Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19990507

Dossier: 98-59-UI

ENTRE :

GAUDREAU ET ASSOCIÉS, AVOCATS, S.E.N.C.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Charron, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Québec (Québec), le 17 février 1999, dans le but de déterminer si Me Charles Hamel (le travailleur) a exercé un emploi assurable, au sens de la Loi sur l'assurance-chômage, du 15 novembre 1994 au 20 décembre 1996, lorsqu'il était au service de l'appelante.

[2] Par lettre du 23 octobre 1997, l'intimé informa l'appelante que cet emploi était assurable, durant la période en litige, car il rencontrait les exigences d'un contrat de louage de services.

Exposé des faits

[3] Les faits sur lesquels l'intimé s'est basé pour rendre sa décision sont énoncés au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel comme suit :

“a) L'appelante est une société d'avocats en nom collectif dont les associés étaient : Me Pierre Gaudreau, Me Nathalie Caron et Me François Pelletier. (nié tel que rédigé)

b) L'appelante a embauché le travailleur en novembre 1994 à titre d'avocat ayant de l'expérience en droit corporatif. (nié tel que rédigé)

c) Le travailleur a été embauché par Me Pierre Gaudreau afin de s'occuper de ses dossiers, plus spécifiquement le dossier des médiévales de Québec. (nié tel que rédigé)

d) Le travailleur rendait ses services dans les locaux de l'appelante sous la supervision de Me Gaudreau. (nié tel que rédigé)

e) Le travailleur travaillait généralement entre 8 h et 19 h, du lundi au vendredi, soit environ 50 heures par semaine. (ignoré)

f) Le travailleur se servait de l'équipement et des services de secrétariat de l'appelante. (admis)

g) Le travailleur n'avait pas de clientèle; ses dossiers lui étaient attribués par Me Gaudreau. (nié tel que rédigé)

h) Quand le travailleur avait à facturer un client, il le faisait au nom de l'appelante. (admis)

i) Le travailleur avait la responsabilité de collecter les clients à qui il rendait des services mais il n'était pas responsable des comptes impayés et continuait à recevoir sa pleine rémunération de l'appelante. (nié tel que rédigé)

j) Le travailleur recevait une rémunération fixe de 500 $ par semaine, payée irrégulièrement aux 15 jours. (nié)

k) Le travailleur n'avait pas à solliciter de clients, n'avait pas à payer de loyer à l'appelante et n'avait pas à encourir des dépenses dans le cadre de son travail pour l'appelante. (nié tel que rédigé)

l) L'appelante assurait la supervision, la direction et le contrôle du travail du travailleur.” (nié tel que rédigé)

[4] L'appelante a reconnu la véracité de tous les faits allégués aux alinéas du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel, sauf ceux qu'elle a niés ou déclaré ignorer, comme il est indiqué entre parenthèses à la fin de chaque alinéa.

Témoignage de Me Pierre Gaudreau

[5] En juin 1994, la mère de Me Charles Hamel informe Me Pierre Gaudreau que son avocat de fils est sans travail. Le 2 juin 1994, Me Hamel envoie son curriculum vitae à Me Gaudreau et ce dernier lui donne rendez-vous le 23 juin. Gaudreau demande à Hamel d'aller travailler chez lui. À ce moment-là, Hamel accepte et, comme il n'a aucun client, il n'a aucun loyer à payer. Il est entendu entre Gaudreau et Hamel que ce dernier s'occuperait des dossiers de Gaudreau, trop occupé dans l'organisation des Médiévales.

“Écoute, dit-il, prends un bureau ici, puis je vais ... te donner un mandat qui dans l'immédiat peut te rapporter puis on s'ajustera. Je comprends, je veux dire, que tu n'as pas de moyens financiers, tu ne peux pas payer le loyer, etc., alors on s'ajustera en cours de route.”

Puis, il lui donne des mandats de certaines compagnies qu'il contrôlait. Il est alors convenu de lui payer un salaire de 500 $ par semaine. Hamel exécute pour l'appelante les tâches habituellement remplies par un avocat. Gaudreau affirme que Hamel n'a aucun horaire de travail, fait ce qu'il veut et n'a pas droit de prendre des vacances annuelles : il est un travailleur autonome. L'appelante produit quatre liasses de chèques émis par elle en paiement des salaires de Hamel (pièces I-1, I-2 et I-3 et A-5).

[6] L'appelante fonctionne sous la raison sociale Gaudreau et Associés, avocats, S.E.N.C. :

“C'est sûr, affirme Gaudreau qu'il y avait une supervision du travail comme dans n'importe quel bureau d'avocats, les seniors regardent ce que les jeunes font.”

Hamel travaille dans un bureau fourni par l'appelante depuis le mois de novembre ou décembre 1994. En 1996, Gaudreau n'est pas satisfait des services de Hamel et songe à le renvoyer, non pas parce qu'il manque de compétence, mais parce qu'il est trop jeune. Son curriculum vitae indique qu'il a 33 ans (pièce A-1). C'est Gaudreau qui surveille Hamel dans l'exécution de ses fonctions professionnelles. Gaudreau ne vérifie pas les heures de travail de Hamel, mais peut le faire, le cas échéant. C'est le bureau de l'appelante qui paie les frais de procédure.

Témoignage de Me François Pelletier

[6] Avocat membre de l'étude légale de l'appelante, Pelletier explique la façon dont se passent les choses en pratique.

“Mais ça arrive souvent qu'on va discuter un dossier d'importance, on va en discuter ensemble avec les autres associés du bureau, ça a toujours été comme ça, on discute des dossiers souvent le matin en prenant un café ou en faisant nos réunions de bureau, on explique les problèmes qu'on peut avoir dans un dossier puis on se conseille mutuellement là. ...”

“C'est certain que dans les dossiers d'appel on en discute peut-être un peu plus parce que c'est des fois le point de vue avec un dossier quand on l'a plaidé, moi, je trouve qu'on l'a trop dans la tête, des fois on n'a pas vu les erreurs du juge, on fait lire le jugement par un autre, un autre associé qui nous conseille en disant : “Bien telle chose ... ” Moi, disons que j'ai soulevé un point de droit puis Me Gaudreau peut me dire : “Ce point de droit-là, moi, je ne lui accorderais pas tant d'importance, je ne le mettrais pas comme premier moyen, je le mettrais peut-être comme deuxième là.” Dans le fond c'est comme une entraide dans les dossiers. Il n'y avait aucune distinction dans le traitement accordé à monsieur Hamel, à monsieur Gaudreau ou à madame Caron. Hamel est aussi invité à ces assemblées au même titre que les autres associés. La facturation est généralement faite au nom de Gaudreau et Associés, sauf exception.

Témoignage de Me Charles Hamel

[7] Avocat de profession, Me Charles Hamel est convoqué au bureau de Gaudreau, vers le 15 novembre 1994, et ce dernier lui dit : “Écoute, Charles, je me cherche quelqu'un pour travailler chez nous.” À cette époque, Gaudreau travaillait beaucoup pour les Médiévales de Québec et n'avait presque pas de temps à consacrer à son bureau. Hamel accepte la proposition de Gaudreau et demande un salaire hebdomadaire de 500 $. Marché conclu. Hamel reçoit ce montant par chèque, à toutes les deux semaines plus ou moins jusqu'au 20 décembre 1996. Ce jour-là, Gaudreau se rend au bureau de Hamel et lui annonce qu'il est congédié, parce qu'il ne peut plus le payer. Durant toute la période en litige, Gaudreau entre au bureau, chaque matin, quand il est en ville, et s'arrête au bureau de Hamel pour parler de boutique. Parfois, cette rencontre se déroule l'après-midi et parfois au bureau de Gaudreau, exceptionnellement. Ce dernier lui demande de présenter des requêtes en rejet d'appel, des explications sur un certain dossier et tous les deux discutent la question. Hamel considère Gaudreau comme son patron. Il travaille généralement entre 8 h et 19 h du lundi au vendredi, soit 50 heures par semaine et se sert de l'équipement et des services de l'appelante. Quand il doit facturer un client, Hamel le fait au nom du bureau Gaudreau et Associés (pièce I-5).

Analyse des faits en regard du droit

[8] Il y a lieu maintenant de déterminer si l’activité du travailleur est incluse dans la notion d’emploi assurable, c’est-à-dire s’il existe un contrat de travail ou non.

[9] La jurisprudence a énoncé quatre critères indispensables pour reconnaître un contrat de travail. La cause déterminante en cette matière est celle de City of Montreal c. Montreal Locomotive Works Ltd. [1947] 1 D.L.R. 161. Ces critères sont les suivants : 1) le contrôle; 2) la propriété des instruments de travail; 3) la possibilité de profit et 4) le risque de perte. La Cour d’appel fédérale y a ajouté le degré d’intégration dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., mais cette énumération n’est pas exhaustive.

[10] Or, la preuve a démontré que le travail exécuté par le travailleur l'était sous la direction de l'appelante et qu’il existait un lien de subordination entre eux. C'est l'appelante qui possède l'entreprise nécessaire à son exploitation. C'est l'appelante qui seule peut réaliser des bénéfices ou des pertes dans l'exploitation de son entreprise et non le travailleur qui ne reçoit qu'un salaire fixe. Le travailleur exécutait son travail chez l'appelante et était bien intégré dans son entreprise. Enfin, c'est l'appelante qui fournit l'équipement et les services nécessaires au travailleur.

[11] En conséquence, l'appel est rejeté et la décision de l'intimé est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mai 1999.

“ G. Charron ”

J.S.C.C.I.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.