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Date: 20000822

Dossier: 2000-356-GST-I

ENTRE :

HEATHER L. EARNSHAW et LINDA M. THRONESS,

appelantes,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk C.C.I.

[1] Heather Louise Wassink (née Earnshaw) et Linda M. Throness interjettent appel contre une cotisation en date du 18 mai 1999 en vertu de laquelle le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a rejeté leur demande de remboursement de taxe sur les produits et services (“ TPS ”).

[2] Les parties s'entendent sur les faits suivants. Un promoteur louait une grande propriété non bâtie et y construisait des immeubles d'habitation. Le 20 mai 1993, les appelantes avaient acheté une résidence personnelle à Polygon Development VIII Ltd. (“ Polygon ”) en acquérant un intérêt dans un condominium à bail, soit l'unité 104 du 5835, Hampton Place. Cet intérêt avait été acquis par voie de cession d'un des lots condominiaux issus de la conversion de la propriété louée par le promoteur, lorsque les appelantes avaient acheté l'habitation condominiale à Polygon. Le prix d'achat était de 229 900 $. À la date de clôture de l'opération, les appelantes avaient en outre payé à Polygon 10 299,52 $ de TPS nette (16 093 $ de TPS moins un remboursement de TPS pour habitations neuves de 5 793,48 $ cédé par les appelantes à Polygon). Une demande générale de remboursement de TPS avait été faite par les appelantes et reçue par le ministre le 9 février 1999. Par voie d'avis de cotisation en date du 18 mai 1999, le ministre avait refusé d'accorder le remboursement pour le motif que la demande n'avait pas été faite dans le délai fixé par l'article 261 de la Loi sur la taxe d'accise.

[3] Des éléments de preuve ont en outre été présentés par Heather Louise Wassink (née Earnshaw), Raymond Takyan Ng (“ M. Ng ”)[1] et Ricky Wong (“ M. Wong ”). Mme Wassink a témoigné qu'elle et Mme Throness avaient acheté leur logement condominial en mai 1993 et que, à l'époque de l'acquisition de ce bien, elles avaient été tenues par le promoteur de payer de la TPS. En mai 1995 ou à peu près, le conseil du condominium St. James House de Hampton Place avait organisé une réunion avec un comptable à propos de demandes possibles de remboursement de TPS. Mme Throness y avait assisté et avait, après avoir entendu ce qui s'y était dit, décidé de demander le remboursement de TPS. Les appelantes avaient commencé à réunir tous les documents requis dont le comptable avait besoin. Elles connaissaient un bon nombre des résidents de logements condominiaux semblables et, pendant qu'elles étaient en train de réunir ces documents, elles avaient appris qu'un certain nombre de ces personnes avaient reçu “ des lettres de Revenu Canada disant que la TPS n'avait pas à nous être remboursée ”. Mme Wassink a dit que le nombre de ces cas était suffisant pour amener les appelantes à mettre un terme au processus et à ne pas présenter leur demande de remboursement. En juillet 1996, les appelantes ont vendu leur logement condominial et ont déménagé. Subséquemment, soit à la fin de 1998 ou au début de 1999, il est venu à leurs oreilles que “ des amis avaient alors recouvré de l'argent ” et elles ont également appris que d'autres membres de cette collectivité avaient porté la question en justice[2]. Cette information les a incitées à remplir et présenter leur demande de remboursement.

[4] M. Ng avait acheté deux unités de Hampton Place en 1993, l'une comme résidence principale, l'autre comme bien de location. Suivant l'avis de son avocat, il avait contacté Revenu Canada pour déterminer s'il fallait payer de la TPS, et on l'avait informé que 7 p. 100 de TPS devaient être payés sur le bien de location et qu'il ne serait admissible qu'à un remboursement de 2,5 p. 100 à l'égard de la résidence[3]. En 1995, il avait assisté à une réunion au cours de laquelle un comptable, s'adressant à un certain nombre des résidents de logements condominiaux concernant la question de TPS, offrait son aide pour la présentation de demandes de remboursement. Incertain quant à savoir s'il devait retenir les services du comptable, M. Ng avait de nouveau contacté Revenu Canada pour avoir de l'information, demandant expressément s'il serait “ utile ” pour lui “ de faire cette demande ”. Il a dit que le fonctionnaire avait produit “ de la documentation selon laquelle tout le monde a en fait besoin de payer la TPS ” et il se rappelait que “ le fonctionnaire était sûr que je gaspillerais simplement mon argent ” en retenant les services de quelqu'un pour la production de la demande. Se fondant sur ces déclarations, il avait décidé de ne pas présenter sa demande. M. Ng a fait remarquer que la question du remboursement revenait sans cesse dans les conversations entre les résidents, mais il a concédé qu'il ne se souvenait pas précisément d'avoir informé les appelantes sur les contacts qu'il avait eus avec Revenu Canada ou sur l'avis qu'il avait reçu d'employés de Revenu Canada.

[5] M. Wong, homme d'affaires de Vancouver, avait acheté un logement condominial de Hampton Place et y a vécu jusqu'en 1998. Peu après son départ, un de ses anciens voisins l'a contacté au sujet de la question de TPS et lui a suggéré de faire une demande de remboursement. Il a en outre appris que le formulaire de demande devait être déposé le 30 juin 1998 au plus tard. M. Wong a dit qu'il était incertain quant à savoir ce qui était nécessaire et qu'il était allé à Revenu Canada pour avoir de l'information. L'avis qu'il a reçu était qu'il n'était guère susceptible d'obtenir un remboursement général et qu'il avait toutefois probablement droit à un remboursement pour habitations neuves, et on lui avait remis à cette fin des formulaires de demande. Il se souvenait précisément d'avoir demandé au fonctionnaire de Revenu Canada ce qui arriverait si les parties appelantes dans l'affaire Taylor et Redmond avaient gain de cause, et la décision dans cette affaire a été rendue après le 30 juin 1998, date à laquelle expirait son délai de quatre ans. Il dit qu'on lui a répondu : “ Si elles ont gain de cause, tout le monde obtiendra tout ”.

Régime législatif

[6] Les dispositions pertinentes de la Loi qui étaient en vigueur le 9 février 1999, date à laquelle les appelantes ont fait leur demande générale de remboursement, se lisent comme suit :

261(1) Dans le cas où une personne paie un montant au titre de la taxe, de la taxe nette, des pénalités, des intérêts ou d'une autre obligation selon la présente partie alors qu'elle n'avait pas à le payer ou à le verser, ou paie un tel montant qui est pris en compte à ce titre, le ministre lui rembourse le montant, indépendamment du fait qu'il ait été payé par erreur ou autrement.

[...]

261(3) Le remboursement n'est versé que si la personne en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement ou le versement du montant.

Le paragraphe 261(3) tel qu'il se lisait à cette époque reflétait une modification qui a été apportée en 1997 et par laquelle le délai précédent, qui était de quatre ans, a été ramené à deux ans. La modification disposait en outre ceci :

71(2) Le paragraphe (1) s'applique aux montants suivants :

a) ceux qui, après juin 1996, sont payés ou comptabilisés au titre de la taxe ou d'un autre montant à payer ou à verser en application de la partie IX de la même loi;

b) ceux qui, avant juillet 1996, sont payés ou comptabilisés au titre de la taxe ou d'un autre montant à payer ou à verser en application de cette partie, à l'exception des montants dont le remboursement est demandé aux termes de l'article 261 de la même loi avant juillet 1998.[4] [5]

Thèse des appelantes

[7] L'avocat des appelantes a argué qu'à cause de la préclusion le ministre ne peut rejeter leur demande de remboursement en affirmant qu'elle est frappée de prescription étant donné qu'elle a été faite en retard. Il a en outre argué que, si leur demande est frappée de prescription, leur omission de présenter la demande dans le délai requis est attribuable à des avis négligents, donnés par les employés et représentants du ministre avant l'expiration du délai, à savoir que les appelantes n'avaient pas droit à un remboursement.

[8] L'avocat a concédé que la cause des appelantes pouvait être distinguée de celle de Braxton et de Diane Alfred en ce qu'elles étaient incapables de faire état d'un incident précis dans lequel un fonctionnaire ou représentant de Revenu Canada leur aurait fourni de l'information erronée au sujet de leur droit à un remboursement général. Cependant, soutient-il, dans la dernière partie de 1995, toutes les personnes qui avaient acheté les habitations condominiales en cause savaient que la position de Revenu Canada était qu'elles n'avaient pas droit au remboursement. Il argue qu'il était suffisant que Mmes Earnshaw et Throness aient été avisées de cette position par d'autres et qu'elles aient cru que la position de Revenu Canada indiquait implicitement qu'elles ne devraient pas faire une demande parce que celle-ci ne serait pas acceptée. L'avocat a également soutenu que les appelantes, étant au courant de la position de Revenu Canada, ont agi en conséquence et ont conclu que faire une demande serait une perte de temps. Ainsi, se fondant sur l'exactitude de la position exprimée par Revenu Canada, elles ont omis de présenter leur demande dans le délai imparti.

[9] Subsidiairement, les appelantes invoquent l'affaire Taylor et Redmond c. La Reine, dans laquelle le juge en chef Garon, de la C.C.I., a dans des circonstances identiques statué que l'acquisition, par les parties appelantes, de leurs habitations respectives était exonérée de taxe en vertu de la partie IX de la Loi, et la cotisation du ministre leur refusant le remboursement de la taxe payée par erreur a donc été annulée. Comme cette décision a été rendue le 27 juillet 1998, les appelantes soutiennent que leur droit de faire une demande générale de remboursement s'applique à partir de cette date. À l'appui de cette position, l'avocat des appelantes fait valoir que l'interprétation appropriée du paragraphe 261(1) peut être établie en lisant les paragraphes (1) et (3) ensemble et en utilisant le paragraphe (1) pour déterminer ce que signifient les termes “ dans les deux ans suivant le paiement ou le versement du montant ”. Il fait également valoir qu'il est nécessaire de prendre en compte dans la signification du paragraphe (3) le passage du paragraphe (1) qui dit “ elle n'avait pas à [...] payer ou à [...] verser ”. En lisant ces dispositions de cette manière et en admettant le fait que les appelantes n'ont appris qu'elles “ n'avai[en]t pas à [...] payer ” le montant en litige que lorsqu'a été rendue la décision Taylor et Redmond, soit le 27 juillet 1998, les appelantes avaient, si le délai légal s'appliquait effectivement, deux ans suivant cette date pour faire leur demande. L'avocat soutient qu'interpréter ainsi les termes mentionnés n'est pas contraire au sens ordinaire et à l'objet de la loi et représente plutôt une interprétation créative de la loi permettant à la Cour d'interpréter les dispositions législatives pertinentes de manière à accorder un redressement aux appelantes[6].

[10] À l'appui de cette interprétation d'une loi fiscale, l'avocat a fait référence à l'affaire Smith Drugs Ltd. c. M.R.N.[7], dans laquelle Mme le juge Reed a dit :

À mon avis, les commentaires émis dans les arrêts Wally Fires v. Her Majesty the Queen, 90 DTC 6662 (C.S.C.) et Johns-Manville Canada Inc. v. Her Majesty the Queen, 85 DTC 5373 (C.S.C.) selon lesquels, en cas d'incertitude, il faut donner le bénéfice du doute au contribuable, ne rejettent pas le principe énoncé dans l'arrêt Stubart. Ces affaires indiquent seulement que, si après avoir lu les dispositions législatives pertinentes en fonction de l'objet et de l'esprit de la Loi, on éprouve des doutes quant à l'interprétation visée, il faut pencher en faveur du contribuable, que la disposition en question prévoit une imposition, une exemption ou une déduction.

[11] Après l'audition de l'appel, Me Harkness a produit des arguments supplémentaires dans lesquels il soutient qu'une interprétation raisonnable du paragraphe 261(3) de la Loi indique qu'une personne assujettie aux dispositions de la Loi saurait, dans la plupart des cas, si la vente d'une fourniture taxable a avorté, si la fourniture taxable est restée impayée ou si elle a été consommée hors du Canada. Dans de telles circonstances, il n'y aurait pas de TPS à payer, et la personne demanderait dans le délai imparti un remboursement à l'égard de la TPS versée sur la vente. D'autre part, jusqu'à ce qu'un tribunal détermine qu'une fourniture est exonérée, une personne ne saurait normalement pas qu'il est possible d'avoir un remboursement à l'égard d'une telle fourniture sur laquelle Revenu Canada a perçu de la taxe par erreur. Dans le cas des appelantes en l'espèce, il n'a été déterminé que la fourniture de leur intérêt à bail était une fourniture exonérée que lorsque la décision Taylor et Redmond a été rendue, soit après l'expiration du délai imparti. Sur la foi d'une décision récente de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique (“ C.A.C.-B. ”), soit l'arrêt Hansen v. The Queen[8], l'avocat a argué que le paragraphe 261(3) peut être interprété comme fixant un délai de nature procédurale, car il indique qu'une personne demande un remboursement lorsqu'elle devient au courant de circonstances dans lesquelles la TPS n'était pas payable. Dans l'arrêt Hansen, la C.A.C.-B. a statué qu'un délai de nature procédurale peut être prorogé d'un commun accord ou en établissant qu'il y a préclusion. Ainsi, dit l'avocat, Revenu Canada a, en acceptant le fait que des acheteurs avaient droit à des remboursements après que la décision Taylor a été rendue, consenti effectivement à proroger le début du délai à la date de la décision, soit au 27 juillet 1998.

Conclusion

L'argument relatif à la préclusion

[12] Sur la foi de la preuve, il est raisonnable de conclure que l'on savait en général qu'un différend existait entre des acheteurs d'habitations condominiales et Revenu Canada concernant la “ question du remboursement ” et que Revenu Canada reconsidérait sa position. Il est en outre avéré que les appelantes sont devenues au courant de leur droit potentiel à un remboursement au plus tard en mai 1995, lorsque Mme Throness a assisté à une réunion générale et qu'elle y a acquis la conviction qu'une demande de remboursement général était justifiée. À un moment donné peu après, les appelantes ont en outre appris que des fonctionnaires de Revenu Canada avaient avisé un certain nombre d'acheteurs que ces derniers n'avaient pas droit à des remboursements. Le fait qu'elles aient accepté cet avis comme exact a directement conduit les appelantes à abandonner leurs efforts pour demander un remboursement à une époque où le délai légal n'était pas encore expiré.

[13] Bien qu'il soit clair que les appelantes ont agi à leur détriment par suite de l'avis reçu, elles ne peuvent avoir gain de cause en se fondant sur ce motif. L'issue estoppel (préclusion fondée sur la chose jugée) a été examinée dans un certain nombre de causes, et le principe pouvant en être dégagé est que la Couronne ne peut être liée par une déclaration en matière d'interprétation du droit faite par l'un de ses employés ou représentants. Dans l'arrêt M.R.N. c. Inland Industries Limited[9], la Cour suprême du Canada a examiné certains articles de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant la déductibilité de cotisations au titre de services passés à un régime de pension initialement accepté par le ministère du Revenu national pour fins d'enregistrement, mais à l'égard duquel des déductions ont ultérieurement été refusées. Parlant pour la Cour, le juge Pigeon a en fait disposé de toute question de préclusion en disant :

[...] Toutefois, il me paraît clair qu'une approbation donnée sans que les conditions prescrites par la loi ne soient remplies ne lie pas le ministre.

Ce principe a été appliqué dans l'affaire Stickel c. M.R.N.[10],par le juge Cattanach, qui a dit :

En bref, les fins de non-recevoir [la préclusion] sont soumises à une règle générale: elles ne peuvent aller à l'encontre des lois d'application générale.

[14] Le raisonnement à la base du principe exprimé dans ces causes a été succinctement résumé par le juge Bowman dans l'affaire Goldstein c. La Reine[11] :

On dit parfois que la préclusion n'est pas recevable contre la Couronne. Cette affirmation n'est pas exacte et semble provenir d'une mauvaise application du terme préclusion. Le principe de la préclusion lie la Couronne, tout comme d'autres principes de droit. La préclusion du fait du comportement, telle qu'elle s'applique à la Couronne, comprend des déclarations de faits de fonctionnaires de la Couronne sur lesquelles le sujet s'est fondé et en fonction desquelles il a agi, à son détriment. La doctrine n'a aucune application lorsqu'une interprétation particulière d'une loi a été communiquée à un sujet par un fonctionnaire de l'État, que le sujet s'est fondé sur cette interprétation à son détriment et que le gouvernement a ensuite retiré ou modifié l'interprétation. Dans un tel cas, un contribuable cherche parfois à invoquer la doctrine de la préclusion. Ce n'est pas approprié, non pas parce que ces déclarations donnent lieu à une préclusion qui ne lie pas la Couronne, mais plutôt parce qu'aucune préclusion ne peut se poser lorsque de telles déclarations ne sont pas conformes au droit. Bien que la préclusion soit maintenant un principe de droit positif, elle prend son origine dans le droit de la preuve et, en tant que telle, se rapporte aux déclarations de faits. Elle n'a aucun rôle à jouer lorsque des questions d'interprétation du droit sont en cause, car la préclusion ne peut déroger au droit.

[15] La question dont je suis saisi est de savoir si les déclarations que des fonctionnaires de Revenu Canada ont faites à divers propriétaires d'habitations condominiales au sujet de l'assujettissement à la taxe de la fourniture de leurs habitations étaient des déclarations de fait ou de droit. Ces déclarations portaient essentiellement que l'acquisition des habitations condominiales était assimilée à une opération d'achat-vente, qu'elle ne représentait pas une fourniture exonérée et qu'elle était donc à juste titre assujettie aux 7 p. 100 de TPS. À mon avis, il s'agissait non pas de déclarations de fait, mais plutôt d'une opinion quant à l'interprétation appropriée des dispositions pertinentes de la Loi. Dans de telles circonstances, les appelantes ne peuvent faire valoir la préclusion afin d'empêcher le ministre de se fonder sur les dispositions du paragraphe 261(3) de la Loi pour rejeter leur demande de remboursement.

L'argument relatif au délai

[16] J'ai conclu que l'“ approche créative ” des appelantes quant à l'interprétation des paragraphes 261(1) et (3) de la Loi doit être rejetée. L'intention du législateur de fixer un délai pour la présentation d'une demande de remboursement est énoncée en termes non équivoques. L'avocat des appelantes voudrait que la Cour interprète cette disposition particulière comme correspondant à ce que les appelantes croyaient que le législateur aurait dit si ce dernier avait été saisi de cette situation particulière. Lorsque la signification d'un texte est claire, notre cour n'a pas compétence pour en atténuer les conséquences. Bien que notre cour puisse être en droit d'interpréter le libellé d'une loi adoptée par le législateur, elle ne peut le déformer pour le rendre conforme à ce qu'elle peut considérer comme raisonnable[12].

[17] Je suis également d'avis que l'affaire Hansen se distingue de la présente espèce aussi bien en fait qu'en droit. Dans cette cause-là, il s'agissait de savoir si le droit de Mme Hansen de former une demande d'indemnisation à l'égard d'un terrain qui avait été exproprié aux fins d'une route était prescrit parce que le délai d'un an prévu à l'article 25 de la loi intitulée Expropriation Ac[13]t était écoulé. La commission appelée Expropriation Compensation Board (la “ commission ”) avait décidé que le ministère, étant lié par la préclusion, ne pouvait se fonder sur le délai. L'appel était interjeté contre cette décision. Pour ce qui est des faits relatifs à l'affaire Hansen, au cours d'une réunion entre les avocats tenue en juin 1995, le négociateur du ministère avait déclaré à l'avocat de Mme Hansen que le délai d'un an commencerait à courir à compter de la date de possession, soit le 8 août, plutôt qu'à compter de la date du paiement comme le spécifiait la disposition pertinente, soit le 21 juillet. Le juge MacKenzie, de la Cour d'appel, a conclu que cette déclaration n'était pas ambiguë et que c'était une déclaration de fait destinée à être suivie et ayant été suivie et il a statué que la commission avait eu raison de conclure que les éléments de la préclusion promissoire avaient été établis. Cet arrêt n'aide guère les appelantes, car la préclusion à laquelle il a été conclu concernait une déclaration de fait, qui avait été suivie par Mme Hansen à son détriment. Tel n'est pas le cas dans la présente espèce, dans laquelle les déclarations de M. Gravelle (et d'autres représentants de Revenu Canada) reflétaient l'interprétation du ministère quant aux dispositions pertinentes de la Loi.

[18] L'avocat des appelantes a également argué que le délai prévu au paragraphe 261(3) de la Loi est un délai de nature procédurale pouvant être prorogé d'un commun accord ou en établissant qu'il y a préclusion, et ce, sur la foi des propos suivants tenus par le juge MacKenzie dans l'arrêt Hansen :

[TRADUCTION]

En vertu de l'article 25, aux termes duquel une instance ne peut être introduite après l'expiration du délai d'un an, le propriétaire est réputé avoir accepté un paiement anticipé comme règlement intégral en l'absence de toute autre demande présentée dans le délai imparti. À mon avis, cela n'équivaut pas à l'extinction de la demande, qui est simplement réputée avoir été réglée. Cette distinction peut être subtile, mais je pense que le libellé de l'article 25 fixe un délai de nature procédurale qui peut être prorogé d'un commun accord ou en établissant qu'il y a préclusion.

Je ne saurais convenir de l'argument présenté sur la foi de ces propos. Premièrement, les appelantes n'ont pas établi la preuve d'une préclusion. Deuxièmement, le délai prévu au paragraphe 261(3) de la Loi est un délai de nature fondamentale et non pas simplement de nature procédurale et il ne peut être prorogé. Ce paragraphe dispose : “ Le remboursement n'est versé que si la personne en fait la demande dans les deux ans [...] ”. Comme l'a fait remarquer l'avocat de l'intimée, cette disposition prévoit clairement l'extinction de tous les droits au remboursement. De plus, rien n'indique que les appelantes ont été mal informées par un fonctionnaire de Revenu Canada sur le délai fixé pour la présentation d'une demande de remboursement. Ainsi, il est difficile de trouver un fondement à l'argument de Me Harkness selon lequel Revenu Canada a consenti effectivement à proroger le début du délai à la date de la décision Taylor et Redmond. En outre, même si les appelantes avaient pu établir que Revenu Canada avait conclu une forme d'accord avec elles, un tel accord viserait en fait à déterminer la taxe autrement qu'en conformité avec la loi et serait illégal[14].

[19] Je dois ajouter à ce qui précède qu'aucune disposition de la Loi ne permet au ministre ou encore à la Cour fédérale ou à notre cour de proroger ou de modifier les délais spécifiés dans une disposition législative comme le paragraphe 261(3) ou d'y déroger[15].

[20] Plusieurs autres motifs d'appel avaient été invoqués dans les actes de procédure, y compris un enrichissement injustifié du ministre et une négligence de sa part, ainsi qu'un motif, fondé sur les dispositions de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Limitation Act, selon lequel la demande des appelantes n'était pas frappée de prescription. L'avocat des appelantes a fait savoir que ces motifs n'étaient plus invoqués.

[21] Par conséquent, pour les motifs mentionnés ci-dessus, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d'août 2000.

“ A. A. Sarchuk ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 2e jour de février 2001.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               M. Ng avait témoigné dans l'affaire Alfred c. La Reine, 2000-604(GST)I, entendue immédiatement avant l'appel Earnshaw et Throness. Les avocats ont convenu que le témoignage présenté par M. Ng et les arguments invoqués par eux-mêmes dans l'affaire Alfred c. La Reine s'appliqueraient au présent appel.

[2]               À ce que j'ai compris, il s'agissait d'une allusion à l'affaire Taylor et Redmond c. La Reine, C.C.I., no 96-705, 27 juillet 1998 ([1998] G.S.T.C. 80).

[3]               Quoique M. Ng ne l'ait pas dit, il est admis qu'il s'agissait du remboursement pour habitations neuves auquel il avait droit.

[4]               Voir L.C. 1997, ch. 10, paragraphes 71(1) et (2).

[5]               On ne conteste pas le fait que, comme les appelantes avaient acheté leur habitation le 20 mai 1993, les paragraphes 261(1) et 261(3) tels qu'ils se lisaient à cette époque auraient exigé qu'elles fassent leur demande générale de remboursement au plus tard le 20 mai 1997. Toutefois, elles n'ont fait leur demande de remboursement que le 9 février 1999, et le délai dans leur cas est de deux ans.

[6]               L'argumentation subsidiaire énoncée dans ce paragraphe ainsi qu'aux paragraphes 10 et 11 a été présentée par Me D. G. Harkness, l'avocat de Vivian M. May, dont l'appel (2000-645(GST)I) a été entendu immédiatement après l'appel Earnshaw et Throness. Les questions étaient considérées par toutes les parties comme pratiquement identiques, et l'avocat de Mmes Earnshaw et Throness les a adoptées aux fins du présent appel.

[7]               C.F., 1re inst., no T-1761-86, 27 avril 1992, à la page 12 ([1992] 54 F.T.R. 32, aux pages 38-39).

[8]               Diane Hansen et al v. The Queen in right of the Province of British Columbia, as represented by the Minister of Transportation and Highways, 2000 BCCA 338.

[9]               [1974] R.C.S. 514, à la page 523 (72 DTC 6013, à la page 6017).

[10]             [1972] C.F. 672, à la page 685 (72 DTC 6178, à la page 6185).

[11]             C.C.I., no 94-840(IT)I, 1er mars 1995, à la page 11 (96 DTC 1029, à la page 1034).

[12]             Affaire Altrincham Electric Supply Limited. v. Sale Urban District Council, [1936] 154 L.T. 379, à la page 388, citée par le juge Estey qui l'approuvait dans l'arrêt Wanklyn et al v. M.N.R., [1953] 2 R.C.S. 58.

[13]             R.S.B.C. 1996, ch. 125. L'article 25 se lit comme suit : [TRADUCTION] Si une demande visant la détermination d'une indemnisation n'est pas faite à la commission dans l'année suivant un paiement fait en vertu de l'article 20, le propriétaire dont le terrain a été exproprié est réputé avoir accepté ce paiement en règlement intégral de sa demande d'indemnisation et il ne peut introduire une instance pour que soit déterminée une indemnisation.

[14]             Voir par exemple l'arrêt Cohen c. La Reine, C.A.F., 3 juin 1980 (80 DTC 6250).

[15]             Au sujet du délai spécifié au paragraphe 256(3) de la Loi, voir les observations formulées dans l'affaire Domjancic c. La Reine, C.A.F., no A-385-96, 14 avril 1997 ([1997] G.S.T.C. 30), juges Stone et Robertson et juge suppléant Gray, et C.C.I., no 95-2808(GST)I, 1er avril 1996 ([1996] G.S.T.C. 52), juge Hamlyn.

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