Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19980107

Dossier: 97-425-UI

ENTRE :

SUZIE GAGNÉ,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

TREMBLAY, J.C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu le 14 novembre 1997 à Montréal (Québec).

Point en litige

[2] Il s'agit de savoir si, durant la période du 19 mars 1996 au 1er août 1996, l'appelante détenait un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ) auprès de la Ville de Montréal, ci-après appelée le payeur.

[3] En vertu d'un contrat de louage de services, l’appelante travaillait à mi-temps, l'autre moitié étant considérée en congé de maladie, compensée par des indemnités lui étant versées directement par la compagnie d'assurance La Prudentielle. Or, selon l'intimé, une indemnité n'est pas une rémunération et encore moins une rémunération assurable au sens de la Loi.

[4] Cette situation, selon l'appelante, a été engendrée par la juxtaposition des événements suivants : la prescription du docteur Line Leduc, gynécologue-obstétricienne, du maintien au travail à demi-temps jusqu'à l'accouchement et des ententes convenues entre son employeur, la Ville de Montréal, et La Prudentielle.

[5] L'intimé en réponse invoque l'article 3.(1) du Règlement sur l'assurance-chômage (perception des cotisations) ( « Règlement » ).

Fardeau de la preuve

[6] L'appelante a le fardeau de démontrer que les cotisations de l'intimé sont mal fondées. Ce fardeau de la preuve découle de plusieurs décisions judiciaires dont un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l'affaire Johnston c. Le ministre du Revenu national [1].

[7] Dans le même jugement, la Cour a décidé que les faits assumés par l'intimé pour appuyer les cotisations ou nouvelles cotisations sont également présumés vrais jusqu'à preuve du contraire. Dans la présente cause, les faits présumés par l'intimé sont décrits aux alinéas a) à f) du paragraphe 5 de la réponse à l'avis d'appel. Ce paragraphe se lit comme suit :

5. En rendant sa décision, l'intimé, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ), s'est basé, notamment, sur les faits suivants :

a) l'appelante travaillait pour la Ville de Montréal; [admis]

b) elle travaillait en vertu d'un contrat de louage de services; [admis]

c) durant la période en cause, l'appelante travaillait à mi-temps, l'autre moitié étant considérée en congé de maladie; [admis]

d) la portion manquante du salaire de l'appelante était compensée par des indemnités versées directement à l'appelante par la compagnie d'assurances; [admis]

e) une indemnité n'est pas ne rétribution ou une rémunération; [nié]

f) ces indemnités ne font pas partie de la rémunération assurable de l'appelante. [nié]

Faits mis en preuve

[8] Suite aux admissions ci-dessus, la preuve a été complétée par le témoignage de l'appelante et par la déposition des pièces A-1 à A-13 et I-l.

[9] L'appelante travaille en 1995 et plusieurs autres années antérieures comme agent de développement sportif pour la Ville de Montréal. Le témoignage de l'appelante devant la Cour, résumé dans la pièce A-1, raconte sommairement l'historique des faits entourant ses congés (2) de maternité et parental. En voici un extrait :

Historique des faits entourant mes congés (2) de maternité et parental

P1A Lettre du Développement des ressources humaines Canada m'informant de mon admissibilité au bénéfice des prestations de maternité à compter du 15 mai 1994

P1B Lettre du Développement des ressources humaines Canada m'informant de l'acceptation des prestations parentales pour un maximum de 10 semaines à partir du 11 septembre 1994

Du 12 décembre 1994 au 2 mars 1996 travail à temps complet sur base de 1820 heures/année

En décembre 1995, le docteur Pierre Charbonneau, omnipraticien de la clinique médicale Ahuntsic, 241 Fleury o. H3L 1V2 (514) 382-0062, diagnostique le syndrome de la fatigue chronique chez sa patiente madame Suzie Gagné.

Le 21 mars 1996, le docteur Line Leduc, obstétricienne, du Centre d'obstétrique-gynécologique situé au 1100, ave Beaumont, VMR, H3P 3E5 (514) 344-4411, suite à mon état de santé et 3 grossesses antérieures en GARE (grossesse à risque élevé), recommande le retrait complet du travail jusqu'à l'accouchement. Par la suite, devant l'insistance de mon employeur à réquisitionner mes services compte tenu de l'importance des dossiers en cours, le docteur Leduc modifie sa recommandation et émet un avis de retour demi-temps avec possibilité de retrait complet le cas échéant.

Du 29 mars au 1er août 1996 travail à demi-temps. La rémunération provient de 2 sources : l'employeur, la Ville de Montréal et de la Prudentielle d'Amérique, compagnie d'assurance selon le régime collectif des indemnités d'invalidité.

Le 5 août 1996, dépôt des documents de demande de prestations de maternité et parental au bureau du Développement des ressources humaines du Canada au 9675, rue Papineau, H2B 3C8, (514) 496-1101

P1 Lettre de L. Christophe, agent de l'Assurance, m'informant de l'approbation de ma demande de prestations de maternité à partir du 4 août 1996

27/8/96 Téléphone à Mme Aubin, au 496-1101 pourquoi les prestations sont diminuées de moitié comparativement à celles qui me furent versées (445 $) lors de mon premier congé en 1994? Va s'informer.

Message sur répondeur : Daniel St-Laurent donne les explications du calcul; 10 118 $, 55% moyenne des 20 dernières semaines = 278 $ (62 %)

28/8/96 Téléphone à Mme Robin pour même question. Va transférer le dossier.

[10] Le 30 septembre 1996, elle reçoit de M. Patrice Allard, directeur intérimaire du Bureau des services fiscaux de Montréal, le document suivant (pièce A-6) :

Madame,

SUJET : LÉGISLATION SUR L'ASSURANCE-EMPLOI / CHÔMAGE

Numéro de décision : 08-96-3286

Nous avons reçu du ministère du Développement des ressources humaines une demande de décision sur l'assurabilité des indemnités d'assurance-salaire versées pour la période du 19 mars 1996 au 01 août 1996 par La Prudentielle « London Life » compagnie d'assurance, durant laquelle vous étiez une employée de la Ville de Montréal.

Bien que nous reconnaissions que vous êtes une employée de la Ville de Montréal, nous jugeons que les indemnités d'assurance-salaire n'étaient pas assurables selon le paragraphe 3.(1) du Règlement sur l'assurance-chômage (perception des cotisations) qui mentionne :

« La rémunération d'une personne provenant d'un emploi assurable correspond à toute rétribution, entièrement ou partiellement en espèces, qu'elle reçoit ou dont elle bénéficie et qui lui est versée par son employeur relativement à cet emploi. »

[11] L'appelante soutient qu'elle croit avoir droit aux mêmes primes auxquelles elle a eu droit lors de la venue de son premier enfant, soit 445 $ :

Cette différence serait reliée, d'après ce que j'en comprends, à ma bonne foi d'avoir voulu répondre, malgré mon état de santé, aux attentes de mon employeur et d'avoir été malade durant ma seconde grossesse.

[12] On lui a dit que si l'indemnité avait été adressée à l'employeur et que ce dernier, après encaissement, l'aurait adressée avec la partie du salaire pour le travail exécuté par elle, le montant total aurait été assurable.

Analyse

[13] L'indemnité reçue de la compagnie d'assurance La Prudentielle ne peut être considérée comme une rémunération assurable au sens de la Loi.

[14] D'une part, l'article 2 de la Loi définit la rémunération assurable comme suit :

« rémunération assurable » Relativement à une période quelconque, soit le total de la rémunération d'un assuré provenant de tout emploi assurable pour cette période, soit le maximum de la rémunération assurable pour cette période tel que prescrit en vertu de la présente loi, si ce maximum est inférieur au total.

et d'autre part, le paragraphe 3.(1) du Règlement se lit comme suit :

PARTIE I

RÉMUNÉRATION ASSURABLE

Rémunération provenant d'un emploi assurable

3.(1) Aux fins de la présente partie, la rémunération d'une personne provenant d'un emploi assurable correspond à toute rétribution, entièrement ou partiellement en espèces, qu'elle reçoit ou dont elle bénéficie et qui lui est versée par son employeur relativement à cet emploi, à l'exception :

a) d'un versement fait dans le cadre d'un régime de prestations supplémentaires de chômage;

b) de la valeur de la pension, du logement et de tout autre avantage dont la personne bénéficie ou qu'elle reçoit relativement à cet emploi durant une période de paie pour laquelle l'employeur ne lui verse aucune rétribution en espèces;

c) dans le cas d'un ministre du culte, de la valeur du logement qui lui est fourni, relativement à son emploi à ce titre, par le diocèse, la paroisse ou la congrégation;

d) de tout montant qui est exclu du revenu en vertu des alinéas 6(1)a) ou b) ou des paragraphes 6(6) ou (16) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[15] Dans l'affaire David Wong, 1995, A.C.F. No. 984, numéro d'appel A-612-94, la Cour d'appel fédérale stipule :

LE JUGE MARCEAU : -- Le requérant a travaillé pour l'Alberta Cancer Board pendant plus de dix ans. En octobre 1991, il a été victime d'un accident de travail et a été absent du 23 octobre 1991 au 15 mars 1992. Pendant cette période d'inactivité, le requérant recevait des indemnités pour accident de travail qui représentaient 90 p. 100 de son salaire net. Ces indemnités ne constituent pas une rémunération assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage.

[16] Par ailleurs, l'appelant avait reçu un complément que son employeur lui avait remis par erreur. La Cour fédérale a aussi décidé que ce complément n'était pas un revenu assurable. Elle en donne les raisons suivantes :

Est considéré comme une rémunération au sens du paragraphe 57(2) le revenu provenant « de tout emploi » . La définition d' « emploi » qui figure dans la même disposition exige la présence d'un contrat. Par conséquent, pour que le revenu provenant d'un employeur constitue une rémunération, il doit avoir été payé dans le cadre d'un contrat de travail. En l'espèce, les sommes versées n'étaient pas prévues par le contrat de travail du requérant. Nous estimons que les versements effectués par erreur ne « proviennent pas » d'un emploi et ne constituent pas une rémunération, puisqu'ils n'ont pas été effectués en vertu d'un contrat de travail. Les paiements qu'a reçus le requérant découlent du fait qu'il était employé mais ils n'ont pas été effectués à titre d'indemnité versée à un employé, ou à titre de rémunération pour des services rendus dans le cadre du contrat de travail. Ce genre de paiement ne devrait pas modifier les attentes normales d'un requérant, et cela nous parait conforme aux principes du régime d'assurance qui est à la base de la Loi sur l'assurance-chômage.

[17] Quant à la supposition du paragraphe 12 ci-dessus, à savoir que si la somme payée par la compagnie d'assurance avait été adressée à l'employeur et ensuite payée par ce dernier à l'appelante avec son salaire, le tout aurait été du revenu assurable, il faudrait se demander si la somme versée par la compagnie d'assurance est pour service rendu. En conséquence, il serait du revenu assurable. S'il s'agit d'une indemnité, peu importe qu'elle ait fait un détour par chez l'assureur avant de se rendre à l'appelante, elle ne change pas de nature et donc, n'est pas un revenu assurable.

[18] Lorsqu'en 1994, l'appelante a reçu des prestations d'assurance-chômage, le calcul du montant de 445 $ est basé sur les salaires réellement perçus suite aux services rendus dans les périodes précédentes. Il en est de même en 1995 mais les sommes perçues suite aux services rendus ont été moindres.

Conclusion

[19] L'appel est rejeté.

Signé à Québec (Québec), le 8 janvier 1998.

« Guy Tremblay »

J.C.C.I.



[1] [1948] R.C.S. 486, 3 DTC 1182, [1948] C.T.C. 195.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.