de la Loi sur la taxe d'accise et les remboursements de taxe sur les intrants réclamés ne sont pas admissibles compte tenu des dispositions de l'article 169 de ladite Loi.

[2] L'avis de cotisation découlait du refus d'accepter certains crédits sur les intrants (“ CTI ”).

[3] Lors des années en litige, l'appelante était promoteur immobilier; elle développait des secteurs résidentiels à l'intérieur de la Ville de Saint-Émile (la “ Ville ”).

[4] Après avoir identifié un certain secteur, l'appelante proposait à la Ville un projet visant la construction de plusieurs résidences.

[5] Intéressée par la réalisation du projet, la Ville mandatait dès lors des experts pour évaluer en détail les coûts de réalisation des infrastructures, tels réseau d'égout, aqueduc, bitume, etc.

[6] Pour obtenir l'approbation de la municipalité, l'appelante devait s'engager à payer la très grande majorité des coûts de construction des infrastructures, définis par les experts de la municipalité.

[7] Lors des premières phases de développements résidentiels, la municipalité s'était chargée de l'exécution de tous les travaux d'infrastructure et avait réclamé par la suite le montant de ses déboursés, auxquels avaient été ajoutées les taxes applicables.

[8] Dans un premier temps, la municipalité procédait à une évaluation des coûts du projet présenté par l'appelante qui, dans un deuxième temps, devait décider si elle poursuivait le projet. Dans l'affirmative, la municipalité initiait le processus de réalisation par le biais d'appels d'offres, le tout conformément aux lois et règlements la régissant.

[9] La Ville était maître d'oeuvre et s'occupait d'obtenir les soumissions pour l'exécution des travaux. Les entreprises intéressées obtenaient les cahiers de charge et toutes les informations et renseignements appropriés auprès des professionnels à l'emploi de la Ville.

[10] Tout le processus des soumissions et par la suite l'acceptation de la plus basse conforme étaient conduits et réalisés sans l'intervention de l'appelante.

[11] Parallèlement, la municipalité avait convenu avec l'appelante que cette dernière assumerait tous les déboursés. Suite aux diverses inspections des mandataires de la ville au niveau de l'évolution du ou des chantiers, cette dernière autorisait le paiement complet ou partiel, selon les circonstances. L'entrepreneur concerné préparait alors une facture, l'acheminait à la municipalité qui la transmettait aussitôt à l'appelante pour paiement. L'appelante acquittait alors le montant dû, majoré par les taxes applicables. Suite aux paiements, l'appelante réclamait les crédits de taxe sur les CTI.

[12] Ce sont là les principaux faits révélés par la preuve. Pour soutenir ses prétentions, l'intimée a produit une preuve documentaire.

[13] À la suite de l'acceptation du projet soumis par l'appelante, la municipalité initiait le processus des soumissions. Après l'étude des soumissions suite aux appels d'offres, la Ville de Saint-Émile acceptait généralement au moyen d'une résolution la plus basse soumission conforme, le tout constituant un véritable contrat. Pour illustrer le tout, il m'apparaît utile de reproduire le contenu de la résolution numéro 96-082-03 (pièce I-2) :

EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL DU CONSEIL MUNICIPAL

DE LA VILLE DE SAINT-ÉMILE

COPIE DE RÉSOLUTION

SÉANCE DU LUNDI 4 MARS 1996

RÉSOLUTION NUMÉRO 96-082-03

RÉSULTAT DE L'OUVERTURE DES SOUMISSIONS

PROJET 11601 RUE DE MONTRACHET

ET AUTORISATION DE SIGNER LE CONTRAT

Il est proposé par Monsieur le conseiller Pierre Verret, appuyé par Monsieur le conseiller Miville Cloutier et unanimement résolu que ce conseil, suite au résultat de l'ouverture des soumissions ayant eu lieu le 26 février 1996 pour le projet 11601 rue de Montrachet donnant les résultats suivants :

1 - Les Excavations Lafontaine inc. 258 741,94 $

2 - Construction B.M.L. Division de Sintra 263 445,72 $

3 - Les Excavations Nadeau et fils inc. 263 452,56 $

4 - Henri Labbé et fils inc. 268 746,91 $

5 - Métro Excavation inc. 269 702,43 $

6 - Les Entreprises P.E.B. ltée 269 773,08 $

7 - Vallier Ouellet 279 929,32 $

8 - Giroux et Lessard ltée 301 651,64 $

9 - G. Chouinard et fils inc. 400 836,71 $

accepte le plus bas soumissionnaire conforme, sur recommandation de la firme d'ingénieurs Génivar, à savoir; Les Excavations Lafontaine inc., au montant de 258 741,94 $ et autorise le maire et le directeur général et greffier ou leurs remplaçants à signer le contrat. La phase 1A étant immédiate, la phase B devra faire partie d'une entente avec le promoteur. La signature du contrat est conditionnelle au dépôt de garantie bancaire par le promoteur

A D O P T É E.

...

[14] L'intimée a également produit une lettre émanant de la Ville de Saint-Émile. Le contenu de cette lettre mentionnait ce qui suit (pièce I-1) :

Objet : Confirmation d'entente avec les promoteurs

No dos. : 1-11-2/27             

Monsieur,

Je confirme par la présente l'entente survenue avec les promoteurs sur la méthode de paiement des contracteurs relativement aux infrastructures de rues.

Cette entente fait en sorte que la facturation est adressée directement aux promoteurs par les contracteurs (incluant les ingénieurs, laboratoires ...). La Municipalité ne se sert que de mesure de contrôle.

Il faut noter que le contrat est signé entre le contracteur et la municipalité mais que les paiements sont effectués par les promoteurs. Ces derniers remettent à cet effet une lettre de garantie bancaire couvrant le coût estimé des travaux.

Espérant ces infirmations utiles, veuillez accepter, Monsieur Tremblay, mes voeux de joyeuses fêtes.

Jean Savard, Directeur général et

Secrétaire-trésorier

[15] De son côté, lorsque l'appelante a voulu introduire une preuve documentaire additionnelle, elle a fait face à la vigoureuse objection de l'intimée à l'effet qu'une telle preuve avait pour effet de contredire des écrits valablement faits.

[16] L'objection soumise par l'intimée était très importante en ce qu'elle avait des effets directs sur la recevabilité d'une partie majeure de la preuve de l'appelante.

[17] Quant à la pertinence de l'objection de l'intimée, il m'apparaît opportun de rappeler les propos de l'honorable Pierre Dussault de cette Cour, dans l'affaire Brigitte Tanguay c. Sa Majesté la Reine [1997] A.C.I. no 16; l'honorable juge Dussault s'exprimait comme suit :

...

Les documents soumis en preuve appuient les témoignages entendus concernant les circonstances du transfert de la propriété et la nature de la contrepartie totale convenue entre les parties.

Compte tenu de la preuve présentée, je ne crois pas que le contrat notarié constitue une simulation destinée à tromper les tiers ni que l'entente entre l'appelante et son conjoint concernant le remboursement de sa part de la propriété constitue une contre-lettre. J'estime que le Ministre ne peut cotiser en ignorant cette entente dont l'appelante a, à mon avis, démontré l'existence selon la prépondérance des probabilités comme il lui était loisible de le faire en l'absence de toute restriction concernant la production d'une preuve testimoniale à cet égard. Cette preuve a d'ailleurs été complétée par la présentation de documents appuyant la probabilité d'une telle entente. Je me permettrai simplement d'ajouter que la prohibition de la preuve testimoniale pour contredire les termes d'un écrit valablement fait édictée par l'article 1234 du Code civil du Bas-Canada n'a pas d'application en matière fiscale...

(Je souligne)

[18] L'intimée voudrait que ce Tribunal tienne compte principalement de la convention signée à la suite de l'acceptation de la soumission, la soumission constituant en soi un véritable contrat. Or, le contrat que l'intimée considère comme devant être le document déterminant à prendre en considération contient une condition qui donne ouverture à l'introduction des documents inhérents, d'où il y a lieu de rejeter l'objection de l'intimée.

[19] Bien plus, la résolution prévoit une condition pouvant facilement être définie comme considération essentielle. Je fais référence à l'extrait suivant de la dite résolution :

...

accepte le plus bas soumissionnaire conforme recommandé par la firme d'ingénieurs Solivar, à savoir; Métro Excavation Inc, et autorise le maire et le directeur général et greffier ou leurs remplaçants à signer le contrat avec Métro Excavation Inc, conditionnellement au dépôt de la lettre de garantie bancaire par le promoteur et conditionnellement à la signature du protocole d'entente avec le promoteur.

A D O P T É E

(Je souligne)

[20] L'intimée ne peut pas prétendre que les documents sur lesquels l'appelante s'appuie sont irrecevables ou contredisent le contrat allégué; les documents que l'appelante veut introduire en preuve sont essentiellement des écrits qui se rapportent, expliquent et complètent la preuve en faisant toute la lumière sur l'ensemble des relations contractuelles liant les parties.

[21] Ces divers documents ne contredisent aucunement la convention intitulée : “ Protocole d'entente ” intervenue entre la Ville et l'appelante. Je crois plutôt qu'ils complètent et précisent la nature et l'objet des droits et obligations des parties. D'ailleurs, la mention: “ à signer le contrat avec Métro Excavation Inc. conditionnellement au dépôt de la lettre de garantie bancaire par le promoteur et conditionnellement à la signature du protocole d'entente avec le promoteur ”, constitue très certainement un début de preuve par écrit donnant ouverture à la preuve visant à découvrir l'ensemble des faits ayant généré des droits et obligations.

[22] D'un côté, la preuve documentaire a établi que la Ville avait un rôle important dans le cadre de la réalisation des travaux d'infrastructure. La Ville était aussi une composante essentielle en ce que, sans son intervention, aucun des travaux n'était possible. Elle initiait le processus de réalisation et surveillait le déroulement de l'exécution.

[23] De l'autre côté, il est tout aussi clair que la responsabilité financière découlant de l'exécution des travaux ne lui était pas imputable. Il n'y a aucun doute qu'il ne s'agissait pas d'une responsabilité discutable, incertaine ou nébuleuse; des garanties formelles et contractuelles étaient prévues, lesquelles étaient bonifiées par les cautionnements habituels en cette matière.

[24] Cela ressort d'ailleurs très clairement de l'ensemble de la preuve documentaire soumise.

[25] Il eut peut-être été préférable que tous les écrits relatifs aux fournitures visées par le présent appel soient élaborés de manière à ce que toutes les parties qui avaient un quelconque intérêt, soit notamment la Ville de Saint-Émile, l'appelante et les entrepreneurs y interviennent.

[26] Si tel avait été le cas, il n'y aurait sans doute pas eu de litige.

[27] L'appelante était-elle tenue, aux termes d'une convention portant sur une fourniture ou autrement, le cas échéant, de payer la contrepartie de la fourniture, devenant ainsi, au sens de l'article 123 de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”), un acquéreur pouvant réclamer le CTI ?

[28] Il y a lieu de reproduire le protocole d'entente intervenu entre l'appelante et la Ville de Saint-Émile (pièce I-3) :

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

VILLE DE SAINT-ÉMILE

PROTOCOLE D'ENTENTE

INTERVENU ENTRE :

La Ville de Saint-Émile, corps politique légalement constitué et régi par les dispositions de la Loi des Citées et villes du Québec, ayant sa place d'affaires au 6180 des Érables, Saint-Émile, G3E 1K6, dûment représentée aux fins des présentes par le maire Monsieur Renaud Auclair, et par le directeur général et greffier Monsieur Jean Savard, en vertu de la résolution numéro 96-081-03 adoptée à la séance du lundi 4 mars 1996 et dont copie conforme est annexée aux présentes pour en faire partie intégrante;

Ci-après appelée : La Ville

ET :

Immeubles Sansfaçon Inc., compagnie légalement constituée et ayant sa place d'affaires au 1121 Chemin Sainte-Foy, suite 101, Québec, G1S 2M2 dûment représentées par messieurs Yvan Asselin et Bruno Sansfaçon, seuls propriétaires de cette compagnie;

Ci-après appelées : Le promoteur

ATTENDU QUE le promoteur a déposé un projet de développement domiciliaire intitulé : “ Développement Plein sud, phase VI ”;

ATTENDU QUE le promoteur est propriétaire des rues concernées à savoir : une partie de Montrachet et une partie de Cabernet-Sauvignon;

ATTENDU QU'il y a lieu d'exécuter les travaux d'éclairage, d'aqueduc, d'égouts sanitaire et pluvial, de voirie, d'asphalte et de bordure sur les lots ci-haut mentionnés;

ATTENDU QUE la firme d'ingénieurs Génivar a préparé les plans et devis numéro 11601, et qu'elle est responsable de la surveillance des travaux;

ATTENDU QU'il y a lieu d'établir dans un protocole d'entente les obligations de chacune des parties;

EN CONSÉQUENCE, LA VILLE ET LE PROMOTEUR CONVIENNENT DE CE QUI SUIT :

ARTICLE 1 :

Le préambule ci-dessus fait partie intégrante du présent protocole.

ARTICLE 2 :

Le Promoteur s'engage à payer à la Ville tous les coûts des travaux d'infrastructures exécutés par le ou les soumissionnaires retenus, y compris les frais contingents d'ingénieurs, de notaire, d'avocats, d'arpenteurs-géomètres, d'éclairage, de laboratoire de vérification et de tous autres frais inhérents au projet.

ARTICLE 3 :

Le promoteur doit remettre au moment de la signature du présent protocole une lettre de garantie bancaire couvrant le coût du projet estimé à 434 000 $. La lettre de garantie pourra être diminuée après tout paiement de facture par le Promoteur ainsi que de la participation de la Ville.

Le promoteur doit payer le montant intégral des factures présentées par la Ville, selon les recommandations de la firme d'ingénieurs Génivar, à l'intérieur d'un délai de 25 jours de l'envoi de la facture. Tout retard porte intérêt à aux taux de 15 % l'an réparti sur le nombre de jours en retard après ce délai de 25 jours.

ARTICLE 4 :

Le promoteur, avant le début des travaux, doit céder à la Ville la propriété entière des rues sur lesquelles les travaux sont exécutés pour une somme nominale de 1 00 $.

Tous les actes de servitude ou droit de passage nécessaires devront aussi être enregistrées en même temps en faveur de la Ville.

Le maire et le directeur général et greffier ou leurs remplaçants sont autorisés à signer tout document relatif à la cession des rues, de droit de passage ou de servitude au nom de la Ville de Saint-Émile.

ARTICLE 5 :

La Ville s'engage à effectuer avec diligence, selon le contrat signé avec le ou les soumissionnaires retenus, les travaux prévus au présent protocole.

ARTICLE 6 :

Conditionnellement à l'approbation du règlement d'emprunt par le Ministère des Affaires municipales du Québec, la Ville s'engage à verser au Promoteur une somme représentant la participation de la Ville aux travaux et estimée par la firme Génivar à 53 223,43 $, correspondant aux coûts de la moitié des frais totaux au mètre linéaire selon la longueur du terrain devant accueillir l'école et acheté par la Ville. Ce montant sera ajusté en fonction des coûts réels après le résultat des soumissions.

La participation de la Ville sera versée au Promoteur, en proportion de l'acceptation des travaux par les ingénieurs de Génivar.

Si les travaux d'asphalte et de bordure se font en deux étapes et sur une période excédant 10 mois, la participation de la Ville sera versée en proportion des travaux exécutés tout en respectant la méthode ci-haut mentionnée.

La participation de la Ville est versable à la condition que toutes les factures présentées par la Ville soient acquittées par le Promoteur.

ARTICLE 7 :

La firme d'ingénieurs, le laboratoire de vérification et le ou les soumissionnaires effectuant les travaux sont engagés par la Ville.

ARTICLE 8 :

Tous les travaux d'infrastructures, d'aqueduc, d'éclairage, d'égouts sanitaire et pluvial, de voirie, d'asphalte et de bordure demeureront l'entière propriété de la Ville.

EN FOI DE QUOI LES PARTIES ONT SIGNÉ À SAINT-ÉMILE EN TROIS EXEMPLAIRES CE 10 AVRIL 1996.

LA VILLE LE PROMOTEUR

(signature)        (signature)      

Renaud Auclair, maire Yves Asselin

(signature)        (signature)      

Jean Savard, directeur général et Bruno Sansfaçon

greffier

Analyse

[29] Il s'agit donc de déterminer dans quelle mesure l'appelante, qui n'a pas contracté directement avec les fournisseurs de services, mais qui était tenue de façon non équivoque, en vertu d'une convention la liant à la municipalité co-contractante de payer la contrepartie conséquente à l'exécution des divers travaux, peut être définie comme acquéreur au sens de l'article 123 de la Loi.

[30] La réponse devait normalement se retrouver dans la définition d'“ acquéreur ” prévue par la Loi.

Les dispositions pertinentes

[31] Les articles 23 et 123 de la Loi se lisent comme suit :

...

23. (1) [définition telle qu'ajoutée par L.C. 1990, c. 45, par. 12(1)]

“ acquéreur ” personne qui paie, ou accepte de payer, la contrepartie d'une fourniture ou, à défaut de contrepartie, destinataire de la fourniture

123. (1) [définition telle que modifiée par L.C. 1993, c. 27, par. 10(1), réputée entrée en vigueur le 17 décembre 1990]

“ acquéreur ”

a) personne qui est tenue, aux termes d'une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

b) personne qui est tenue, autrement qu'aux termes d'une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

[italiques ajoutées] [...]

Par ailleurs, la mention d'une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée vaut mention de l'acquéreur de la fourniture.

[version anglaise]"recipient" of a supply of property or a service means

(a) where consideration for the supply is payable under an agreement for the supply, the person who is liable under the agreement to pay that consideration,

(b ) where the paragraph (a) does not apply and consideration is payable for the supply, the person who is liable to pay that consideration [italiques ajoutées] [...]

and any reference to a person to whom a supply is made shall be read as a reference to the recipient of the supply.

[32] Si on fait référence à la version anglaise de la définition d'“ acquéreur ”,[1] l'alinéa b) ne peut trouver application que dans le cas où il n'existe pas de convention portant sur une fourniture. Par ailleurs, la version française[2] n'exclut pas que l'alinéa b) puisse s'appliquer malgré l'existence d'une convention portant sur une fourniture. Quelle interprétation doit-on privilégier ? Pour mieux comprendre et apprécier la partie de l'alinéa b), il y a lieu de se référer aux notes explicatives du ministère des Finances au sujet du Projet de Loi C-112, modifiant la définition d'“ acquéreur ” en 1993, de manière à mieux comprendre l'intention du législateur[3] quant à l'interprétation adéquate de la notion d'“ acquéreur ” :

Des questions ont été soulevées dans le cas d'une personne qui paie une contrepartie pour une fourniture commandée par une autre personne en vertu d'une convention. Il arrive souvent qu'un mandataire paie une contrepartie au nom de l'acheteur qui est tenu de la payer. Lorsqu'un mandataire effectue un paiement au nom de l'acheteur, ce dernier est réputé avoir payé la contrepartie et est donc le seul “ acquéreur ” de la fourniture. Cependant, pour éviter toute ambiguïté à cet égard, la définition de “ acquéreur” est modifiée et chaque cas est énoncé dans un alinéa distinct de manière à préciser qu'un cas seulement, et aucun autre, est applicable à une situation particulière.[4] [italiques ajoutées]

[33] Il semble que le législateur ait voulu préciser davantage la notion d'acquéreur par rapport à l'ancienne définition pour éviter toute équivoque et non d'en modifier le sens et la portée première. Cette version pouvait donner lieu à une certaine confusion du fait d'être silencieuse quant aux obligations légales des parties. À la suite de l'amendement, dans le cas où une contrepartie doit être payée, l'acquéreur est celui qui, de manière ultime, en vertu d'une convention portant sur une fourniture [selon l'alinéa a)] ou autrement [selon l'alinéa b)], est tenu d'assumer cette contrepartie.

[34] Les situations prévues par les alinéas a) et b) sont mutuellement exclusives en ce sens qu'il ne peut y avoir deux acquéreurs distincts, l'un en vertu de l'alinéa a), l'autre en vertu de l'alinéa b). Cela ne signifie pas pour autant que s'il existe une convention portant sur une fourniture, l'alinéa a) ne peut s'appliquer. L'alinéa b) pourra trouver application malgré l'existence d'une convention portant sur une fourniture dans le cas où la personne tenue de payer en vertu de cette convention n'est pas tenue de payer quoi que ce soit.[5] En l'espèce, aux termes de la lettre de garantie bancaire fournie par l'appelante, et de l'entente selon laquelle les entrepreneurs facturent directement l'appelante, (pièces A-2, A-3, A-7, A-8, A-9 et A-11), la Ville n'a aucune obligation de débourser quelque somme que ce soit pour payer la contrepartie des fournitures.

[35] Il m'apparaît évident que le mandant est l'acquéreur au sens de la définition de l'article 123 de la Loi, à la condition toutefois que le mandat ait été dénoncé au fournisseur cocontractant.[6] En l'espèce, la situation s'apparente de très près à celle d'un mandat tacite prévu par l'article 2132 Code civil du Québec.[7] Un telle conclusion est d'autant plus cohérente du fait qu'il y a eu dénonciation d'un tel mandat auprès des entrepreneurs selon laquelle, sur demande de la Ville, les entrepreneurs acceptent désormais de facturer directement l'appelante. La preuve documentaire a largement établi que l'appelante était légalement tenue de payer la contrepartie des fournitures. Même si je concluais que cette obligation ne découlait ni d'une convention portant sur les fournitures ni d'un mandat, il faudrait quand même conclure que l'appelante était, autrement qu'en vertu d'une convention portant sur une fourniture, légalement tenue de payer la contrepartie.

[36] L'honorable juge Pierre Dussault de cette Cour dans 163410 Canada Inc. c. Canada,[8] a conclu qu'une entente entre le payeur ultime de la fourniture et l'intermédiaire, qui agissait auprès du fournisseur, était une convention portant sur une fourniture au sens de la définition d'“ acquéreur ”, à l'alinéa 123(1)a) Loi.

[37] Dans cette affaire, l'appelante était également promoteur immobilier. Pour les fins d'un projet particulier, des sommes lui appartenant étaient détenues en fidéicommis par un intermédiaire. Suite à des difficultés rencontrées dans la réalisation dudit projet, les sommes détenues par l'intermédiaire furent utilisées pour payer les honoraires d'un cabinet juridique avec lequel l'intermédiaire avait contracté, pour régler les difficultés rencontrées par l'appelante. Une entente survenue entre l'appelante et l'intermédiaire ayant contracté avec le fournisseur de services indiquait clairement que les services devaient être payés à même les sommes appartenant à l'appelante et détenues par l'intermédiaire. L'intermédiaire devait ensuite rendre compte à l'appelante des sommes ainsi dépensées en lui remettant le détail des honoraires encourus. Le juge Dussault arrive à la conclusion que même si le fournisseur de services a contracté avec un intermédiaire, “ c'est l'appelante qui était en réalité tenue de payer les honoraires facturés [...] ”.[9] Selon lui, “ l'entente [intervenue entre l'intermédiaire et l'appelante] mais à laquelle est également implicitement partie [le fournisseur de services] porte sur la fourniture de services juridiques et modifie l'entente initiale entre [l'intermédiaire et le fournisseur de service] à cet égard ”.[10]

[38] À la lumière de cette décision, il résulte que le protocole d'entente survenu entre la Ville et l'appelante porte sur la fourniture de services et modifie les conventions survenues entre la Ville et les différents entrepreneurs à cet égard. Les entrepreneurs (les fournisseurs au sens de la Loi) étaient implicitement parties au protocole d'entente intervenu entre l'appelante et la Ville. Bien que le protocole d'entente ne précise aucune obligation de la part des entrepreneurs envers l'appelante, l'entente ultérieure selon laquelle les entrepreneurs s'engagent à adresser la facturation directement au promoteur écarte toute ambiguïté à ce sujet. Dans les faits, l'appelante devait payer la contrepartie relative à chacune des fournitures, la Ville étant ultimement libérée en raison de la lettre de garantie bancaire fournie par l'appelante.

[39] Je conclus donc que l'appelante était bel et bien l'acquéreur.

[40] Pour ces motifs, l'appel est accueilli.

Signé à Ottawa (Canada) ce 15e jour de septembre 2000.

“ Alain Tardif ”

J.C.C.I.



[1] (b ) where the paragraph (a) does not apply and consideration is payable for the supply, the person who is liable to pay that consideration

[2] b) personne qui est tenue, autrement qu'aux termes d'une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture

[3] Le recours à la recherche de l'intention du législateur s'appuie sur l'enseignement fourni par la Cour d'appel fédérale dans Bande d'Eastmain c. Robinson [1992] 3 F.C. 800, à la page 805, exprime ainsi la règle applicable quant à la pertinence du recours aux documents parlementaires: “ Lorsqu'elle est appelée à interpréter une disposition particulière, la Cour ne doit pas, en principe, tenir compte des débats parlementaires. Si toutefois la Cour en arrive à la conclusion que la disposition est susceptible de deux interprétations aussi valables l'une que l'autre, alors, et alors seulement pourra-t-elle consulter les débats parlementaires et ce, non pas pour interpréter la disposition, mais pour déterminer laquelle des deux interprétations est la plus compatible avec l'intention avouée du législateur et pour, de ce fait, retenir celle-ci plutôt que celle-là. ” En l'espèce, il existe deux interprétations possibles, selon que l'on se base sur la version française ou sur la version anglaise de la disposition. Il semble dès lors permis de s'appuyer sur les documents parlementaires pour déterminer laquelle des interprétations doit être retenue.

[4] TPS Canada-Québec, Taxes fédérales, Les Publications DAFCO inc., 1994, vol. 1, p. 46 102.

[5] La conclusion du juge Dussault dans 163410 Canada Inc. c. Canada, [1998] G.S.T.C. 166 (T.C.C.) semble conforme à une telle interprétation. Dans cette affaire, en effet, l'existence d'une convention entre le fournisseur et un tiers intermédiaire ne semblait pas être un obstacle à la possibilité d'une obligation légale de l'appelant envers le fournisseur en vertu de l'alinéa b) de la définition d'acquéreur de l'article 123 de la Loi.

[6] D.M. Sherman, Canada GST Service, C1, Carswell, à la page 123-828, explique : "The determination of who the recipient is can depend on a finding that one person is purchasing property or services as he agent of another. However, if the agency is not disclosed to the supplier, the agent may be the recipient, since the agent is the person who, under the agreement for the supply is liable to pay the consideration."

[7] L.C. 1991, c.64.

[8] Supra note 8

[9] Id., à la page 16-9

[10] Id., à la page 16-10.

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