Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990115

Dossiers: 95-3255-IT-G; 95-3256-IT-G; 95-3257-IT-G; 95-3258-IT-G

ENTRE :

JUDY WONG, LAUREN LEE, JORDAN LEE, ANDREW LEE,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1] Les avocats avaient convenu que ces quatre appels seraient entendus sur preuve commune. Les faits sont applicables à tous les appels. Le point en litige — commun à tous les appels — tient à la question de savoir si le paragraphe 15(1.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) s'applique à des dividendes en actions reçus par les appelants dans leurs années d'imposition 1989 et 1991. Un recueil de documents a été déposé sous la cote A-1, onglets 1 à 12 inclusivement, et toute mention d'un numéro d’onglet qui sera faite se rapporte à un document de la pièce A-1.

[2] Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) avait établi des cotisations d'impôt sur le revenu à l'égard de tous les appelants en février 1994, ajoutant la somme de 24 975 $ au revenu de chaque appelant pour chacune des années d'imposition 1989 et 1991. La thèse du ministre était que chaque appelant avait, en 1989 et en 1991, reçu des dividendes en actions qui auraient dû être inclus dans le calcul du revenu conformément au paragraphe 15(1.1) de la Loi.

[3] La société avait racheté certaines actions privilégiées de catégorie “ C ” détenues par Lauren Lee, Andrew Lee et Jordan Lee et, en vertu du paragraphe 84(3) de la Loi, les appelants avaient déclaré un revenu en se fondant sur le fait qu'ils étaient réputés avoir reçu des dividendes de 14 985 $ dans l'année d'imposition 1989, de 9 990 $ dans l'année d'imposition 1990 et de 9 900 $ dans l'année d'imposition 1991. Ainsi, Lauren Lee, Andrew Lee et Jordan Lee font valoir que les sommes ont été dûment incluses dans leur revenu en vertu du paragraphe 82(1) de la Loi comme dividendes imposables pour les années d'imposition respectives et qu'aucune nouvelle cotisation n'est nécessaire. Il n'y a jamais eu de rachat d'actions de catégorie “ C ” détenues par Judy Wong.

[4] Hilary Pui Kay Lee a déclaré dans son témoignage qu'il habite Vancouver (Colombie-Britannique) et qu'il est médecin. Il est l'époux de l'appelante Judy Wong et le père des appelants Lauren, âgée de 12 ans, Jordan, âgé de 13 ans, et Andrew, âgé de 15 ans. À l’onglet 1, il a renvoyé à une copie du certificat de constitution du 14 novembre 1985 relatif à la société appelée Dr. H. Pui Kay Lee Inc. et, à l’onglet 2, il a renvoyé aux statuts constitutifs. La société fournissait des services médicaux, servant de véhicule au cabinet du Dr Lee, qui avait été transféré à la société. Le Dr Lee a renvoyé à une lettre du 21 mars 1986 — onglet 4 — que son comptable, Vanesse Ling, avait envoyée à son avocat (et dont une copie lui avait été adressée). La lettre comportait une annexe indiquant les actifs qu'il avait transférés à la société à la juste valeur marchande. La société avait, en contrepartie du transfert d'actifs, émis un billet de 89 226 $ en faveur du Dr Lee ainsi que 156 actions privilégiées de catégorie “ C ” qui avaient une valeur nominale de 1 $ l'action et qui étaient rachetables au gré de la société ou du porteur à 1 000 $ l'action. Par la suite, le Dr Lee avait, ainsi que tous les appelants, reçu 25 actions de catégorie “ B ”. Comme l'exigeait l'ordre des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique, il détenait toutes les actions avec droit de vote de catégorie “ A ”. La société avait également émis des actions de catégorie “ C ” en faveur des appelants. Le Dr Lee a expliqué que, en 1989, il avait acquis 45 actions de catégorie “ C ”, en sus des 156 actions de cette catégorie qui avaient été émises en sa faveur en 1985. Le Dr Lee a dit que la valeur de son cabinet n'avait pas augmenté entre 1985 et 1989. Il était le seul administrateur de la société; il a renvoyé à une résolution — onglet 5 — de l'administrateur de la société en date du 5 décembre 1989 dans laquelle la société déclarait un dividende sous la forme d'une action privilégiée de catégorie “ C ” pour chaque action ordinaire sans droit de vote de catégorie “ B ” détenue. Ainsi, le Dr Lee et son épouse, Judy Wong, et leurs enfants, Andrew, Jordan et Lauren, ont reçu 25 actions privilégiées de catégorie “ C ” chacun. Le 14 octobre 1991, une résolution — onglet 7 — adoptée par écrit par les administrateurs de la société indiquait que la société émettait 25 actions privilégiées de catégorie “ C ” — comme dividendes — en faveur du Dr Lee et de chacun des appelants du fait que chacun détenait 25 actions ordinaires sans droit de vote de catégorie “ B ”. Le Dr Lee a dit que, à ce stade, il détenait 251 actions de catégorie “ C ” et que son épouse, Judy Wong, détenait 95 actions de catégorie “ C ”. En tant que seul administrateur, il prenait toutes les décisions quant à savoir si des dividendes seraient versés. Il a dit qu'à l'automne 1985 il avait appris que, en Colombie-Britannique, les médecins étaient autorisés à se constituer en société et à exploiter leur cabinet par l'intermédiaire d'une société. Il avait compris qu'il y avait certains avantages fiscaux à ce mécanisme et s'était adressé au cabinet d'expertise comptable Price Waterhouse pour avoir des conseils. Le Dr Lee a dit qu'il s'était entretenu avec John Robinson, comptable agréé, et avec d'autres personnes, dont Vanesse Ling, qui travaillait à ce cabinet d'expertise comptable sous la supervision de John Robinson. Une lettre — onglet 3 — en date du 30 octobre 1985 que le cabinet d'expertise comptable lui avait envoyée indiquait les détails de la constitution d'une société professionnelle et mentionnait les avantages que l'on pouvait en tirer en matière de réduction d'impôt sur le revenu en différant l'impôt sur les bénéfices conservés dans la société pour fins d'investissement ou autres et en fractionnant son revenu avec les membres de sa famille. Il avait décidé de suivre les conseils donnés, et Price Waterhouse avait retenu pour lui les services d'un avocat afin que ce dernier s'occupe de la constitution de la société ainsi que de questions connexes. Conformément au mécanisme établi par la constitution de cette société, il s'était fondé sur des avis comptables lorsque les résolutions du 5 décembre 1989 — onglet 5 — et du 14 octobre 1991 — onglet 7 — ont été adoptées aux fins de la distribution du dividende sous la forme d'une action privilégiée de catégorie “ C ” pour chaque action de catégorie “ B ” détenue. Il a dit qu'il était clair dans son esprit que le motif de la déclaration des dividendes sous cette forme était de “ partager le revenu de la société avec les actionnaires ”. Il avait reçu un avis de Price Waterhouse selon lequel la méthode du dividende en actions offrait une plus grande souplesse aux fins du rachat d'actions en contrepartie d'une somme d'argent. Quant à savoir s'il avait considéré l'effet que ces dividendes auraient sur sa participation dans la société ou sur sa position du point de vue des gains en capital, le Dr Lee a dit : “ L'idée ne m'a jamais traversé l'esprit. ” Il a expliqué que la société n'aurait une valeur que pour un autre médecin autorisé à exercer en Colombie-Britannique et que la possibilité d'une revente était “ très, très faible ”. La question de l'effet possible, sur la valeur de ses propres actions, de la distribution de dividendes sous cette forme particulière, après qu'il eut reçu un avis de ses comptables, n'avait jamais été soulevée par lui ou ne lui avait jamais été soulevée, à quelque moment que ce soit. Le 30 décembre 1990, par suite d'une résolution — onglet 6 —, la société avait été autorisée à racheter à chacun des appelants Andrew Lee, Jordan Lee et Lauren Lee 25 des actions privilégiées de catégorie “ C ” émises et en circulation, pour la somme de 1 000 $ l'action. Le 30 décembre 1993, par suite d'une résolution — onglet 8 —, la société avait été autorisée à racheter à chacun des appelants Andrew Lee, Jordan Lee et Lauren Lee 25 des actions privilégiées de catégorie “ C ” émises et en circulation. Lors de chaque rachat, les certificats d'actions pertinents avaient été annulés. Au nom de la société, il avait émis un chèque en date du 15 décembre 1989 — pièce A-2 — d'un montant de 45 000 $ en faveur de Judy Wong en fiducie pour Andrew, Jordan et Lauren, soit un chèque représentant le paiement relatif au rachat de 15 actions de catégorie “ C ” détenues par chaque enfant. Le Dr Lee a dit qu'il avait établi les déclarations de revenus pour chacun des enfants. La déclaration de revenus d’Andrew Lee – onglet 9 — indique que la somme de 18 790,67 $ a été déclarée comme montant imposable du dividende reçu d'une société canadienne imposable. Les déclarations de revenus de Jordan et de Lauren ont été établies de la même manière pour rendre compte du rachat d'actions. La résolution — onglet 8 — en date du 30 décembre 1993 indiquait que toutes les actions de catégorie “ C ” précédemment détenues par les enfants avaient été rachetées par la société. Le montant de 24 975 $, qui a été inclus par le ministre dans le revenu de chaque appelant pour chacune des années d'imposition 1989 et 1991, représentait le montant total du rachat des actions privilégiées de catégorie “ C ” émises en faveur de chaque enfant appelant (les actions de Judy Wong n'ont jamais été rachetées) au cours de chacune des années d'imposition considérées en l'espèce, moins le montant de 25 $ qui avait été inclus dans la déclaration de revenu de chaque appelant pour ces années-là à l'égard de ces dividendes en actions. Concernant les dividendes en actions reçus par les appelants dans leurs années d'imposition 1989 et 1991, les actions suivantes ont été rachetées aux dates suivantes pour les sommes spécifiées :

15 actions privilégiées de catégorie “ C ” ont été rachetées à chacun des appelants Andrew Lee, Jordan Lee et Lauren Lee en 1989 pour 15 000 $;

10 actions privilégiées de catégorie “ C ” ont été rachetées à chacun des appelants Andrew Lee, Jordan Lee et Lauren Lee en 1990 pour 10 000 $;

10 actions privilégiées de catégorie “ C ” ont été rachetées à chacun des appelants Andrew Lee, Jordan Lee et Lauren Lee en 1991 pour 10 000 $;

15 actions de catégorie “ C ” ont été rachetées à chacun des appelants Andrew Lee, Jordan Lee et Lauren Lee en 1993 pour 15 000 $.

Le Dr Lee a dit qu'il discutait de sa position financière de fin d'exercice avec ses comptables, qui le conseillaient alors sur le dividende approprié devant être distribué par la société.

[5] En contre-interrogatoire, le Dr Lee a dit qu'il s'était fondé sur l'avis donné dans la lettre du 30 octobre 1985 — onglet 3 — reçue de Vanesse Ling, de Price Waterhouse, en vue de fractionner son revenu avec les membres de sa famille et, dans une moindre mesure, en vue de différer de l'impôt et de se prévaloir du taux d'imposition inférieur applicable aux sociétés exploitant une petite entreprise. Son revenu provenant de son cabinet de médecin était d'environ 175 000 $ en 1985 et est resté à peu près au même niveau par la suite. Le Dr Lee retirait comme salaire 60 000 $ par année et laissait le reste dans la société, car c'était la seule façon de bénéficier du taux d'imposition inférieur applicable aux sociétés, par opposition aux particuliers. Après la constitution de la société, il entendait utiliser celle-ci pour verser des dividendes aux porteurs d'actions de catégorie “ B ” et pour ensuite racheter les actions correspondant à ces dividendes au nom de ses enfants, conformément aux conseils de ses comptables. Se fondant sur des avis provenant de cette source, son épouse, Judy Wong, qui recevait un salaire de la société, avait choisi de ne pas se faire rembourser ses actions de catégorie “ C ”. Il comprenait que, comme médecin, il devait détenir toutes les actions avec droit de vote de la société professionnelle, mais il n'était pas aussi certain de ce qu'il en était quant aux actions de catégorie “ B ” et de catégorie “ C ”, sauf qu'il savait que ces catégories d'actions pouvaient servir à faciliter le fractionnement du revenu. Il comprenait que la société verserait des dividendes seulement à l'égard d'actions de catégorie “ B ”. Il était incapable d'expliquer la raison pour laquelle la société avait émis en sa faveur le nombre précis de 1 000 actions de catégorie “ A ”, mais il savait qu'il lui fallait détenir toutes les actions avec droit de vote. Il a dit qu'il ne savait pas qu'il détenait plus de 90 p. 100 des actions émises de la société et il a dit que l'étendue de sa participation n'avait jamais été discutée avec l'un quelconque des comptables de Price Waterhouse. Le revenu de la société provenait de l'activité exercée par le Dr Lee comme médecin. Le Dr Lee visait à fractionner le revenu avec les membres de sa famille et à tirer profit du fait qu'ils étaient dans une tranche d'imposition inférieure. Il n'a jamais considéré l'effet, sur sa propre position comme actionnaire, de la distribution de dividendes à son épouse et à ses enfants. À la fin de chaque exercice, les conseils fiscaux devenaient plus pertinents, et il comprenait les avis qu'il avait reçus de Price Waterhouse et utilisait l'émission d'actions de catégorie “ C ” comme moyen pour verser des dividendes à l'égard d'actions ordinaires de catégorie “ B ”.

[6] John Robinson a déclaré dans son témoignage qu'il est comptable agréé et qu'il travaille pour Price Waterhouse Coopers, le successeur de Price Waterhouse. En 1985, il travaillait comme superviseur en fiscalité au bureau de Burnaby et avait rencontré le Dr Lee. Les médecins venaient d'être autorisés à exercer dans le cadre d'une société professionnelle, et le Dr Lee demandait conseil sur divers aspects de la constitution en société. À l’onglet 3, M. Robinson a reconnu la lettre du 30 octobre 1985 envoyée au Dr Lee, soit une lettre générale du bureau de Price Waterhouse offrant des conseils aux médecins et aux dentistes. M. Robinson a dit qu'il s'occupait des aspects fiscaux des sociétés constituées par leurs clients. La lettre du 21 mars 1986 — onglet 4 —, signée par Vanesse Ling et adressée à Me Frank Baily, faisait état de conseils communément offerts aux médecins et aux dentistes. Le Dr Lee avait transféré ses actifs à la société à la juste valeur marchande et de façon à ne pas contracter d'obligations fiscales supplémentaires. Le Dr Lee avait reçu un billet et 156 actions privilégiées de catégorie “ C ” à 1 $ l'action rachetables à 1 000 $ l'action, ce qui représentait alors la valeur totale de son cabinet de médecin. Le montant de 12 000 $ relatif à la survaleur était fondé sur certains facteurs, mais il s'agissait essentiellement d'une estimation. Les actions de catégorie “ B ” valaient 1 $ chacune. M. Robinson a dit que, en 1985, la Cour canadienne de l'impôt avait statué dans l'affaire McClurg v. M.N.R., 84 DTC 1379, que le contribuable avait conféré un avantage à son épouse en distribuant un dividende en espèces à l'égard d'actions sans droit de vote. Cette décision avait été portée en appel et, en attendant que l'appel soit entendu, le cabinet Price Waterhouse considérait que la façon la plus prudente d'éviter le résultat auquel on avait abouti dans l'affaire McClurg était d'utiliser un processus “ à deux étapes ”. Cette méthode consistait à ne pas verser de dividendes en espèces et à émettre plutôt des actions comme dividendes, soit des actions qui seraient rachetées ultérieurement. Un des avantages de la constitution d'une société professionnelle tenait au fait que le médecin pouvait retirer suffisamment de fonds pour son style de vie et laisser les fonds excédentaires dans la société. Le nombre précis des actions devant être émises en faveur des membres de la famille du Dr Lee comme dividendes — soit des actions devant être rachetées ultérieurement — n'avait probablement pas été l'objet de conseils particuliers de Price Waterhouse, mais on avait donné au Dr Lee un aperçu général de la méthode. M. Robinson a dit que le seul motif du versement de dividendes de cette manière était d'échapper à l'effet de la décision rendue par la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire McClurg. Il a dit qu'il n'y avait jamais eu de discussions avec le Dr Lee sur la question des gains en capital relatifs aux actions ni de conversations au sujet d'une vente des actions de la société à qui que ce soit. M. Robinson estimait qu'il avait agi pour 20 ou 30 médecins et qu'aucun d'eux n'avait jamais vendu d'actions d'une société professionnelle utilisée aux fins de l'exploitation d'un cabinet de médecin. On n'avait jamais considéré la question de savoir si la distribution de dividendes modifierait la participation du Dr Lee dans la société. La question de savoir si le paragraphe 15(1.1) de la Loi pouvait s'appliquer avait été soulevée par un vérificateur de Revenu Canada. Ainsi, M. Robinson a dit qu'il s'était entretenu avec d'autres comptables de son cabinet, qui avaient concédé qu'il pouvait y avoir du vrai dans ce qui disait le vérificateur. Cependant, on n'avait jamais pris cette question en considération en offrant des conseils fiscaux au Dr Lee, y compris en suggérant une panoplie d'options efficaces quant aux dividendes à distribuer aux actionnaires n'ayant pas d'autres revenus, compte tenu d'un maximum de 20 000 $. Après les nouvelles cotisations, les appelants dont les actions avaient été rachetées et dont les dividendes avaient été indiqués dans les déclarations de revenu étaient dans une situation pire qu'avant, car le ministre était d'avis que l'application du paragraphe 15(1.1) de la Loi ne permettait pas la prise en compte du revenu qui avait été déclaré précédemment sous la forme d'un dividende imposable.

[7] En contre-interrogatoire, John Robinson a répété que l'objectif premier de la constitution d'une société par le Dr Lee était de réduire le montant de l'impôt à payer. La lettre — onglet 3 — ne traitait que des avantages fiscaux qu'il y avait, en matière de report et/ou en matière de fractionnement du revenu, à distribuer des dividendes à des enfants mineurs qui seraient imposés à un taux inférieur. Le Dr Lee recevait un salaire de 60 000 $ par année de la société. Tout versement de dividendes devait être fait sur les bénéfices non répartis de la société, après versement du salaire du Dr Lee et après paiement du montant de l'impôt sur les sociétés dû pour cet exercice. La société était propriétaire d'un cabinet de médecin — exploité par le Dr Lee — et avait d'autres actifs pouvant s'appliquer au profit des actionnaires. Comme le Dr Lee détenait 1 025 des 1 125 actions émises par la société, l'avocat de l'intimée disait que le Dr Lee avait droit à 91,11 p. 100 des bénéfices non répartis de la société et que, toutefois, il n'en avait en fait reçu que 20 p. 100, soit des dividendes à l'égard de ses actions de catégorie “ B ” distribués sous la forme d'actions de catégorie “ C ”, ces dernières ayant ensuite été rachetées. M. Robinson ne contestait pas les calculs de l'avocat et a reconnu que le versement de dividendes à l'égard d'une catégorie quelconque d'actions réduit la valeur disponible pour les porteurs d'actions participatives. De même, si une société est liquidée, les statuts constitutifs dictent la manière dont cela sera réalisé, et le Dr Lee aurait droit à 91,11 p. 100 des actifs nets à la liquidation. M. Robinson reconnaissait que le versement de dividendes à l'égard des actions de catégorie “ B ” aurait une incidence sur l'argent de la société qui serait par ailleurs disponible pour le Dr Lee comme seul porteur d'actions avec droit de vote de catégorie “ A ”. M. Robinson reconnaissait que seuls les enfants Lee avaient reçu des sommes d'argent de la société lors du rachat de leurs actions de catégorie “ C ”, parce qu’ils n'avaient guère d'autres revenus importants, voire pas du tout, et étaient imposés à un taux inférieur. Conformément aux statuts constitutifs — onglet 2 —, en vertu de l'alinéa 27.1c), la déclaration de dividendes était à l'entière discrétion du Dr Lee.

[8] L'avocat des appelants soutenait que le but visé par le législateur au paragraphe 15(1.1) de la Loi — selon les notes techniques du ministère des Finances publiées lorsque cette disposition a été introduite — indique qu'il s'agissait là d'une disposition anti-évitement destinée à empêcher qu'on utilise des dividendes en actions pour modifier les participations d'importants actionnaires dans une société de sorte que le gain en capital sur une vente ultérieure d'actions passe d'une personne à une autre. Cette modification faisait suite à l'introduction de la nouvelle exonération cumulative des gains en capital. L'avocat soutenait que la preuve établissait clairement qu'aucun des motifs du versement de dividendes en actions en l'espèce n'était de modifier de façon sensible la valeur de la participation d'un actionnaire déterminé de la société et que le but des opérations était bien expliqué par la preuve présentée pour les appelants.

[9] L'avocat de l'intimée soutenait qu'il n'était pas nécessaire d'aller au-delà du libellé effectif du paragraphe 15(1.1) de la Loi, car il n'y a aucune ambiguïté exigeant qu'on se reporte à des sources externes. Il faisait remarquer que le Dr Lee était un actionnaire déterminé aux fins de ce paragraphe et que, bien que le fractionnement du revenu avec les membres de la famille Lee puisse être un facteur ayant motivé le versement de dividendes en actions, le mécanisme choisi faisait en soi que la valeur détenue dans la société passait du Dr Lee à son épouse et à ses enfants. De l'avis de l'avocat, il était inévitable que le mécanisme de fractionnement du revenu modifie de façon sensible la valeur de la participation du Dr Lee dans la société, de sorte que le moyen permettant de réaliser le fractionnement du revenu peut raisonnablement être considéré comme un des motifs du versement des dividendes.

[10] La disposition pertinente de la Loi est le paragraphe 15(1.1), qui se lit comme suit :

Malgré le paragraphe (1), la juste valeur marchande d'un dividende en actions qu'une société verse à une personne au cours d'une année d'imposition doit être incluse dans le calcul du revenu de cette personne pour l'année — sauf dans la mesure où elle est déjà incluse dans le calcul du revenu de cette personne en vertu de l'alinéa 82(1)a) — s'il est raisonnable de considérer qu'un des motifs du versement est de modifier de façon sensible la valeur de la participation d'un actionnaire déterminé de la société.

[11] La Cour d'appel fédérale a traité de ce paragraphe dans l'affaire The Queen v. Wu, 98 DTC 6004. La décision du juge d'appel Strayer (rendue verbalement pour la Cour) est brève, et je cite l'intégralité du jugement, soit :

Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire contre la décision en date du 3 septembre 1996 par laquelle la Cour canadienne de l'impôt a fait droit à l'appel formé par M. Wu à l'égard de ses années d'imposition 1990, 1991 et 1992.

La disposition en jeu de la Loi de l'impôt sur le revenu est son paragraphe 15(1.1) qui prévoit ce qui suit :

(1.1) Par dérogation au paragraphe (1), lorsque, dans une année d'imposition, une corporation verse un dividende en actions à une personne et qu'il est raisonnable de considérer qu'un des motifs du versement consiste à modifier de façon sensible la valeur de la participation d'un actionnaire désigné de la corporation, la juste valeur marchande du dividende en actions doit être incluse dans le calcul du revenu de cette personne pour l'année sauf dans la mesure où elle est déjà incluse dans le calcul du revenu de cette personne en vertu de l'alinéa 82(1)a).

En tout premier lieu, nous convenons avec le juge de première instance que les dividendes en actions versés à M. Wu pour les années en question avaient pour effet de modifier sensiblement la valeur de l'action ordinaire de catégorie A de sa femme, le Dr Ng. Il reste à examiner si le juge a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en concluant qu'il n'était pas prouvé que c'était là l'un des motifs de ce versement.

Sur l'interprétation correcte du paragraphe 15(1.1) et dans ses conclusions sur les faits, il s'est prononcé en ces termes :

[TRADUCTION]

Bien qu'il soit possible de donner du paragraphe 15(1.1) une interprétation plus large, je ne pense pas que pareille interprétation aille jusqu'à nous permettre de substituer aux termes qui y figurent des mots comme “ dont l'intéressé savait ou aurait dû savoir ” que l'opération modifierait sensiblement la valeur des actions. Il faut qu'il y ait une preuve qui permette d'imputer cette intention à l'appelant, et non de simples conjectures ou hypothèses.

Nous interprétons le passage ci-dessus comme signifiant que pour prouver le motif du versement visé au paragraphe 15(1.1), il faut démontrer que tel était le dessein du contribuable, c'est-à-dire qu'il faut appliquer un critère subjectif pour “ détecter ce motif dans l'esprit du contribuable ”. Nous n'y voyons pas une conclusion juste sur le plan juridique. Les mots “ il est raisonnable de considérer ” figurant au paragraphe 15(1.1) indiquent clairement que le dessein peut être prouvé si, eu égard aux circonstances, il est raisonnable de considérer qu'il s'agit là d'un motif du versement.

À cet égard, il convient de rappeler la décision S.M. c. Placer Dome Inc.[1] qu'a rendue notre Cour quelque temps après le jugement en première instance de l'espèce. La disposition en jeu dans l'affaire susmentionnée, savoir le paragraphe 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, ne s'applique que si “ l'un des objets ” a été de diminuer sensiblement le gain en capital. On n'y voit pas les termes “ il est raisonnable de considérer ”. Dans sa décision, la Cour a présumé sans se prononcer là-dessus, que le critère était subjectif. Cependant il a été jugé que pour réfuter la présomption adoptée par le ministre que c'était là l'un des objets de l'opération,

... le contribuable (ou ses conseillers) doivent offrir une explication qui révèle les objets que sous-tend l'opération. Cette explication ne doit être ni invraisemblable ni déraisonnable... le contribuable doit présenter une explication convaincante qui démontre qu'aucun des objets visés n'était de diminuer sensiblement le gain en capital.[2]

À notre avis, vu la présence au paragraphe 15(1.1) des termes additionnels qui en permettent l'application lorsqu'il “ est raisonnable de considérer qu'un des motifs ” du versement consiste à modifier la valeur de la participation d'un actionnaire, la charge est encore plus lourde qui incombe au contribuable de produire l'explication objectivement raisonnable que l'opération n'a nullement pour objet de modifier la valeur de la participation d'un actionnaire.

Le juge de première instance n'a pas appliqué cette norme juridique aux faits de la cause. Il a conclu sa décision en ces termes :

[TRADUCTION]

Le seul témoignage dont la Cour a été saisie était celui de M. Wu. Le mieux qu'il ait pu faire, au sujet du quatrième motif, c'était de dire qu'il ne pouvait se rappeler aucune discussion avec qui que ce fût au sujet de la déclaration et du versement des dividendes. Son témoignage ne m'a pas convaincu. Sur certains points, il était évasif et sur d'autres, il ne se rappelait pas ce qui s'était passé. Il demeure cependant que si peu convaincant fût-il, son témoignage était le seul produit devant la Cour à ce sujet.

La structure des actions, selon M. Wu, a pris les proportions qu'elle prenait à cause de la formulation qu'en donnait son avocat. Cette formulation faisait suite aux instructions données par M. Wu de constituer la compagnie “ habituelle ” pour couvrir une partie de la pratique médicale et rien d'autre.

Tout bien pesé cependant, je ne suis pas convaincu que l'un des motifs du versement des dividendes fût de modifier sensiblement la valeur des actions ordinaires de catégorie A du Dr Ng. En conséquence, l'appel est accueilli avec dépens.

Le juge n'a pas pris en compte la charge de la preuve que faisait peser sur le contribuable la présomption faite par le ministre qu'il s'agissait justement là de l'un des motifs du versement des dividendes en actions au contribuable. En d'autres termes, il incombait en l'espèce au contribuable de prouver qu'il n'en était rien. N'empêche que tout en jugeant peu convaincant le témoignage de ce dernier, ainsi qu'on peut le voir dans le passage cité ci-dessus, il a conclu que puisqu'il s'agissait là de la seule preuve produite en l'espèce, il devait y ajouter foi. Il aurait dû plutôt examiner si ce témoignage satisfaisait au critère de l'explication objectivement raisonnable, par laquelle le contribuable pourrait s'acquitter de la charge qui lui incombait de prouver qu'aucun des motifs du versement n'était de modifier sensiblement la valeur de la participation du Dr Ng, au sens du paragraphe 15(1.1).

Dans ces conditions, nous avons conclu qu'il y a lieu d'annuler la décision de la Cour de l'impôt et de renvoyer l'affaire pour être jugée et décidée à nouveau dans le sens des présents motifs. Lors du nouveau procès, le juge de première instance adoptera aussi dans son jugement les arrangements conclus entre les parties et dont ne faisait pas état la décision attaquée de la Cour de l'impôt.

La Cour alloue à l'intimé ses frais et dépens raisonnables et légitimes.

[12] Il s'agissait là d'un appel à l'encontre du jugement, non publié, de l'honorable juge Sobier, de la Cour canadienne de l'impôt, en date du 3 septembre 1996 (Sa Majesté la Reine c. Peter K. S. Wu (96-7(IT)I)). Au cours de son analyse, le juge Sobier disait, à la page 5 de son jugement :

Le paragraphe 15(1.1) de la Loi se lit comme suit :

(1.1) Malgré le paragraphe (1), la juste valeur marchande d'un dividende en actions qu'une société verse à une personne au cours d'une année d'imposition doit être incluse dans le calcul du revenu de cette personne pour l'année — sauf dans la mesure où elle est déjà incluse dans le calcul du revenu de cette personne en vertu de l'alinéa 82(1)a) — s'il est raisonnable de considérer qu'un des motifs du versement est de modifier de façon sensible la valeur de la participation d'un actionnaire déterminé de la société.

C'est le prix de rachat qui a été ajouté au revenu de M. Wu.

Une analyse du paragraphe 15(1.1) montre que le libellé permettant de déterminer si le paragraphe s'applique est le suivant :

[...] un dividende en actions qu'une société verse à une personne au cours d'une année d'imposition [...] s'il est raisonnable de considérer qu'un des motifs du versement est de modifier de façon sensible la valeur de la participation d'un actionnaire déterminé de la société [...]

[les italiques sont de moi]

Ce libellé diffère quelque peu de celui du paragraphe 55(2) de la Loi, que le juge Bell, de la Cour, a analysé dans l'affaire non encore publiée Placer Dome Inc c. La Reine. La partie pertinente du paragraphe 55(2) (que j'ai élagué) se lit comme suit :

Lorsqu'une société résidant au Canada a reçu [...] un dividende imposable à l'égard duquel elle a droit à une déduction en vertu du paragraphe 112(1) ou 138(6), comme partie d'une opération ou d'un événement [...] dont l'un des objets [...] a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée [...]

[Je souligne]

Dans l'affaire Placer Dome, la question était de savoir si l'un des objets de l'opération était de diminuer sensiblement le gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisé. Aux pages 13 et 14 de ses motifs, le juge Bell a déclaré ceci :

La prochaine question est de savoir si l'un des objets de l'opération (en présumant qu'une opération peut avoir un objet) était de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée par l'appelante lors de la disposition des actions de Falconbridge et de McIntyre à leur juste valeur marchande. J'estime que ni l'appelante ni Falconbridge ne visait un tel objectif.

L'avocat de l'intimée a soutenu que, en vertu du paragraphe 55(2), l'un des objets de l'appelante, et non nécessairement son principal objet, devait être de diminuer sensiblement le gain en capital. Il s'est référé à des définitions du terme “ objet ”, notamment à celle du Black's Law Dictionary :

[TRADUCTION]

Ce qu'on tente d'accomplir ou d'atteindre; une fin, une intention, un but, un objectif, un plan, un projet. Le terme est synonyme des fins recherchées, d'un objectif à atteindre, d'une intention, entre autres choses.

et

du Shorter Oxford English Dictionary

[TRADUCTION]

1.                    l'objectif que l'on cherche à atteindre;

2. ce vers quoi tend l'action ou la volonté : intention, résolution, détermination.

L'avocat a ensuite soutenu qu'une personne était présumée avoir l'intention de subir les conséquences naturelles de ses actes et que, dans le cas de l'appelante, l'une des conséquences était la diminution sensible du gain en capital. Ce point de vue semble se fonder sur une analyse après coup. La réception d'un dividende pouvant être libre d'impôt ne signifie pas que l'un des objets des opérations était le paiement ou la réception d'un tel dividende. Selon ce point de vue, on examine les opérations une fois conclues au lieu de l'ensemble de la preuve pour déterminer si ce résultat particulier était l'un des objectifs de l'une ou l'autre des parties aux opérations.

[13] À mon avis, l'adjonction des termes “ il est raisonnable de considérer ” au paragraphe 15(1.1) ne supprime pas la valeur d'un examen de la définition du mot “ motif ” en vue de déterminer l'intention, la fin, le but, l'objet, le plan, le projet ou l'objectif devant être accompli ou réalisé. Les termes ajoutés indiquent clairement qu'une norme objective doit être appliquée à la preuve présentée par un contribuable et qu'un témoignage chimérique, grotesque ou par ailleurs douteux sur la question des motifs n'a pas à être pris pour argent comptant, pas plus que n'importe quel autre élément du témoignage ou de la preuve, même s'il est exprimé avec force et conviction. Il est évident que la norme à appliquer à l'égard du contribuable est beaucoup plus stricte qu'elle ne le serait si le mot “ désir ” était utilisé, comme au paragraphe 56(2) de la Loi, qui a été examiné par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Jones v. The Queen, 96 DTC 6015 (également intitulée Ascot Enterprises v. R., [1996] 1 C.T.C. 384). Dans cette affaire, le juge d'appel Décary — pour la Cour — disait à la page 388 :

Une fois qu'il est reconnu que l'objet du paragraphe 56(2), comme le résume le juge en chef Dickson dans l'arrêt McClurg c. Canada [[1990] 3 R.C.S. 1020, [1991] 1 C.T.C. 169, 91 DTC 5001, aux pages 1052-1053 (C.T.C. 184, DTC 5012)], est :

... d'assurer que les paiements qui auraient autrement été reçus par le contribuable ne soient pas détournés au profit d'un tiers comme technique d'évitement fiscal [...]

et qu'il faut prendre garde, quand on interprète cette disposition, de ne pas

... [violer] les principes fondamentaux du droit des sociétés ainsi que les réalités des pratiques commerciales, et [d'aller] au-delà de l'intention du législateur [...]

il devient évident que le “ désir ” de conférer un avantage est un élément capital de la disposition. Cette dernière, lorsque l'on interprète de manière franche, ne s'applique pas lorsque le contribuable n'a pas l'intention d'éviter de recevoir des fonds en s'organisant pour que des paiements soient faits à des tiers sans contrepartie suffisante.

Dans la Loi de l'impôt sur le revenu, le mot “ désir ” n'est employé qu'exceptionnellement. Son emploi au paragraphe 56(2) introduit l'idée d'un but. Il pousse plus loin la condition voulant que le contribuable participe de manière active (“ suivant les instructions... ”) ou de manière plus passive (“ avec l'accord de... ”) dans la décision de procéder au paiement ou au transfert d'un bien. La Cour fédérale, dans l'arrêt Smith c. La Reine [93 DTC 5351, p. 5355 (C.A.F.), [1993] 2 C.T.C. 257, à la page 261], fait mention du [TRADUCTION] “ mobile du contribuable... ”. En fait, il est remarquable que dans d'autres dispositions où apparaissent les mots “ à titre d'avantage que le contribuable désirait voir accorder ”, c'est-à-dire aux alinéas 51(2)c), 85(1)e.2) et 86(2)b), ceux-ci soient précédés des mots “ on peut raisonnablement considérer une partie de cet excédent comme... ”, ce qui dénote à mon sens que le critère qu'il convient d'appliquer en vertu de ces dispositions diffère de celui qui s'applique en vertu du paragraphe 56(2), et aussi qu'il est moins subjectif.

La Cour doit donc se concentrer sur le résultat que voulait atteindre le contribuable. Le critère est subjectif, mais, comme c'est toujours le cas lorsque l'on évalue après coup un état d'esprit subjectif, il est possible de recourir à des inférences. Ce qui compte n'est pas ce que dit aujourd'hui le contribuable, mais ce qu'il a fait à l'époque en cause. Ainsi qu'il est signalé dans l'arrêt Smith, à la p. 5356 du recueil [page 262 des C.T.C.], un juge peut certainement conclure que, selon la prépondérance des probabilités, un contribuable n'a pas réfuté les présomptions sur lesquelles s'est fondé le ministre pour fixer sa cotisation lorsque ce contribuable s'est appuyé uniquement sur son ignorance. Il incombe au contribuable d'expliquer pourquoi les transactions en question ont été faites et pourquoi elles ont été traitées de la sorte. Dans certains cas — il y en a quelques-uns d'énumérés dans l'arrêt Smith, à la page 5355 du recueil [page 261 des C.T.C.] — la nature de l'avantage accordé ou les circonstances d'une transaction seront des plus limpides et de nature à rendre évident le but que visait le contribuable.

[14] Sur la foi de la preuve qui m'a été présentée, il est clair que le Dr Lee était extrêmement intéressé à avoir des conseils sur l'utilisation d'une société professionnelle aux fins de l'exploitation d'un cabinet de médecin. L'autorisation d'utiliser le véhicule de la société professionnelle venait d'être accordée en 1985, et il avait demandé conseil au cabinet d'expertise comptable Price Waterhouse. Le conseil qu'il avait reçu était conforme à ce qu'il voulait réaliser, soit pouvoir différer le revenu dans certaines circonstances et, surtout, être en mesure de fractionner son revenu avec son épouse et ses enfants de manière à réduire le montant global de l'impôt payé sur les revenus provenant de l'exercice de sa profession de médecin. En se servant de la société professionnelle, il pouvait retirer un salaire d'environ 60 000 $ par année et laisser des bénéfices dans la société après paiement du montant approprié de l'impôt sur le revenu des sociétés, au taux inférieur applicable aux sociétés. La méthode particulière choisie pour la distribution de dividendes tenait compte du jugement rendu par la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire McClurg, précitée. Pendant que le contribuable portait ce jugement en appel (soit un appel qui a été accueilli par la section de première instance de la Cour fédérale — 86 DTC 6128 — dont la décision a été maintenue par la Cour d'appel fédérale — 88 DTC 6047), le conseil donné au Dr Lee et suivi par lui était de verser des dividendes à l'égard d'actions de catégorie “ B ” en émettant des actions de catégorie “ C ” rachetables pour la somme de 1 000 $ l'action. Lorsque les actions de catégorie “ C ” émises — comme dividendes — en faveur des enfants ont été rachetées par la société, les sommes reçues par les enfants ont été indiquées dans chacune de leurs déclarations de revenu conformément au paragraphe 82(1) de la Loi. Le Dr Lee a déclaré dans son témoignage qu'il n'avait jamais considéré l'effet que ces dividendes versés aux enfants auraient sur sa participation dans la société ou sur sa position du point de vue des gains en capital. Il a dit : “ L'idée ne m'a jamais traversé l'esprit. ” Il est évident que cela n'avait jamais été pris en considération par John Robinson, c.a., soit la personne ayant conseillé le Dr Lee en matière d'impôt sur le revenu. En fait, c'est seulement lorsque le vérificateur de Revenu Canada a soulevé la question de l'application possible du paragraphe 15(1.1) de la Loi aux faits particuliers des déclarations de revenu des appelants Wong et Lee que M. Robinson a consulté des collègues de son cabinet pour examiner la question plus à fond. Jusque-là, je reconnais que cet effet — même comme conséquence en aval ou en puissance — n'avait jamais été envisagé par le Dr Lee ou l'un de ses conseillers professionnels. Du point de vue du Dr Lee, sa société était une société professionnelle qui avait été expressément permise par la loi en Colombie-Britannique, puis, facteur plus important, approuvée par l'ordre des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique comme véhicule commercial approprié pour l'exploitation d'un cabinet de médecin à certaines conditions. Une des conditions était que le Dr Lee, comme médecin autorisé, détienne toutes les actions avec droit de vote de la société. Conformément à l'alinéa 27.1b) des statuts constitutifs de la société, les actions ordinaires sans droit de vote de catégorie “ B ”, ainsi que les actions privilégiées de catégorie “ C ”, “ peuvent être détenues uniquement par un membre de l'ordre des médecins et chirurgiens détenant les actions ordinaires de catégorie “ A ” ou par son conjoint ou ses enfants ”. Le Dr Lee considérait comme extrêmement faible la possibilité de revendre la société à un autre médecin exerçant. Avant d'être autorisé à exercer la médecine dans le cadre de la société professionnelle, le Dr Lee avait un revenu annuel d'environ 175 000 $, soit un revenu dont le plus gros était imposable. Après la constitution de la société, le revenu provenant de l'exercice de la médecine était resté le même, mais le Dr Lee pouvait retirer de la société seulement 60 000 $ par année, bénéficier des avantages liés aux bénéfices non répartis de la société — laquelle payait de l'impôt à un taux moindre qu'un particulier — et fractionner son revenu avec son épouse et ses enfants de manière à réduire l'impôt global sur le revenu gagné par la société. Son épouse, Judy Wong, travaillait pour la société, à son cabinet, et gagnait environ 24 000 $ par année.

[15] Il est évident que l'effet de la distribution des dividendes sous la forme d'actions privilégiées de catégorie “ C ” rachetables à 1 000 $ l'action a été de modifier de façon sensible la participation du Dr Lee dans la société. Que le Dr Lee ou ses conseillers aient ou non déjà considéré cet aspect de leurs méthodes de planification fiscale, tel a été le résultat.

[16] Le ministre voudrait que le paragraphe 15(1.1) soit interprété comme s'il se lisait de la manière suivante :

[TRADUCTION]

[...] la juste valeur marchande d'un dividende en actions qu'une société verse à une personne au cours d'une année d'imposition doit être incluse dans le calcul du revenu de cette personne pour l'année [...] s'il est raisonnable de considérer qu'un des effets du versement, nonobstant le motif de celui-ci, est de modifier de façon sensible la valeur de la participation d'un actionnaire déterminé de la société.

[17] Bien que la formulation souhaitée — qui figure en italiques — n'ait pas été approuvée par le Parlement, l'avocat de l'intimée soutenait que je pourrais interpréter cette disposition comme si elle avait été rédigée de cette manière, compte tenu du fait que le motif peut être deviné grâce à l'examen du résultat inévitable. Sur la foi de la preuve dont j'ai été saisi, il n'y a aucune raison pour rejeter le témoignage du Dr Lee expliquant les raisons pour lesquelles il a créé la société et a — ultérieurement — utilisé la méthode particulière consistant à verser des dividendes en actions à son épouse et à ses enfants. Le témoignage de John Robinson, soit le comptable du Dr Lee, étaye la proposition selon laquelle le seul motif de la constitution de la société et du versement de dividendes en actions de la façon choisie était de fractionner le revenu avec les membres de la famille pour réduire le montant de l'impôt par ailleurs payable et bénéficier d'un taux d'imposition moindre sur les bénéfices non répartis, soit le taux applicable aux sociétés. Comme la possibilité d'utiliser une société professionnelle pour exploiter un cabinet de médecin en Colombie-Britannique a été reconnue en 1985, alors que le Dr Lee exerçait la médecine depuis un certain nombre d'années, il est raisonnable d'accepter le fait que la structure étroite de la société professionnelle n'amènerait personne à considérer que cette société a une valeur marchande pour un tiers.

[18] Je ne conclus pas qu'un des motifs du versement des dividendes en actions était de modifier de façon sensible la valeur de la participation du Dr Lee dans la société. Statuer autrement sur la foi de la preuve, ce serait souscrire à la procédure de certains tribunaux du Moyen Âge qui étaient enclins à déclarer des personnes coupables du crime particulier consistant à “ avoir illicitement conçu la mort de Notre Souverain ”, et ce, malgré les dénégations — sous serment — vociférées par ces malheureux accusés et malgré l'affirmation sincère de leur fidélité indéfectible. Insensibles à cela, et nonobstant tout autre élément de preuve, les juges rendaient leurs verdicts en présumant que ces divers criminels devaient avoir — à un moment donné dans leur misérable vie — envisagé ne serait-ce que vaguement la possibilité, si lointaine fût-elle, de la mort du Souverain. Le ministre continue à voir de l'évitement presque partout sous diverses formes — soit toutes des dissimulations astucieuses et délibérées — et voudrait que les tribunaux soient plus enclins à adopter des principes anti-évitement non prévus par la loi, même lorsque le libellé de la mesure législative considérée est clair. Cette croisade semble se fonder sur la vague notion voulant que, parfois, un résultat particulier “ ne soit simplement pas juste ” ou que le législateur ne puisse jamais avoir réellement voulu permettre un certain “ jeu ” en adoptant une disposition particulière.

[19] L'avocat des appelants et l'avocat de l'intimée m'ont présenté des observations utiles quant à savoir quelles seraient leurs thèses si je concluais que le paragraphe 15(1.1) de la Loi s'appliquait, et cela aurait nécessité une analyse ultérieure quant à savoir si la prise en compte pourrait être étendue au revenu déjà déclaré par les enfants Lee qui avaient reçu un paiement au titre du rachat des actions privilégiées de catégorie “ C ”. La société n'a pas racheté d'actions privilégiées de catégorie “ C ” émises en faveur de Judy Wong. Je ne vois aucune raison d'examiner tout autre résultat vu la conclusion claire à laquelle je suis parvenu et étant donné que les faits sur lesquels se fondent les arguments subsidiaires sont évidents et n'exigent pas que j'essaie de découvrir des faits particuliers pour aider un tribunal d'appel s'il devait être déterminé que j'ai à tort statué que le paragraphe 15(1.1) de la Loi n'est pas applicable aux appels considérés en l'espèce.

[20] L'appel de chaque appelant est par les présentes admis, avec un seul mémoire de frais entre parties. Je conclus que le ministre n'aurait pas dû inclure de sommes dans le revenu des appelants pour l'année d'imposition 1989 ou 1991, car le paragraphe 15(1.1) de la Loi ne s'applique pas. Les cotisations établies à l'égard de chaque appelant sont par les présentes annulées.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique) ce 15e jour de janvier 1999.

“ D. W. Rowe ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 3e jour de septembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1] (1996) 96 D.T.C. 6562.

[2] Ibid., page 6567.

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