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Date: 19990106

Dossier: 96-4109-GST-G

ENTRE :

LA BANQUE ROYALE DU CANADA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 5 octobre 1998 à Montréal (Québec) par l’honorable juge Gerald J. Rip

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] Cette appel, interjeté par la Banque Royale du Canada (la “ Banque ”) contre une cotisation établie par le ministre du Revenu du Québec (le “ ministre ”) en vertu du paragraphe 317(2) de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”), soulève la question de savoir si le ministre peut légalement saisir une somme avancée à un débiteur fiscal sur la foi d'une garantie accordée par un tiers. Après que le ministre du Revenu national (“ Revenu Canada ”) lui eut signifié une demande formelle de paiement conformément au paragraphe 317(1) de la Loi, la Banque a prêté ou avancé une somme au débiteur fiscal, soit la compagnie Mastercraft Leather Goods (1986) Ltd. (“ Mastercraft ”), ou a effectué un paiement en son nom, sur la foi d'une garantie personnelle donnée par un actionnaire de la compagnie.

[2] La Banque fait valoir que la signification de la demande formelle de paiement par Revenu Canada ne peut valoir à son égard puisque, après cette signification, elle n'a effectué aucun paiement sur la foi de la garantie accordée par Mastercraft. La Banque a plutôt effectué des paiements sur le fondement de la garantie donnée par un actionnaire de Mastercraft. Le paragraphe 317(2) de la Loi s'applique à l'institution financière qui effectue un paiement au nom d'une personne qui a une dette envers l'institution et qui a donné à celle-ci une garantie pour cette dette.

[3] Le paragraphe 317(2) se lit comme suit :

(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), lorsque le ministre sait ou soupçonne que, dans les 90 jours, selon le cas :

a) une banque, une caisse de crédit, une compagnie de fiducie ou une personne semblable — appelée “ institution ” au présent article — prêtera ou avancera une somme au débiteur fiscal qui a une dette envers l'institution ou qui a donné à celle-ci une garantie pour cette dette, ou effectuera un paiement au nom d'un tel débiteur ou au titre d'un effet de commerce émis par un tel débiteur;

b) [. . . ]

il peut, par lettre recommandée ou certifiée ou signifiée à personne, obliger cette institution ou cette personne à verser au receveur général au titre de l'obligation du débiteur fiscal en vertu de la présente partie tout ou partie de la somme qui serait autrement ainsi prêtée, avancée ou payée. La somme ainsi versée est réputée avoir été prêtée, avancée ou payée au débiteur fiscal.[1]

(2) Without limiting the generality of subsection (1), where the Minister has knowledge or suspects that within ninety days:

(a) a bank, credit union, trust company or other similar person (in this section referred to as the “institution”) will loan or advance moneys to, or make a payment on behalf of, or make a payment in respect of a negotiable instrument issued by, a tax debtor who is indebted to the institution and who has granted security in respect of the indebtedness, or

(b) [. . . ]

the Minister may, by a letter served personally or by registered or certified mail, require the institution or person, as the case may be, to pay in whole or in part to the Receiver General on account of the tax debtor’s liability under this Part the moneys that would otherwise be so loaned, advanced or paid, and any moneys so paid
to the Receiver General shall be deemed to have been loaned, advanced or paid, as the case may be, to the tax debtor.

[4] Les faits ne sont pas en litige. Mastercraft est une société privée exploitant une entreprise de fabrication et de vente de produits de cuir. Le 13 décembre 1990, Mastercraft a obtenu de la Banque des facilités de crédit, cette dernière acceptant de prêter à Mastercraft la somme de 1 700 000 $ à titre de prêt d'exploitation, la somme de 602 840 $ à titre de prêt à terme (les “ prêts ”) et d'autres montants. Le remboursement des prêts était garanti notamment par une cession des stocks en vertu de l'article 178 de la Loi sur les banques, laquelle cession portait sur les matières premières, les produits en cours de fabrication et les produits finis, par une cession générale des comptes débiteurs ainsi que par une garantie et une subordination de créance de 2 306 420 $ données par Michael Zunenshine, un actionnaire de Mastercraft. M. Zunenshine a également signé une lettre[2] dans laquelle il reconnaissait, entre autres choses, qu'il se portait caution à l'égard des prêts. Il a également reconnu que la situation financière de Mastercraft ne justifiait pas que la banque avance à la compagnie et à une société affiliée des sommes totalisant 3 519 170 $ et que [TRADUCTION] “ les facilités sont basées uniquement sur mes garanties personnelles totalisant 2 306 420 $ données en faveur de Mastercraft [...], [et qui peuvent] mettre en jeu mes biens personnels [...] ”. Les avocats ont convenu que la valeur de la garantie accordée par Mastercraft elle-même, à savoir la cession des stocks et la cession générale des comptes débiteurs, s’élevait en tout à 1 700 000 $.

[5] Le 19 mars 1992, Revenu Canada a adressé à la Banque une demande formelle de paiement en vertu du paragraphe 317(2) de la Loi. Revenu Canada était d'avis que la Banque était tenue de payer à Mastercraft un montant de 42 976,04 $ ou était sur le point de devoir faire ce paiement. Il était exigé de la Banque qu’elle paie ce montant au receveur général du Canada au titre de l'obligation de Mastercraft aux termes de la Loi. Il appert qu'au 19 mars 1992 Mastercraft avait utilisé au complet les facilités de crédit établies avec la Banque. Les avocats des deux parties conviennent que tous les montants payés par la Banque Royale après la réception de la demande formelle de paiement l'ont été sur le fondement de la garantie personnelle que M. Zunenshine avait accordée à la Banque et qui excédait celle qu'avait donnée Mastercraft elle-même.

[6] Les avocats ont indiqué que la seule question à trancher est celle de l'interprétation du paragraphe 317(2) de la Loi et, plus précisément, qu'il s'agit de déterminer si cette disposition s'applique lorsque, après réception d'une demande formelle de paiement, une institution financière fait des avances sur la foi d'une garantie donnée par un tiers et non par le débiteur lui-même.

[7] De l'avis de l'appelante, la personne “ qui a donné [...] une garantie pour [la] dette ” était M. Zunenshine, et non Mastercraft.

[8] Le débiteur, Mastercraft, n'est pas partie au contrat intervenu entre la Banque et M. Zunenshine, bien que le contrat ait été conclu pour le bénéfice de Mastercraft. Le contrat entre M. Zunenshine et la Banque est un contrat de cautionnement, terme défini à l'article 2333 du Code civil du Québec (le “ Code civil ”) :

Art. 2333. Le cautionnement est le contrat par lequel une personne, la caution, s'oblige envers le créancier, gratuitement ou contre rémunération, à exécuter l'obligation du débiteur si celui-ci n'y satisfait pas..

Art. 2333. Suretyship is a contract by which a person, the surety, binds himself towards the creditor, gratuitously or for remuneration, to perform the obligation of the debtor if he fails to fulfil it

[9] Mastercraft n'a pas garanti le paiement d'un montant supérieur à la valeur de la garantie qu'elle a accordée à la Banque, à savoir 1 700 000 $, a déclaré l'avocate de l'appelante. Le paragraphe 317(2), a-t-elle dit, vise à faire en sorte que le créancier puisse avoir accès aux biens du débiteur; la disposition ne porte pas sur les biens d'un tiers qui a garanti le paiement de la dette. Le paragraphe 317(2) ne parle pas du débiteur fiscal “ pour qui la garantie a été donnée ”, mais du débiteur fiscal “ qui a donné [...] une garantie pour [la] dette ”.

[10] Pour sa part, l'avocat de l'intimée fait valoir que le paragraphe 317(2) s'applique à toute garantie dont le créancier dispose pour assurer le paiement de la dette, laquelle garantie est un droit sur un bien ou l'obligation personnelle d'un tiers. L'avocat de l'intimée fait une distinction entre les termes “ garantie ” et “ security ” dans les versions française et anglaise de l'alinéa 317(2)a), d'une part, et les termes “ garantie ” et “ security interest ”, d'autre part, qui sont définis au paragraphe 317(4) et dont la définition s'applique au paragraphe 317(3). De l'avis de l'avocat, les termes “ garantie ” et “ security ” à l'alinéa 317(2)a) ne désignent pas un droit sur un bien, mais n'importe quel type de garantie, alors que les termes “ garantie ” et “ security interest ” au paragraphe 317(3) s'entendent précisément du droit sur un bien qui garantit le paiement ou l'exécution d'une obligation.

[11] L'avocat de l'intimée a fait valoir que les termes “ garantie ” et “ security ” à l'alinéa 317(2)a) englobent le “ cautionnement ” ou “ suretyship ”. La raison pour laquelle la Banque Royale a prêté de l'argent à Mastercraft, d'après l'avocat, est que le débiteur a fourni à la Banque des garanties suffisantes : celle qui portait sur les biens du débiteur et celle qu'avait accordée personnellement M. Zunenshine. En d'autres termes, puisque Mastercraft ne pouvait accorder de garantie que pour un montant de 1 700 000 $, mais qu'elle avait besoin de prêts qui, au total, excédaient ce montant d'au moins 2 300 000 $, elle a obtenu, en faveur de la Banque, une garantie personnelle de M. Zunenshine totalisant 2 300 000 $.

ANALYSE

[12] Les termes “ garantie ” et “ security ” au paragraphe 317(2) ne sont pas définis dans la Loi. Il faut donc en déterminer le sens selon les lois de la province dans laquelle la garantie a été accordée, soit en l’occurrence le Québec. Le Code civil ne définit pas le terme “ garantie ”. Dans la définition de “ cautionnement ” ou de “ suretyship ”, le Code civil appelle “ caution ” ou “ surety ” la personne qui accorde la garantie. Me P. B. Mignault écrit que “ le cautionnement ne peut avoir plus d'étendue que la dette qu'il garantit ”[3]. En d'autres termes, le cautionnement ne peut être plus important que la dette sur laquelle il porte; un cautionnement est une garantie. Le professeur Deslauriers discute du sens du terme “ sûreté ”, qui est synonyme de “ caution ” :

I. Définition générale des sûretés

Les sûretés sont des garanties accordées à un créancier, soit par la loi, soit par le débiteur lui-même, pour lui assurer l’exécution d’une obligation principale et le protéger contre les risques d’insolvabilité de son débiteur. L’obligation principale constitue donc un engagement distinct de la sûreté qui la garantit.

[...]

La sûreté accompagnant une créance, sûreté personnelle ou réelle, assure au créancier une certaine protection contre l’insolvabilité de son débiteur. En cas de défaut du débiteur, le créancier peut réclamer le paiement de la caution, sûreté personnelle.[4]

[13] Dans l'affaire Caisse populaire d'Amos c. Denis Cimaf Inc., [1997] A.Q. no 3951, la Cour d'appel du Québec a examiné le sens de “ garantie ” (l’équivalent français de “ security ” au paragraphe 317(2)) au paragraphe 25 :

Ensuite, la définition encore plus large de "garantie" comprend tout droit sur un bien qui garantit l'exécution d'une obligation. Ces termes me semblent, là encore, suffisamment étendus pour couvrir la cession de créance du droit civil québécois. [Je souligne.]

[14] Le fait que la version française du paragraphe 317(2) de la Loi ne parle que de “ garantie ” et non de“ sûreté ” indique que le législateur souhaitait donner au terme “ garantie ” un sens large et général. Le professeur Deslauriers a défini le terme “ sûreté ” comme étant une “ garantie ”. Le Nouveau Petit Robert définit les termes “ garantie ” et “ sûreté ” dans les termes suivants :

Garantie: n.f. 1. Dr. Obligation d’assurer à qqn la jouissance d’une chose, d’un droit, ou de le protéger contre un dommage éventuel; responsabilité résultant de cette obligation [...] Contrat de garantie, dont l’objet principal est de fournir une garantie à un créancier [...]

Sûreté: n.f. Dr. Garantie fournie à un créancier pour le recouvrement de sa créance [...] Sûreté réelle, lorsque les biens du débiteur sont apportés en garantie de paiement. Sûreté personnelle, qui résulte de l'engagement d'un tiers au côté du débiteur [...]

[15] Une “ sûreté ” est une forme de “ garantie ”. La définition de “ sûreté ” englobe différentes sortes de “ sûretés ”, personnelles et réelles. Le Dictionnaire de droit québécois et canadien définit l'expression “ sûreté personnelle ” :

Sûreté consistant dans l’engagement personnel d’un tiers de répondre sur son patrimoine de l’exécution de l’obligation du débiteur. Ex. Le cautionnement est une sûreté personnelle.

[16] En common law, le terme “ security ” a été analysé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt La Reine c. Province of Alberta Treasury Branches et al.[5], où elle s'est penchée sur la question de savoir si une cession générale de comptes débiteurs est une forme de garantie et si la Couronne a priorité sur les institutions prêteuses. À la page 979, le juge Cory écrit :

Fondamentalement, une garantie est quelque chose que l'on donne pour assurer le remboursement d'un prêt. [...]

[17] Dans l'arrêt Singer v. Williams, [1921] 1 A.C. 41, la Chambre des Lords a examiné le sens des expressions “ foreign securities ” (garanties étrangères) et “ foreign possessions ” (possessions étrangères) qui figurent dans la Income Tax Act of 1842. Le vicomte Cave a dit, à la page 49 :

[TRADUCTION]

Vos Seigneuries, le sens ordinaire du terme “ garanties ” ne laisse place à aucun doute. Le terme désigne une dette ou une créance dont le paiement est d'une façon ou d'une autre garanti. La garantie consiste généralement en un droit de recourir à un fonds ou un bien pour obtenir paiement, mais je ne suis pas disposé à dire que d'autres formes de garanties (comme une garantie personnelle) sont exclues. Cependant, dans chaque cas où le terme est utilisé dans son sens ordinaire, cela présuppose l'existence d'une forme d'obligation garantie.

[18] Il ne semble y avoir aucune différence marquée entre la définition du terme “ garantie ” en droit civil et celle du terme “ security ” en common law. Dans les deux systèmes de droit, une garantie personnelle est une garantie.

[19] L'avocat de l'intimée a déclaré que M. Zunenshine était une caution de Mastercraft pour le remboursement de la dette de celle-ci et qu'une garantie donnée par une caution est aux fins du paragraphe 317(2) de la Loi une garantie donnée par le débiteur fiscal. C'est le débiteur fiscal qui a l'obligation de trouver une garantie qui satisfera le prêteur. Je partage cette opinion. Le débiteur fiscal a l'obligation de trouver une garantie pour le remboursement du prêt. S'il est satisfait de la garantie que le débiteur fiscal a fournie, le prêteur avancera l'argent au débiteur.

[20] Le législateur avait l'intention de donner un sens large et général aux termes “ garantie ” et “ security ” employés au paragraphe 317(2) de la Loi. En l'absence de toute restriction, les termes “ garantie ” et “ security ” ont une signification large et peuvent inclure toute forme de garantie, qu'elle soit personnelle, comme en l'espèce, ou qu'elle porte sur un bien[6]. Le fait que le législateur a défini les termes “ garantie ” et “ security interest ” au paragraphe 317(4) indique bien qu'il voulait donner à ces termes, aux fins du paragraphe 317(3), un sens que le terme “ garantie ” employé au paragraphe 317(2) n'a pas.

[21] Lorsque Mastercraft a négocié le prêt avec la Banque, celle-ci a exigé une garantie supérieure à celle que Mastercraft pouvait lui donner sur ses propres biens. Mastercraft a donc pris des dispositions pour offrir une garantie supplémentaire au moyen de la garantie personnelle de M. Zunenshine. C'est Mastercraft qui a fourni la garantie personnelle de M. Zunenshine à la Banque. M. Zunenshine est la “ caution ” qui s'est obligée envers la Banque. La garantie personnelle de M. Zunenshine est une “ garantie ” au sens du paragraphe 317(2) de la Loi.

[22] Par conséquent, l'appel est rejeté avec frais à l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de janvier 1999.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de juillet 1999.

Erich Klein, réviseur



[1]            Les avocats ont convenu qu'il faudrait lire “ et ” à la place de “ ou ” dans l'expression “ une banque [...] prêtera ou avancera une somme au débiteur fiscal qui a une dette envers l'institution ou qui a donné à celle-ci une garantie pour cette dette [...] ” à l'alinéa 317(2)a). La version anglaise utilise la conjonction “ and ” et non “ or ”. Le terme “ et ” figure dans le texte français du paragraphe 224(1.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, une disposition analogue. [Je souligne.]

[2]               La lettre n'est pas datée, mais elle est jointe à la lettre de la Banque, datée du 13 décembre 1990, qui énonce les modalités des prêts.

[3]               P. B. Mignault, Le droit civil canadien, Wilson & Lafleur, Montréal, 1909, vol. 8, page 343.

[4]               J. Deslauriers, Précis de droit des sûretés, Wilson & Lafleur, Montréal, 1990, page 5.

[5]               [1996] 1 R.C.S. 963.

[6]               Si l'interprétation faite par l'appelante du paragraphe 317(2) était correcte, c'est-à-dire si la disposition relative à la saisie-arrêt dans la Loi ne s'applique pas aux avances faites par le créancier sur le fondement des garanties d'un tiers, les institutions financières auraient toute liberté d’écarter le débiteur et d’insister pour n'obtenir que des garanties données par des tiers. Ce serait là un résultat absurde, contraire à la pratique commerciale généralement reconnue et, de toute évidence, contraire à l'intention du législateur.

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