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Date: 19990115

Dossier: 97-1407-UI

ENTRE :

LORETTA CORMIER,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 25 août 1998 à Moncton (Nouveau-Brunswick) par l’honorable juge Alain Tardif

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel relatif à un emploi exécuté lors des périodes du 29 août 1994 au 27 mai 1995 et du 19 juin 1995 au 30 mars 1996 pour le compte et bénéfice de la compagnie “Seashore Fisheries Ltd.”.

[2] L'emploi de l'appelante fut exclu des emplois assurables en vertu des dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage (la “Loi”) édictant que les emplois entre personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu (articles 251 et 252) doivent être exclus des emplois assurables à moins que l'intimé n'exerce sa discrétion et conclue que les faits entourant l'exécution du travail litigieux sont tels que le lien de dépendance ne doit pas être considéré.

[3] En l'espèce, l'intimé soutient que les faits ne l'ont pas convaincu que le lien de dépendance devait être ignoré.

[4] Au début de l'audition, le Tribunal a clairement expliqué au procureur de l'appelante les limites de la juridiction de cette Cour en matière de révision d'un dossier d'assurabilité découlant de l'application de l'alinéa 3(2)c) de la Loi qui se lit comme suit :

(2) Les emplois exclus sont les suivants

...

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[5] La juridiction restreinte de cette Cour a été définie et précisée notamment par les décisions de la Cour d'appel fédérale dans les dossier suivants :

Tignish Auto Parts Inc. c. le Ministre du Revenu national (25 juillet 1994, 185 N.R. 73)

La Ferme Émile Richard et Fils Inc. et le Ministre du Revenu national (1er décembre 1994, 178 N.R. 361):

Procureur Général du Canada et Jencan Ltd. (24 juin 1997, 215 N.R. 352)

Bayside Drive-In Ltd. et Sa Majesté la Reine (25 juillet 1997, 218 N.R. 150)

Procureur Général du Canada etJolyn Sport Inc. (24 avril 1997, A-96-96, C.A.F.)

[6] La preuve a établi très clairement que l'appelante était étroitement associée à la bonne marche de l'entreprise dont la vocation était de fumer le hareng.

[7] L'appelante exécutait notamment le travail d'inspection de la qualité du poisson acheté servant de matière première pour la transformation; elle était également associée au processus de vérification de la qualité du produit fumé avant la vente ou livraison.

[8] Outre ce travail, l'appelante était aussi responsable de la préparation des payes pour les employés dont le nombre pouvait atteindre 20 à certains moments de l'année. Elle s'occupait aussi des comptes à recevoir et des comptes à payer. À ces tâches, s'ajoutaient celles de faire les dépôts bancaires et certaines commissions.

[9] L'appelante a indiqué n'avoir jamais été intégrée aux opérations dites physiques nécessaires et usuelles pour le “fumage du hareng”. En substance, ses tâches étaient soit cléricales, soit reliées à la vérification de la qualité des produits utilisés et transformés.

[10] Elle a affirmé que son salaire était probablement inférieur à celui payé aux personnes exécutant le même travail dans d'autres entreprises du même genre. La prépondérance de la preuve est à l'effet que l'appelante a été associée à l'exécution de travaux tout à fait essentiels à l'entreprise; cette même preuve a aussi révélé que l'appelante possédait une expérience et expertise hautement pertinentes.

[11] Quant au salaire, encore là, je crois qu'il était raisonnable bien que l'appelante ait elle-même indiqué qu'il était probablement inférieur à celui qu'elle aurait pu recevoir pour le même genre de travail dans une semblable industrie.

[12] La preuve a aussi démontré que l'appelante rendait des services à l'entreprise, en dehors des périodes où elle recevait une rémunération et cela, tout à fait bénévolement. Bien que l'importance de ce travail ait été minimisé en terme de temps requis pour son exécution, il n'en demeure pas moins que l'appelante a reconnu avoir complété les relevés de cessation d'emploi pour les employés; elle a aussi admis avoir été associée à la préparation de certains documents et plus spécifiquement à des rapports d'inspection intitulés “Incoming Ingredient Inspection Report” et “Raw Product Inspection Report”. Il s'agissait là des fonctions spécifiques pour lesquelles elle recevait une rémunération lors des périodes en litige. En d'autres termes, pour certaines périodes, elle touchait une rémunération alors que pour d'autres, elle exécutait en partie le même travail sans rémunération.

[13] À la lumière de la preuve, le Tribunal croit que l'appelante continuait de rendre sensiblement les mêmes services bien que possiblement diminués en dehors de ses périodes de travail.

[14] Pour rendre sa décision l'intimé s'est basé sur les hypothèses de faits suivants :

a) le payeur est une personne morale incorporée dans la province du Nouveau-Brunswick depuis le mois de juillet 1980 et dont les actionnaires étaient pendant les périodes en litige :

Jusqu'à avril 1995 :

Loretta Cormier (l'appelante) 32.8 %

Roméo Cormier (l'époux de l'appelante) 34 %

Alfred LeBlanc 32.8 %

Depuis avril 1995 :

Roméo Cormier (l'époux de l'appelante) 100 %

b) l'entreprise du payeur consiste en un fumoir commercial de poissons, produisant du hareng fumé;

c) le payeur opère à l'année;

d) l'époux de l'appelante reçoit du payeur un salaire hebdomadaire de 600,00 $ à l'année;

e) le payeur emploie jusqu'à 20 employés par semaine selon les besoins;

f) pendant les périodes en litige, les tâches de l'appelante consistaient à s'occuper du registre de paye, préparer les factures, payer les comptes, répondre au téléphone, faire les dépôts à la banque, effectuer le contrôle de qualité sur les chargements et sur la production, ainsi qu'à faire des commissions et à l'occasion à faire quelques entrées dans les livres du payeur;

g) la comptabilité du payeur est habituellement faite à l'extérieur par un comptable;

h) l'appelante recevait un salaire hebdomadaire de 500,00 $;

i) pendant chacune des périodes en litige, l'appelante est inscrite sur le registre de paye du payeur pendant 14 semaines, soit le nombre de semaines assurables dont elle avait besoin pour être éligible aux prestations d'assurance-chômage;

j) l'appelante faisait la paye de 1 à 15 employés pendant les semaines non inscrites sur le registre de paye du payeur et de 7 à 21 employés les autres semaines, l'appelante et son époux inclusivement;

k) les semaines d'emploi de l'appelante telles que rapportées sur le registre de paye du payeur ne se conforment pas aux activités du payeur selon les différentes périodes de l'année;

l) l'appelante accomplissait les mêmes tâches pour le payeur sans rémunération pendant les semaines non inscrites sur le registre de paye;

m) l'appelante n'avait pas à rendre compte de ses heures de travail pendant les semaines inscrites sur le registre de paye du payeur;

n) le salaire de l'appelante est excessif;

o) l'appelante a transféré à son époux les parts qu'elle possédait sans compensation;

p) l'appelante a co-signé une hypothèque sur la maison familiale, prise pour financer le payeur;

q) les modalités d'emploi constituent un arrangement artificiel afin de rendre l'appelante admissible aux prestations d'assurance-chômage;

r) l'appelante et le payeur sont des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

s) l'appelante et le payeur ont entre eux un lien de dépendance;

t) compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il n'est pas raisonnable de conclure que l'appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable, s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[15] Bien que certains des allégués dont notamment les sous-paragraphes k), l), m), n) et t) aient été niés, il est ressorti de la preuve que l'interprétation et l'appréciation des faits n'avaient pas été déraisonnables. La preuve n'a pas démontré que l'intimé avait omis d'apprécier certains éléments importants; quant aux faits pris pour acquis, ils ont été analysés, interprétés et compris correctement et objectivement.

[16] Certes, le Tribunal n'est peut-être pas en accord avec l'allégué n) voulant que le salaire versé à l'appelante ait été excessif. Par contre, c'est un allégué qui doit s'apprécier dans l'ensemble; à cet égard, cela ne constitue pas une erreur fondamentale ou déterminante, d'autant plus qu'il s'agit là d'une interprétation raisonnable dans l'optique où l'appelante exécutait en partie le même travail sans rémunération, en dehors des périodes en litige.

[17] L'appelante a-t-elle démontré d'une manière prépondérante que l'intimé n'avait pas judicieusement exercé sa discrétion? La preuve a-t-elle établi que le processus discrétionnaire avait été entaché de fautes lourdes? Les faits ont-ils démontré que le pouvoir discrétionnaire avait été utilisé de façon illégale et/ou arbitraire?

[18] Le Tribunal croit devoir répondre à toutes ces questions par la négative. L'appelante a reproché à l'intimé de ne pas avoir procédé à une audition lors du processus d'évaluation. D'autre part, elle a aussi soulevé le fait que la décision relative à l'assurabilité était peu ou pas motivée concluant qu'il s'agissait là d'un déni de justice. Je ne crois pas qu'il s'agisse là d'éléments susceptibles d'entacher ou vicier la qualité de l'exercice du pouvoir discrétionnaire.

[19] Au moment où l'intimé est appelé à statuer sur l'assurabilité d'un emploi, il procède généralement au moyen d'une première évaluation qui, malheureusement, n'associe pas toujours la personne concernée. Par contre, lors de la révision préalable à l'audition devant ce Tribunal, la personne dont le statut d'assurabilité est questionné, est mise à contribution par le biais de différents procédés allant de l'entrevue téléphonique à l'échange d'informations écrites au moyen de questionnaires et également, souvent, par le biais d'une entrevue. Peu importe la formule retenue ou choisie à cette étape, l'appelante a toujours la possibilité de produire ou fournir toute la preuve documentaire qu'elle croit pertinente.

[20] De façon générale, il n'y a pas de décision sans que la personne concernée n'ait été appelée à fournir sa version et la preuve documentaire inhérente qu'elle croit utile.

[21] En l'espèce, l'appelante était représentée par une avocate et elle a eu cette possibilité d'apporter toutes les explications qu'elle pouvait juger pertinentes et appropriées. Il n'y a aucune preuve à l'effet que l'appelante ait été privée de ses droits fondamentaux ou qu'on l'ait empêchée de faire valoir ses arguments. L'enquête ayant mené à la détermination à l'origine du présent appel a tenu compte de tous les faits et documents importants et disponibles puisque l'audition n'a mis en lumière aucun nouvel élément.

[22] Dans les circonstances, je suis d'opinion qu'il n'y a pas là matière à grief quant au cheminement de la procédure qui a mené à la détermination.

[23] Dans un deuxième temps, est-ce-que la lettre qui a informé l'appelante de la décision était suffisamment explicite quant aux motifs d'une part, et d'autre part, s'agit-il là d'un motif valable pour disqualifier la qualité même de la décision.

[24] Je comprends et accepte qu'il soit préférable d'aviser et d'indiquer clairement et en détail les motifs justifiant toute décision ayant un impact et des conséquences sur un contribuable. Par contre, le fait d'avoir indiqué à l'appelante le fondement juridique de la décision constitue quant à moi une justification adéquate et satisfaisante, d'où je ne retiens ni l'un ni l'autre de ces griefs pour justifier l'intervention de ce Tribunal.

[25] Quant au processus lui-même, je suis d'avis que l'intimé a évalué l'ensemble des faits pertinents disponibles d'une manière raisonnable qui ne justifie, ni ne permet à ce Tribunal d'intervenir d'où, je dois, dans les circonstances, rejeter l'appel et confirmer le bien-fondé de la détermination.

Signé à Ottawa, Canada ce 15e jour de janvier 1999.

“Alain Tardif”

J.C.C.I.

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