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Date: 19990122

Dossier: 97-1214-IT-G

ENTRE :

TOULA YIOUROUKIS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 11 janvier 1999 à Toronto (Ontario) par l’honorable juge D.G.H. Bowman

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Il s’agit d’appels interjetés à l'encontre de cotisations établies pour les années d’imposition 1989, 1990, 1991, 1992 et 1993.

[2] La seule question en litige est de savoir si l’appelante a subi une perte au titre d’un placement d’entreprise en 1992. L’appelante soumet qu’elle a subi une perte au titre d’un placement d’entreprise de 258 099 $ en 1992 lui donnant droit à une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise (“ PDTPE ”) équivalant aux ¾ de cette somme, soit 193 574,25 $. Une partie de cette somme a été déduite en 1992, le solde ayant été reporté en 1989, 1990 et 1991 et 1993.

[3] Une PDTPE peut être déduite des autres revenus et elle n’est pas assujettie à la restriction normalement applicable aux autres pertes en capital. En vertu de l’article 50 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “ Loi ”), une perte au titre d’un placement d’entreprise se produit lors de la disposition à perte d’une action d’une société exploitant une petite entreprise ou d’une créance due au contribuable par une société privée sous contrôle canadien lorsque le contribuable établit que la créance qui lui était due s’est révélée être au cours de l’année une mauvaise créance et qu’il est réputé avoir disposé de la créance pour un produit nul et l’avoir acquise de nouveau immédiatement après à un coût nul.

[4] L’appelante fait valoir qu’elle a prêté l’argent à une compagnie, la Rockefeller's Restaurant Bar Inc., en 1988, 1989 et 1990 et que la créance s’est révélée être mauvaise en 1992 lorsque le restaurant exploité par la compagnie a fermé ses portes.

[5] L’intimée prétend qu’aucune créance n’était due à l’appelante et que, si une créance lui était due, elle n’avait pas été acquise en vue de tirer un revenu et, qu’en vertu du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi, la perte de l’appelante découlant de la disposition réputée est nulle.

[6] Vers 1988, le fiancé de l’appelante, Basilis (“ Bill ”) Yiouroukis, le frère de l’appelante, John Lovatsis et un ami, Nick Rallis, ont décidé de lancer un restaurant. Ils sont devenus des actionnaires égaux de la Rockefeller's Restaurant Bar Inc.

[7] Chaque actionnaire devait contribuer également au financement de l'entreprise et, en fait, c’est ce qui s’est produit, chacun versant à peu près 225 000 $.

[8] Un grande partie de l’argent versé par Bill Yiouroukis provenait de ses parents.

[9] Voici la liste des contributions versées par chèques :

(a) 23 juin 1988 35 000 $

27 juin 1988 5 000 $

12 juillet 1988 5 000 $

Bill Yiouroukis avait signé les trois chèques qui étaient tirés sur son compte à la Banque de Montréal pour lequel il était le seul signataire autorisé.

(b) 4 février 1989 50 000 $

28 février 1989 59 599 $

Ces deux chèques étaient tirés sur un compte bancaire au nom de Louis et Dora Yiouroukis. Bill Yiouroukis, fiancé de l’appelante à l’époque, avait signé les chèques. Il a déclaré qu’il était un des signataires autorisés relativement au compte bancaire de ses parents. L’appelante et Bill Yiouroukis se sont mariés le 18 juin 1989.

(c) 13 avril 1989 13 500 $

Ce chèque était tiré sur le compte bancaire de Bill Yiouroukis et, selon l’appelante, représentait le montant des cadeaux de mariage en argent qu’elle et son fiancé avaient reçus de leurs amis et de leurs familles.

(d) 29 juin 1989 10 000 $

Ce chèque était tiré sur le compte bancaire de l’appelante et la somme provenait de ses fonds personnels.

(e) 23 août 1989 25 000 $

29 août 1989 25 000 $

Ces chèques étaient tirés sur le compte bancaire de Bill Yiouroukis, et les sommes avaient initialement été fournies par ses parents. Les deux autres actionnaires devaient contribuer des sommes similaires. Ces sommes visaient à permettre à la compagnie de continuer à exploiter le restaurant.

(f) 15 mai 1990 30 000 $

L’appelante a déclaré que ce chèque était tiré sur son compte bancaire et que la somme provenait d’un emprunt sur sa marge de crédit personnelle qu’elle avait obtenue en offrant en garantie la maison dont elle et son conjoint étaient copropriétaires. J’accepte le fait que l’appelante a signé le chèque.

[10] L’appelante et son conjoint ont donc avancé 258 099 $ au total à la compagnie.

[11] En février 1989, l’appelante et son fiancé ont acheté conjointement leur foyer conjugal au 659, Highview Road, Pickering, Ontario pour 286 000 $. Le financement de l’achat provenait en partie d’un prêt hypothécaire de 125 000 $ daté du 21 février 1989 et octroyé par la Royal Trust Corporation of Canada, et en partie du produit de la vente d’une autre maison dont le fiancé de l’appelante était propriétaire. Le même jour, le 21 février 1989, l’appelante et son fiancé ont hypothéqué leur maison pour 120 000 $ en faveur de Louis et Dora Yiouroukis, les parents de Bill Yiouroukis.

[12] Le 30 août 1988, Louis et Dora Yiouroukis, les parents de Bill, ont hypothéqué leur maison à Scarborough pour 110 000 $ en faveur de la Royal Trust Corporation of Canada. Les sommes au montant de 109 599 $ avancées en février 1989 proviendraient de ce prêt hypothécaire. Je n'ai aucune raison de douter de la véracité de la preuve de l'appelante.

[13] Le restaurant n’a jamais réussi et, en 1991, il était évident qu’il ne tournerait jamais bien. Nick Rallis, un des actionnaires, a quitté la compagnie en avril 1990. Il a fait certaines allégations de malversations financières contre le troisième actionnaire, John Lovatsis, le frère de l’appelante. M. Rallis a déclaré que (sauf en ce qui concerne la somme de 30 000 $ versée par l’appelante en mai 1990, après qu’il eût quitté la compagnie) chaque actionnaire devait contribuer jusqu’à 225 000 $ environ et qu’il n’y avait jamais eu de discussion sur la question de l’intérêt et définitivement aucune suggestion qu’un intérêt au taux préférentiel plus deux pour cent serait payé tel que stipulé dans les billets à ordre souscrits par la suite. Il était sous-entendu que la compagnie rembourserait aux parents de Bill Yiouroukis l’intérêt qu’ils devaient payer à la Royal Trust selon les modalités de leur prêt hypothécaire de 110 000 $. Les livres de la compagnie, s’il y en a, étaient, semble-t-il, complètement en désordre et M. Rallis n’a pas pu les consulter.

[14] En 1991, il était évident que la situation financière de la compagnie était difficile sinon désespérée. Les comptables de la compagnie ont recommandé à l’appelante de prendre des mesures pour protéger sa position. Il était évident qu’une PDTPE ne serait d’aucune utilité au mari de l’appelante puisqu’il n’avait pas de revenu. L’appelante, par contre, disposait d’un revenu d’emploi.

[15] Les comptables ont conseillé à l’appelante de faire souscrire une série de billets à ordre pour les montants des avances, telles que mentionnées ci-dessus, et de dater les billets du jour où les sommes avaient été avancées. L’appelante a rédigé les billets en se servant d’un formulaire fourni par les comptables. Il s’agissait de billets à demande portant intérêt au taux préférentiel plus deux pour cent. John Lovatsis a signé les billets.

[16] Il est évident, — c’est d’ailleurs admis — que les billets ont été souscrits longtemps après les dates qui y sont inscrites — probablement en 1991. Il est fort probable qu’ils ont tous été souscrits en même temps, et certainement à une époque où la compagnie éprouvait de sérieuses difficultés financières et était dans l’impossibilité de remplir les obligations dont les billets étaient censés démontrer l’existence. Je suis convaincu que ni l’appelante ni aucune personne liée à la compagnie ne s’attendait à ce que cette dernière respecte ses obligations.

[17] Selon moi, les billets à ordre visaient seulement à permettre à l’appelante de réclamer une PDTPE.

[18] En décembre 1991, l’appelante a écrit à la compagnie pour demander le paiement des billets à ordre et le président, John Lovatsis, a répondu, le 16 décembre 1991, que la compagnie n’était pas en mesure de verser les sommes réclamées.

[19] La compagnie a cessé ses activités en mars 1992 et, la même année, le mari de l’appelante a fait faillite.

[20] L’appelante réclame maintenant une PDTPE de soixante-quinze pour cent de la somme de 286 000 $ pour le motif qu’une créance de 286 000 $ qui lui était due s’est révélée être une mauvaise créance en 1992.

[21] Si une créance était due à l’appelante par la compagnie, je reconnais que cette créance s’est révélée être une mauvaise créance en 1992 lorsque l'entreprise a cessé ses activités et peut-être même dès 1991.

[22] Cependant, je ne crois pas qu’il est raisonnable de conclure qu’une créance était due à l’appelante par la compagnie.

[23] Exception faite des sommes de 10 000 $ et de 30 000 $ que l’appelante a avancées le 29 juin 1989 et le 15 mai 1990, et peut-être d’une partie de la somme de 13 500 $ provenant des cadeaux de mariage, tous les fonds ont été fournis par son fiancé ou son mari qui utilisait les sommes que ses parents lui avaient avancées sans intérêts.

[24] Il est vrai que l’appelante a, d’une manière louable, assumé la responsabilité morale de rembourser aux parents la somme en capital due par son mari qui n’avait pas de revenus. Ce geste, cependant, ne transforme pas les sommes avancées par le mari à la compagnie en une créance due à l’appelante par la compagnie.

[25] Je doute sérieusement que les avances consenties à la compagnie constituaient des prêts, quelle que fut la personne qui les a effectuées. Je pense plutôt qu’il s’agissait d’avances de capital. La compagnie n’a souscrit aucune reconnaissance de dette lorsqu’elle a reçu les sommes, et aucun état financier faisant état de la créance de l’appelante n’a été déposé en preuve. Il semble très improbable que des états financiers aient été préparés. Les billets à ordre souscrits, probablement en 1991, n’étaient qu’une simple façade mise en place après coup et ne visaient pas à créer des obligations légales réelles.

[26] Je ne formule aucune critique à l’égard de l’appelante. Ses actes ne sont pas imputables à la malhonnêteté mais au jeune âge, à la naïveté et à l’inexpérience. Elle a témoigné avec franchise, elle n’a pas tenté de cacher la vérité et ses réponses n’étaient pas évasives. J’ai trouvé qu’elle et son mari étaient crédibles. Elle a suivi les conseils de comptables qui auraient dû savoir à quoi s’en tenir. La réalité ne se crée pas rétroactivement (Waddington v. O'Callaghan, [1931] 16 T.C., p. 187 aux pp. 197 et 198, motifs du juge Rowlatt).

[27] Finalement, même si une somme était due à l’appelante, je ne crois pas que les créances, c’est-à-dire les avances, ont été acquises dans le but de tirer un revenu. Les billets ne portaient pas intérêt et l’appelante n’était pas un actionnaire. Évidemment, il n’est pas nécessaire qu’un prêt consenti à une compagnie par un actionnaire porte intérêt pour que le prêt soit considéré avoir été octroyé dans le but de tirer un revenu. Dans de telles circonstances, le prêt vise à tirer un revenu en ce sens qu’il améliore les chances de la société d’être profitable et, par conséquent, sa capacité à verser des dividendes.

[28] En l’espèce, l’appelante n’était pas un actionnaire et elle n’a pas réclamé d’intérêt. Elle a aidé son mari en effectuant des avances de capital ou en se rendant responsable du paiement de ses dettes envers ses parents. Tout louables que soient les mesures qu’elle a prises pour appuyer son mari et se rendre responsable de ses obligations, et malgré toute la sympathie que j’éprouve à son égard, je ne pense pas qu’elle réunit les conditions lui permettant de réclamer une PDTPE.

[29] Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de janvier 1999.

“ D.G.H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 20e jour de septembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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