Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19981007

Dossiers: 96-4184-IT-G; 96-4712-IT-G

ENTRE :

WHITLAND CONSTRUCTION COMPANY LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Teskey, C.C.I.

[1] L'appelante interjette appel contre des nouvelles cotisations d'impôt relatives à ses années d'imposition 1991, 1992 et 1993.

La question en litige

[2] Il s'agit uniquement de savoir si, dans le calcul de son revenu pour son année d'imposition 1991, l'appelante a le droit de déduire un montant de 1 701 375 $ à titre de mauvaise créance ou de créance irrécouvrable en vertu du sous-alinéa 20(1)p)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

[3] Le sous-alinéa 20(1)p) se lit comme suit :

(1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant :

[...]

p) le total des montants suivants:

(i) les créances du contribuable qu'il a établies comme étant devenues de mauvaises créances au cours de l'année et qui sont incluses dans le calcul de son revenu pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure,

(ii) les montants dont chacun représente la partie du coût amorti, pour le contribuable, à la fin de l'année d'un prêt ou d'un titre de crédit qu'un contribuable — qui est un assureur ou dont l'entreprise habituelle consiste en partie à prêter de l'argent — a consenti ou acquis dans le cours normal de ses affaires, qu'il a établie comme étant devenue irrécouvrable au cours de l'année;

[...]

[4] Il est reconnu que, pour l'application de cette disposition, les quatre conditions suivantes doivent être remplies :

1. Il doit y avoir un prêt;

2. Le prêt doit avoir été consenti “ dans le cours normal de ses affaires ”;

3. Le prêt doit avoir été consenti par un contribuable (qui est un assureur ou) “ dont l'entreprise habituelle consiste en partie à prêter de l'argent ”;

4. Le contribuable doit avoir établi que le prêt est devenu irrécouvrable au cours de l'année.

[5] L'intimée reconnaît que les conditions 1, 3 et 4 sont réunies, de sorte qu'il ne reste qu'à déterminer si les prêts en question ont été consentis “ dans le cours normal des affaires de l'appelante ”.

Les faits

[6] Charles Gold (“ M. Gold ”), qui est médecin et professeur adjoint à la Faculté de médecine de l'Université de Toronto (il est chargé de cours en obstétrique et en gynécologie, sa spécialité) est président, unique actionnaire et fondateur de la compagnie appelante.

[7] M. Gold a témoigné sans hésiter et sans être évasif. Je retiens entièrement son témoignage quant aux faits.

[8] Étant donné l'aveu que l'intimée a fait à l'audience, la plupart des présomptions sur lesquelles s'était fondé le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) au moment où la cotisation a été établie ne sont pas pertinentes.

[9] Compte tenu du témoignage que M. Gold a présenté sous serment et de la production de 48 documents qui corroborent entièrement le témoignage oral, je conclus que les prêts ont été consentis dans le cours normal des affaires de l'appelante.

[10] L'appelante, qui est une compagnie privée fort rentable, s'occupe d'aménagement de terrains et d'octroi de prêts depuis 1962.

[11] Dans le cadre de ses activités d'octroi de prêts, l'appelante :

(1) participe à des coentreprises qui s'occupent de l'aménagement de terrains utilisés à des fins industrielles ou pour des commerces de détail ou des habitations;

(2) consent des prêts à des locataires;

(3) accorde des prêts hypothécaires en vue de faciliter les ventes;

(4) achète des effets de commerce de sociétés canadiennes.

[12] En 1988, lorsque le secteur de l'aménagement immobilier était en plein essor, on a demandé à l'appelante de participer à plusieurs coentreprises. Sept coentreprises envisagées, qui se rapportaient toutes à des projets d'aménagement immobilier, satisfaisaient aux critères d'investissement de l'appelante. De l'avis de M. Gold, il s'agissait de bonnes affaires.

[13] Sur les conseils de spécialistes, M. Gold a décidé qu'il était temps que ses trois enfants adultes s'occupent directement d'aménagement immobilier. Par conséquent, son fils Jamie, qui détient un diplôme d'économie et un diplôme de droit de l'Université de Toronto, et son autre fils Paul, qui détient trois diplômes universitaires, ainsi que sa fille Barbara, qui s'occupait de la compagnie de sa mère, Garthhome, ont chacun séparément constitué des compagnies sous le nom de Barlaco Holdings Inc., de Sandbox Holdings Inc. et de Revolver Holdings Inc. (collectivement appelées les compagnies B.S.R.).

[14] La constitution des compagnies B.S.R. constituait pour l'appelante un moyen de répartir tout risque que pouvaient présenter les sept coentreprises, tout en permettant à M. Gold de planifier sa succession.

[15] L'appelante a pris part à deux des coentreprises envisagées et a fait en sorte que les compagnies B.S.R. participent aux cinq autres coentreprises.

[16] Les cinq coentreprises auxquelles les compagnies B.S.R. ont participé sont connues sous les noms suivants :

(1) Seclusion

(2) Wilberford

(3) CamLane

(4) Kokomo

(5) Guelph - Grangehill

[17] Ces coentreprises peuvent brièvement être décrites comme suit :

Seclusion était une entreprise s'occupant de l'aménagement d'un terrain de 150 acres près de Barrie (Ontario), dont le coût total était de 14,1 millions de dollars, la participation de B.S.R. étant de 5 p. 100;

Wilberford s'occupait de l'aménagement d'un emplacement industriel projeté de 40 acres près d'Aurora, dont le prix d'achat était de 9 millions de dollars, la participation de B.S.R. étant de 5 p. 100;

CamLane s'occupait d'un regroupement de terrains de 700 acres dans la région de Keswick, exigeant un investissement de 43 millions de dollars, la participation de B.S.R. étant de 2 p. 100;

Kokomo s'intéressait à l'aménagement d'un terrain de 750 acres nécessitant trois achats distincts et exigeant un investissement de 103 millions de dollars, la participation de B.S.R. étant de 2,5 p. 100;

Guelph-Grangehill s'occupait de deux projets distincts, l'un étant situé dans la ville et l'autre dans le canton, d'une superficie totale de 846 acres et d'un coût total de 16,8 millions de dollars, la participation de B.S.R. étant de 2 p. 100.

[18] M. Gold a décidé que ces cinq coentreprises étaient des entreprises commerciales sûres; l'appelante aurait directement participé à ces coentreprises si M. Gold n'avait pas décidé d'y faire participer ses enfants comme il en a ci-dessus été fait mention. M. Gold était signataire autorisé pour chacune des compagnies B.S.R. de façon que les coentrepreneurs, qui se sentaient à l'aise avec lui, ne s'opposent pas à la participation de B.S.R.

[19] M. Gold croyait que les sept projets étaient des bonnes affaires auxquelles il convenait de prendre part. Les principaux intéressés étaient ses deux beaux-frères, Ralph Halbert et Jack Rose, avec qui il traitait continuellement depuis 1962. Les autres intéressés étaient des personnes bien connues dans le secteur de l'aménagement immobilier en Ontario.

[20] L'appelante a prêté aux trois compagnies B.S.R., pour leur permettre de prendre part à ces cinq coentreprises, l'argent qu'elle aurait investi si elle avait directement participé aux projets en question, au taux préférentiel plus un demi pour cent.

[21] Ces prêts étaient inscrits dans les états financiers des quatre compagnies. Les prêts n'ont été formalisés qu'en 1992.

[22] Il importe peu que les prêts n'aient été formalisés qu'en 1992. M. Gold traitait avec ses trois enfants et, puisqu'il était signataire autorisé pour chacune des trois compagnies B.S.R., il n'était pas réellement nécessaire de formaliser ces prêts.

[23] Malheureusement, le ralentissement de 1990 a fait perdre toute valeur à ces projets.

[24] De petites sommes d'argent ont continué à être prêtées même après le ralentissement; le sort était jeté. Il était tout à fait sensé, sur le plan commercial, de consentir ces prêts supplémentaires et je ne puis tenter de deviner les intentions de M. Gold.

[25] M. Gold a déclaré dans son témoignage qu'il convient parfois d'aller de l'avant en espérant que la situation économique change et qu'un projet puisse être sauvé et l'argent récupéré. Il a déclaré que, si un promoteur abandonne un projet, c'est-à-dire que si le vendeur reprend possession de la propriété ou si la banque effectue une saisie, il est impossible de récupérer les fonds investis.

[26] Je suis convaincu que M. Gold a pris toutes ses décisions en cherchant uniquement à réaliser un bénéfice. L'appelante aurait directement placé dans les coentreprises l'argent qu'elle a prêté aux compagnies B.S.R. si M. Gold n'avait pas décidé de répartir le risque entre les différents projets. Si les compagnies B.S.R. n'avaient pas participé aux cinq coentreprises, l'appelante l'aurait fait; l'argent aurait néanmoins été investi et perdu.

[27] Les prêts qui ont été consentis aux compagnies B.S.R. étaient de véritables prêts; ils ont été consentis par l'appelante, qui s'occupait de prêter de l'argent, et ils ont été consentis dans le cours normal des affaires.

[28] Pour ces motifs, les appels sont admis avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d'octobre 1998.

“ Gordon Teskey ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de mai 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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