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Date: 20000907

Dossier: 1999-3681-IT-I

ENTRE :

DEREK LABELL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1] Il s’agit d’un appel, interjeté selon la procédure informelle, à l’encontre de la détermination d’une perte faite par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “ Loi ”) par laquelle le ministre a réduit à zéro les pertes de l’appelant pour l’année d’imposition 1994. À l’origine, l’appelant a déclaré, en produisant sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1994, une perte au titre d’un placement d’entreprise d’un montant de 22 104 $, duquel un montant de 16 578 $ a été déclaré une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise (“ PDTPE ”).

[2] Au soutien de sa décision, le ministre s’est appuyé sur les hypothèses de fait figurant au paragraphe 6 de la réponse à l’avis d’appel :

[TRADUCTION]

a) pour l’année d’imposition 1994, l’appelant a déclaré un montant de 22 104 $ comme perte au titre d’un placement d’entreprise de Multichange Foreign Exchange Limited Partnership et a en conséquence demandé une déduction de 16 578 $ comme PDTPE;

b) Multichange Foreign Exchange Limited Partnership n’était pas une société privée sous contrôle canadien;

c) le vérificateur a mentionné que le siège social de Multichange Foreign Exchange Limited Partnership était situé aux États-Unis;

d) Multichange Foreign Exchange Limited Partnership n’était pas une société exploitant une petite entreprise;

e) Multichange Foreign Exchange Limited Partnership était une société en commandite; par conséquent, elle n’était pas juridiquement considérée comme une société, c’est-à-dire qu’elle n’était pas juridiquement considérée comme une personne;

f) de plus, les pièces justificatives présentées par l’appelant n’étaient pas valides pour justifier une perte en capital;

g) en conséquence, le montant de 16 578 $ (22 104 $ x 75 p. 100) demandé par l’appelant comme PDTPE pour son année d’imposition 1994 a été refusé par le ministre;

h) en outre, comme le prêt ne portait pas intérêt, le montant de 22 104 $ n’a pas été considéré comme une perte en capital par le ministre.

[3] À l’audience, l’appelant a admis qu’il ne pouvait déclarer une PDTPE au sens de la Loi, mais il maintient que la Cour devrait lui accorder une perte en capital.

[4] La preuve a révélé que l’appelant a investi un montant de 2 000 $ dans Multichange International Limited Partnership (“ la société en commandite ”) en tant que commanditaire à l’époque où la société en commandite a été enregistrée dans la province de Québec le 15 mars 1993 (pièces R-2 et A-2). Mme Diane Schrenk, l’autre commanditaire, a investi 10 000 $. Une société américaine appelée Multichange International Foreign Exchange, qui a été enregistrée dans l’État du Delaware aux États-Unis (“ Multichange Corporation ”) le 10 mars 1993 (pièce R-1), agissait comme la commanditée et était représentée par M. Bernard Van der Stichele, un conseiller financier. M. Van der Stichele a également investi 2 000 $ dans la société en commandite.

[5] Les objectifs sous-tendant la création de la société en commandite sont précisés de la manière suivante dans la Déclaration de société en commandite déposée sous la cote R-2 :

Les objectifs de la COMMANDITE sont d'acheter et d'installer des systèmes mécaniques d'opération, contrôlés du [sic] logiciel par ordinateur pour faire l'échange de devises étrangères, ainsi pour [sic] la dissémination de l'information sur le prix coûtant des transactions et sur leur valeur, et d'exploiter commercialement des bureaux de change.

[6] Selon le témoignage de l’appelant, qui est résumé dans une lettre envoyée par l’appelant à l’avocat de l’intimée le 6 juillet 2000 (pièce R-7), la société en commandite a été mise sur pied afin d’exploiter des points de vente au détail effectuant la conversion de devises étrangères ainsi que de vendre et de distribuer des distributeurs automatiques informatisés de devises étrangères dans toute l’Amérique du Nord. La société en commandite traitait avec un fabricant allemand du nom de Hess.

[7] La société en commandite a commencé ses opérations de vente au détail au Carré Décarie à Montréal (avec un distributeur automatique et deux comptoirs offrant le service régulier). Selon l’appelant, le représentant de la société en commandite devait se rendre en Allemagne dans le but de protéger ses droits auprès du fabricant au sujet des distributeurs devant être vendus. L’appelant a également déclaré que la société en commandite souhaitait être la seule entreprise au Canada à exploiter des points de vente offrant des devises étrangères au moyen de distributeurs automatiques. Selon lui, pour réaliser cet objectif, de grandes quantités d’argent étaient nécessaires afin d’acheter des distributeurs, d’y entreposer de l’argent en devises différentes, de voyager, d’embaucher du personnel, de former plusieurs techniciens pour l’entretien des distributeurs, etc.

[8] Pour obtenir de grandes quantités d’argent, la société en commandite a demandé à l’appelant de rencontrer des gens de l’industrie et de trouver des investisseurs. L’appelant a rencontré à Vancouver M. Murray Pezim qui, à l’époque, possédait plusieurs compagnies inscrites à la Bourse de Vancouver, et d’autres investisseurs afin de les convaincre d’injecter un fonds de roulement supplémentaire dans la société de commandite. Il a toutefois échoué.

[9] En outre, l’appelant a indiqué dans son témoignage qu’à Francfort, en Allemagne, s’est présentée à une occasion d’acquérir et d’administrer une compagnie de gestion de portefeuilles de clientèles haute de gamme que Multichange Corporation avait connu grâce à des relations d’affaires précédentes. À Francfort, l’appelant et d’autres personnes voyageant avec lui ont été présentés à un groupe d’agents de voyage organisant des séjours dans des hôtels et qui étaient intéressés par le concept de l’installation de distributeurs automatiques dans leur entreprise de voyage. Tout cela a donné lieu à un voyage à Nice, en France, afin de rencontrer l’un des dirigeants de ce groupe dans le but de discuter de la question, puis à Madrid afin de rencontrer le président du groupe.

[10] Le montant de 22 377,59 $ déclaré par l’appelant à titre de perte en capital représente un prêt de 20 377,59 $ accordé à la société en commandite au moyen d’avances et un montant de 2 000 $ de capital investi par l’appelant au moment de l’enregistrement de la société en commandite. L’appelant a déposé des pièces justificatives attestant ces avances. Ces pièces consistaient principalement en des factures de téléphone, de taxi, d’hôtel, de location de voiture et d’essence ainsi qu’en des billets d’avion. La plupart de ces factures ont été payées avec des cartes de crédit American Express.

[11] Selon l’appelant, la société en commandite a été forcée de cesser ses opérations au début de 1994 en raison de difficultés financières. Cela est corroboré par deux lettres signées par M. Van der Stichele (qui a indiqué la même chose dans son témoignage) le 31 mars 1994. La première déclare que le capital initial complet (14 000 $) investi dans la société en commandite a été perdu pendant les neuf premiers mois d’exploitation de la société en commandite (de mars 1993 à décembre 1993) (pièce R-10). La deuxième est à l’effet qu’un montant de 20 377,59 $ était dû à l’appelant le 31 décembre 1993 (pièce R-5). Selon la pièce R-10, la société en commandite a contracté des dettes supplémentaires d’environ 200 000 $.

[12] Le ministre a refusé d’accepter la perte au motif que l’appelant n’avait pas présenté de pièces justificatives adéquates et parce que le prêt ne portait pas intérêt. L’intimée est également d’avis que la société en commandite à qui les avances ont été faites n’a pas utilisé les sommes empruntées dans le but de tirer un revenu d’une entreprise.

[13] L’intimée est d’avis que l’état des résultats de la société en commandite pour la période se terminant le 31 décembre 1993, qui démontre un prêt de 22 377,59 $ payable à l’appelant, n’est pas fiable. En effet, la provision pour créances irrécouvrables déclarées à titre de dépenses est supérieure au revenu déclaré. D’un autre côté, l’intimée s’appuie sur le même document pour affirmer qu’avec une perte de 362 688 $, il n’est pas raisonnable de croire que la société en commandite ait autorisé l’appelant à avancer ce montant d’argent (20 377,59 $) et qu’il n’est pas raisonnable pour l’appelant de soutenir que les sommes ont été utilisées afin de tirer un revenu.

[14] L’intimée a également fait mention d’un protocole d’entente intervenu entre la société en commandite et la commanditée, rédigé le 12 mars 1993, mais non signé, en vertu duquel les commanditaires obtenaient les services de la commanditée pour des frais mensuels de 12 000 $. L’intimée soutient que ces frais de consultation étaient totalement déraisonnables compte tenu de la perte déclarée dans l’état des résultats.

[15] L’intimée a également déposé des formulaires informatisés démontrant le revenu déclaré de l’appelant de 1988 à 1995. Selon ces feuillets, l’appelant n’a jamais déclaré plus de 2 500 $ par année et a déclaré un très faible revenu pour les années 1991 à 1994. L’intimée est sceptique quant à la source des sommes prétendument avancées par l’appelant à la société en commandite.

[16] Après avoir analysé la preuve, je suis convaincue que la société en commandite a exploité une entreprise en 1993. Elle avait un établissement au Carré Décarie et exploitait un distributeur automatique et deux comptoirs. L’appelant a également démontré qu’il a au départ investi 2 000 $ comme fonds de roulement dans la société en commandite. La preuve a également révélé que la société en commandite a tenté de trouver des investisseurs dans l’Ouest canadien et en Europe et de protéger ses droits auprès du fabricant des distributeurs automatiques. Par conséquent, je ne vois aucun motif de conclure que les montants déclarés à titre de dépenses par l’appelant n’ont pas été versés dans le but de tirer un revenu de la société en commandite ou pour elle.

[17] Il est évident que le ministre a d’abord refusé la PDTPE sans avoir analysé les dépenses en tant que telles. Dans une lettre adressée à l’appelant par la Section de l’examen au bureau le 25 janvier 1996 (pièce R-8), on demandait à ce dernier de fournir tous les renseignements concernant les prêts irrécouvrables. L’appelant a envoyé une confirmation du montant dû signée par M. Van der Stichele (pièce R-5). Il a également envoyé une copie de la valeur unitaire de son intérêt dans la société en commandite (pièce A-2).

[18] Les pièces justificatives ne semblent pas avoir été particulièrement exigées par Revenu Canada à cette époque. Au stade de l’appel, Mme Lucie Allaire, agente des appels, a demandé au comptable de l’appelant une copie d’un contrat de prêt intervenu entre ce dernier et la société en commandite et une copie du contrat de société en vertu duquel la société en commandite a été constituée. Il n’a pas été particulièrement fait mention des pièces justificatives, et l’appelant ainsi que son comptable avaient l’impression que Revenu Canada possédait déjà les documents requis.

[19] Les pièces justificatives ont été présentées par l’appelant au moment de la première audience, et j’ai accepté la demande d’ajournement de l’intimée afin de lui permettre d’analyser ces pièces. Au moment de la deuxième audience, l’avocat a posé quelques questions au sujet des pièces justificatives, mais après réflexion, je suis d’avis qu’il n’a pas réussi à les contester. Il est vrai que l’appelant a déclaré un faible revenu en 1994 et au cours des années précédentes. Toutefois, le fait est que les dépenses engagées étaient réelles. Il n’y a aucun doute à ce sujet si nous examinons les pièces R-6 et R-7. Par conséquent, l’étape suivante consiste à déterminer si les dépenses ont été engagées dans l’intérêt de la société en commandite ou pour des raisons personnelles. Certaines de ces dépenses pourraient être personnelles (par exemple, les appels téléphoniques faits à Montréal qui représentent, toutefois, un montant très faible). Certaines des dépenses soulignées par l’avocat de l’intimée ne sont pas au nom de l’appelant ni d’un commanditaire de la société en commandite (par exemple, deux billets d’avion au nom de Verron et de Zhivcov coûtant 781,50 $ et 782,75 $ respectivement). (Voir la pièce R-6 à la page 29.)

[20] En dehors de ces quelques éléments, je n’ai pas de raison de croire, après avoir entendu le témoignage de l’appelant et celui de M. Van der Stichele, que les dépenses en litige constituaient des dépenses personnelles de l’appelant.

[21] Comme l’a affirmé le juge Robertson de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Easton c. La Reine, [1998] 2 C.F. 44 à la page 55 :

En guise d'énoncé général, il est raisonnable de conclure qu'une avance faite par un actionnaire à une société ou une dépense faite par un actionnaire au nom d'une société sera considérée comme un prêt consenti dans l'intention de fournir un fonds de roulement à cette société. Dans le cas où le prêt n'est pas remboursé, la perte est réputée être une perte en capital pour l'une ou l'autre des deux raisons suivantes. Le contribuable a consenti le prêt soit pour en retirer un revenu continu, ce qui est typique d'un investissement, soit pour permettre à la société d'exploiter son entreprise de manière à procurer à l'actionnaire un avantage durable sous forme de dividendes ou grâce à une augmentation de la valeur des actions. Comme la loi présume que l'acquisition a été faite dans le but de faire un placement, il ne semble que trop raisonnable de supposer que la perte découlant d'une avance ou d'une dépense faite par un actionnaire est également une perte en capital.

[22] Bien que les états des résultats controversés pour la période se terminant le 31 décembre 1993 (pièce A-1) démontrent une perte importante, il s’agissait de la première et unique année d’exploitation. Il est concevable que l’appelant ne se soit pas rendu compte de l’étendue de la perte au cours de l’année d’imposition 1993, qui était l’année pendant laquelle il a avancé le montant d’argent. Mme Schrenk, l’autre commanditaire, avait investi 10 000 $ et la société en commandite avait commencé à exploiter une entreprise au Carré Décarie à Montréal. Dès 1994, la société en commandite a cessé son exploitation en raison de difficultés financières. Dans ces circonstances, je vais accorder le bénéfice du doute à l’appelant. Je suis prête à accepter qu’il a avancé l’argent afin de permettre à la société en commandite d’exploiter son entreprise et parce qu’il espérait protéger ainsi un avantage grâce à une augmentation de la valeur de sa participation dans la société.

[23] Pour ces motifs, je suis par conséquent d’avis que l’appelant a droit à une perte en capital pour les montants avancés à la société en commandite, à l’exception des quelques éléments précisés ci-dessus. Je réduirais donc la perte en capital déclarée d’un montant global de 2 000 $.

[24] L'appel est par conséquent admis, sans dépens, et la cotisation est déférée au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelant a droit à une perte en capital de 20 104 $ pour l'année d'imposition 1994.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de septembre 2000.

“ Lucie Lamarre ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 2e jour de février 2001.

Mario Lagacé, réviseur

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