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Date: 19981022

Dossier: 97-3412-IT-I

ENTRE :

GILLES LEFRANÇOIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995. Au cours de ces trois années, l'appelant a exécuté du travail à titre de consultant pour le compte et bénéfice de la société « Scierie des Outardes » .

[2] Il a ainsi reçu et non déclaré les revenus suivants :

Années Revenus non déclarés

1993 17 395 $

1994 32 095 $

1995 37 975 $

[3] Les montants des revenus non déclarés ne sont pas contestés; seules les pénalités imposées et le refus par l'intimée d'accepter les dépenses soumises ont fait l'objet de contestations.

[4] Les pénalités imposées se détaillent comme suit :

Année Revenus non déclarés Pénalités

1993 17 395 $ 2 092,95 $

1994 32 095 $ 3 841,48 $

1995 37 975 $ 4 653,86 $

[5] Pour ce qui est des dépenses que l'appelant voudrait voir soustraire des revenus, elles se détaillent comme suit :

1993 1994 1995

i) Frais de transport

a) Matane-Baie-Comeau

aller-retour – véhicule 451,36 515,84 838,24

b) Matane-Baie-Comeau

traversier 1 327,20 1 516,80 2 464,80

ii) Repas (50 $ par jour) 3 550,00 6 550,00 7 750,00

5 328,56 8 582,64 11 053,04

[6] Le montant des revenus étant admis par l'appelant, le Tribunal doit d'abord évaluer le bien-fondé des prétentions de l'appelant quant aux dépenses et aux frais inhérents à l'exécution du contrat ayant généré les revenus ci-avant décrits et admis.

[7] Madame Lyne Mailloux, responsable du dossier de l'appelant, a témoigné sur les faits et circonstances entourant la découverte des montants non déclarés. Elle a indiqué que l'appelant avait très peu ou pas collaboré.

[8] Selon Madame Mailloux, l'appelant n'a fourni aucune explication justifiant que son principal lieu d'affaires était à sa résidence privée. Elle a donc, de ce fait, conclu que le principal lieu d'affaires de l'appelant était Baie-Comeau, là où se situait le siège social de « Scierie des Outardes » . Conséquemment, elle a refusé le montant des dépenses réclamées en les qualifiant de dépenses personnelles.

[9] Il m'apparaît important de prendre en considération un certain nombre de faits. L'appelant a fait carrière comme surintendant pour le compte et bénéfice de la compagnie « Scierie des Outardes » .

[10] Une rupture intervient au moment où l'appelant décide de prendre sa retraite. Originaire de la Rive Sud, il décide, pour des raisons qui lui sont personnelles, d'y retourner de façon permanente; il y fait l'acquisition d'une résidence.

[11] Il n'y a aucun doute que son domicile est alors sa résidence sur la Rive Sud à compter du moment où il a concrétisé son projet de s'y installer en permanence. Son expérience de vie, ses talents, son expertise l'ont alors suivi.

[12] Connu et reconnu pour son expertise dans un domaine très particulier, relié aux cours d'eau et à la foresterie, il s'est fait offrir un travail de consultant par la compagnie « Scierie des Outardes » , son ex-employeur.

[13] Le travail offert l'obligeait à se déplacer sur la Rive Nord; l'appelant devait de ce fait, encourir des dépenses inhérentes à de tels déplacements.

[14] L'intimée refuse de soustraire le montant des dépenses réclamées soutenant que le principal lieu d'affaires de l'appelant était à Baie-Comeau, au siège social de la société « Scierie des Outardes » .

[15] Il s'agit là d'une conclusion arbitraire non soutenue par quelque fait ou document que ce soit. En fait, l'intimée reproche à l'appelant ce qu'elle-même fait, c'est-à-dire déterminer le principal lieu d'affaires sans aucune pièce justificative pour soutenir ou étoffer sa conclusion.

[16] Où est le principal lieu d'affaires de l'appelant? Je crois important de faire une distinction entre le lieu d'affaires d'un individu et le lieu où sont exécutées les affaires; certes le travail exécuté par l'appelant a été effectué dans la région de Baie-Comeau.

[17] Le lieu d'exécution du travail ou la durée d'exécution du travail n'a strictement rien à voir avec la détermination de la localisation du principal lieu d'affaires. Ce raisonnement conduirait à des aberrations. Ainsi une entreprise pourrait voir changer son principal lieu d'affaires constamment en fonction de l'endroit où elle obtient et exécute ses contrats.

[18] Le principal lieu d'affaires d'un individu ou d'une entreprise est une question mixte de droit et de faits. Il existe certaines indications ou faits très utiles pour déterminer l'endroit du principal lieu d'affaires. Je fais notamment référence à la publicité ciblant un territoire défini, aux annonces dans les annuaires téléphoniques, cartes d'affaires, place d'affaires, local commercial, endroit du secrétariat, centre des décisions, déclaration de raison sociale, etc.

[19] Évidemment plus l'organisation est importante, plus ce genre d'indications sont disponibles, importantes et nombreuses. En l'espèce, l'appelant est seul et retraité en outre; en d'autres termes, il a choisi de mettre un terme à sa vie active.

[20] Or une offre, une opportunité de travail se présente; il y réfléchit et après évaluation, décide de l'accepter mettant ainsi un terme à sa retraite. À partir de ce moment précis seulement, il devient un entrepreneur. Il débute donc son entreprise. Est-il approprié alors d'enregistrer une raison sociale, de placer des annonces, de se faire un bureau, d'engager une secrétaire, etc.?

[21] L'appelant avait alors un seul client et pouvait très bien gérer ses affaires à partir de chez-lui sans faire de dépenses autres que celles reliées à son transport. Pourquoi aurait-il été nécessaire d'engloutir des sommes importantes (toutes déductibles) pour démontrer à Revenu Canada que son principal lieu d'affaires était chez-lui?

[22] Je n'accepte pas ce raisonnement; d'autre part, la prépondérance de la preuve est à l'effet que le lieu principal d'affaires de l'appelant était chez lui à sa résidence. Où était la permanence pour le rejoindre? Où son courrier était-il adressé? Où le Ministère l'a-t-il rejoint?

[23] Cela est d'autant plus juste que le travail exécuté n'était pas à Baie-Comeau. Il devait se déplacer en forêt à l'extérieur de la ville pour l'exécution de son contrat.

[24] L'ensemble des faits et circonstances entourant l'obtention et la réclamation du contrat ayant généré les revenus non déclarés ne soutiennent aucunement la conclusion retenue par l'intimée. À cet égard, le Tribunal détermine que l'appelant avait pleinement droit de déduire les dépenses réclamées des revenus. Il s'agissait de dépenses raisonnables et acceptables, bien qu'il eut été préférable d'avoir les pièces justificatives pour attester du montant réel des dépenses encourues dans le cadre de l'exécution du contrat pour les années en cause.

[25] L'intimée était-elle justifiée d'imposer des pénalités? Je réponds sans hésitation par l'affirmative. Les montants de revenus non déclarés étaient objectivement substantiels et d'une façon toute particulière, si évaluées en fonction des revenus déclarés par l'appelant pour ces trois années d'imposition.

[26] Les explications fournies par l'appelant et son représentant ne peuvent expliquer et, encore moins justifier une pareille négligence tout à fait grossière. Ayant assumé d'importantes responsabilités durant plusieurs années qui l'obligeaient à compter, prévoir et planifier, il est tout à fait invraisemblable que l'appelant ait pu croire qu'il n'avait pas à déclarer ces revenus aussi importants du seul fait que la compagnie payeure ne lui avait pas fourni de T4 ou d'informations précises sur les montants gagnés et payés. Ce sont là des explications inacceptables et invraisemblables.

[27] L'appelant avait signé un contrat. En vertu de ce contrat, il devait effectuer une prestation de travail. Il savait ou devait savoir que l'exécution du travail générait des revenus qui devaient être comptabilisés dans ses revenus annuels.

[28] Les revenus non-déclarés qui émanaient d'une seule et même entreprise, lui étaient dus à la suite de travaux importants exécutés sur de longues périodes; l'excuse de l'oubli, de l'ignorance est tout à fait irrecevable et n'a aucune pertinence pour se soustraire aux pénalités imposées.

[29] L'appelant a soutenu qu'il avait omis de déclarer les revenus parce que la société « Scierie des Outardes » ne lui avait pas fourni de T4 et qu'il ne connaissait pas la durée du contrat.

[30] Encore là, l'importance des montants gagnés discrédite totalement la pertinence d'une telle excuse, d'autant plus que l'appelant était un homme responsable, avisé avec une vaste expérience de la vie. Il ne peut invoquer pareille insouciance pour se libérer d'une obligation aussi fondamentale.

[31] Eu égard aux montants en cause, aux circonstances entourant le cheminement du dossier, à la durée de trois ans du contrat et également à l'expérience de vie de l'appelant et de ses capacités intellectuelles, le Tribunal est d'avis que l'intimée s'est acquittée de son fardeau d'établir que l'appelant avait sciemment fait et omis de déclarer les montants importants.

[32] Les explications et justifications de l'appelant quant à la non-déclaration sont objectivement peu crédibles et surtout pas suffisantes. Il s'agissait de sommes considérables obtenues des suites d'un travail exigeant et important exécuté sur de longues périodes. L'absence de documentation fournie par le payeur des services n'était pas recevable.

[33] Notre collègue, l'honorable juge Pierre Dussault a bien exprimé l'étendue des obligations du contribuable en cette matière. Il s'exprimait comme suit dans l'affaire Denis Comptois et Sa Majesté la Reine (97-1134(IT)I) aux paragraphes 53 et 55:

Dans la mesure où toutes les personnes intéressées savaient que la façon de procéder du syndicat n'était pas correcte et qu'il fallait régulariser la situation puisqu'on était devenu conscient que les sommes versées pour les « libérations syndicales » constituaient du revenu, il est difficile de conclure que ces personnes aient pu être de bonne foi en s'abstenant délibérément de déclarer les sommes reçues au motif que des T-4 n'avaient pas été émis. Sachant que le syndicat n'en avait jamais émis et que cette situation était irrégulière on ne peut tout de même pas prétendre qu'on croyait toujours que c'était l'émission des T-4 plutôt que la réception des sommes qui était l'élément déterminant.

...

Il n'est pas nécessaire d'avoir recours à une abondante jurisprudence sur le concept de faute lourde et sur les circonstances atténuantes qu'il importe de retenir aux fins de l'application du paragraphe 163(2) de la Loi lorsque la preuve démontre qu'un contribuable a volontairement fait défaut de déclarer des sommes reçues alors qu'il les savait imposables. Que l'omission soit le résultat d'un excès de confiance ou d'une manifestation de solidarité syndicale ne réduit pas la responsabilité individuelle imposée à tout contribuable. Dans les circonstances, s'abstenir, attendre ou fermer les yeux est faire un acte volontaire. C'est précisément ce que le mot « sciemment » utilisé au paragraphe 163(2) de la Loi signifie lorsqu'on énonce les conditions d'application de la pénalité notamment dans les termes suivants : « toute personne qui, sciemment ... fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, ... ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité ... » .

[34] Pour tous ces motifs, l'appel est accueilli en partie en ce que l'appelant avait droit de déduire des dépenses au montant de 5 328,56 $ pour l'année d'imposition 1993, de 8 582,64 $ pour l'année d'imposition 1994 et de 11 053,04 pour l'année d'imposition 1995.

[35] Pour ce qui est des pénalités, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d'octobre 1998.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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