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Date: 20000126

Dossiers: 1999-231-IT-I; 1999-233-IT-I

ENTRE :

LILIANE NAGY, ADAM NAGY,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus sur preuve commune et concernent, dans les deux cas, les années d'imposition 1994, 1995 et 1996. Il s'agit de savoir si en vertu de l'alinéa 56(1)b) ou c) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “Loi”), des montants périodiques qui ont été payés par monsieur Adam Nagy à madame Liliane Nagy conformément à une convention sur mesures accessoires, faisant suite à la séparation des deux époux, doivent être inclus dans le revenu de madame Nagy à titre de pension alimentaire ou autres allocations.

[2] Les faits concernant ces deux appels sont décrits aux Réponses à l'avis d'appel et sont, dans le cas de madame Nagy, les suivants :

...

3. Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, l'appelante n'a déclaré aucune somme au titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement.

4. Par avis de nouvelles cotisations datés du 30 janvier 1998, le ministre du Revenu national (le “Ministre”) a ajouté respectivement dans le calcul du revenu de l'appelante des sommes de 29 700 $, 28 600 $ et 12 100 $ au titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement, à l'égard des années d'imposition 1994, 1995 et 1996.

5. Le 18 février 1998, l'appelante signifia au Ministre des avis d'opposition à l'égard des années d'imposition 1994, 1995 et 1996.

6. Le 3 septembre 1998, le Ministre ratifia, pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, les avis de nouvelles cotisations datés du 30 janvier 1998.

7. Pour établir les nouvelles cotisations datées du 30 janvier 1998, le Ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :

a) l'appelante et monsieur Adam Nagy se sont épousés le 10 février 1962 à Toulouse en France;

b) du mariage de l'appelante et monsieur Adam Nagy sont nés deux enfants :

i) Murielle, le 23 juillet 1962

ii) Patricia, le 13 juillet 1971;

c) l'appelante et monsieur Adam Nagy vivent séparés depuis le 2 septembre 1993;

d) conformément à un consentement sur mesures accessoires daté du 16 juin 1994 et entériné par l'honorable juge Claude Larouche, de la Cour supérieure le 30 août 1994, les parties ont convenu, entre autres, des mesures suivantes :

i) monsieur Adam Nagy s'oblige à verser à l'appelante une somme nette d'impôt de 1 100 $ par période de quinze jours,

ii) s'il advenait que l'appelante soit dans l'obligation de payer de l'impôt à l'égard de la somme mentionnée à l'alinéa précédent, monsieur Adam Nagy s'engage à rembourser l'appelante d'une somme équivalente;

iii) la somme prévue à l'alinéa i) sera indexée suivant l'article 590 du Code civil du Québec;

e) les sommes de 29 700 $, 28 600 $ et 12 100 $ furent respectivement établies comme ayant été versées à l'appelante pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996;

...

[3] L'avis d'appel de l'appelante mentionnait ceci :

...

L'APPELANTE entend invoquer que les sommes qu'elle a reçues en vertu de la convention sur mesures accessoires entérinée par un jugement de séparation de corps le 30 août 1994, ne peuvent être qualifiées de pension alimentaire au sens de la loi et ne sont effectivement pas des pensions alimentaires, donc, non-imposable pour l'appelante.

...

[4] Dans le cas de monsieur Nagy, la Réponse à l'avis d'appel répète les faits mentionnés pour le cas de madame Nagy et autrement ou en plus dit ce qui suit :

...

3. Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, l'appelant avait réclamé respectivement les sommes de 29 700 $, 28 600 $ et 12 100 $ au titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement.

4. Par avis de nouvelles cotisations datés du 21 octobre 1997, le ministre du Revenu national (le “Ministre”) a refusé respectivement dans le calcul du revenu de l'appelant des sommes de 29 700 $, 28 600 $ et 12 100 $ au titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement, à l'égard des années d'imposition 1994, 1995 et 1996.

5. Par avis de nouvelles cotisations datés du 4 février 1998, le Ministre a accordé respectivement dans le calcul du revenu de l'appelant des sommes de 29 700 $, 28 600 $ et 12 100 $ au titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement, à l'égard des années d'imposition 1994, 1995 et 1996.

8. ...

g) l'appelant fit cession de ses biens le 21 octobre 1997 et fut libéré de sa faillite le 21 juillet 1998.

[5] Les deux avis d'appel vont dans le même sens : les montants périodiques payés et reçus ne l'ont pas été à titre de pension alimentaire mais strictement pour les études de leurs filles. Ainsi, l'appelante ne devait pas les inclure dans le calcul de son revenu à titre de pension alimentaire et l'appelant ne devait pas les déduire.

[6] Monsieur Nagy, madame Nagy et monsieur Fabien Tremblay, syndic, ont témoigné à la demande de l'avocate des appelants. Madame Nadia Assan et monsieur Rémy Harvey ont témoigné à la demande du représentant de l'intimée.

[7] Monsieur Nagy a fait valoir que les paiements périodiques faits à son ex-épouse étaient pour la scolarité de ses filles. Madame Nagy a témoigné au même effet que l'argent reçu était pour les études de leurs filles et non pour subvenir à ses besoins.

[8] Tel que mentionné au paragraphe 4 de la Réponse eu égard à l'appel de monsieur Nagy, le 21 octobre 1997, le ministre du Revenu national (le “ Ministre ”) a refusé les déductions que l'appelant avait prises pour les années fiscales 1994, 1995 et 1996 et l'a ainsi cotisé de nouveau. Vu ces cotisations lui réclamant des sommes importantes, le jour même des cotisations l'appelant est allé voir un syndic de faillite, soit monsieur Fabien Tremblay, et a fait cession de ses biens.

[9] Madame Nadia Assan a expliqué qu'il y avait une convention d'échange de renseignements entre Revenu Québec et Revenu Canada et que c'est un tel échange qui est à la base des cotisations du 21 octobre 1997. Par ces nouvelles cotisations, le Ministre a refusé dans le calcul du revenu de l'appelant la déduction des sommes payées pour les années en cause puisque madame Nagy ne les avait pas incluses dans le calcul de son revenu pour ces années parce qu'elle ne les considérait pas comme des paiements de pension alimentaire.

[10] L'agent de recouvrement, monsieur Rémy Harvey, a demandé à madame Nadia Assan de vérifier si les nouvelles cotisations de monsieur Adam Nagy étaient vraiment valides. Madame Assan a alors fait venir tous les documents pertinents et elle a déterminé que les cotisations initiales étaient correctes et que l'appelant avait droit de déduire les sommes en cause à titre de paiements d'une pension alimentaire ou autre allocation à son ex-épouse. Le syndic en a donc été prévenu et les créances fiscales ont été réduites presque à néant.

[11] De nouvelles cotisations ont été émises à l'égard des deux appelants, en date du 30 janvier 1998 pour l'appelante et du 4 février 1998 pour l'appelant. L'appelante s'est opposée le 18 février 1998. L'appelant s'est également opposé aux nouvelles cotisations de l'appelante et a signifié son avis le 18 février 1998. Il ne s'est pas préoccupé de signifier un avis d'opposition pour ni l'une ni l'autre de ses cotisations car il avait fait cession de ses biens. Si bien qu'à son égard, le représentant de l'intimée a soulevé la validité de son appel.

[12] La convention sur mesures accessoires mentionnée à l'alinéa 7(d) de la Réponse a été produite comme pièce A-1. On y lit parmi les Attendus et les engagements ce qui suit :

ATTENDU QUE les deux (2) enfants des parties sont toujours étudiantes à temps plein;

...

1. Le défendeur versera à la demanderesse une somme de $1,100.00 nette par quinze (15) jours, payable le jeudi aux quinze (15) jours par un transfert bancaire au compte à être désigné par la demanderesse;

S'il advenait que la demanderesse soit dans l'obligation de payer de l'impôt pour la somme mentionnée au paragraphe précédent, le défendeur s'engage à rembourser la demanderesse, dans les quinze (15) jours de la réclamation de la demanderesse, d'une somme équivalente au montant d'impôt payé par la demanderesse en raison de la somme ci-dessus mentionnée;

2. La somme prévue au paragraphe 1 des présentes sera indexée suivant l'Article 590 du Code civil du Québec;

[13] La pièce A-2 est le jugement en divorce, en date du 21 mai 1996. On y lit ce qui suit :

ATTENDU QUE Patricia l'enfant des parties est toujours étudiante à temps plein;

...

1. Le demandeur convient de verser à Patricia la somme mensuelle de 645 $ nette représentant le coût de son logement et ce, jusqu'au 30 avril 1998 inclusivement;

Cette somme devra être versée au compte bancaire de Patricia le 1er de chaque mois.

2. La somme prévue au paragraphe 1 des présentes ne sera pas indexée;

Arguments

[14] L'avocate des appelants fait valoir que le jugement en divorce qui n'accorde une pension qu'à la fille toujours aux études montre bien que les sommes reçues par madame Nagy l'étaient pour des fins particulières, soit les études universitaires de ses deux filles et qu'elle n'avait pas la discrétion d'utiliser ces sommes pour d'autres fins. L'avocate de l'appelante s'est référée à une décision de cette Cour dans Assaf c. Canada, [1992] A.C.I. no 46, et plus particulièrement aux passages suivants :

Le contribuable a interjeté appel de la décision du Ministre qui refusait d'accorder la déduction de 10 000 $ à titre de pension alimentaire versée à son ex-épouse.

... La Cour a déterminé que du fait que les sommes versées étaient destinées à payer une partie des frais universitaires des enfants, il ne s'agissait pas d'une pension alimentaire versée à son ex-épouse, conformément aux dispositions du paragraphe 56(12) de la Loi de l'impôt sur le revenu, car l'ex-épouse n'était pas libre d'utiliser les versements à sa discrétion.

...

On aura noté en particulier dans le texte de cette entente qu'il est stipulé que cette somme de 10 000 $ sera versée par l'appelant à son ex-conjointe “pour assurer une partie des frais universitaires des enfants”.

À la lecture de cette entente, on se rend compte aussi qu'il n'est pas indiqué que les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu s'appliquent aux paiements effectués en vertu de cette entente.

Comme la somme de 10 000 $ qui a été versée en vertu de cet accord doit être utilisée pour une certaine fin, à savoir pour assurer une partie des frais universitaires des enfants, elle ne constitue donc pas une allocation pour l'application, notamment, des alinéas 60b) ou 60c) de la Loi de l'impôt sur le revenu vu les dispositions du paragraphe 56(12) de cette dernière Loi. ...

...

En interprétant le paragraphe 56(12), il y a lieu de faire remarquer que, pour que des sommes reçues, par exemple, par un conjoint ou un ex-conjoint constituent une allocation au sens de ce paragraphe, il n'importe pas que celui qui verse la pension ne contrôle pas ni ne tente de contrôler l'utilisation des fonds en question. Il faut cependant que le jugement ou l'accord, suivant le cas, ne précise pas l'utilisation qui doit être faite de ces sommes. Si une telle précision existe, il s'ensuit que si le conjoint ou l'ex-conjoint qui reçoit les sommes en question ne les utilise pas de la façon prévue au jugement ou à l'accord, il y a, de sa part, inexécution de l'obligation qui est contenue dans le jugement ou dans l'accord. C'est dans ce sens que le bénéficiaire des sommes en question ne peut pas légalement utiliser les fonds ainsi reçus à sa discrétion, suivant le paragraphe 56(12).

[15] Le représentant de l'intimée s'est référé à la décision de la Cour d'appel fédérale dans Denise Hamer et le Procureur général du Canada et Danielle Serra et le Procureur général du Canada, [1998] A.C.F. no 829, et plus particulièrement aux passages suivants :

... Il s'agissait encore de savoir si le fait que les sommes reçues étaient destinées exclusivement aux besoins des enfants dépouillait la récipiendaire de la discrétion requise pour que ces paiements soient considérés des allocations au sens du paragraphe 56(12) de la Loi avec la conséquence qu'ils ne devraient pas être inclus dans le revenu de l'ex-conjoint gardien par application des alinéas 56(1)b), c) ou c.1) de la Loi.

Nous sommes tous d'avis que la thèse du procureur des requérantes qui, en somme, voudrait introduire après le mot “discrétion” au paragraphe 56(12) de la Loi le qualificatif “absolu”, si bien que la moindre affectation générale d'une paiement de pensions lui enlèverait le caractère d'une allocation imposable, n'est pas soutenable au regard du contexte où la disposition s'insère. ...

Conclusion

[16] L'alinéa 56(1)b) et le paragraphe 56(12) de la Loi se lisent comme suit :

56(1) Sommes à inclure dans le revenu de l'année — Sans préjudice de la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

...

b) Pension alimentaire — un montant reçu par le contribuable au cours de l'année, en vertu d'une ordonnance ou d'un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du contribuable ou d'enfants de celui-ci ou aux besoins à la fois du contribuable et de ces enfants, si le contribuable, pour cause d'échec de son mariage, vivait séparé de son conjoint ou ancien conjoint tenu d'effectuer le paiement, au moment de la réception du paiement et durant le reste de l'année;

56(12) Non-application des al. (1)b), c) et c.1) — Sous réserve des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) et pour l'application des alinéas (1)b), c) et c.1) et 60b), c) et c.1), un montant reçu par une personne — appelée “ contribuable ” aux alinéas (1)b),c) et c.1) et “ bénéficiaire ” aux alinéas 60b),c) et c.1) — ne constitue une allocation que si cette personne peut l'utiliser à sa discrétion.

[17] Cette Cour dans Assaf (supra) avait à considérer le paiement d'une somme annuelle et non pas un paiement périodique. Il s'agissait dans ce cas de l'application du paragraphe 56.1(2) et non 56(1)b) de la Loi. De plus, il est à noter que cette décision mentionne dans le dernier paragraphe cité au paragraphe 14 de ces motifs qu'il y a discrétion du récipiendaire au sens du paragraphe 56(12) de la Loi si le texte du jugement ou l'accord ne précise pas l'utilisation qui doit être faite des fonds. Tel est le cas dans la présente instance.

[18] La décision de la Cour d'appel fédérale dans Hamer lie cette Cour. Selon cette décision, le fait que les sommes reçues puissent avoir été destinées aux études des filles des appelants ne dépouille pas la récipiendaire de la discrétion requise pour que ces paiements soient considérés des allocations au sens du paragraphe 56(12) de la Loi. L'avocate des appelants a présenté une thèse fort habile mais qui est donc contredite par la décision de la Cour d'appel fédérale et je dirais par la réalité juridique des circonstances de l'appelante. L'appelante pouvait utiliser ces sommes à sa discrétion de la même façon que son revenu d'emploi.

[19] En ce qui concerne l'appel de monsieur Adam Nagy, le représentant de l'intimée fait valoir que les avis d'opposition aux nouvelles cotisations datés du 4 février 1998 n'ont pas été signifiés par le syndic à la faillite alors qu'à cette époque, l'appelant avait fait cession de ses biens. En fait, l'appelant ne désirait pas faire opposition à ses propres cotisations. C'est à celle de l'appelante qu'il avait joint son opposition. Pour ce seul motif, l'appel doit être rejeté. De toute façon, comme j'ai déterminé que les sommes de 29 700 $, 28 600 $ et 12 100 $ devaient être incluses dans le calcul du revenu de l'appelante en vertu de l'alinéa 56(1)b) de la Loi, l'appelant a été correctement cotisé lorsque la déduction de ces sommes lui ont été permises par les nouvelles cotisations émises le 4 février 1998.

[20] Les appels sont en conséquence rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de janvier 2000.

“ Louise Lamarre Proulx ”

J.C.C.I.

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