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Date: 19990217

Dossier: 97-1225-UI

ENTRE :

COMPAGNIE D'ASSURANCE COMBINED D'AMÉRIQUE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant MacLatchy, C.C.I.

[1] L'appelante a demandé à l'intimé de régler la question de savoir si la travailleuse, Kimberly Fournier (maintenant Kimberly Bessette), occupait un emploi assurable, au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ), pendant la période où elle a travaillé pour elle, soit du 13 mai au 17 juillet 1996.

[2] L'intimé a informé l'appelante que l'emploi de la travailleuse chez l'appelante au cours de la période en question était assurable parce que la travailleuse était engagée aux termes d'un contrat de louage de services.

[3] Les parties ont admis les faits suivants :

a) l'appelante est une compagnie d'assurance qui vend divers produits d'assurance dont l'assurance de personnes, l'assurance contre les accidents et la maladie et l'assurance hospitalisation supplémentaire au Canada, et qui est en affaires depuis 1956 au Canada;

b) la travailleuse a été engagée comme représentante de commerce pour vendre les produits et services de la Compagnie ainsi que des renouvellements des polices existantes dans une région éloignée du nord de l'Alberta. Linda Bowers était la directrice de district pour le territoire et Mike Charko était le directeur des ventes au cours de la période en question. En tant que représentante de commerce, la travailleuse devait détenir le permis exigé sous le régime des lois de la province de l'Alberta relatives à l'assurance. Elle devait faire renouveler le permis et faire les remises nécessaires aux termes des lois de l'Alberta pour vendre des produits d'assurance. Elle devait être recommandée par une compagnie d'assurance au moyen d'un certificat d'autorisation remis au ministère de l'assurance de l'Alberta afin d'obtenir le permis nécessaire pour vendre les produits d'assurance de l'appelante. Pour aider la travailleuse à obtenir son permis et pour la familiariser avec ses produits et ses méthodes de vente, l'appelante a convié la travailleuse à un cours de trois semaines à Calgary (Alberta). La Compagnie assumait les frais d'une chambre pour deux personnes à un certain motel et la travailleuse prenait en charge tous les autres frais de subsistance pendant son séjour. La première semaine était consacrée à l'acquisition des connaissances requises, soit les lois applicables en matière d'assurance dans la province, pour l'obtention du permis. Les deux autres semaines étaient consacrées à l'acquisition de connaissances sur les produits de l'appelante. Avant d'entreprendre la formation, la travailleuse a signé une entente de stagiaire, non pas avec l'appelante, mais avec le directeur des ventes, Mike Charko, aux termes de laquelle elle s'engageait à assumer ses propres dépenses pendant la période de formation. Il a été convenu que la compagnie n'était pas tenue d'offrir à la travailleuse un « contrat de louage de services pour vendre de l'assurance comme entrepreneur indépendant » ;

c) après la première semaine de formation, la travailleuse a payé les frais d'examen et, après avoir réussi celui-ci, a versé des droits de permis au gouvernement. Une fois les deux autres semaines de formation terminées, et après avoir versé un dépôt pour les documents de formation, la travailleuse est retournée dans le nord de l'Alberta où elle a commencé à vendre les produits d'assurance de l'appelante;

d) le directeur des ventes et la directrice de district ont signé un engagement de garantie avec la travailleuse garantissant à celle-ci un revenu total de 3 200 $ pour les huit premières semaines comme « entrepreneur indépendant » chargé de vendre les produits de l'appelante. Entre autres choses, la travailleuse était tenue de remplir un rapport hebdomadaire précisant le nombre de jours et les endroits où elle avait vendu et renouvelé des polices et les fonds (comptant et chèques) reçus à titre de paiement. L'une ou l'autre partie pouvait mettre fin à l'engagement en donnant deux semaines de préavis, le directeur se réservant le droit de mettre fin aux services de la travailleuse à n'importe quel moment s'il(elle) était raisonnablement d'avis que la travailleuse n'était pas douée pour le travail, notamment;

e) la travailleuse a aussi cosigné une entente avec l'appelante appelée un entente de représentation type de la Combined. Ce document, ainsi que les autres ententes mentionnées précédemment, ont été déposés sous la cote A-1 avec les états financiers indiquant les revenus de la travailleuse au cours de sa période d'emploi et une liste des postes des personnes et des employés de l'appelante qui étaient à salaire ou à commission. La directrice de district, le directeur des ventes et la représentante de commerce (c'est-à-dire la travailleuse) étaient payés à commission seulement. Tous les autres employés qui occupaient des postes de niveau supérieur aux leurs dans la Compagnie étaient salariés;

f) les revenus de vente de la travailleuse (pièce A-1) indiquaient les commissions de vente auxquelles elle avait droit au cours de sa période d'emploi chez l'appelante. Étaient portés en déduction de ces revenus les montants de garantie qui avaient été convenus et une couverture de 10 % contre les annulations. Cette comptabilité était établie par l'appelante étant donné que c'était la façon la plus efficace de faire les comptes chaque semaine ou aux deux semaines entre toutes les parties concernées. Il n'y avait rien d'obligatoire dans cette façon de faire;

g) la travailleuse a commencé à vendre les produits de l'appelante le 27 mai 1996 après avoir obtenu une assurance de fidélité exigée par l'appelante, dont elle a personnellement assumé les frais. Elle a cessé de travailler pour l'appelante pour des raisons personnelles le 17 juillet 1996 ou vers cette date.

[4] La Cour doit déterminer si la travailleuse avait été engagée aux termes d'un contrat de louage de services ou d'un contrat d'entreprise (c'est-à-dire, si elle était une employée de l'appelante ou une entrepreneure indépendante). Le droit sur cette question a évolué lentement au fil des années. L'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025, de la Cour d'appel fédérale, énonce ce qu'elle a déterminé être la meilleure méthode pour définir l'ensemble de la relation des parties en tenant compte de tous les faits pertinents. Quatre critères devaient être utilisés pour analyser les faits :

(i) le contrôle et la supervision – la travailleuse était-elle contrôlée et dirigée par le propriétaire de l'entreprise et pouvait-elle être suspendue ou renvoyée?

(ii) les chances de bénéfice et les risques de perte – l'employée pouvait-elle retirer un bénéfice de l'entreprise et (ou) subir des pertes si l'entreprise faisait faillite? La travailleuse a-t-elle payé ses propres dépenses, etc.?

(iii) propriété des instruments de travail – qu'a-t-on fourni, le cas échéant, à la travailleuse pour exécuter son travail?

(iv) l'organisation ou le critère de l'intégration – à qui l'entreprise appartient-elle, comment les parties perçoivent-elles leurs relations et quelle était la véritable nature de cette relation compte tenu des faits exposés?

Aucun critère n'est déterminant – tous les éléments de preuve doivent être examinés et tous les critères doivent être appliqués afin de déterminer la totalité de la relation en litige.

[5] Le premier critère du contrôle et de la supervision n'est pas concluant dans les circonstances. L'appelante a donné trois semaines de formation à la travailleuse avant qu'elle commence à vendre ses produits. Une partie de la formation devait permettre à la travailleuse d'obtenir le permis exigé par les autorités gouvernementales, ce qui était un préalable pour vendre les produits de l'appelante. La travailleuse a assumé ses propres frais de subsistance pendant la période de formation. Elle a payé pour « subir l'examen » exigé par le gouvernement et, ayant réussi celui-ci, elle a acquitté les droits d'obtention du permis. L'appelante a fourni une trousse de formation pour laquelle la travailleuse a dû verser un dépôt qui devait lui être remboursé lorsqu'elle la retournerait. Cette trousse contenait du matériel et des formulaires pour vendre les produits de l'appelante ainsi que des informations sur les produits de cette dernière pour permettre à la travailleuse de les expliquer aux clients; cela servait les intérêts de l'appelante et ceux de la travailleuse.

[6] La travailleuse et l'appelante ont signé une entente de représentation avant que la travailleuse soit engagée pour vendre les produits. L'entente prévoyait notamment que la travailleuse était un « entrepreneur indépendant » et qu'elle était nommée pour agir pour le compte de l'appelante à titre non exclusif et pour vendre ses produits, mais qu'elle « ne pouvait pas renoncer au paiement des primes ou prolonger la période de paiement ni ne pouvait modifier les modalités, taux ou conditions des polices d'assurance de la Compagnie, ou y renoncer [...] » .

[7] La travailleuse devait recevoir une commission sur ses ventes dont le taux devait être fixé par l'appelante et rendre compte à l'appelante des chèques ou de l'argent comptant reçus pour ces ventes. Elle pouvait faire de la publicité, mais celle-ci devait au préalable être approuvée par l'appelante, même s'il incombait à la travailleuse de prendre à sa charge les coûts.

[8] L'une ou l'autre des parties pouvait mettre un terme à l'entente en donnant un préavis de deux semaines, mais l'appelante pouvait mettre fin sur-le-champ à l'emploi de la travailleuse si celle-ci ne réglait pas ses comptes sur demande ou commettait un larcin ou violait toute loi ou tout règlement en matière d'assurance.

[9] Les détails de l'entente et de la relation entre l'appelante et la travailleuse ont été exposés de manière concise et articulée par M. Charles Bastin, vice-président, Administration des ventes, pour l'appelante. Sa connaissance intime du secteur de l'assurance et les renseignements fournis sans détour au sujet des opérations de l'appelante ont été très utiles à la Cour. Il a indiqué que le secteur de l'assurance est très fortement contrôlé par le gouvernement, la réglementation à appliquer étant très volumineuse et très complexe. L'appelante devait s'assurer, en signant des ententes avec la travailleuse, que toutes les lois et tous les règlements étaient appliqués; il lui était donc nécessaire de superviser la travailleuse, dans une certaine mesure, y compris d'approuver toute la publicité. Aucun travailleur ne peut être tenu d'avoir une connaissance intime des lois et règlements, comme c'est le cas de l'appelante par le truchement de ses divers services, pour éviter les transgressions. M. Bastin a convenu que l'appelante avait préparé l'entente avec le stagiaire et l'engagement de garantie à l'intention des directeurs de district et des ventes, mais qu'elle n'était pas partie à l'une ou l'autre entente et qu'elle n'avait pas exigé la signature d'une telle entente avec la travailleuse. C'était un service rendu aux signataires, les formulaires d'entente étant préparés en fonction des exigences de la loi et des besoins des parties. Toutefois, l'engagement de garantie était exigé par l'appelante afin de satisfaire aux exigences de la loi et de définir la relation entre l'appelante et la travailleuse.

[10] Le témoignage de Linda Bowers, la directrice de district de l'appelante à l'époque pertinente, a permis de mieux comprendre les activités quotidiennes de la Compagnie et de la travailleuse. Des réunions hebdomadaires avaient lieu tôt le lundi matin au bureau de la directrice de district ou du directeur des ventes afin que les fiches de renouvellement des polices existantes qui arrivaient à échéance puissent être distribuées aux représentants de commerce du secteur. Il n'y était question que du renouvellement des polices et les représentants de commerce qui ne voulaient pas s'occuper des renouvellements n'étaient pas tenus d'assister à ces réunions. La travailleuse, Kimberly Bessette (née Fournier), a témoigné pour l'intimé et indiqué qu'elle aimait assister à ces réunions parce qu'elle s'occupait des renouvellements et qu'elle rencontrait les autres représentants de son secteur pour discuter des problèmes communs et parfois même les résoudre. Si elle avait des questions pour la directrice de district ou le directeur des ventes, les réunions étaient une occasion d'obtenir des réponses fondées sur leur expérience et leurs connaissances. Ces réunions la rendaient mieux à même de réaliser des ventes dans le domaine ainsi que d'augmenter ses commissions et son revenu. Elles n'étaient toutefois pas obligatoires.

[11] Quand elle se déplaçait dans son secteur désigné (lequel était convenu entre les directeurs et la travailleuse), Mme Bessette devait assumer ses frais de repas, de téléphone, de chambre d'hôtel, de location de voiture, d'essence, de réparation, de contravention et autres. Parfois, le directeur des ventes ou la directrice de district lui payait un repas ou une chambre d'hôtel pour l'encourager ou pour l'inciter à faire des ventes, mais le reste du temps elle était responsable de ses propres dépenses.

[12] Mme Bessette sa déclaré que personne ne lui disait à quelles heures elle devait travailler, quand elle devait le faire, où elle devait aller ou combien de visites elle devait effectuer. Elle établissait son propre programme compte tenu de ses objectifs personnels pour la semaine. Elle se présentait au bureau du directeur des ventes les vendredis généralement pour remettre son relevé des ventes ainsi que l'argent et les chèques reçus. Si elle ne le faisait pas, les termes de l'entente de garantie ne pouvaient pas être appliqués et elle ne pouvait pas être payée. L'appelante tenait lieu de service bancaire central gratuit pour les directeurs et la travailleuse. C'était pratique pour tous.

[13] Essentiellement, l'appelante exerçait un minimum de contrôle et de supervision en grande partie parce qu'elle y était tenue par la loi dans le secteur de l'assurance et, dans une moindre mesure, pour permettre à la représentante de commerce de valider ses ventes de temps à autre. Autrement, il semble que la représentante de commerce déterminait ses heures de travail, la méthode de vente et ses ambitions personnelles dans l'entreprise au quotidien.

[14] Les chances de bénéfice et les risques de perte étaient un facteur important dans la relation entre l'appelante et la travailleuse. Mme Bessette touchait des commissions sur les ventes, qu'il s'agisse de renouvellements de polices existantes ou de ventes de polices à de « nouveaux clients » . Le taux de commission était sensiblement plus élevé dans le cas des polices vendues à de « nouveaux clients » (polices vendues aux clients de la travailleuse plutôt qu'aux clients de l'appelante). La travailleuse pouvait accroître son revenu en recrutant cette nouvelle clientèle plutôt qu'en renouvelant des polices existantes. Le nombre d'heures qu'elle consacrait à son travail et les méthodes qu'elle utilisait pour vendre le nouveau produit pouvaient accroître sensiblement son revenu. Elle contrôlait ses propres frais d'exploitation. S'ils étaient contenus, son revenu pouvait s'en trouver sensiblement accru; dans le cas contraire, elle pouvait subir d'énormes pertes. C'était sa propre entreprise et elle courait le risque de subir des pertes, mais elle pouvait aussi faire beaucoup d'argent si elle était une bonne représentante de commerce. Elle pouvait également poursuivre d'autres intérêts ou vendre d'autres produits d'assurance à la condition de ne pas faire concurrence à l'appelante.

[15] Propriété des instruments de travail – la travailleuse, du fait du contrat de représentation, était responsable de ses propres dépenses. L'achat ou la location de la voiture, l'espace de bureau (à la maison ou dans des locaux loués), les frais d'entretien et d'assurance du véhicule et de tout autre matériel acheté, les frais de téléphone et d'interurbains, la papeterie, les cartes d'affaires, de même que les frais de repas et d'hébergement étaient l'entière responsabilité de Mme Bessette dans cette affaire. De toute évidence, la travailleuse était propriétaire des instruments de travail.

[16] Intégration – Mme Bessette et l'appelante ont précisé dans le contrat de représentation qu'elle était une entrepreneure indépendante. Dans la hiérarchie des représentants de commerce, les directeurs des ventes et les directeurs de district sont tous considérés comme des entrepreneurs indépendants dont le revenu provient totalement des commissions sur les ventes plutôt que d'un salaire. Ils dirigeaient leur propre entreprise, ce qui veut dire qu'ils créaient leur propre clientèle, qu'ils embauchaient le personnel de soutien, tenaient à jour les permis, faisaient les remises exigées, payaient les assurances responsabilité et fidélité requises sans ingérence de la part de l'appelante ou sans obtenir l'approbation de celle-ci.

[17] Le fait que la travailleuse fût tenue de remettre des rapports hebdomadaires était autant une exigence réglementaire du gouvernement qu'une exigence de l'appelante, mais c'était nécessaire pour que soient reconnues à la travailleuse les ventes qu'elle avait effectuées. La garantie de 3 200 $ donnée à Mme Bessette pour une période de huit semaines lorsqu'elle a commencé à vendre des produits découlait d'une entente entre elle et le directeur des ventes et la directrice de district dont l'appelante était exclue. Le montant de la garantie était imputable sur ses commissions de vente et était considéré comme un moyen d'encourager les représentants de commerce qui s'inquiétaient pour leur revenu du fait qu'ils ne réalisaient pas immédiatement des ventes.

[18] Le fait que l'appelante et Mme Bessette croyaient toutes deux qu'elles avaient créé un contrat d'entreprise ne permet pas nécessairement de trancher la question, mais c'est un élément de preuve probant à l'appui de la relation qui existait entre elles. Les deux parties croyaient qu'un représentant de commerce était un entrepreneur indépendant et elles fonctionnaient toutes les deux comme si c'était leur intention manifeste.

[19] Si on examine tous les aspects de la relation en appliquant les critères établis, la travailleuse était engagée en vertu d'un contrat d'entreprise et n'occupait pas un emploi assurable aux termes de la Loi. La preuve établit nettement que la travailleuse n'était pas une employée de l'appelante, mais un entrepreneur indépendant.

[20] L'appel est donc accueilli et la décision du ministre du Revenu national est annulée.

Signé à Toronto (Ontario), ce 17e jour de février 1999.

« W.E. MacLatchy »

J.S.C.C.I.

[Traduction française officielle]

Traduction certifiée conforme ce 6e jour de décembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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