Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980108

Dossier: 97-407-IT-I

ENTRE :

BARBARA COSTELLO,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance sont à l'encontre des cotisations établies pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994. Ils concernent la déductibilité des pertes locatives subies par l'appelante au cours des années en question.

[2] L'appelante est enseignante au niveau secondaire à la Commission scolaire de Scarborough. En outre, elle a une vaste expérience des affaires. En 1986, elle a formé la Ambrosia Construction Company, une entreprise qui rénovait des propriétés commerciales. Elle a exploité cette entreprise jusqu'en 1990. Elle a aussi fait de la vente de meubles et de la conception de vêtements pour enfants.

[3] En 1985, elle a acheté à titre de résidence principale le 115, rue Hannaford, qu'elle a payé 80 000 $. La propriété, située dans le secteur Beaches de Toronto, était une habitation unifamiliale jumelée, dont elle louait des parties à des locataires.

[4] En 1989, Mme Costello s'est fiancée, projetant de vivre avec son futur époux. La même année, elle a par conséquent vendu 220 000 $ la propriété de la rue Hannaford, réalisant un profit de 140 000 $.

[5] Sur les conseils et la recommandation d'un courtier en immeubles, Mme Costello s'est mise à la recherche d'une propriété locative dans le secteur Beaches de Toronto. Elle avait l'intention de l'utiliser comme placement et de la louer. Il ressort clairement de la preuve qu'elle n'avait aucune intention d'acheter une maison pour y vivre.

[6] Elle a trouvé une maison de deux étages au 220, avenue Silver Birch à Toronto, qu'elle a payée 320 000 $. Le produit de la vente de la propriété de la rue Hannaford a servi à effectuer le versement initial de 150 000 $ et le solde a été financé au moyen d'un emprunt hypothécaire d'environ 170 000 $.

[7] La propriété semblait satisfaire en tous points aux exigences de Mme Costello. Il y avait un appartement au sous-sol d'une superficie d'environ 510 pieds carrés et un appartement au rez-de-chaussée et à l'étage d'environ 1 020 pieds carrés. La maison était située près des transports publics, des écoles, des parcs, des restaurants et du centre-ville de Toronto. Ses recherches indiquaient qu'il y avait une pénurie de propriétés locatives dans le secteur. Le taux d'inoccupation était peu élevé et les loyers étaient à la hausse. Elle a cru comprendre que le marché de la location demeurerait solide.

[8] Par conséquent, elle a acheté la propriété le 26 juillet 1989. Ce jour-là, elle a emménagé chez son fiancé.

[9] L'achat était conditionnel à ce que la construction de l'appartement du sous-sol soit achevée à la date de la signature des contrats.

[10] Pour l'appartement du haut, qu'elle a loué à trois personnes, elle a demandé 1 300 $ par mois et, pour celui du sous-sol, 750 $. Les frais de chauffage et d'électricité étaient pris en charge par les locataires. L'appelante payait les assurances, les impôts fonciers et les frais d'entretien. Elle prévoyait que la maison commencerait à rapporter dans trois ans.

[11] Vers la fin de l'année 1989, elle a rompu avec son fiancé. Comme elle avait vendu sa résidence, elle a décidé d'aller vivre dans l'appartement du haut. Deux des locataires ont quitté les lieux et l'un d'eux est resté. Elle a réclamé à ce dernier 400 $ par mois.

[12] Le ralentissement économique en 1990 et un surplus d'appartements dans le secteur Beaches sont également venus contrecarrer ses plans.

[13] Le locataire du sous-sol a quitté les lieux et elle n'a pu trouver personne pour occuper les lieux au même prix. Il lui a fallu accepter 600 $ par mois et prendre à sa charge les services publics.

[14] En outre, elle a dû effectuer d’importants travaux de réparation. Un tuyau d'évacuation endommagé a provoqué une inondation et a nécessité d'importantes réparations. De nouvelles fenêtres ont dû être installées au sous-sol. La chaudière à air chaud a dû être réparée. Un nouveau réfrigérateur et un nouveau tapis ont dû être achetés pour le sous-sol.

[15] Pour pallier la perte de revenu et les coûts accrus de l'exploitation de l'entreprise de location, l'appelante s'est trouvée un deuxième emploi dans un magasin de meubles.

[16] Pour accroître l'espace locatif, elle a éliminé le plafond cathédrale du premier étage et a fait construire une autre chambre à coucher. Le loyer de l'appartement du sous-sol est descendu jusqu'à 550 $, bien qu'il soit aujourd'hui de 675 $ par mois.

[17] En 1993, elle n'a tiré aucun revenu de location de l'appartement situé à l'étage parce qu'elle y effectuait des travaux de rénovation. De plus, en 1994, elle a fait poser un nouveau parement de vinyle sur une partie de la maison.

[18] Cette affaire me paraît parfaitement claire. Mme Costello est une femme instruite et intelligente qui s'est mise à la recherche d'un bien de placement d'une façon rationnelle et sérieuse. Manifestement, elle a acheté la propriété pour en tirer un revenu et ses projections étaient raisonnables. Une combinaison de circonstances est cependant venue contrecarrer ses plans. Il y a d'abord eu la rupture avec son fiancé, qui l'a obligée à s'installer dans une partie de la propriété. Puis il y a eu les réparations importantes et imprévues dont la propriété a eu besoin. Enfin, il y a eu le ralentissement de l'économie et le revirement du marché de la location.

[19] Je tire la conclusion de fait que l'appelante avait une attente raisonnable de profit relativement à l'activité de location. De fait, la perte subie par l'appelante en 1995 était infime et, en 1996, par suite des réparations et des rénovations effectuées, de la baisse des taux hypothécaires et de l'amélioration générale du marché de la location, elle a commencé à réaliser un profit net et elle s'attend à poursuivre sur cette lancée.

[20] Ce que j'estime inacceptable au sujet de la cotisation est la tendance (qui, le croyais-je, avait été étouffée dans l'oeuf par des décisions de la Cour d'appel fédérale comme Tonn et al. v. The Queen, 96 DTC 6001, A.G. of Canada v. Mastri et al., 97 DTC 5420, et Mohammed v. The Queen, [1997] 3 C.T.C. 321), une fois qu'une perte est déclarée, d'entonner les mots magiques « aucune attente raisonnable de profit » et de refuser la déduction des pertes. En l'espèce, il n'y a eu apparemment aucune analyse des pertes. Ce qui est le plus évident au sujet de ces pertes, c'est qu'une partie des dépenses déduites peut (et je souligne peut) avoir été des dépenses en capital. Je pense notamment aux importantes rénovations effectuées dans l'appartement situé à l'étage, à l'élimination du plafond cathédrale et à la construction d'une troisième chambre à coucher.

[21] Le cotiseur aurait pu également se demander si, au cours de l'une ou l'autre des années visées, il était raisonnable d'attribuer la moitié seulement des dépenses à l'usage personnel de l'appelante.

[22] Ces questions sont légitimes. Elles n'ont pas été traitées à l'étape des cotisations, ni à celle des appels, ni dans la réponse à l'avis d'appel, dans les plaidoiries ou dans la preuve. Je n'entends pas par là critiquer l'avocat de l'intimée, qui a présenté la preuve de la Couronne avec la compétence qu'on lui connaît. Me Bornstein n'a pas rédigé la réponse à l'avis d'appel. Celle-ci a été rédigée par une personne s'étant présentée comme le « représentant de l'intimée » .

[23] Les fonctionnaires du ministère du Revenu national paraissent avoir été hypnotisés par la récitation du mantra « aucune attente raisonnable de profit » et avoir négligé un facteur élémentaire, à savoir que si les pertes ou les profits avaient été calculés correctement (et plus particulièrement, si une distinction appropriée avait été faite entre les dépenses en capital et les dépenses d'exploitation), il aurait pu y avoir une réduction importante des pertes déduites, voire un profit.

[24] Si l'intimée avait choisi de prétendre qu'une partie des dépenses était des dépenses en capital, elle aurait dû soulever le point dans les actes de procédure et alléguer les faits nécessaires à l'appui de sa prétention. (Voir M.N.R. v. Pillsbury Holdings Ltd., 64 DTC 5184). Sur ce genre de question, l'intimée assumerait évidemment la charge de la preuve. L'intimée n'a absolument rien fait de tout cela, et il aurait été manifestement inéquitable pour l'appelante d'être contrainte de réfuter une allégation qui n'a pas été plaidée.

[25] L'intimée a fait valoir la litanie habituelle de motifs présentés ci-dessous à l'appui de sa décision de refuser la déduction des pertes :

a) Elles n'ont pas été prouvées. En fait, elle ont été méticuleusement prouvées.

b) Il s'agissait de frais personnels et de subsistance. C'est vrai pour une partie des dépenses, évidemment, mais l'appelante en a tenu compte en attribuant la moitié des dépenses à son usage personnel, et cette attribution n'a été contestée ni dans les actes de procédure, ni dans la preuve.

c) Il n'y avait aucune attente raisonnable de profit. De toute évidence, il y en avait une. L'allégation d'absence de bonne foi dans la lettre du 6 octobre 1995 adressée à l'appelante est complètement dénuée de fondement.

[26] Les hypothèses sur le fondement desquelles les cotisations ont été établies ont été réfutées. Aucune autre raison de maintenir les cotisations n'a été avancée ou établie. Je crois cependant que certaines des dépenses ont pu être des dépenses en capital. Deux solutions, donc, se présentent à moi. Je pourrais simplement admettre l'appel et ordonner que toutes les dépenses déclarées soient déduites ou je pourrais déférer l'affaire au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations afin de déterminer lesquelles des dépenses sont des dépenses en capital à ajouter à la fraction non amortie du coût en capital de la propriété. Cette dernière solution me semble plus appropriée (voir Sokolowski v. The Queen, 96 DTC 6353). La preuve qui m'a été soumise ne me permet pas de faire cette détermination. Les nouvelles cotisations qui en résulteront devraient être fondées sur la conclusion à laquelle je suis venu que l'appelante avait une attente raisonnable de profit, que les dépenses déduites avaient été correctement prouvées, que l'attribution faite par l'appelante entre l'usage commercial et l'usage personnel était juste et que les pertes ainsi calculées doivent être admises à titre de déductions. Par conséquent, les appels interjetés pour les années 1992, 1993 et 1994 sont admis avec frais et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les présents motifs.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de janvier 1998.

« D. G. H. Bowman »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour d’avril 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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