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Date: 19981110

Dossier: 97-2195-GST-I

ENTRE :

PEMBINA FINANCE (ALTA) LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Avocat de l'appelante : Me Horst G. Wolff

Avocate de l'intimée : Me Margaret McCabe

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Edmonton (Alberta) le 23 octobre 1998.)

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance est interjeté à l'encontre d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national en vertu des dispositions relatives à la taxe sur les produits et services (TPS) prévues à la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi). La cotisation couvre la période du 1er juillet 1991 au 31 décembre 1995. En résumé, l'appelante a été tenue responsable du paiement de 134 473,66 $, répartis de la façon suivante :

Rajustements de TPS 68 541,48 $

Rajustements des crédits de taxe sur les intrants 25 496,45 $

Pénalité 19 962,23 $

Intérêt 20 473,50 $

Total 134 473,66 $

[2] La cotisation en l'instance a été établie par suite d'une vérification effectuée par M. Robert DeGagne, du bureau de Revenu Canada à Edmonton, entre le mois de juin 1995 et le mois de juin 1996. M. DeGagne a témoigné et il m'a donné l'impression d'être un vérificateur minutieux et consciencieux dont le témoignage était fiable. Je suis certain que la vérification s'est révélée une tâche difficile pour lui pour un certain nombre de raisons, dont l'une, et non la moindre, est l'état des livres et des registres de la compagnie appelante. M. DeGagne n'a pu obtenir ces livres et ces registres que plusieurs mois après avoir fait une première demande et, lorsqu'il les a obtenus, il ressort clairement de la preuve également qu'ils n'avaient pas été bien tenus.

[3] La compagnie appelante exploite une entreprise de location de grues avec grutier à Edmonton (Alberta) et dans les environs. L'actionnaire principal ou unique est M. James Millar. La compagnie achète et rénove aussi des grues pour les revendre, elle les répare et, dans une certaine mesure, elle remet en état de vieux véhicules à moteur pour les revendre. M. Millar a témoigné pour l'appelante. Il ne m'a pas paru particulièrement sincère comme témoin. Mis à part l'intérêt évident que présente pour lui le résultat de l'appel en l'instance, il était parfois évasif lors du contre-interrogatoire et un bon nombre de ses réponses étaient à la fois intéressées et peu plausibles. Son témoignage sur les opérations effectuées par la compagnie n'est à mon avis pas fiable, plus particulièrement lorsqu'il est en conflit avec la preuve documentaire portant sur ces opérations. Il ne faut pas oublier non plus qu'un bon nombre d'opérations ont été effectuées il y a quelques années, et il est probable que les documents sont plus exacts que sa mémoire.

[4] Les points sur lesquels M. Millar s'oppose à la cotisation peuvent être résumés de la façon suivante : premièrement, la TPS réclamée sur la vente de deux grues, l'une à Mme Pauline Jacobi et l'autre à John Del Limited; deuxièmement, le rejet de la demande de crédits de taxe sur les intrants relativement à l'achat de deux véhicules à moteur; troisièmement, le rejet de la demande de crédits de taxe sur les intrants relativement à d'autres dépenses de la compagnie dont la nature exacte n'a pas été révélée par la preuve; quatrièmement, les pénalités imposées.

[5] Je me pencherai sur chacun de ces points à tour de rôle mais, auparavant, je devrais mentionner que la cotisation renfermait trois autres éléments, numérotés 065, 068 et 073, auxquels l'appelant a dit s'opposer, mais à l'égard desquels il n'a offert aucune preuve convaincante en vue de contredire les conclusions de M. DeGagne. Ces éléments totalisent environ 21 000 $ de taxe impayée ou de crédits de taxe sur les intrants demandés mais non étayés. Je conclus que les vagues explications de M. Millar, et c'est ce qu'elles étaient, ne me convainquent pas du tout que la vérification était erronée en ce qui concerne l'un ou l'autre de ces éléments.

[6] J'en viens maintenant aux quatre principaux points en litige. En 1991, l'appelante a transféré le titre d'une grue mobile à une certaine Pauline Jacobi. M. DeGagne a fixé la TPS à 5 724,30 $ sur cette opération. En 1992, l'appelante a transféré le titre d'une autre grue mobile à une compagnie appelée John Del Limited. M. DeGagne a fixé la TPS à 5 200,93 $ sur cette opération.

[7] M. Millar a déclaré dans son témoignage que Mme Jacobi était la belle-soeur de son ex-épouse et qu'en 1991 il lui devait 79 500 $. Lui et sa compagnie éprouvaient des difficultés financières à l'époque, et Mme Jacobi, a-t-il déclaré, s'inquiétait de la garantie de ce prêt. D'après le témoignage de M. Millar, la compagnie a par conséquent cédé à Mme Jacobi le titre d'une grue mobile comme garantie et, à la suite de la cession, la compagnie a conservé la possession de la grue et l'a louée comme elle l'avait fait avant le transfert. M. Millar a indiqué que Mme Jacobi n'avait versé aucune contrepartie à la compagnie en retour de la grue et que, en mars 1995, il avait remboursé le solde de 53 230,71 $ dû sur le prêt, à la suite de quoi Mme Jacobi avait rétrocédé la grue à l'appelante, encore une fois sans contrepartie. M. Millar a également déclaré qu'aucune vente de cette grue n'était consignée dans les comptes de l'appelante pour l'année 1991.

[8] M. DeGagne a déclaré dans son témoignage qu'il avait appliqué la TPS à la cession de la grue en question parce qu'il avait été informé par le comptable de l'appelante que l'opération avait été une vente et une cession-bail aux termes desquelles Mme Jacobi avait acheté la grue 79 500 $, puis l'avait louée à l'appelante moyennant un paiement initial de 3 000 $ et des paiements de location mensuels de 1 500 $ par la suite.

[9] Les états financiers non vérifiés de l'appelante pour les exercices se terminant le 30 juin 1991 au 30 juin 1997 inclusivement ont été produits en preuve. Ils font état d'un billet payable à Mme Jacobi, sur lequel un solde de 76 269 $ était dû au 30 juin 1990. Le prêt était remboursé à la fin de l'exercice se terminant le 30 juin 1995. Il était impossible, cependant, d'affirmer sur la foi de ces seuls états s'il y avait eu, ainsi que M. DeGagne le croyait, une vente et une cession-bail de la grue ou, comme M. Millar l'a déclaré au cours de son témoignage, une cession et une rétrocession, toutes deux faites sans contrepartie, pour garantir le remboursement du prêt consenti par Mme Jacobi.

[10] La pièce A-4 est une liasse de documents produits en preuve par l'avocat de l'appelante. On y trouve une télécopie qu'un agent de recouvrement a fait parvenir à M. Millar en date du 22 février 1995. Cette télécopie confirme que l'appelante

[...] achètera la grue dont Jacobi est propriétaire en vertu de l'option d'achat qui a été prolongée jusqu'au 10 février 1995.

Une annexe jointe à cette télécopie indique que le prix de rachat est de 53 230,71 $, après imputation des paiements locatifs de 3 000 $ le 20 novembre 1991 et de 1 500 $ par mois par la suite, avec un paiement de 25 000 $ en mai 1993. La liasse de documents renferme également un acte de vente conclu entre Pauline Jacobi, en qualité de cédant, et Pembina Finance (Alta) Ltd., en qualité de cessionnaire, relativement à la grue en question. Cet acte de vente mentionne une convention de bail datée du 7 novembre 1991 concernant la grue en question. Fait également partie de la liasse de documents une lettre que l'avocat de Mme Jacobi a adressée au greffier de la Cour du Banc de la Reine pour l'informer qu'il représentait Mme Jacobi à cette occasion. On peut présumer qu'il avait une certaine connaissance de la nature de l'opération. Ces documents sont davantage compatibles avec l'existence d'une vente et d'une cession-bail de la grue qu'avec le témoignage oral de M. Millar. Ils constituent également une preuve produite par l'appelante que M. Millar ne peut ensuite désavouer.

[11] De manière significative, la convention de bail mentionnée dans l'acte de vente n'a pas été produite, et ni Mme Jacobi, ni son agent de recouvrement, ni son avocat n'ont été appelés à témoigner. La seule explication que j'ai obtenue à cet égard est que, pour des raisons de santé mentale, Mme Jacobi ne pouvait être appelée à témoigner. Cette affirmation, qui n'a été appuyée par aucune preuve, ne constitue pas à mon sens une explication satisfaisante. Je conclus donc que la convention de bail et les témoignages de Mme Jacobi, de son avocat ou de son agent de recouvrement n'auraient pas été utiles à la cause de l'appelante. (Voir Murray v. Saskatoon, [1952] 2 D.L.R. 499.)

[12] Je conclus que l'appelante a vendu la grue en question, en 1992, à Mme Jacobi, qui l'a payée 79 500 $, dont 5 200,93 $ représentaient la TPS.

[13] L'autre cession d'une grue qui est en cause a été effectuée par l'appelante à John Del Limited, une compagnie détenue à 100 p. 100 par l'ex-épouse de M. Millar. La vente a été conclue en 1992. M. Millar a déclaré qu'aucune contrepartie n'avait été versée dans cette opération non plus et que la cession n'avait été faite que pour garantir le paiement d'un montant qu'il devait ou qu'il allait devoir à son épouse du fait de leur divorce, qui était intervenu à peu près au même moment. Il a déclaré qu'après le divorce et le paiement du règlement à son épouse il avait acquis la propriété de John Del Limited et avait alors fait en sorte que cette compagnie rétrocède la grue à l'appelante, qui l'avait ensuite vendue à un acheteur des États-Unis. En un mot, M. Millar soutient que cette opération n'était pas une vente non plus, mais simplement une cession sans contrepartie, qui visait à garantir l'exécution d'une obligation.

[14] Cette prétention ne concorde pas avec les états financiers de la compagnie. L'état de la provenance et de l'utilisation des fonds de l'appelante pour l'exercice qui s'est terminé le 30 juin 1992 fait état de la vente d'un bien pour 87 500 $. Aucune autre explication relative à ce poste dans les livres n'a été offerte en preuve, et je conclus que M. DeGagne a correctement considéré qu'il s'agissait de la vente de la grue à John Del Limited pour 87 500 $, dont 5 724,30 $ représentaient la TPS.

[15] J'en viens aux achats de véhicules à moteur. L'appelante a demandé des crédits de taxe sur les intrants relativement à l'achat de deux véhicules à moteur. L'un d'eux est une caravane motorisée, que M. Millar a dit avoir achetée pour la compagnie en vue de réduire les coûts de déplacement aux États-Unis lors des voyages d'achat. C'est lui qui effectuait les voyages en question, à la recherche de grues d'occasion qu'il achetait pour les réparer et les revendre. D'après son témoignage, plutôt que de payer les notes d'hôtel, il pourrait dormir dans cette caravane motorisée et ainsi épargner de l'argent à la compagnie. L'appelante a payé le véhicule 49 500 $ en septembre 1993 et, au cours du deuxième trimestre de 1994, elle a demandé un crédit de taxe sur les intrants de 3 468,71 $ au titre de la TPS payée à cet égard. M. Millar a déclaré qu'il avait utilisé la caravane motorisée lors de deux voyages d'affaires et que, à part ces deux déplacements, elle était restée stationnée sur le terrain de la compagnie sans être utilisée pendant trois ans. Lors du contre-interrogatoire, M. Millar a porté le nombre de voyages à cinq : deux à Bonnyville et trois à Calgary. Ces déplacements totalisaient selon lui environ 1 500 kilomètres.

[16] L'autre véhicule en question était une Corvette, de Chevrolet, que l'appelante a payée 29 000 $ en août 1994, et relativement à laquelle elle a demandé un crédit de taxe sur les intrants de 1 966,58 $ au troisième trimestre de 1994. M. Millar a déclaré que son automobile personnelle était une Lincoln 1977 et, qu'en raison de l'âge de ce véhicule, il l’estimait peu fiable pour effectuer les longs déplacements qui l'amenaient à l'extérieur d'Edmonton. Il a déclaré que la Corvette était offerte à prix avantageux, de sorte qu'il l'avait achetée pour le compte de la compagnie pour pouvoir l'utiliser lors de ses déplacements d'affaires. Il l'a utilisée pour effectuer trois ou quatre déplacements à Calgary; autrement, elle est restée dans le garage chez lui.

[17] M. DeGagne s'est dit d'avis que les véhicules n'avaient pas réellement été achetés par l'appelante pour utilisation dans le cadre de son entreprise, mais qu'ils avaient été achetés en fait pour l'usage personnel de M. Millar. Je suis d'accord. Seul le témoignage de M. Millar appuie la prétention de l'appelante selon laquelle ils étaient destinés à l'usage de l'entreprise, et ce témoignage ne me convainc pas. M. Millar est dans les affaires depuis très longtemps. Ses entreprises ont connu des hauts et des bas, mais lui-même n'est certainement pas naïf ni inexpérimenté dans le domaine financier. Je ne crois pas un seul instant qu'il estimait que la caravane motorisée et la Corvette étaient des achats rationnels dans le cadre de l'entreprise. Il se peut très bien qu'elles aient été peu utilisées, soit aux fins de l'entreprise ou à des fins personnelles, mais, compte tenu de la preuve qui m'a été présentée, je conclus que M. Millar les a achetées non pour soutenir les activités de l'entreprise, mais à ses propres fins. Dans la mesure où l'appelante a peu utilisé les biens en question dans le cadre de son entreprise, l'article 141 de la Loi s'applique et l'utilisation est réputée avoir été faite en totalité à des fins personnelles. Les achats ne devraient pas être soustraits à l'application de la TPS.

[18] Certains autres crédits de taxe sur les intrants totalisant un peu plus de 32 000 $ ont été refusés par M. DeGagne. Ce dernier a refusé les crédits en question parce que la compagnie appelante n'a fourni aucune pièce justificative qui établisse les dépenses consignées dans ses grands livres synoptiques et donnant lieu à ces demandes. M. Millar a déclaré qu'après avoir discuté de l'absence de ces pièces justificatives avec M. DeGagne, il a passé beaucoup de temps, sur une période de plusieurs mois, à tenter d'obtenir des doubles auprès de ses fournisseurs, et qu'il les avait obtenus pour à peu près tous les articles en question. Il les a ensuite rangés dans les dossiers de la compagnie, mais son locateur, avec qui il était en conflit concernant l'usage des lieux, a saisi tous les dossiers, les a emportés avec lui et on ne les a jamais revus.

[19] Aux termes des paragraphes 169(4) et (5) de la Loi, l'inscrit doit établir le bien-fondé de sa demande de crédit de taxe sur les intrants. La raison est évidente. Le système en vertu duquel le crédit de taxe sur les intrants éteint la taxe payable par ailleurs présente en soi des risques d'abus, sauf si les dépenses peuvent être confirmées au moyen d'une vérification. Le témoignage de M. Millar dans son ensemble ne m'a pas inspiré confiance et, sans aucune corroboration, je n'accepte pas l'affirmation imprécise et très générale selon laquelle il a obtenu les pièces justificatives confirmant tous les montants en question.

[20] Je me pencherai enfin sur la question de la pénalité qui a été imposée. Au cours de la plaidoirie, l'avocat de l'appelante a fait valoir, en se fondant sur la décision rendue par le juge Bowman dans l'affaire Pillar Oilfield Projects Ltd. v. Canada, [1993] G.S.T.C. 49, que la pénalité imposée en application du paragraphe 280(1) de la Loi est assujettie au droit de l'appelant de présenter une défense de diligence raisonnable. Cette décision a été suivie par les juges de la Cour canadienne de l'impôt à un certain nombre de reprises. Lorsque, à deux occasions, la question a été soumise à la Cour d'appel fédérale, celle-ci a conclu qu'il était inutile de trancher la question. J'admets que l'appelant à qui une pénalité a été imposée en application du paragraphe en question peut invoquer la défense de diligence raisonnable[1].

[21] L'avocat de l'appelante m'a ensuite demandé de dégager sa cliente de l'obligation de payer les pénalités imposées dans la présente affaire pour le motif, a-t-il fait valoir, que l'appelante s'était fiée à un comptable que M. Millar croyait compétent, que ce dernier avait perdu ses dossiers ou certains d'entre eux du fait des gestes de son locateur, qui ont été qualifiés d'injustifiables, et que la compagnie ne pouvait par conséquent être tenue responsable des erreurs qui s'en étaient suivies dans ses déclarations de TPS. Je crois que les exigences en matière de défense de diligence raisonnable ont été exposées correctement par le juge Bowman dans l'affaire Pillar Oilfield, où, au paragraphe 27, il a dit ceci :

[...] la bonne foi dans le contexte d'erreurs commises involontairement n'équivaut pas à la diligence raisonnable. Cette défense exige la preuve positive que toutes les précautions raisonnables ont été prises pour qu'aucune erreur ne soit commise.

[22] À mon avis, l'appelante en l'espèce ne s'est même pas acquittée ne serait-ce que de la charge plus légère de prouver sa bonne foi. Les demandes de crédits de taxe sur les intrants relatives aux véhicules à moteur mettent nécessairement en cause une certaine volonté de la part de M. Millar de contrecarrer les dispositions de la Loi. Ainsi qu'il a été établi par le témoignage de M. DeGagne, la tenue des livres de la compagnie était telle qu'elle va à l'encontre de la théorie selon laquelle des erreurs involontaires ont été commises de bonne foi. Aucune preuve crédible n'est venue tendre à établir que l'appelante avait fait preuve d'une certaine prudence raisonnable, encore moins de toute la prudence raisonnable, soit dans la tenue de ses livres, soit dans la production de ses déclarations en application de la Loi.

[23] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 1998.

“ E.A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 21e jour de juin 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Depuis que j'ai rendu ces motifs oralement le 23 octobre 1998, j'ai appris l'existence de la décision rendue le 29 septembre 1998 par la Cour d'appel fédérale dans Canada c. Consolidated Canadian Contractors Inc., qui confirme cette jurisprudence.

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