Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20000921

Dossier: 1999-2937-GST-I

ENTRE :

CHRISTOPHER ROBIN ISAAC,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

[1] La question en litige est celle de savoir si l'appelant est tenu, en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”)[1], de verser la taxe sur les produits et services (“ TPS ”) du fait que Salmon Arm Jewellers Ltd. (“ la société ”) a omis de verser au moment opportun de la TPS nette au receveur général du Canada pour les périodes se terminant aux dates suivantes :

1er janvier 1993, 30 avril 1993, 31 juillet 1993, 31 juillet 1994, 31 juillet 1995, 31 juillet 1996, 31 décembre 1996

[2] Le montant de taxe nette dû pour ces périodes est de 19 094,62 $. Le ministre a également établi des pénalités et des intérêts en vertu du paragraphe 280(1) de la Loi.

[3] L'appelant était le gestionnaire et l'administrateur en titre de la société. Il a témoigné qu'il savait que la TPS avait été mise en place, ayant discuté de celle-ci avec le comptable de la société. Cette dernière exploitait une bijouterie dont les activités, selon son témoignage, avaient été compromises par la diminution de l'activité commerciale dans la région dans laquelle la société exploitait la bijouterie à cause d'un changement de gouvernement provincial. Il a décrit les mesures qu'il avait prises pour améliorer les affaires de la société en s'attendant à ce que cette dernière soit à jour à l'égard de ses obligations relatives à la TPS, les versements de la TPS n'ayant pas été faits pour les périodes susmentionnées.

[4] L'appelant a décrit la façon dont il avait emprunté 20 000 $ en vue de payer la TPS. Il a déclaré avoir offert, en septembre 1997, cette somme à Mme Creiger, une employée de Revenu Canada, en vue de régler la totalité de l'obligation. Il a déclaré qu'elle avait refusé de prendre cette somme. Il a donc, comme il en avait convenu avec le prêteur, rendu les 20 000 $ à ce dernier.

[5] Le ministre a établi la TPS susmentionnée. La société a cessé ses activités dans ses vastes installations pour ouvrir un magasin de taille plus réduite pour continuer l'exploitation, en vain.

ANALYSE ET CONCLUSION

[6] En vertu de l'article 165, l'acquéreur d'une fourniture taxable doit payer la TPS calculée au taux de sept p. 100 de la valeur de la contrepartie de la fourniture. L'article 221 exige de la personne qui effectue cette fourniture qu'elle perçoive la taxe payable par l'acquéreur. L'article 222 prévoit que la personne qui perçoit ladite taxe est réputée détenir ce montant en fiducie pour Sa Majesté jusqu'à ce qu'il soit versé au receveur général.

[7] L'article 228 prévoit que la taxe nette doit être versée au receveur général au plus tard le jour où la déclaration doit être produite pour une période donnée.

[8] L'article 280 prévoit que lorsqu'une personne ne verse pas le montant de la TPS au receveur général dans le délai prévu, ladite personne doit verser une pénalité calculée, sur la base du montant non versé, au taux de six p. 100 par année et des intérêts calculés au taux réglementaire.

[9] L'article 323 prévoit que les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser un montant sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et les pénalités.

[10] Le paragraphe323(2) prévoit trois cas dans lesquels un administrateur d'une société n'est pas responsable. L'appelant n'est pas admissible en vertu de ces exceptions.

[11] Le paragraphe323(3) prévoit que :

L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[12] Comme je l'ai déclaré dans l'affaire Kingsbury v. H.M.Q., (pas encore publiée dans le DTC) dans un jugement daté du 30 juin 2000, je sympathise avec la position de l'appelant. Dans le monde des affaires, un contribuable, lorsqu'il se trouve en difficultés financières, est littéralement poussé à payer ses employés et ses fournisseurs afin de continuer à exploiter son entreprise. Rien dans la bataille pour survivre n'est plus compréhensible. Cependant, le paragraphe 323(1) impose un test strict.

[13] Dans l'affaire Neil Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124, à la page 155 ([1997] 3 C.T.C. 242, à la page 262), le juge Robertson a dit à propos du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu[2] :

Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la “ compétence ” et l'idée de “ circonstances comparables ”. Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme “ objective subjective ”.

À la page 156 (C.T.C.: à la page 263) le savant juge a dit :

[...] Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif da la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.

puis, il a dit :

[...] l'obligation expresse d'agir prend naissance lorsqu'un administrateur obtient des renseignements ou prend conscience de faits qui pourraient l'amener à conclure que les versements posent, ou pourraient vraisemblablement poser, un problème potentiel.

[14] L'appelant, tout à fait conscient des obligations de la société relatives à la TPS, dans une tentative de bonne foi visant à résoudre le problème de la société a emprunté 20 000 $ et les a offerts à Revenu Canada pour régler la question. Dans ces circonstances, il est ahurissant de constater que Revenu Canada ait pu être sourd à cette demande présentée de bonne foi par l'appelant au point de ne pas conclure un règlement avec lui en renonçant aux intérêts et aux pénalités payables en vertu de l'article 280, ou en les annulant, en vertu de son pouvoir de le faire prévu au paragraphe 280(1.1). La somme de 20 000 $ dépassait le montant de TPS dû.

[15] L'appelant est responsable de l'obligation de la société relative à la TPS car il était un administrateur au moment où elle était tenue de verser le montant de la taxe. Il a tenté de garder son entreprise en vie mais n'a pas exercé le degré de soin, de diligence et de compétence nécessaire pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables en ce qui concerne le défaut de la société de verser le montant approprié pour chaque période. En conséquence, l'appel est rejeté.

[16] Comme il a été mentionné ci-dessus, le paragraphe 280(1.1) de la Loi prévoit que le ministre peut renoncer aux intérêts et aux pénalités payables en vertu de l'article 280 ou les annuler. L'article 280 est l'article en vertu duquel les pénalités et les intérêts ont été imposés en l'espèce. Cette cour n'a pas le pouvoir d'intimer au ministre de le faire. Cependant, dans les circonstances, alors que l'appelant a réalisé un effort de bonne foi pour se libérer de sa responsabilité en offrant plus d'argent à Revenu Canada qu'il ne devait de taxe, je ne peux recommander plus fermement que le ministre renonce aux intérêts et aux pénalités ou les annule en l’espèce.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de septembre 2000.

“ R. D. Bell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 16e jour de janvier 2001.

Benoît Charron, réviseur



[1]               Tous les numéros d'articles renvoient à des articles de la Loi.

[2]               Presque identique au paragraphe 323(3).

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