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Date: 19981203

Dossier: 95-1888-IT-G

ENTRE :

LAWRENCE CORRIVEAU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels concernant les années d'imposition 1985, 1986 et 1987.

[2] La première des deux questions en litige est de savoir si les créances ou les autres droits dont l'appelant a disposé durant les années en litige auraient été acquis par lui dans le but de tirer un revenu d'entreprise ou de bien au sens de l'alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Si c'est le cas, la disposition de ces créances ou de ces droits permettrait à l'appelant de réclamer une perte à titre de placement d'entreprise. Ces créances ou ces droits étaient détenus par l'appelant à l'encontre d'une corporation dont le seul actionnaire était son fils.

[3] La deuxième question en litige est de déterminer au sens du paragraphe 15(1) de la Loi le montant de l'avantage conféré à l'appelant à titre d'actionnaire d'une corporation qui lui a acheté sa maison privée, l'a entretenue et la lui a louée.

[4] Pour établir ses cotisations le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) s'est appuyé sur les faits décrits au paragraphe 7 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ) comme suit :

(a) au cours des années en litige, l'appelant exerçait la profession d'avocat dans la région de Québec;

(b) la tenue de livres effectuée par l'appelant relativement à sa profession était inadéquate;

(c) l'appelant a omis de déclarer, dans le calcul du revenu de sa profession pour les années d'imposition 1985, 1986 et 1987, des recettes de 12 998,46 $, 45 800 $ et 8 745 $, respectivement;

(d) les frais de représentation de 15 811 $, 12 512 $ et de 16 504 $, réclamés par l'appelant dans le calcul du revenu de sa profession pour les années d'imposition 1985, 1986 et 1987, respectivement, sont des frais personnels ou de subsistance de l'appelant et ces dépenses n'ont pas été engagées ou effectuées par celui-ci en vue de tirer un revenu d'entreprise ou de bien;

(e) l'appelant a omis de déclarer des revenus d'intérêts de 20 858 $ et de 17 151 $ dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1986 et 1987, respectivement;

(f) tout au long de la période en litige, l'appelant était le seul actionnaire de la compagnie Centre d'achat Duberger Inc. (la « Compagnie » );

(g) tout au long de la période en litige, la Compagnie était propriétaire d'un immeuble servant de résidence personnelle à l'appelant;

(h) durant les années en litige, la Compagnie a encouru ou effectué des dépenses relatives à l'immeuble servant de résidence personnelle à l'appelant;

(i) durant la période en litige, l'appelant s'est vu conférer des avantages à titre d'actionnaire de la Compagnie par suite de l'utilisation de l'immeuble appartenant à celle-ci, calculé tel qu'il suit :

1985 1986 1987

Utilisation de la résidence 26 250 $ 24 375 $ 21 250 $

Dépenses de la résidence

payées par la Compagnie 18 858 $ 5 780 $ 14 232 $

Loyer payé par l'appelant (8 400 $) (8 400 $) (8 400 $)

Valeur de l'avantage 36 708 $ 21 755 $ 27 082 $

(j) outre les avantages mentionnés au sous-paragraphe (i) ci-dessus, l'appelant s'est vu conférer des avantages par la Compagnie, à titre d'actionnaire de celle-ci, au cours des années d'imposition 1985 et 1986, d'une valeur de 31 943,24 $ et de 20 000 $, respectivement;

(k) tout au long de la période en litige, l'appelant recevait régulièrement, à titre d'actionnaire de la Compagnie, des prêts consentis par cette dernière;

(l) durant l'année d'imposition 1985, l'appelant a reçu un prêt consenti par la Compagnie d'un montant de 22 202 $, sans qu'aucun arrangement n'ait été conclu de bonne foi pour que le prêt soit remboursé dans un délai raisonnable;

(m) le remboursement de ce prêt a été fait dans le cadre d'une série de prêts, de remboursements ou d'autres opérations;

(n) le total des intérêts, calculés au taux prescrit, sur le solde impayé de chacun des prêts consentis par la Compagnie à l'appelant est de 5 146 $, 5 180 $ et 1 755 $, pour les années d'imposition 1985, 1986 et 1987, respectivement;

(o) dans ses déclarations de revenu pour les années d'imposition 1985, 1986 et 1987, l'appelant a réclamé des pertes au titre d'un placement d'entreprise de 3 100 $, 5 000 $ et 6 000 $, respectivement;

(p) ces montants se rapportent à des sommes versées par l'appelant à son fils, Paul Corriveau, à des compagnies lui appartenant, dont Motosport Paul Corriveau Inc., ou à des créanciers de ceux-ci;

(q) ces sommes étaient versées dans le but de régler les dettes de ces personnes ou dans le but d'honorer certains cautionnements que l'appelant avait consenti à leur égard;

(r) les pertes réclamées ne se rapportent pas à des créances acquises par l'appelant en vu de tirer un revenu d'entreprise ou de bien.

[5] Au début de l'audience, les parties ont informé la Cour que plusieurs points en litige avaient été préalablement réglés. Elles ont fait parvenir une entente signée les 4 et 6 août. En ce qui concerne l'alinéa 7 (c) de la Réponse, les parties ont accepté des montants respectifs de 2 498,46 $, 24 600 $ et 8 245 $ au lieu de ceux mentionnés au dit alinéa. En ce qui concerne l'alinéa 7 (d) de la Réponse, les parties ont accepté de réduire légèrement les sommes y mentionnées comme suit : 15 249 $, 12 462 $ et 14 744 $. Les sommes mentionnées à l'alinéa 7 (j) de la Réponse sont réduites à 3 000 $ et 15 000 $.

[6] Toujours au début de l'audience, l'appelant a admis les alinéas 7 (e) et 7 (k) à 7 (n) de la Réponse.

[7] Il reste donc en litige les alinéas 7 (f) à 7 (i) et 7 (o) à 7 r) de la Réponse. Les alinéas 7 (f) à 7 (i) de la Réponse concernent l'avantage conféré à l'actionnaire pour l'utilisation d'une maison résidentielle, propriété d'une corporation dont l'appelant est le seul actionnaire. C'est la deuxième question en litige. Les alinéas 7 (o) à 7 (r) de la Réponse soulèvent le point de savoir si les créances avaient été acquises par l'appelant dans le but de tirer un revenu d'entreprise ou de bien. C'est le premier point en litige. Les pertes réclamées au titre d'un placement d'entreprise sont plus élevées que celles mentionnées dans la Réponse. Ces montants plus élevés ont été soulevés au moment de l'opposition.

[8] Monsieur Paul Corriveau, l'appelant et le comptable monsieur Briand Belland ont témoigné sur le premier point en litige. Madame Jeannette Casavangh Ferron, l'appelant et le comptable ont témoigné concernant le deuxième point en litige. Madame Nicole Turcotte, agent du Ministre a témoigné sur l'ensemble de la preuve. C'est l'appelant qui a interrogé les témoins et a défendu le deuxième point. Lors du témoignage de l'appelant, c'est son avocat qui l'a interrogé et c'est également celui-ci qui a présenté les arguments quant au premier point en litige.

[9] Monsieur Paul Corriveau est le fils de l'appelant. Il était le président de Motosports Paul Corriveau Inc., corporation créé en novembre 1977. Les lettres patentes ont été déposées comme pièce A-1. On y voit que Paul et Richard Corriveau ainsi que Jocelyne P. Corriveau détiennent chacun une action. Paul est décrit comme commerçant, Richard comme étudiant et Jocelyne comme ménagère. Ils ont tous la même adresse civique.

[10] En 1977, Paul avait 22 ans. Il faisait des études en administration. Il a expliqué que de 12 à 19 ans, il a fait de la moto. Au début, c'était un passe-temps mais c'est devenu pour lui une activité sérieuse. Il a voyagé beaucoup et gagné de nombreux championnats. Il a été commandité par des compagnies importantes de motos. Son père le suivait à peu près partout. Ils rencontraient beaucoup de gens impliqués dans les courses et dans la fabrication des motos. C'est ainsi qu'est venu le sujet qu'à Ste-Foy, il y avait un marché pour un magasin de motos de marque Yamaha. Il y avait un marchand à Beauport mais cela en prenait un à Ste-Foy. Les représentants de la compagnie Yamaha ont approché son père pour lui parler d'une possibilité d'affaires. Puisqu'il était aux études en administration, cela s'agençait bien. Son père lui a demandé de chercher un local convenable. Lui et son père ont aussi fait des démarches auprès de la compagnie Harley Davidson. Ce qui a eu pour résultat qu'en janvier 1978, Motosports Paul Corriveau Inc., ci-après appelée « Motosports » , a ouvert son commerce avec les deux marques. Le nom corporatif vient du fait que Paul Corriveau était connu localement à cause des nombreux championnats qu'il avait remportés.

[11] À l'ouverture du commerce, l'appelant a eu à endosser tout ce qui exigeait des cautionnements, notamment la marge de crédit et l'achat de l'inventaire. L'appelant a aussi procédé à des mises de fonds directes. Plutôt que de recourir à la marge de crédit de la corporation, monsieur Paul Corriveau recourait directement à son père. Les chèques étaient faits au nom de la corporation.

[12] L'endettement de la corporation à cause des taux élevés d'intérêt est devenu trop grand. Monsieur Paul Corriveau a expliqué que son père a rencontré les comptables qui lui ont conseillé de laisser la ligne Yamaha pour ne garder que la ligne Harley-Davidson dans le but d'alléger l'inventaire. Motosports a cessé d'agir en juin 1984. Il y a eu la formation d'une autre corporation, soit Moto USA, ceci, selon le témoin, afin de sécuriser l'agence Harley Davidson. Le 30 septembre 1985, ce fut la fermeture de Moto USA.

[13] La pièce A-2 est une entente entre Motosports Paul Corriveau Inc. et Lawrence Corriveau en date du 23 janvier 1978. Elle se lit comme suit :

...

La présente est pour confirmer notre entente à l'effet que vous accepterez de vous porter caution conjointe et solidaire de certaines des dettes et obligations de la compagnie MOTOSPORTS PAUL CORRIVEAU INC. afin de lui permettre de démarrer ses affaires et/ou poursuivre ses affaires.

En considération des cautionnements à être souscrits par vous au bénéfice de la compagnie, cette dernière s'engage à vous verser des honoraires annuels correspondant à 0.25 % de la valeur des dettes cautionnées par vous, lesquels honoraires seront payables dès que les liquidités de la compagnie le permettront.

Enfin, la présente confirme qu'advenant que vous soyez dans l'obligation d'acquitter, à titre de caution, l'une ou l'autre des dettes de la compagnie, vous aurez le droit de transformer votre créance contre cette dernière en actions ordinaires ou privilégiées du capital-actions de la compagnie, selon votre choix et, à cet égard, le soussigné s'engage à faire tout ce qui est requis, nécessaire ou utile afin de donner suite à la présente convention.

....

[14] La pièce A-3 qui est un document corporatif en date du 18 août 1978, se lit comme suit :

...

La présente est pour confirmer notre entente à l'effet qu'à certaines occasions antérieures, et en date de la présente, vous avez avancé des fonds à la compagnie afin de lui permettre de continuer ses activités.

En considération de ces avances de fonds, la compagnie s'engage à vous verser des intérêts au taux annuel de 12 % sur les avances de fonds par vous, lesquels intérêts seront payables dès que les liquidités de la compagnie le permettront.

Le remboursement de ces avances de fonds pourra se faire à votre choix, soit en paiement intégral plus intérêts courus ou transformer vos avances en actions ordinaires ou privilégiées du capital-actions de la compagnie et, à cet égard, le soussigné s'engage à faire tout ce qui est requis, nécessaire ou utile afin de donner suite à la présente convention.

Advenant le cas où vous preniez votre retraite à titre d'avocat, il vous sera émis des actions ordinaires du capital-actions de la compagnie pour que vous possédiez quarante pour-cent (40%) des actions ordinaires de la compagnie à même vos mises de fonds.

....

[15] Monsieur Paul Corriveau a expliqué qu'il a toujours été compris par les parties aux ententes consignées aux pièces A-2 et A-3, qu'elles avaient un effet continu et concernaient tout autant les avances passées que celles futures tant pour Motosports que pour Moto USA.

[16] La pièce I-1 est les états financiers au 31 décembre 1979. On y voit dans la description du passif : avances d'un administrateur (sans intérêt, à échéance indéterminée) 15 391 $. Le même montant se retrouve pour l'année 1978. C'était des avances faites par l'appelant à la compagnie. Selon monsieur Paul Corriveau, son père n'était pas légalement un administrateur mais c'était tout comme un administrateur.

[17] La pièce I-2 est les états financiers pour l'année se terminant le 31 décembre 1981. À la page 7, on y lit au titre de la dette à long terme : emprunt d'un administrateur, sans intérêt ni modalité de remboursement 50 765 $. La pièce I-3 est les états financiers pour l'année 1982. L'emprunt est au montant de 71 685 $.

[18] La pièce I-4 est les états financiers pour l'année 1983. On y lit maintenant : avance d'un actionnaire, sans intérêt ni mode de remboursement prévu. Le montant est rendu à 81 285 $. On y voit aussi emprunt d'un particulier, (intérêts remboursables mensuellement au taux de base plus 2 1/2 pour-cent), sans mode de remboursement prévu quant au capital : 30 000 $. Selon monsieur Paul Corriveau, son père avait emprunté directement pour la compagnie parce qu'il n'y avait plus de possibilité d'augmenter la marge de crédit.

[19] L'appelant a témoigné. Il a expliqué que son fils Paul a commencé comme junior, puis intermédiaire et ensuite senior dans la course de motocross. Il est devenu le champion du Canada en motocross et en moto sur glace. Lui-même le suivait partout et a connu tout le monde de ce sport. Il dit qu'en tant qu'avocat, il ne voulait pas être actionnaire de façon publique mais qu'il le serait de manière silencieuse. Il dit qu'il se voyait aussi à la retraite dans ce genre de commerce. Il a accepté de prendre les concessions en autant que ce soit au nom de son fils Paul. Lui cependant garantirait tous les prêts et fournirait l'argent nécessaire à ce commerce. Il a cautionné le bail, il a négocié l'inventaire et l'a cautionné. C'est lui qui a mis en totalité la mise de fonds nécessaire et en conséquence l'appelant voulait retirer un avantage économique de cet investissement. Cela explique les documents, pièces A-2 et A-3. Il s'informait à chaque semaine sur ce qui se passait à la compagnie.

[20] Monsieur Briand Belland, comptable de l'appelant a témoigné. Il a une expérience de 20 ans. Il est le comptable de l'appelant et de la compagnie depuis 1981. C'est par son intermédiaire que les pièces A-5 à A-12 ont été déposées. C'est lui qui en avait préparé la présentation. Les pièces A-5 à A-10 concernent l'année 1985. La pièce A-11 concerne l'année 1986 et la pièce A-12 concerne l'année 1987.

[21] La pièce A-5 est un chèque en date du 15 juillet 1985, au montant de 26 731,96 $ fait à une banque en règlement final pour Motosports Paul Corriveau Inc. La perte réclamée est au montant de 13 365,98 $.

[22] La pièce A-6 est constituée de quatre chèques faits à l'ordre de Moto USA au montant total de 28 787,75 $, datés du 15 février 1985 au 23 juillet 1985. La perte réclamée est au montant de 14 393,88 $.

[23] La pièce A-7 est constituée de chèques faits à l'ordre d'un bureau d'avocats en fiducie en date du 30 août et 15 novembre 1985 et du 15 janvier 1986, pour un montant de 61 000 $. Ces chèques ont servi à payer la caution de l'inventaire. La perte réclamée est de 30 500,00 $.

[24] La pièce A-8 est constituée de deux chèques faits à l'ordre d'huissiers agissant pour la ville de Ste-Foy en date du 30 janvier et 12 février 1985 pour un montant total de 5 460,13 $. La perte réclamée est de 2 730,07 $.

[25] La pièce A-9 est constituée de deux chèques, l'un en date du 23 novembre 1984 fait à l'ordre de Motosports Paul Corriveau Inc. pour un montant de 6 200 $, l'autre en date du 24 septembre 1985 fait à l'ordre de monsieur Paul Corriveau au montant de 5 800 $. Selon le comptable, le deuxième chèque a été utilisé par Moto USA parce qu'il a été déposé dans ce compte. La perte réclamée est la moitié de chacun de ces montants.

[26] La pièce A-10 comprend les mêmes documents que les pièces I-1 à I-4. Le comptable indique que l'appelant aurait droit à la moitié du montant de 81 285 $ soit 40 642,50 $.

[27] Les pièces A-11 et A-12 comprennent une série de chèques faits à la banque pour payer un endossement fait pour les fins du commerce. Pour l'année 1986, leur prix de base rajusté est de 10 000 $ et en l'année 1987, de 11 000 $. La perte réclamée pour chacune de ces années est la moitié de chacun de ces montants.

[28] L'appelant a fait construire la résidence familiale en 1959 pour un coût d'environ 100 000 $. Il l'a habitée jusqu'en 1996. Il l'a vendue en 1981 au Centre d'achats Duberger Inc., corporation dont il était le seul actionnaire pour la somme de 250 000 $. Il y avait une hypothèque sur la maison que la corporation a prise en charge. Il ne se souvenait pas du montant de l'hypothèque.

[29] Madame Jeannette Casavangh Ferron est détentrice d'un diplôme de courtier d'immeubles. L'appelant désirait la faire témoigner à l'égard des prix de loyers pour une résidence comme la sienne. L'avocat de l'intimée s'est opposé en se fondant sur le fait qu'il s'agissait du témoignage d'un expert et que la procédure prescrite par l'article 145 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) n'avait pas été suivie. Elle a quand même témoigné sous réserve de cette objection. Il n'est pas nécessaire de parler plus longuement de ce témoignage, vu la conclusion sur le droit à laquelle j'arrive plus tard dans ces motifs.

[30] Madame Nicole Turcotte est comptable à Revenu Canada. Elle a expliqué qu'elle avait rejeté la demande de l'appelant en ce qui concerne le premier point en litige parce qu'il n'était pas actionnaire de la corporation à laquelle il avait avancé des fonds. Le montant des avances à la corporation au niveau de l'opposition était beaucoup plus élevé que celui dont il était mention au niveau de la cotisation. Elle a fait l'étude de ces réclamations mais la preuve n'est pas claire, à savoir si elle les considérait comme des créances véritables à l'encontre de la corporation ou si elle les a rejetées surtout en se fondant sur le fait que l'appelant n'était pas actionnaire de la corporation. En ce qui concerne l'avantage conféré par la corporation, dont l'appelant était le seul actionnaire, en lui achetant sa maison et en lui procurant le logement, madame Turcotte s'est basée sur les principes énoncés dans la cause Youngman v. The Queen, 90 DTC 6322, pour en faire le calcul. Elle a calculé un intérêt sur le capital au même taux que celui prescrit par la Loi relativement à un prêt à un actionnaire selon l'article 80.4 de la Loi.

Arguments

[31] L'avocat de l'appelant a d'abord fait valoir que des prêts et des cautionnements faits à une entreprise même dans le but d'éviter une faillite peuvent être considérés comme ayant été faits dans le but de gagner du revenu. Il se réfère à ce sujet à la décision de cette Cour dans Business Art Inc. v. M.N.R., 86 DTC 1842 et plus particulièrement à la page 1848 (page 14 de la traduction) :

[TRADUCTION]

...Je ne puis souscrire au principe selon lequel dans un exemple de ce genre, les prêts qui ne portent pas intérêt ne sont pas engagés en vue de tirer un revenu d'un bien; si les prêts n'avaient pas été avancés, la société aurait pu faire faillite et les actions auraient perdu toute valeur. ...

[32] Il fait valoir que la jurisprudence n'exige pas un lien direct entre le prêt et le revenu. Il se réfère à cet égard à la décision de la Cour fédérale, 1ère instance, dans Byram v. The Queen, 95 DTC 5069, à la page 5073 :

[TRADUCTION]

En tant qu'actionnaire, le demandeur était directement lié au potentiel de production de revenus de l'USCO. Les dividendes éventuels pouvaient être déclarés d'une manière franche. Mais le demandeur peut-il se soustraire à l'application du sous-alinéa 40(2)g)(ii) en ce qui concerne les prêts qu'il a consentis à l'USCO alors qu'il n'était pas un actionnaire de l'USCO mais que c'était l'ERL qui était l'actionnaire de l'USCO, ce qui a pour effet d'écarter encore un peu plus le demandeur en tant qu'actionnaire de l'ERL? Le sous-alinéa 40(2)g)(ii) n'exige pas qu'il existe un lien direct entre le prêt et le bien ou l'entreprise qui produit le revenu.

[33] L'avocat de l'appelant admet que ce dernier n'était pas actionnaire ni de l'une ni de l'autre corporation à laquelle les prêts ont été faits mais il fait valoir que les ententes prévues aux pièces A-2 et A-3 lui permettaient de le devenir. Il se réfère à cet égard à la décision du juge Sobier de cette Cour dans Strecker v. The Queen, 95 DTC 3, qui discute d'une situation où une personne peut devenir actionnaire ou de quelqu'autre façon tirer un revenu d'une corporation à laquelle cette personne a fait des prêts. Il se réfère au passage suivant à la page 5 :

[TRADUCTION]

[para16] Comme il en a ci-dessus été fait mention, Andrew et l'appelant ont témoigné qu'il existait un vague projet selon lequel toute la famille participerait aux activités de l'entreprise. L'appelant a déclaré qu'il estimait faire partie de la compagnie et qu'il envisageait de faire partie de la compagnie dans l'avenir ou d'en tirer un revenu à un moment donné. C'est peut-être ce qu'il déclare maintenant, mais les circonstances dans lesquelles les emprunts ont été contractés et la garantie fournie peuvent être davantage considérées comme des gestes posés par un père qui veut aider son fils à établir une entreprise. Je ne puis constater l'existence d'aucun élément de preuve montrant qu'il y avait une entente selon laquelle l'appelant deviendrait actionnaire de la compagnie ou en tirerait de quelque autre façon un revenu.

[34] Il fait valoir que contrairement à la situation précédente, il existait des ententes entre l'appelant et le président de Motosports telles qu'exprimées par les pièces A-2 et A-3. D'une part, les avances faites par l'appelant n'étaient pas faites à titre gratuit et d'autre part, ces avances donnaient droit à l'appelant de devenir actionnaire de Motosports. Les créances que l'appelant détenait à l'égard des corporations étaient véritablement de la nature d'un investissement fait dans le but d'en obtenir du revenu.

[35] En ce qui concerne l'avantage imposé à un actionnaire, l'appelant fait valoir que la somme qui lui a été imposée est beaucoup trop élevée, qu'il lui paraît raisonnable de payer un loyer de 700 $ par mois et qu'il accepterait un loyer de 1 000 $, mais que plus que ça, selon lui, n'a aucun sens.

[36] L'avocat de l'intimée fait valoir que les ententes contenues aux pièces A-2 et A-3 valaient pour les cautionnements antérieurs à la date de ces ententes et non pour ceux venus après. En ce qui concerne la possibilité de devenir actionnaire de la corporation, il soumet que cela était un choix qui ne pouvait s'exercer que dans le cas où l'appelant aurait dû exécuter l'obligation prévue par le cautionnement et que dans ces circonstances, il ne pouvait y avoir de revenu provenant des actions. L'avocat de l'intimée se réfère notamment à l'arrêt Strecker, ci-dessus.

[37] En ce qui concerne l'avantage imposé à l'appelant en tant qu'actionnaire concernant l'usage de la résidence, l'avocat de l'intimée fait valoir que cet avantage doit inclure le loyer de l'argent dépensé pour acquérir la résidence et les dépenses faites pour la maison tel que décrit à l'alinéa 7 (i) de la Réponse rapporté au paragraphe 4 de ces motifs. Il ne s'agit pas ici de n'importe quelle maison. La maison qui a été acquise par la corporation dont l'appelant est le seul actionnaire est celle dans laquelle il habitait et elle a été achetée par la corporation pour la mettre à son usage. Il se réfère à la décision de la Cour d'appel fédérale dans Youngman (supra) aux pages 6325 et 6326 :

[TRADUCTION]

Afin d'évaluer un avantage pour les fins de l'alinéa 15(1)c), il est premièrement nécessaire de déterminer quel est cet avantage ou, en d'autres termes, qu'est-ce que la société a fait pour son actionnaire; deuxièmement, il est nécessaire de trouver le prix que l'actionnaire aurait eu à payer, dans des circonstances semblables, pour obtenir le même avantage d'une société dont il n'était pas actionnaire. En l'espèce, l'avantage conféré à l'appelant n'était pas simplement le droit d'utiliser ou d'occuper une maison aussi longtemps qu'il le désire; il s'agissait du droit d'utiliser ou d'occuper aussi longtemps qu'il le désire une maison que la société, à sa demande, a construite spécialement pour lui conformément à ses caractéristiques. Quel montant l'appelant aurait-il eu à payer de plus pour obtenir le même avantage s'il n'avait pas été un actionnaire de la société? Certainement plus que ce que les experts ont mentionné comme la juste valeur locative car, à mon avis, la société aurait alors exigé un loyer suffisant pour produire un rendement convenable pour son investissement.

Conclusions

[38] Je me réfère à l'analyse de deux décisions faite par le juge Sobier dans Strecker (supra) ci-dessus à la page 5 :

[TRADUCTION]

[para22] Dans l'affaire Casselman v. M.N.R., 83 DTC 522 (C.C.I.), la contribuable avait garanti les prêts qu'une banque avait consentis à son fils. La Cour a statué que la contribuable n'avait pas garanti les prêts afin de tirer un revenu, mais pour aider son fils. C'est ici ce qui s'est produit. Le fait que l'appelant participait aux activités de la compagnie n'a rien changé aux raisons pour lesquelles il avait fourni la garantie ou consenti le prêt, à savoir en vue d'aider son fils, et non en vue de tirer un revenu.

[para23] Les faits de l'affaire Lowery v. M.N.R., 86 DTC 1649 (C.C.I.) sont quelque peu semblables à ceux de l'espèce. À la page 1652, le juge Sarchuk a dit ceci :

D'après les preuves présentées, je ne suis pas convaincu que le cautionnement a été accordé dans un but commercial. Je suis du même avis que le procureur de l'intimé, selon lequel il ne suffit pas d'alléguer de manière générale que l'appelant prévoyait une certaine participation aux profits de Threads à un moment ultérieur et, sur la base de cette allégation, prétendre que l'appelant s'attendait à une certaine compensation en échange du cautionnement. Aucune entente n'a été faite relativement aux intérêts. Aucune entente n'a été faite relativement au remboursement en cas de défaut de paiement par Threads. Il n'y avait aucune entente, orale ou écrite, prévoyant les conditions de participation de l'appelant.

[39] Contrairement aux décisions dans les affaires Casselman et Lowery, je suis d'avis que le but premier de l'appelant lors des avances et des cautionnements était un but d'affaires. En fait, c'est l'appelant qui le premier a eu l'idée du commerce de motos et c'est lui qui a fait les négociations. Les négociations et l'organisation de l'entreprise avaient les caractéristiques d'une entreprise commerciale. Au début de l'entreprise, monsieur Paul Corriveau habitait chez ses parents et avait 22 ans. Je ne doute toutefois pas qu'un autre but probablement tout aussi important que le premier était l'établissement de son fils en affaires. Mais cela n'empêche pas l'existence du but primordial que les cautionnements et les prêts aient été d'abord faits pour la réussite de l'entreprise.

[40] En ce qui concerne les intérêts que devait lui payer Motosports sur les argents avancés, il y a eu immédiatement des ententes entre l'appelant et Motosports concernant ces intérêts. À la lecture même de ces ententes, je suis d'avis que leur effet n'est pas limité à la date de leur signature et qu'elles ont un effet courant. C'est ainsi que le président de Motosports et l'appelant le comprenaient et je ne vois vraiment pas de raison de douter de leur commune intention surtout dans un cas où les termes de l'entente peuvent confirmer leur affirmation.

[41] L'intérêt de l'appelant dans la gestion des corporations en cause est nettement plus que celui d'un parent qui procure de l'aide financière au projet d'un fils ou d'une fille. L'appelant a été par inadvertance décrit comme administrateur ou comme actionnaire dans les états financiers. Cela révèle son implication importante dans les affaires des concessions de motos. C'était tout autant sinon plus ses projets que ceux de son fils. Malgré cette implication, l'alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi exige que la créance ou le droit dont on réclame la perte aient été acquis par le contribuable en vue de tirer un revenu. Il est évident que le revenu est bien lointain et incertain quand la compagnie s'engage à verser des intérêts au taux annuel de 12 pour-cent sur les avances de fonds qui seront payables quand les liquidités le permettront. Le remboursement de ces avances de fonds pourra se faire soit en paiement intégral ou en actions ordinaires ou privilégiées de la compagnie. Toutefois, dans les différentes décisions qui ont accepté que des créances ou des droits aient été acquis dans le but de tirer un revenu, ce revenu était également loin d'être immédiat (voir Business Art Inc. (supra), Byram (supra) et Brown v. The Queen, 96 DTC 6091). Il s'agissait toujours d'un revenu sujet à la bonne marche de l'entreprise à laquelle les prêts avaient été faits et cette bonne marche prenait ou pouvait prendre plusieurs années pour s'accomplir ou plutôt pour ne pas s'accomplir puisque nous sommes en matière de pertes. Je conclus donc que les créances et les droits dont l'appelant a disposé et qui sont représentés par les pièces A-5 à A-12 sont au sens de l'alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi.

[42] En ce qui concerne le calcul de l'avantage conféré à l'appelant par sa corporation en acquérant et en mettant à sa disposition la résidence familiale, je suis d'avis que la cotisation a correctement été établie en suivant les principes décrits dans l'arrêt Youngman (ci-dessus), dont il est fait mention au paragraphe 37 de ces motifs. Ces principes ont été à nouveau confirmés par la Cour d'appel fédérale dans The Queen v. Fingold, 97 DTC 5449.

[43] Les appels sont accordés, avec la moitié des frais, et les cotisations sont déférées au Ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en prenant pour acquis que les créances et les droits dont l'appelant a disposé donnent droit à une

perte au titre de placement d'entreprise et en tenant compte des ententes et admissions décrites aux paragraphes [5] et [6 ] des présents motifs . L'appelant n'a droit à aucun autre redressement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e décembre, 1998.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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