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Date: 19990219

Dossier: 96-95-IT-G

ENTRE :

C.R.B. LOGGING CO. LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] La C.R.B. Logging Co. Ltd. (la “ CRB ”) interjette appel à l'encontre de cotisations d'impôt pour ses années d'imposition 1991 et 1992, cotisations par lesquelles le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) n'a pas admis des frais d'intérêt de 129 536 $ et de 53 149 $ respectivement.

[2] L'appelante, CRB, est une corporation privée (société fermée) qui a été constituée en vertu des lois de la Colombie-Britannique. À l'époque pertinente, ses seuls actifs étaient un permis d'exploitation forestière, du matériel d'exploitation, des chemins et des ponts, dont la construction se poursuit à l'endroit où l'appelante mène ses activités forestières ou dans le voisinage, des stocks de billes de bois et un contrat avec la McMillan-Bloedel Ltd. La Tyee Management Ltd. (la “ Tyee ”) et la Pemberton Valley Holdings Ltd. (la “ Pemberton ”) étaient les porteurs inscrits et bénéficiaires de toutes les actions émises et en circulation de la CRB au 29 avril 1988. La Tyee et la Pemberton n'avaient aucun actif autre que les actions de la CRB[1].

[3] La Meager Creek Holdings Ltd. (la “ Meager ”) a été constituée le 15 janvier 1988 par Ken Pickering (“ M. Pickering ”) et Paul Turner (“ M. Turner ”). Les seuls actionnaires de la Meager étaient MM. Pickering et Turner et leurs épouses. M. Turner et M. Pickering étaient également les administrateurs de la Meager. Le capital autorisé de la Meager consistait en 10 000 actions ordinaires sans valeur nominale et en 5 millions d'actions privilégiées d'une valeur nominale de 1 $ chacune.

[4] Le 29 avril 1988, la Meager a passé un contrat d'achat d'actions pour acquérir toutes les actions en circulation de la Tyee et de la Pemberton, à un prix de 3 885 000 $. Pour que la Meager puisse conclure l'opération, M. Pickering et M. Turner lui ont avancé un million de dollars chacun (soit des sommes garanties par des billets). Le solde de 1 885 000 $ restait impayé, car la Meager ne pouvait obtenir de financement de la Banque Canadienne Impériale de Commerce (la “ CIBC ”) parce qu'elle était une compagnie nouvellement constituée et n'avait aucun actif à part les fonds qu'elle avait empruntés à M. Turner et à M. Pickering. Toutefois, la CIBC a consenti à accorder un prêt à la CRB, cette dernière ayant suffisamment d'actifs pour garantir un tel prêt.

[5] L'acquisition de la Tyee et de la Pemberton, par la Meager, s'est conclue le 29 avril 1988. Simultanément, M. Turner et M. Pickering ont été nommés administrateurs de la CRB. Le 4 mai 1988, la CRB a souscrit 1 885 000 actions privilégiées de la Meager. Le 5 mai 1988, la CRB a reçu de la CIBC un prêt de 1 885 000 $ (le “ prêt de mai 1988 ”), ce qui a permis à la CRB d'acheter les actions privilégiées de la Meager. Diverses garanties à l'égard du prêt ont été données à la CIBC par la CRB et au nom de cette dernière. Le 6 mai 1988, la Meager a délivré un avis d'attribution, soit un avis attribuant 1 885 000 actions privilégiées à la CRB et confirmant la réception d'une somme de 1 885 000 $ en guise de paiement. Le même jour, la Meager a utilisé cet argent pour régler le solde impayé relatif à l'acquisition, par elle, des actions de la Tyee et de la Pemberton en vertu du contrat d'achat d'actions.

[6]En juillet 1988, la Meager a acheté 50 p. 100 des actions en circulation (200 actions ordinaires) de la Ogden Lumber Co. Ltd. (la “ Ogden Lumber ”), soit un entrepreneur en entretien de routes. Cet investissement représentait moins de 1 p. 100 du total des investissements de la Meager pour l'exercice se terminant le 31 mars 1989. Aucun investissement n'a été fait par la Meager au cours des années d'imposition considérées en l'espèce.

[7] Le 28 avril 1989, la CRB a déclaré des dividendes en faveur de la Tyee et de la Pemberton, soit des montants de 250 000 $ dans chaque cas. De leur côté, la Tyee et la Pemberton ont chacune déclaré des dividendes correspondants en faveur de la Meager. Le dividende déclaré par la CRB a été comptabilisé dans les livres de la Tyee et de la Pemberton comme une somme “ à recevoir ”. Pour sa part, la Meager a enregistré comme une somme “ à recevoir ” les dividendes déclarés en sa faveur par la Tyee et la Pemberton. Le 28 avril 1989, la CRB a, par une écriture de journal, comptabilisé un paiement de 250 000 $ fait à la Meager au nom de la Tyee et un paiement de 250 000 $ fait à la Meager au nom de la Pemberton. La Meager a alors conclu des arrangements pour prêter la somme de 500 000 $ à la CRB. Il n'y a pas eu d'échange d'argent comptant ou de chèques, l'opération étant enregistrée en fin d'exercice par une écriture de journal. Le 15 février 1990, la CRB a déclaré un dividende de 250 000 $ en faveur de chacune des compagnies Tyee et Pemberton. À la même date, la Tyee et la Pemberton ont chacune déclaré un dividende de 900 000 $ en faveur de la Meager, soit une somme représentant les bénéfices non répartis de ces compagnies après la réception des dividendes de la CRB. En outre, à la même date, la Meager a prêté la somme de 1 800 000 $ à la CRB. Par suite de ces opérations, la CRB devait à la Meager au mois de décembre 1990 la somme de 1 885 000 $ (le “ prêt de l'actionnaire ”).

[8] En novembre 1990 ou aux environs du mois de novembre 1990, M. Pickering et M. Turner ont conclu un arrangement pour vendre le tiers des actions de la Tyee et de la Pemberton à la 387897 B.C. Ltd., en contrepartie d'une somme de 1 200 000 $[2]. Le 21 décembre 1990, en prévision de cette opération, la CRB avait envoyé à la CIBC un chèque de 1 850 000 $ et lui avait donné pour instructions de déposer ce chèque dans le compte de la Meager le 27 décembre 1990, en règlement du prêt impayé qui avait été consenti par l'actionnaire. Ainsi, le compte courant de la CRB à la CIBC s'était retrouvé à découvert de ce montant (le “ découvert ”). Dans la même lettre à la CIBC, on avait envoyé un chèque de 1 885 000 $ de la Meager avec pour instructions de le déposer dans le compte de la CRB le 28 décembre 1990. Cette opération avait pour objet de permettre à la Meager de racheter les actions privilégiées détenues par la CRB, soit pour une somme de 1 885 000 $. De son côté, la CRB a utilisé le produit du rachat pour rembourser à la CIBC le prêt de mai 1988, dont le solde impayé était à cette époque de 1 557 000 $, et elle a appliqué les fonds restants au découvert créé lorsque la CRB avait remboursé le prêt de l'actionnaire. Le paiement relatif au découvert en avait ramené le solde à 1 557 000 $. La CRB avait alors pris des dispositions pour obtenir un nouveau prêt de la CIBC, soit un prêt de 1 557 000 $ (le “ prêt de décembre 1990 ”), pour couvrir le solde du découvert[3].

[9] La CRB a cherché à déduire des frais d'intérêt à l'égard des prêts de mai 1988 et de décembre 1990 pour ses années d'imposition 1991 et 1992 en vertu du sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu(la “ Loi ”). Ces déductions ont été refusées par le ministre.

Analyse

[10] Il s'agit de savoir si l'appelante avait droit aux déductions pour les années d'imposition 1991 et 1992 relativement aux frais d'intérêt engagés à l'égard des prêts de mai 1988 et de décembre 1990. Les dispositions pertinentes de la Loi disent ceci :

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a) un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

[...]

20(1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant :

[...]

c) une somme payée dans l'année ou payable pour l'année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu), en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur

(i) de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien (autre que l'argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré d'impôt ou pour prendre une police d'assurance-vie),

[...]

Le sous-alinéa 20(1)c)(i) établit trois conditions aux fins de la déductibilité : les intérêts doivent être payés ou payables en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur les fonds empruntés; l'argent emprunté doit être utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien; les fonds empruntés ne peuvent être utilisés pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré d'impôt.

[11] La décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire The Queen v. Phyllis Barbara Bronfman Trust[4]a établi que le sous-alinéa 20(1)c)(i) a essentiellement pour objet d'encourager l'accumulation de capitaux produisant un revenu imposable. Plus précisément, le juge en chef Dickson faisait remarquer qu'il y avait des utilisations admissibles et des utilisations inadmissibles de fonds empruntés, ce qui influe sur la déductibilité en vertu de ce sous-alinéa. Il disait en outre ceci :

[...] Ce ne sont pas tous les intérêts qui sont déductibles. L'intérêt sur l'argent emprunté pour produire un revenu exempt d'impôt ne l'est pas. L'intérêt sur l'argent emprunté pour acheter des polices d'assurance-vie ne l'est pas. L'intérêt sur les emprunts utilisés à des fins non productives de revenu, telles que la consommation personnelle ou la réalisation de gains en capital, ne l'est pas non plus. La déduction prévue par la loi exige donc qu'on détermine si l'argent emprunté a été utilisé en vue de tirer un revenu imposable d'une entreprise ou d'un bien, ce qui constitue une utilisation admissible, ou s'il a été affecté à quelqu'une des possibles utilisations inadmissibles. Il incombe au contribuable d'établir que les fonds empruntés ont été utilisés à une fin identifiable ouvrant droit à la déduction. Par conséquent, si le contribuable mélange des fonds utilisés à différentes fins, dont une partie seulement est admissible, il peut ne pas pouvoir réclamer la déduction: voir, par exemple, Mills c. Ministre du Revenu national, 85 D.T.C. 632 (C.C.I.); No. 616 v. Minister of National Revenue, 59 D.T.C. 247 (C.A.I.)

La disposition prévoyant la déduction des intérêts exige non seulement la détermination de l'usage auquel ont été affectés les fonds empruntés, mais aussi la détermination de la “ fin ”. L'admissibilité à la déduction est soumise à la condition que l'argent emprunté soit utilisé pour produire un revenu. Cependant, il est bien établi par la jurisprudence que le point pertinent n'est pas la fin de l'emprunt lui-même. Ce qui est pertinent est plutôt la fin qu'a visée le contribuable en utilisant l'argent emprunté d'une manière particulière : Auld v. Minister of National Revenue, 62 D.T.C. 27 (C.A.I.) Il s'ensuit donc que l'examen de la situation doit être centré sur l'usage que le contribuable a fait des fonds empruntés[[5]].

[12] La thèse de l'appelante dans la présente espèce est triple. Premièrement, les fonds que l'appelante a empruntés à la CIBC en mai 1988 ont été utilisés en vue d'acquérir des actions privilégiées de la Meager, soit une fin admissible, c'est-à-dire que l'argent a été utilisé en vue de tirer un revenu d'un bien. Comme il n'y avait aucune restriction quant au droit à un dividende à l'égard des actions privilégiées, cet emprunt correspondait à une utilisation admissible directe. L'avocat soutenait que le fait qu'on n'ait pas payé de dividende n'était pas en soi fatal aux fins de la déductibilité des frais d'intérêt, puisque la Meager avait le potentiel nécessaire pour gagner ultérieurement un revenu et assurer ainsi à la CRB un revenu en dividendes dépassant les frais d'emprunt engagés. Cela était suffisant aux fins des dispositions pertinentes de la Loi.

[13] Je ne puis accepter la thèse selon laquelle la CRB avait emprunté la somme de 1 885 000 $ à la CIBC véritablement en vue de tirer un revenu en dividendes d'un bien en achetant des actions privilégiées de la Meager. Bien que M. Pickering ait présenté certains éléments de preuve quant à un investissement de la Meager dans la Ogden Lumber, la capacité productive de revenus de la Meager était, à toutes fins utiles, négligeable. On ne pouvait réalistement s'attendre à un revenu en dividendes des actions privilégiées, car la Meager n'avait aucune importante source de revenus indépendante de l'existence de l'entreprise de la CRB. Le prêt de mai 1988 avait en réalité pour objet de permettre à la Meager de financer son achat des actions de la Tyee et de la Pemberton et ainsi d'acquérir indirectement la CRB. Pour l'essentiel, la CRB a financé sa propre acquisition. La décision rendue dans l'affaire Lessard v. M.N.R.[6],citée par l'avocat de appelante, peut être distinguée de la présente espèce et n'aide guère la cause de l'appelante. Dans l'affaire Lessard, le contribuable avait cherché à déduire des intérêts sur des fonds empruntés en vue d'acheter des actions privilégiées d'une société dont il était le seul actionnaire. Cette société était en fait une société de portefeuille ayant investi dans une entreprise exploitée activement qui n'appartenait pas au contribuable. Par contraste avec les appels considérés dans la présente espèce, la société de portefeuille en cause dans l'affaire Lessardavait une source de revenus indépendante du contribuable. La CRB n'a pas droit à une déduction à l'égard des intérêts payés sur ces fonds empruntés, car ceux-ci n'ont pas été directement utilisés en vue de tirer un revenu d'un bien.

[14] Subsidiairement, l'avocat de appelante arguait que, si la Cour devait conclure que l'objet véritable ou l'objet économique de l'emprunt était de financer la Meager pour lui permettre d'acquérir les actions de la CRB (par l'intermédiaire de la Tyee et de la Pemberton), cette fin est également une fin admissible puisqu'il s'agissait encore là de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Plus précisément, d'après l'avocat, la CRB a prospéré en raison de l'acquisition de ses actions par la Meager, elle a été revitalisée, elle a prospéré, elle a obtenu de nouveaux permis de coupe, et tout cela ne serait pas arrivé sans l'emprunt de la CRB, car la Meager n'avait pas les ressources pour emprunter elle-même les fonds nécessaires. Comme l'avocat l'a fait remarquer, “ il s'agit donc d'une acquisition qui n'aurait pu avoir lieu sans l'emprunt de la CRB ”.

[15] Dans l'affaire 74712 Alberta Limited v. The Queen[7],le juge d'appel Robertson faisait remarquer ceci :

Il ressort à l'évidence de ces extraits que le principe de l'utilisation directe comporte deux volets. En premier lieu, il est nécessaire d'établir que les fonds empruntés ont été utilisés à une fin admissible, c'est-à-dire qu'ils se rapportent à une source productive de revenu, qu'il s'agisse d'une entreprise ou d'un bien. En second lieu, il doit exister un lien suffisamment direct entre l'utilisation de l'argent emprunté et la source de revenu. Ainsi, même dans les cas dans lesquels l'argent emprunté a été utilisé pour une fin qui a pour effet indirect d'améliorer la capacité du contribuable de gagner un revenu, les intérêts demeurent non déductibles. La fin productive de revenu est tout simplement trop indirecte.

La Meager était une nouvelle compagnie, elle n'avait aucune source de revenus indépendante et n'avait pas elle-même la capacité de générer un revenu d'entreprise ou de bien pouvant profiter à l'appelante sous la forme de dividendes. Bien que la CRB puisse avoir d'une manière générale bénéficié de son acquisition par la Meager, les avantages économiques consécutifs sont trop indirects pour constituer une fin admissible au sens des dispositions pertinentes de la Loi.

[16] Subsidiairement, l'avocat de appelante arguait en outre que, s'il était conclu que l'objet du financement de la Meager par appelante était “ trop éloigné d'un processus visant à gagner un revenu ”, les prêts devraient être considérés comme entrant dans la catégorie des circonstances exceptionnelles postulée par la Cour suprême dans l'affaire Bronfman Trust[8]. L'avocat soutenait que les fonds avaient été empruntés par la CRB pour des raisons commerciales ou économiques et non pour préserver d'autres biens productifs de revenus comme dans l'affaire Bronfmanni pour soustraire des revenus à l'impôt.

[17] Le juge d'appel Robertson s'est penché sur cette catégorie dans l'affaire 74712 Alberta Limited[9]et a cité les quatre raisons suivantes quant à l'existence de cette catégorie :

En premier lieu, la catégorie des circonstances exceptionnelles concorde avec l'objet et le but du sous-alinéa 20(1)c)(i). Deuxièmement, la reconnaissance de cette catégorie ne contredit pas les raisons de principe qui sont à la base de l'existence du principe de l'utilisation directe. Troisièmement, dans l'arrêt Bronfman, la Cour suprême du Canada n'a pas expressément écarté l'arrêt Trans-Prairie Pipelines Ltd. v. M.N.R., [1970] C.T.C. 537 (C. de l'Éch.). Dans cette décision, il a été jugé que la contribuable pouvait déduire de son revenu les intérêts payés sur l'argent qu'elle avait emprunté pour ce qu'on peut qualifier une utilisation directe inadmissible. Quatrièmement, la catégorie des circonstances exceptionnelles s'accorde avec la directive que l'on trouve dans l'arrêt Bronfman et suivant laquelle les opérations doivent être examinées en fonction des “ réalités commerciales ”. [...]

Le juge Robertson faisait aussi remarquer ceci :

[...] le raisonnement de la Cour suprême permet une éventuelle reconnaissance d'exceptions au principe de l'utilisation directe. À tout le moins, on devrait, en droit, être disposé à examiner la question de la déductibilité des intérêts dans les cas dans lesquels on peut démontrer que l'application du principe de l'utilisation directe ne permettrait pas d'atteindre le but visé. Je passe maintenant à l'épineuse question de savoir quels critères doivent s'appliquer pour définir les limites de la catégorie des circonstances exceptionnelles.

E) Portée de la catégorie des circonstances exceptionnelles

Ayant reconnu que l'arrêt Bronfman n'empêche pas la reconnaissance d'exceptions au principe de l'utilisation directe dans le cadre d'une catégorie de circonstances exceptionnelles, il est quand même nécessaire d'isoler les critères à appliquer pour déterminer si les intérêts payés sur des fonds empruntés pour une utilisation directe inadmissible sont déductibles du revenu. Dans l'arrêt Bronfman, le juge en chef Dickson ne mentionne que deux conditions, à savoir que le contribuable doit démontrer que la fin réelle (l'intention) qu'il visait en utilisant les fonds était de gagner un revenu et qu'il s'attendait raisonnablement à ce que l'opération d'emprunt lui procure un revenu supérieur aux intérêts payés[[10]].

[18] Je ne puis accepter la thèse de l'appelante selon laquelle son utilisation des fonds empruntés pour financer l'acquisition de la CRB par la Meager était une fin véritable parce que l'intention était que l'acquisition de la CRB finisse par accroître les rentrées d'argent de la Meager. Comme le faisait remarquer l'avocate de l'intimée, la nature limitée du flux de revenus faisait qu'il était pratiquement impossible que la CRB reçoive des dividendes ne provenant pas de ses propres activités commerciales. Ainsi, logiquement, la CRB ne pouvait raisonnablement s'attendre que l'opération d'emprunt rapporterait un revenu supérieur aux frais d'intérêt. Dans ce contexte, le revenu doit être un revenu provenant de la Meager et attribuable à des sources indépendantes de la CRB. C'est particulièrement le cas ici, car la CRB ne contrôlait nullement la Meager étant donné que ses statuts ne conféraient pas aux porteurs des actions privilégiées le droit d'être avisés des assemblées des actionnaires de la Meager ni d'y assister et d'y voter. De plus, les administrateurs de la Meager ont toujours pu, à leur entière discrétion, déclarer des dividendes à l'égard des actions ordinaires sans devoir déclarer un dividende, en priorité ou non, à l'égard des actions privilégiées[11].

[19] J'ai conclu que la CRB n'est pas en droit de déduire les paiements d'intérêt parce que l'opération d'emprunt de mai 1988 ne répond pas au principe de l'utilisation directe. En outre, aucun fondement ne permet d'invoquer la catégorie des circonstances exceptionnelles. Comme le prêt de décembre 1990 visait à remplacer le prêt de mai 1988 et correspond donc à la fin inadmissible du prêt de mai 1988 en vertu du paragraphe 20(3) de la Loi, les intérêts relatifs aux deux prêts ne sont pas déductibles.

[20] De plus, je dois faire remarquer que les actions privilégiées de la Meager ont été rachetées le 27 décembre 1990 et que la source de revenus à laquelle se rapportaient les frais d'intérêt n'existait donc plus. Comme on l'a fait observer dans l'affaire Emerson v. The Queen[12],lorsqu'il n'y a plus de source, les frais d'intérêt ne sont plus déductibles.

[21] Pour les motifs énoncés précédemment, les appels sont rejetés, avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de février 1999.

“ A. A. Sarchuk ”

J.C.C.I.

[Traduction française officielle]

Traduction certifiée conforme ce 9e jour de juillet 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Les porteurs des actions en circulation de la Tyee étaient Norman et Doreen Barr, et les porteurs des actions en circulation de la Pemberton étaient Bruce et Mary Carson.

[2]        Dans le contrat de vente d'actions entre la Meager et la 387897 B.C. Ltd. en date du 31 décembre 1990, la Meager stipulait que toute dette entre elle et la CRB avait été éteinte et qu'elle-même avait racheté les actions privilégiées précédemment détenues par la CRB.

[3]               Pièce A-3, onglets 8, 9 et 10 – Résolutions des administrateurs en date des 27 et 28 décembre 1990. Il est à noter que la résolution des administrateurs de la CRB en date du 28 décembre 1990 indique que le solde impayé du prêt de mai 1988 était de 1 200 000 $. Les avocats des deux parties ont convenu qu'il s'agissait d'une erreur typographique et que le véritable solde du prêt était de 1 557 000 $. La pièce A-5 indique que le solde dû à l'égard du prêt de mai 1988 avait été ramené à 807 000 $ en novembre 1990 et qu'une avance subséquente de 750 000 $ a porté le montant impayé à 1 557 000 $.

[4]               87 DTC 5059 (C.S.C.).

[5]               Affaire précitée, à la page 5064.

[6]               93 DTC 680 (C.C.I.).

[7]               97 DTC 5126, à la page 5134 (C.A.F.).

[8]               Affaire précitée.

[9]               Affaire précitée, à la page 5137.

[10]             Affaire précitée, à la page 5139.

[11]             Statuts constitutifs – articles 26.1 et 26.2.

[12]             86 DTC 6184, à la page 6185 (C.A.F.).

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