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Date: 19990630

Dossier: 98-1031-IT-G

ENTRE :

CONTINENTAL LIME LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] Au cours de ses années d'imposition 1991, 1992 et 1993, l'appelante a payé au total 342 726 $ de frais juridiques concernant sa défense dans une poursuite judiciaire. La principale question est de savoir si les dépenses ont été engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Une question secondaire, non liée à la première, est de savoir si certains frais d'emballage, de chargement et de transport sont admissibles aux fins du calcul de la déduction en matière de fabrication et de transformation conformément au paragraphe 125.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et à l'article 5202 du Règlement de l'impôt sur le revenu.

[2] En ce qui a trait à la première question, la plupart des faits n'étaient pas contestés, et un exposé conjoint des faits a été déposé. De plus, ont témoigné les personnes suivantes : Wayne J. Wagner, soit le directeur financier de l'appelante, Robert J. Mair, soit le conseiller juridique de l'appelante, et William M. Everett, soit l'un des avocats ayant agi pour l'appelante dans sa défense relative à la poursuite judiciaire.

[3] L'appelante exploite une entreprise consistant à extraire de la pierre à chaux à partir de laquelle elle produit de la chaux. Elle est le plus grand producteur de chaux de l'Ouest du Canada et a des carrières ainsi que des installations de production au Manitoba, en Alberta et en Colombie-Britannique. Très brièvement, les faits peuvent être résumés comme suit. En 1983, la Candou Industries Ltd. a fait faillite; elle détenait 17 p. 100 des actions de la Steel Brothers Canada Ltd. (la “ SB Canada ”), soit le prédécesseur de l'appelante. La Steel Brothers Canadian Holdings Ltd. (la “ SB Holdings ”) détenait les actions restantes. La Candou avait donné les actions en gage à la Banque de Montréal. La Banque a, de concert avec le syndic de faillite pour la Candou, vendu les actions à la SB Holdings pour 6 000 000 $. En 1989, le successeur de la SB Holdings a vendu ces actions pour 34 000 000 $[1]. La Med Finance, qui soutenait que la Candou lui devait de l'argent, a poursuivi l'appelante : elle alléguait que la vente qui avait été faite par la Banque l'avait été pour une somme fortement sous-évaluée et elle réclamait des dommages-intérêts. L'appelante a gagné dans sa défense relative à cette poursuite, mais elle a déboursé 342 726 $ de frais juridiques, qu'elle a cherché à déduire de ses revenus autres que des gains en capital. L'exposé conjoint des faits déposé par les parties dit notamment ceci :

[TRADUCTION]

4. Durant toute la période pertinente, les activités de l'appelante consistaient généralement en ce qui suit :

a) enlever les terrains de couverture;

b) forer et dynamiter la pierre à chaux sous-jacente;

c) charger les gros morceaux de pierre à chaux dans des camions industriels à bascule, puis transporter la pierre jusqu'au concasseur, soit environ 1/2 mille plus loin pour ce qui est des chantiers de Pavillion et de Faulkner et 8 milles plus loin pour ce qui est du chantier d'Exshaw;

d) broyer la pierre à chaux en petits morceaux d'environ 2 pouces sur 3/4 de pouce;

e) mettre la pierre à chaux dans un four et la porter à des températures très élevées (remarque : lorsque la pierre à chaux est chauffée, sa composition change; le carbonate de calcium (CAO3) devient de l'oxyde de calcium (CAO), et la pierre à chaux devient de la chaux);

f) selon la commande du client, la chaux peut être vendue en vrac ou peut devoir être mise en sac, c'est-à-dire dans des sacs contenant 5 tonnes de chaux.

5. Le 10 novembre 1989, une société du nom de Med Finance Co. S.A. (la “ Med Finance ”) a intenté une poursuite judiciaire contre l'appelante et plusieurs autres parties. L'appelante était incluse dans la poursuite parce qu'elle était le successeur, par voie de fusion, des sociétés Steel Brothers Canada Ltd. (la “ SB Canada ”) et Steel Brothers Canadian Holdings Ltd. (la “ SB Holdings ”). La poursuite judiciaire résultait des faits suivants :

a) la Med Finance était, durant toute la période pertinente, un créancier d'une société du nom de Candou Industries Ltd. (la “ Candou ”);

b) la Candou détenait environ 17 p. 100 des actions de la SB Canada; la SB Canada exploitait une entreprise de matériaux de construction, de chaux et d'agrégat de pierre à chaux; la Candou avait donné en gage les actions qu'elle détenait dans la SB Canada (les “ Actions ”), c'est-à-dire qu'elle les avait remises à la Banque de Montréal (la “ Banque ”) en garantie de sommes d'argent avancées par la Banque à la Candou conformément à divers arrangements commerciaux; les actions restantes de la SB Canada étaient détenues par la SB Holdings;

c) en 1983, après la faillite de la Candou, la Banque a vendu les Actions à la SB Holdings, de sorte que la SB Canada est devenue pratiquement une filiale en propriété exclusive de la SB Holdings.

6. En vertu d'une convention en date du 5 mai 1989, toutes les actions de la SB Holdings ont été vendues à un tiers, la 360283 B.C. Ltd., soit une filiale en propriété exclusive de la Graymont Ltd.

7. L'appelante est la compagnie issue d'une fusion des sociétés suivantes, entre autres : la SB Holdings, la SB Canada et la 360283 B.C. Ltd. (la “ fusion ”); ainsi, elle était responsable à l'égard de toutes obligations contractées par la SB Holdings et la SB Canada. La convention de fusion était datée du 15 juin 1989, et le certificat de fusion a été délivré le 4 juillet 1989.

8. Toutes les actions des prédécesseurs de l'appelante, y compris les Actions, ont disparu par suite de la fusion.

9. Dans la poursuite judiciaire qu'elle avait intentée contre l'appelante, la Med Finance soutenait que la vente des Actions, par la Banque à la SB Holdings, avait été faite pour une somme fortement sous-évaluée; la Med Finance réclamait des dommages-intérêts à l'appelante pour le motif que cette dernière “ avait été négligente et avait agi frauduleusement dans ses déclarations et qu'elle avait conspiré pour que la valeur des Actions soit déclarée en moins et que la vente soit faite pour une somme sous-évaluée ”.

10. Le 21 juillet 1994, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté l'action contre l'appelante et les autres parties défenderesses. Le jugement de la Cour accordait des dépens à l'appelante et aux autres parties défenderesses. Toutefois, seule une fraction des dépens adjugés par la Cour a été recouvrée par l'appelante, car la Med Finance était une compagnie panaméenne sans actifs exigibles sur le territoire de la juridiction.

11. La Med Finance a interjeté appel devant la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, puis, le 1er novembre 1994, elle a abandonné son appel.

12. Dans sa défense relative à la poursuite intentée par la Med Finance, l'appelante a engagé et payé en 1991, en 1992 et en 1993 des frais juridiques de 22 826 $, de 100 039 $ et de 219 861 $ respectivement (appelés collectivement les “ frais juridiques ”).

13. Dans le calcul de son revenu pour ses années d'imposition 1991, 1992 et 1993, l'appelante a déduit les frais juridiques comme suit :

Année d'imposition Frais juridiques déduits

1991 22 826 $

1992 100 039 $

1993 219 861 $

Total 342 726 $

14. Dans le calcul de son revenu pour ses années d'imposition 1992, 1993 et 1994, l'appelante a déduit certaines sommes concernant des activités “ de chargement et de transport ” et des activités “ de mise en sac ” en vertu du paragraphe 125.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”), en tant qu'activités de fabrication et de transformation.

[4] Si elle avait été couronnée de succès, la poursuite de la Med Finance aurait donné lieu à un jugement condamnant l'appelante à payer 23 000 000 $, plus les intérêts. Le procès a duré 24 jours. En l'espèce, l'intimée a refusé la déduction demandée par l'appelante à l'égard des 342 726 $[2] de frais juridiques payés sur trois ans.

Thèse de l'appelante

Frais juridiques

[5] L'appelante soutient qu'elle a été obligée de payer des frais juridiques pour assurer sa défense et celle de son administrateur, A. D. Laird, dans la poursuite judiciaire qui avait été engagée, afin de protéger sa réputation commerciale de même que sa structure productive de bénéfices de manière à pouvoir continuer d'exploiter son entreprise, et elle soutient que ces frais sont déductibles conformément à l'article 9 de la Loi.

[6] Dans la poursuite intentée par la Med Finance, le titre sur les actions achetées par la SB Holdings n'était pas contesté. Donc, les frais juridiques payés par l'appelante n'ont pas donné lieu à un nouvel actif et n'ont pas été payés pour préserver le titre sur un actif. Les actions de la SB Canada avaient disparu après la fusion de 1989, et les frais juridiques n'ont donc pas été payés pour préserver un bien en capital.

[7] L'action en justice était frivole et vexatoire, soit essentiellement une forme de chantage contre l'appelante. Pour protéger sa réputation commerciale, l'appelante était obligée d'assurer sa défense et celle de son administrateur, M. Laird. L'avocat de l'appelante se fondait beaucoup sur le raisonnement tenu par le juge Iacobucci dans l'affaire Symes v. The Queen et al.[3].

Déduction d'impôt en matière de fabrication et de transformation

[8] L'appelante soutient que la production de pierre à chaux se limite à des activités consistant à dynamiter la pierre, à l'extraire, puis à l'enlever de la carrière et à la stocker en vue d'une transformation. La transformation commence par le transport de la pierre depuis la carrière jusqu'aux installations assurant la première étape de la fabrication et de la transformation, ce qui inclut les opérations consistant à concasser et à trier la pierre. L'appelante soutient que ces activités de transport (les activités de chargement et de transport) constituent des activités admissibles au sens de l'article 5202 du Règlement en ce qu'elles se rapportent à la réception et à l'emmagasinage de matières premières ou, subsidiairement, en ce qu'elles se rapportent à toutes les autres activités qui sont exercées au Canada directement dans le cadre des opérations de fabrication ou de transformation.

[9] L'appelante soutient en outre que l'emballage de la chaux fait partie intégrante de la production de son produit fini, soit la chaux emballée. Bien que l'appelante vende aussi de la chaux en vrac, il est nécessaire d'emballer la chaux sous une forme pouvant être aisément vendable à certains clients. L'emballage est nécessaire pour faciliter la vente à des clients qui ne veulent pas acheter de chaux en vrac; c'est donc un élément essentiel du produit vendu à certains clients. La chaux emballée est un produit que l'appelante vend à ses clients. Les opérations de mise en sac ou d'emballage correspondent bien à des frais engagés à l'égard d'activités admissibles au sens de l'article 5202 du Règlement. Plus précisément, les activités admissibles comprennent l'inspection et l'emballage de produits finis, et l'emballage de la chaux est donc une activité admissible au sens de l'article 5202 du Règlement.

Thèse de l'intimée

[10] L'intimée soutient que les frais juridiques qui n'ont pas été admis ne sont pas des dépenses engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi et qu'il s'agit plutôt de dépenses en capital.

[11] L'intimée soutient en outre que les opérations de chargement et de transport de l'appelante font partie de l'activité de production de minéraux industriels exercée par l'appelante et que les coûts y afférents sont donc exclus de la définition de “ fabrication ou transformation ” conformément au paragraphe 125.1(3) de la Loi. De plus, l'intimée soutient que les opérations de chargement et de transport ainsi que la mise en sac de la chaux ne sont pas des activités admissibles au sens de l'article 5202 du Règlement et que le coût en capital et le coût en main-d'oeuvre concernant le chargement et le transport ainsi que la mise en sac de la chaux ne sont pas des dépenses admissibles aux fins du calcul de la déduction en matière de fabrication et de transformation.

Législation — frais juridiques

[12] L'appelante se fondait principalement sur le paragraphe 9(1) de la Loi, qui se lit comme suit :

9(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

L'intimée se fondait quant à elle sur le paragraphe 18(1) de la Loi, qui se lit comme suit :

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a) les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien;

Analyse concernant les frais juridiques

[13] Pour avoir gain de cause, l'appelante doit établir selon la prépondérance des probabilités que les frais ont été engagés en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien, conformément à l'alinéa 18(1)a) de la Loi. L'intimée soutient que les frais ont été engagés en vue de préserver un bien en capital de l'appelante et qu'il s'agit donc de dépenses en capital non déductibles du revenu.

[14] L'essentiel de l'argumentation de l'appelante était que les frais étaient déductibles en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi, conformément aux principes comptables généralement reconnus. L'avocat de l'appelante disait que l'article 9 présuppose que des dépenses d'entreprise ont été déduites et que les frais étaient une dépense engagée dans le cadre ordinaire de l'entreprise de l'appelante. M. Wagner, soit le chef comptable de l'appelante, a dit en fait que les frais avaient été engagés pour protéger la compagnie contre une importante réclamation qui, si elle avait été couronnée de succès, aurait bien pu empêcher la compagnie d'exploiter son entreprise. Il a ajouté que les frais juridiques sont généralement considérés, selon les principes comptables, comme des frais d'exploitation.

[15] Il est indubitable que le paragraphe 9(1) permet de faire des déductions avant de calculer les bénéfices tirés d'une entreprise. L'avocat de l'appelante a renvoyé la Cour à l'affaire Symes, précitée, dans laquelle le contribuable cherchait à déduire des frais de garde d'enfants. Le juge Iacobucci disait aux pages 6009 et 6010 :

En conséquence, dans l'analyse des déductions, il faut commencer par le par. 9(1), disposition qui englobe, comme l'a précisé le juge de première instance, un “critère des affaires” aux fins du calcul du bénéfice imposable.

C'est un critère qui a été formulé de bien des façons. Comme le juge de première instance l'a bien fait ressortir, la détermination du bénéfice en vertu du par. 9(1) est une question de droit: Neonex International Ltd. c. Sa Majesté la Reine (1978), C.T.C. 485 (C.A.F.). C'est peut-être pour ce motif (comme le laisse entendre implicitement Neonex) que les tribunaux ont hésité à énoncer, relativement au par. 9(1), un critère fondé “sur les principes comptables généralement reconnus” (P.C.G.R.): voir aussi “Business Income and Taxable Income” (1953 Conference Report: Canadian Tax Foundation) cité dans B. J. Arnold & T. W. Edgar, eds, Materials on Canadian Income Tax (9th ed. 1990), à la p. 336. Toute mention des P.C.G.R. comporte l'idée d'un degré de contrôle exercé par des comptables professionnels, ce qui est incompatible avec un critère juridique du “bénéfice” en vertu du par. 9(1). Alors qu'un comptable s'interrogeant sur l'opportunité d'une déduction peut être motivé par le désir de présenter un tableau plutôt conservateur du niveau des profits courants, la Loi de l'impôt sur le revenu vise une fin différente: la perception de revenus publics. Pour ces motifs, dans l'examen du par. 9(1), il convient davantage de parler de “principes bien reconnus de la pratique courante des affaires (ou comptable)” ou de “principes bien reconnus des affaires commerciales”.

Si l'on adopte cette conception de la déductibilité, on se rend immédiatement compte que les principes bien reconnus de la pratique courante des affaires visés au par. 9(1) auraient généralement pour effet d'interdire la déduction de dépenses qui n'ont pas pour objet de gagner un revenu ou qui sont des dépenses personnelles, de la même façon que les al. 18(1)a) et h) visent expressément à interdire de telles déductions. Pour ce motif, il est artificiel de dire qu'il faut tout d'abord examiner le par. 9(1) pour déterminer si une déduction est autorisée, et que l'on peut ensuite se fonder sur le par. 18(1) pour procéder à une autre analyse: [...]

[...] Cependant, dans d'autres cas, comme en l'espèce, la véritable question est de savoir si une déduction est interdite par les principes bien reconnus de la pratique courante des affaires au motif que la dépense en question n'a pas été engagée en vue de tirer un revenu ou au motif que la dépense constitue des frais personnels ou des frais de subsistance. Dans ces cas, l'examen de la question confondra nécessairement le par. 9(1) et les al. 18(1)a) et h).

[Le soulignement figure dans l'original.]

Bien que n'étant pas un témoin indépendant, M. Wagner a été un témoin impressionnant et digne de foi. Son témoignage n'a pas été contredit. M. Wagner a dit que les frais juridiques sont déductibles conformément aux pratiques commerciales et comptables reconnues. Comme le disait le juge Iacobucci, la véritable question est de savoir “ si une déduction est interdite par les principes bien reconnus de la pratique courante des affaires au motif que la dépense en question n'a pas été engagée en vue de tirer un revenu ”. Le juge Iacobucci disait en outre que, en l'absence de critères, les tribunaux doivent chercher des manifestations objectives du but, soit une question de fait devant être tranchée en tenant bien compte de toutes les circonstances.

[16] L'avocat de l'appelante a renvoyé à plusieurs jugements à l'appui de sa thèse. Dans l'affaire Kellogg Co. of Canada Ltd. v. M.N.R.[4], soit un jugement qui a été confirmé par la Cour suprême du Canada[5], la compagnie Kellogg avait engagé des frais juridiques pour défendre sa marque déposée. La Cour avait conclu que les frais juridiques étaient déductibles. Le juge Maclean disait à la page 554 :

[TRADUCTION]

[...] Ici, Kellogg avait eu une difficulté commerciale, une difficulté qui était directement liée au secteur des ventes de son entreprise et qu'il lui fallait surmonter, dans la mesure du possible, pour poursuivre la vente de ses produits comme par le passé. [...]

De façon semblable, la Continental Lime avait eu une difficulté commerciale qu'il lui fallait surmonter pour poursuivre son activité comme par le passé. L'argument de l'intimée selon lequel les frais juridiques de l'appelante ont un rapport trop lointain avec l'entreprise de l'appelante ne reflète pas la réalité commerciale. Dans le cadre de l'exploitation de son entreprise, l'appelante devait assurer sa défense dans une poursuite judiciaire dans laquelle on lui réclamait des millions de dollars et dans laquelle on l'accusait de fraude à l'égard d'actes commis par son prédécesseur. Il n'y a rien de lointain à une poursuite en dommages-intérêts importants qui aurait sérieusement touché la capacité de l'appelante de gagner un revenu, sans parler des accusations de fraude.

[17] L'avocat de l'appelante a renvoyé la Cour à l'affaire Hudson's Bay Company v. M.N.R.[6], dans laquelle des compagnies concurrentes cherchaient à exploiter une entreprise sous un nom semblable. La Hudson's Bay avait déduit des frais juridiques qu'elle avait payés pour défendre son nom. Aux pages 992 et 993, le juge Angers avait statué :

[TRADUCTION]

[...] Ces dépenses n'ont pas été engagées en vue d'acquérir ou de créer un actif; elles ont été effectuées dans le cadre ordinaire de la préservation et du maintien du commerce de l'appelante, pour empêcher qu'une partie ne fasse un mauvais usage du nom de l'appelante. Je ne crois pas que ces frais puissent être considérés comme des dépenses en capital.

Les observations formulées par le juge Maclean dans l'affaire Kellogg et par le juge Angers dans l'affaire Hudson's Bay s'appliquent également à la présente situation. Les frais juridiques de l'appelante ont été engagés dans le cadre ordinaire du maintien de l'entreprise de l'appelante; il ne s'agissait pas de dépenses en capital.

[18] L'avocat de l'appelante a également renvoyé la Cour à l'affaire Premium Iron Ores Ltd. v. M.N.R.[7], dans laquelle la contribuable cherchait à déduire des frais juridiques qu'elle avait engagés pour obtenir des avis juridiques quand elle avait appris qu'elle pourrait devoir payer de l'impôt aux États-Unis. Le juge Hall disait aux pages 5286 et 5287 :

[TRADUCTION]

Une compagnie comme l'appelante existe pour réaliser un bénéfice. Toutes ses opérations sont orientées vers ce but. Les opérations doivent être considérées comme un tout et ne pas être divisées en fonctions productives de revenu et en fonctions de conservation de revenu, sinon ce serait le chaos. [...]

Le mot “ revenu ” désigne assurément les rentrées nettes d'argent par rapport aux dépenses de l'année d'imposition pour l'ensemble de l'entreprise du contribuable en tant qu'entreprise en exploitation autres que les dépenses en capital, les dons et ainsi de suite. Je ne vois aucune raison de considérer des frais juridiques comme différents d'autres frais d'exploitation; la seule différence tient au fait que ce sont des frais payés à des avocats plutôt que des frais payés à des vérificateurs, à des comptables et à d'autres personnes pour des travaux relatifs à l'établissement des déclarations annuelles de revenu ou des frais de primes d'assurance visant à garantir le contribuable contre les pertes causées par un incendie, contre les conséquences d'une négligence ou contre une responsabilité imposée par la loi. À mon avis, aucune distinction ne doit être faite entre des frais juridiques appropriés et d'autres frais d'exploitation. Tous doivent être appréciés selon les mêmes normes.

[19] L'intimée se fondait essentiellement sur l'approche adoptée dans l'affaire M.N.R. v. Poulin[8]. M. Poulin, soit un agent immobilier, avait été poursuivi pour une prétendue fraude et de prétendues fausses déclarations dans la négociation d'une opération immobilière. La Cour n'a pas admis la déduction que M. Poulin demandait à l'égard des frais juridiques qu'il avait engagés et des dommages-intérêts qu'il avait payés à ses clients. À la page 381, le juge Marceau disait :

[...] Pour qu'un tel paiement, qui en lui-même, bien sûr, ne vise pas à réaliser un profit, soit néanmoins considéré comme répondant à l'exigence de l'alinéa 18(1)a) de la Loi, il faut qu'il soit vu comme la conséquence malheureuse d'un risque que le contribuable devait prendre et assumer pour exercer son métier ou sa profession. Et pour que le paiement soit ainsi vu, une condition essentielle, je pense, est qu'il se rattache directement à un acte qu'impliquait l'exercice du métier ou de la profession et pouvait être éventuellement jugé avoir été accompli de façon fautive.

[Le soulignement est de moi.]

Puis il disait à la page 382 :

Mais s'il faut admettre que la commission d'une faute involontaire dans l'accomplissement d'un acte qu'implique l'exercice d'un métier ou d'une profession est inévitable et que, partant, l'obligation d'indemniser est un risque qui est inhérent à cet exercice, on ne peut étendre l'idée à la commission d'un délit au sens du droit civil, à la commission d'un acte répréhensible fait volontairement dans le but de causer un dommage. L'acte délictuel ne peut plus alors être considéré comme impliqué par l'exercice du métier ou de la profession. Il a été commis à l'occasion de l'exercice, mais en est complètement étranger. Il n'y a aucun moyen alors de prétendre que, dans ce cas, le paiement d'une condamnation en dommage satisfait à l'exigence de l'alinéa 18(1)a) de la Loi.

Le juge Marceau considère que des frais juridiques sont déductibles s'ils ont été engagés dans une défense relative à une faute involontaire et si une telle défense était importante pour l'exploitation de l'entreprise. Dans la présente espèce, l'appelante n'a commis aucun délit ou acte répréhensible fait volontairement dans le but de causer un dommage. L'appelante avait été incluse dans une poursuite judiciaire parce qu'elle était le successeur de la SB Holdings et de la SB Canada. La Cour suprême de la Colombie-Britannique avait conclu que l'appelante et ses prédécesseurs n'avaient pas frauduleusement fait de fausses déclarations à la Candou ou à la Med Finance. Rejetant l'action intentée, le juge Edwards disait dans ses motifs du jugement[9], à la page 33 :

[TRADUCTION]

[...] Je conclus que ni la Holdings ni M. Laird n'ont fait une fausse déclaration en omettant de révéler les choses que le syndic savait déjà ou dont M. Drake a reconnu qu'elles n'auraient pas influencé le point de vue du syndic quant à l'évaluation. Quoi qu'il en soit, les choses dont la Med soutenait qu'elles auraient dû être révélées n'auraient pas nécessairement, selon le témoignage de M. Drake, conduit le syndic à refuser d'approuver la vente. Le fait que la Holdings ait fourni l'évaluation sans divulguer d'instructions ou de conditions acceptées par Deloitte n'équivaut pas non plus à une fausse déclaration. Tout ce que l'on peut considérer que la Holdings a dit en fait en fournissant l'évaluation au syndic, c'est : “ Voici ce que nous estimons être une évaluation professionnelle. ”

[20] Une distinction peut être établie quant à l'affaire Poulin, précitée, dans laquelle le contribuable avait été reconnu coupable “ d'un délit, d'un fait illicite intentionnel, d'un acte volontaire commis en vue de causer un dommage ”. Pour ces motifs, la Cour d'appel fédérale a conclu que le paiement de frais juridiques, par M. Poulin, ne répondait pas aux exigences de l'alinéa 18(1)a). Dans la présente espèce, l'appelante n'a fait aucune fausse déclaration et n'a pas commis non plus un acte illicite intentionnel. Elle devait assurer sa défense dans une poursuite à laquelle elle était involontairement mêlée, pour lui permettre de continuer son entreprise comme d'habitude.

[21] Dans l'action intentée par la Med Finance, les parties défenderesses étaient la Banque de Montréal, la Deloitte, Haskins & Sells Limited/Deloitte, Haskins & Sells Limitée, le cabinet d'expertise comptable Deloitte, Haskins & Sells, l'appelante et A. D. Laird. La Med Finance avait été constituée en vertu des lois du Panama et n'avait aucun actif en Colombie-Britannique, où elle avait intenté la poursuite, réclamant des dommages-intérêts généraux à l'appelante et à M. Laird, un administrateur de l'appelante, soit une somme qui aurait pu totaliser 23 000 000 $, plus les intérêts et les frais. Avant le procès, la Med Finance avait cherché à conclure un règlement avec l'appelante pour 1 500 000 $, montant qu'elle avait ensuite ramené à 500 000 $, mais l'appelante avait refusé un tel règlement. Le premier jour du procès, la Med Finance a abandonné sa réclamation pour fausses déclarations frauduleuses.

[22] L'intimée n'a appelé aucun témoin. La conclusion logique est que l'action de la Med Finance était une entreprise aventureuse, sans grand fondement, dans laquelle s'était lancée une société étrangère aux administrateurs et actionnaires anonymes. M. Wagner, qui a témoigné pour l'appelante, a été un témoin impressionnant, et j'accepte son témoignage selon lequel il fallait assurer une défense dans cette action pour protéger la rentabilité et la réputation de l'appelante. Environ 80 p. 100 des affaires de l'appelante se font avec 10 clients principaux. Assurément, l'appelante devait se défendre contre les accusations de fraude, de fausse déclaration et de conspiration. Au cours d'un interrogatoire préalable, dont le compte rendu a été consigné en preuve, Mme S. E. Dow, qui témoignait pour Revenu Canada, a convenu du fait qu'une mauvaise réputation commerciale serait préjudiciable au revenu de l'appelante. La poursuite judiciaire avait apparemment été intentée lorsque la Med Finance avait appris la vente faite par l'appelante en 1989 pour 200 000 000 $. Par rapport à la valeur des actions en 1983, les 17 p. 100 d'actions de la Candou auraient été vendues pour 34 000 000 $ plutôt que pour 6 000 000 $. Après un procès de 24 jours, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que la cause de la Med Finance était dépourvue de fondement.

[23] Dans l'affaire Poulin, précitée, le juge Marceau a conclu que le contribuable avait délibérément commis un acte illicite, et le juge a tranché l'affaire en se fondant là-dessus. Dans la présente espèce, il s'agit de frais juridiques que l'appelante a engagés pour se défendre contre une réclamation sans fondement, soit une réclamation en dommages-intérêts survenue au cours de l'activité commerciale normale de l'appelante.

[24] La Med Finance réclamait plus d'argent à l'appelante à l'égard des actions qu'elle avait achetées des années plus tôt à la Banque de Montréal et à Deloitte Haskins. En assurant sa défense, l'appelante ne se trouvait pas acquérir ou préserver un avantage durable. Elle protégeait son revenu. L'appelante avait droit aux actions achetées à la Banque de Montréal. Elle détenait les actions; elle n'essayait pas de les acheter, et la Med Finance n'essayait pas de les acquérir. La Med Finance voulait de l'argent de l'appelante, soit de l'argent dont l'appelante avait besoin pour exercer ses opérations normales. Assurément, selon un principe reconnu en matière de commerce, une entreprise se défendrait contre une réclamation en justice importante qui, si elle était couronnée de succès, entraverait sérieusement la capacité de la compagnie de gagner un revenu. En ce qui a trait aux frais juridiques, les appels sont accueillis.

Fabrication et transformation

Législation

[25] Les deux parties ont renvoyé la Cour au paragraphe 125.1(3) de la Loi ainsi qu'aux sous-alinéas 5202a)(ii) et (iv) et à l'alinéa 5202b) du Règlement, qui se lisent comme suit :

125.1(3) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

“ bénéfices de fabrication et de transformation au Canada ” S'agissant des bénéfices de fabrication et de transformation au Canada d'une société pour une année d'imposition, la partie du total des montants dont chacun est le revenu que la société a tiré pour l'année d'une entreprise exploitée activement au Canada, déterminé en vertu des règles établies à cette fin par règlement pris sur recommandation du ministre des Finances, qui doit s'appliquer à la fabrication ou à la transformation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location.

“ fabrication ou transformation ” Ne sont pas visés par ces termes :

[...]

e) l'extraction de minéraux d'une ressource minérale;

[...]

5202 Dans la présente partie, [...] “ activités admissibles ” signifie

a) n'importe quelles des activités suivantes, lorsqu'elles sont exercées au Canada dans le cadre des opérations de fabrication ou de transformation au Canada [...] de marchandises en vue de leur vente ou de leur location à bail :

[...]

(ii) la réception et l'emmagasinage des matières premières,

[...]

(iv) l'inspection et l'emballage des produits finis,

[...]

toutes les autres activités qui sont exercées au Canada directement dans le cadre des opérations de fabrication ou de transformation au Canada [...] de marchandises en vue de leur vente ou de leur location à bail, [...]

Analyse

[26] L'appelante réclame un crédit d'impôt au titre des bénéfices de fabrication et de transformation relativement au transport de la pierre à chaux depuis ses carrières jusqu'à ses usines et relativement à la mise en sac de la chaux — le produit fini — à l'usine. Il faut déterminer où commence et où finit le processus de fabrication et de transformation. L'intimée soutient que ce processus ne commence pas avec le transport de la pierre par camion sur une distance de huit milles, depuis la carrière jusqu'aux installations de concassage, et que ce processus n'inclut pas la mise en sac de la chaux, car la chaux en vrac est le produit fini de l'appelante[10] et revêt une forme commercialisable avant la mise en sac. L'avocate de l'intimée a cité les propos suivants tenus par le juge Linden dans l'affaire Tenneco Canada Inc. v. The Queen[11] :

[...] Seules les activités qui modifient d'une manière importante le caractère des marchandises peuvent vraiment être assimilées à la “ fabrication ” ou à la “ transformation ” et justifier les encouragements fiscaux particuliers.

[27] L'appelante est propriétaire de trois carrières de pierre à chaux, situées respectivement à Falconer (Manitoba), à Exshaw (Alberta) et à Pavillion (Colombie-Britannique). Pour ce qui est des opérations relatives à Falconer et à Pavillion, le transport s'effectue sur une distance peu importante, c'est-à-dire qu'il y a peu de distance entre la carrière, où la pierre à chaux est dynamitée, et l'usine à chaux. La distance est plus importante dans le cas des opérations relatives à Exshaw; dans ce cas, la pierre à chaux doit être chargée dans de gros camions et transportée sur une distance de huit milles. Cette activité de chargement et de transport doit-elle être incluse dans les activités de fabrication et de transformation? Où fixer la limite?

[28] Les lignes directrices législatives sont complexes. L'appelante soutient qu'elle entre dans le cadre des sous-alinéas 5202a)(ii) et (iv) ou de l'alinéa 5202b) du Règlement. Pour être considérée comme une “ activité admissible ”, l'activité doit être exercée dans le cadre des opérations de fabrication ou de transformation et ne pas faire partie des activités énumérées aux alinéas 125.1(3)a) à k) de la Loi. Les termes “ fabrication ” et “ transformation ” ne sont pas précis et sont presque synonymes. J'accepte le fait que la législation concernant le crédit au titre des bénéfices de fabrication et de transformation se veut un encouragement fiscal destiné à aider les entreprises de fabrication et de transformation à maintenir une position concurrentielle, ce qui crée et protège des emplois au Canada[12]. Je crois que les termes “ fabrication ” et “ transformation ” doivent être interprétés de façon large.

[29] La Loi ne définit pas clairement en quoi consistent des activités de fabrication et de transformation. Lors de l'adoption de l'article 125.1 en 1972, le ministre des Finances de l'époque avait dit :

Toute tentative de cataloguer la totalité des diverses activités que l'on trouve dans l'industrie canadienne serait arbitraire, incomplète et deviendrait rapidement périmée. En outre, une telle liste empêcherait les contribuables d'avoir accès aux tribunaux pour faire valoir qu'une activité particulière devrait être considérée comme admissible. Selon l'opinion du gouvernement, la méthode proposée se révélera plus souple et plus favorable aux contribuables et permettra d'assurer que les objets des propositions budgétaires sont atteints.

Dans l'affaire Harvey C. Smith, précitée, le juge Brulé a mentionné les propos ci-dessus. Il semble que le législateur entendait qu'une interprétation généreuse soit donnée de l'article 125.1. Dans l'affaire Harvey C. Smith, les tribunaux[13] ont conclu que le pharmacien qui prenait de grandes quantités de pilules et les mettait dans de petits contenants n'exploitait pas une entreprise de fabrication ou de transformation.

[30] L'article 125.1 dit expressément que la production de minéraux industriels n'est pas visée par les termes “ fabrication ou transformation ”. Comme l'a décrit M. Wagner pour l'appelante, l'appelante enlève les terrains de couverture, fore la pierre à chaux et la dynamite. La pierre à chaux tombe sur un plateau ou “ banc ” spécialement aménagé. Il s'agit là de la production de minéraux industriels. La production de la pierre à chaux est complète lorsque la pierre est dynamitée, qu'elle est enlevée de la roche de fond et qu'elle est prête à être ramassée. Je conclus que la transformation commence lorsque cette pierre à chaux est chargée dans un camion et transportée jusqu'au concasseur. Ces activités font partie intégrante de la transformation de la chaux.

[31] Les deux avocats ont renvoyé la Cour à l'affaire Nova Scotia Sand and Gravel Limited v. The Queen[14], dans laquelle il s'agissait de savoir si l'ensemble de l'entreprise de la contribuable était une entreprise de “ production de minéraux industriels ”. La contribuable exploitait une entreprise consistant à extraire du sable et du gravier de carrières, puis à en assurer le lavage, le séchage, le broyage, le triage et la mise en sac, pour fins de revente. La Cour a conclu que la contribuable faisait non pas de la production de minéraux industriels, mais plutôt de la transformation. La Cour d'appel fédérale a conclu que l'expression “ production de minéraux industriels ” ne devait pas être considérée comme englobant toutes les activités liées à la production de minéraux. Elle a également conclu que cette expression devait être interprétée de façon étroite. Donc, la “ production ” n'inclut pas la “ transformation ”. Il est clair que les opérations d'un contribuable peuvent avoir à la fois un aspect “ production ” et un aspect “ transformation ”.

[32] L'avocate de l'intimée a renvoyé à l'affaire Range Grain Company Ltd. v. The Queen[15]. Dans cette affaire-là, la Cour avait conclu que le silo à céréales utilisé par la contribuable ne faisait pas partie de la transformation et qu'il était plutôt utilisé aux fins du transport. Il ne servait pas à améliorer ou à modifier les céréales. La présente espèce se distingue aisément de cette affaire-là, car, dans la présente espèce, le transport de la pierre à chaux, soit une matière industrielle produite après le dynamitage, marque le début de l'activité de transformation.

[33]L'alinéa 4e) de l'exposé conjoint des faits décrivait le processus utilisé pour la production de chaux ou de chaux vive[16]. Lorsque la pierre à chaux est en morceaux qu'une chargeuse à benne frontale peut déverser dans un camion, la pierre ne peut être vendue sous cette forme industrielle. Commence alors le processus de conversion de ce produit en une forme différente. Donc, la pierre à chaux est la matière première qu'utilise l'appelante dans la transformation conduisant à son produit final, la chaux, soit une activité qui entre carrément dans le cadre d'une “ activité admissible ” en vertu de l'article 5202 du Règlement. Durant toute la période pertinente, l'appelante exploitait une entreprise consistant à produire de la chaux, qui est non pas un minéral industriel, mais plutôt un dérivé de la pierre à chaux, obtenu grâce à un processus complexe consistant à faire chauffer la pierre. On pourrait arguer que la pierre à chaux extraite des carrières est commercialisable à ce stade, mais le critère énoncé dans le jugement Tenneco, précité, traite d'un produit “ plus commercialisable ”. Donc, le fait de transformer la pierre à chaux et d'en faire de la chaux rend assurément la pierre à chaux plus commercialisable, car la chaux a des applications importantes dans la fabrication de verre et de béton, ainsi qu'en agriculture ”. En outre, après le processus consistant à faire chauffer la pierre à chaux, celle-ci a changé de forme et de caractéristiques.

[34] À un certain stade, l'appelante cesse de produire de la pierre à chaux et commence à fabriquer et à transformer de la chaux. Je considère comme avéré que ce stade se situe après le dynamitage du roc à effectuer pour produire la pierre à chaux, qui est alors prête à être recueillie pour fins de transformation. Si l'appelante oeuvrait exclusivement dans la production de pierre à chaux et la livraison de pierre à chaux à des clients, je conclurais que le transport n'est pas une activité de transformation, car la pierre à chaux ne serait alors pas transformée ou modifiée de quelque manière. La situation est différente en l'espèce. L'appelante produit de la chaux. Pour ce faire, elle doit recueillir la matière première et la livrer à son usine, ce qui représente “ la réception et l'emmagasinage des matières premières ” au sens du sous-alinéa 5202a)(ii). La pierre à chaux était extraite et produite au sens du paragraphe 125.1(3) après qu'elle était dynamitée et placée sur le “ banc ”, prête pour le début du processus consistant à la transformer en chaux.

[35] Déterminer quand s'arrête la “ production de minéraux industriels ” n'est pas une science exacte. Je crois que la limite fixée par l'intimée, qui se situe après le transport de la pierre à chaux jusqu'au concasseur, ne reflète pas la réalité. Chaque cas doit être considéré selon les faits qui lui sont propres et selon les opérations considérées dans leur ensemble. La transformation commence après que la pierre à chaux est prête pour le transport. Si l'usine de transformation était à côté du “ banc ” sur lequel tombe la pierre à chaux après avoir été dynamitée, il serait indéniable que la production du minéral industriel, la pierre à chaux, se terminait à ce stade. Pourquoi pénaliser l'appelante du fait qu'il lui faut transporter le produit huit milles plus loin? La législation a pour but d'aider les entreprises de fabrication et de transformation. Une interprétation étroite des mots “ fabrication ” et “ transformation ” limite inutilement ce but.

[36] En conclusion, le transport de la pierre à chaux jusqu'aux différentes usines fait partie de la transformation et représente une activité admissible en vertu de l'article 5202 du Règlement.

[37] Maintenant, pour ce qui est de la dernière question, soit la mise en sac de la chaux, je conclus que cette activité aussi est admissible comme activité de fabrication ou de transformation en vertu du sous-alinéa 5202(iv). Le mot “ transformation ” s'applique davantage à l'activité de mise en sac que le mot “ fabrication ”. Le Canadian Oxford Dictionary de 1998 définit le mot anglais “ process ” (transformation) comme désignant une série d'étapes dans la fabrication ou quelque autre opération. Encore là, si l'on considère l'activité dans son ensemble, la mise en sac est l'étape finale de la transformation.

[38] Les deux avocats ont renvoyé à l'affaire Harvey C. Smith, précitée, dans laquelle une pharmacie soutenait que l'activité consistant en fait à emballer des capsules et comprimés d'ordonnance était de la fabrication et de la transformation. La Cour d'appel fédérale a conclu à la page 5030 que le produit initial n'était pas converti en autre chose. Cette conclusion est compréhensible, mais cette situation-là peut être distinguée des faits de la présente espèce en ce que, dans la présente espèce, l'appelante convertissait en chaux de la pierre à chaux. Le fait que le plus gros de la chaux soit vendu en vrac n'empêche pas l'appelante d'inclure la mise en sac. Une proportion d'environ 20 p. 100 de la chaux est vendue en sacs de cinq tonnes. La mise en sac permet à l'appelante de vendre des produits à des clients qui ne veulent acheter que le produit mis en sac, la mise en sac rendant ainsi le produit plus commercialisable.

[39] Dans l'affaire Produits L.B. (1987) Ltée v. The Queen[17], Mme le juge Lamarre Proulx, de la C.C.I., examinait la question de savoir si l'emballage d'aliments pour animaux était une activité de transformation. À la page 1545, elle dit :

L'emballage doit être considéré comme la dernière phase des activités de fabrication. L'emballage n'est pas en soi une activité de fabrication ou transformation mais elle en est une quand elle se trouve à la fin de la ligne de production de marchandises. Ainsi par exemple, mettre en bouteille des pilules que l'on a acheté d'un manufacturier de pilules n'est pas une activité de fabrication ou de transformation mais pour le manufacturier, ce peut en être une.

[Le soulignement est de moi.]

Mme le juge a conclu que les étagères utilisées pour stocker les sacs faisaient partie d'activités de fabrication et de transformation. Appliquant le principe énoncé par le juge Lamarre Proulx, je considère que la mise en sac de la chaux se trouve à la fin de la ligne de production. Qu'elle soit livrée au client en vrac ou dans des sacs, la chaux doit être dans une forme quelconque de contenant. Donc, la mise en sac de la chaux fait partie de l'activité de transformation. L'activité de mise en sac est une activité de transformation entrant dans le cadre de la définition d'“ activités admissibles ” figurant au sous-alinéa 5202a)(iv) du Règlement. Les appels sont admis, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 1999.

“ C. H. McArthur ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 16e jour de mars 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]               En fait, 100 p. 100 des actions de la SB Holdings ont été vendues pour 200 000 000 $.

[2]               Montant net, après déduction d'une somme d'environ 50 000 $ obtenue de la Med Finance.

[3]               94 DTC 6001 (C.S.C.).

[4]               (1942) 2 DTC 548 (C. de l'É.).

[5]               (1943) 2 DTC 601 (C.S.C.).

[6]               (1947) 3 DTC 968.

[7]               66 DTC 5280 (C.S.C.).

[8]               (1996) 204 N.R. 376 (C.A.F.).

[9]               Pièce A-2, section 5.

[10]             Une proportion de plus de 80 p. 100 du produit de l'appelante est vendue en vrac à de grandes sociétés, par exemple à des entreprises de production d'acier.

[11]             91 DTC 5207, aux pages 5209 et 5210.

[12]             Harvey C. Smith Drugs Ltd. v. M.N.R., 83 DTC 1243, à la p. 1248 (C.C.I.).

[13]             Après avoir été rejetée par la Cour canadienne de l'impôt, cette cause a été portée en appel devant la section de première instance de la Cour fédérale, puis devant la Cour d'appel fédérale, et les trois tribunaux ont conclu que le pharmacien ne faisait pas de fabrication ni de transformation.

[14]             80 DTC 6298 (C.A.F.).

[15]             97 DTC 5221 (C.F., 1re inst.).

[16]             Les termes “ chaux ” et “ chaux vive ” sont utilisés de façon interchangeable.

[17]             93 DTC 1541.

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