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Date: 20000324

Dossier: 98-1230-IT-G

ENTRE :

ANDRÉ BEAUCHESNE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels de cotisations d'impôt sur le revenu entendus dans des circonstances fort inhabituelles. Avant que ne débute l'audition des appels de monsieur André Beauchesne à l'égard des années d'imposition 1992, 1993 et 1994 (années d'imposition pertinentes), son procureur a présenté à la Cour une requête pour cesser d'occuper. Il a indiqué qu'il n'avait plus de mandat pour représenter monsieur Beauchesne et, de plus, que ce dernier n'allait pas se présenter à l'audience. Toutefois, monsieur Beauchesne aurait mentionné à ce procureur que la Cour devait entendre les appels en son absence.

[2] Après que la requête pour cesser d'occuper eut été accueillie et que le procureur concerné eut quitté la salle d'audience, l'audition des appels de monsieur Beauchesne a débuté. Comme le ministre du Revenu national (ministre) avait imposé des pénalités pour chacune des années d'imposition pertinentes en vertu de l'article 163 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi), j'ai rappelé au procureur de l'intimée qu'il avait, selon le paragraphe 163(3) de la Loi, la charge d'établir les faits qui justifiaient l'imposition de ces pénalités.

[3] Après avoir entendu la preuve présentée par l'intimée, j'ai rendu la décision suivante : les appels des cotisations établies en vertu de la Loi à l'égard des années d'imposition 1992, 1993 et 1994 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que, pour les seules fins du calcul de la pénalité, il doit déduire du revenu auquel la pénalité s'applique 1) les cotisations à la Fédération des médecins et 2) la fraction des frais de représentation qui n'est pas admissible aux termes de l'article 67.1 de la Loi. J'ai aussi accordé à l'intimée tous les dépens prévus au tarif B des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale).

[4] Comme motifs de ma décision, communiqués à l'audience, j'ai indiqué que j'étais essentiellement d'accord avec les arguments du procureur de l'intimée (sans les résumer) sauf en ce qui concerne les deux éléments déjà mentionnés plus haut. Pour expliquer ma décision quant à ces deux éléments, j'ai alors dit que je donnais le bénéfice du doute à monsieur Beauchesne en ce qui a trait à la fraction non admissible des frais de représentation - parce qu'il s'agissait d'une règle fiscale que monsieur Beauchesne pouvait ne pas connaître - et en ce qui a trait aux montants déduits en double à l'égard des cotisations à la Fédération des médecins. La preuve avait révélé que ces cotisations avaient été payées par la R.A.M.Q. alors que les montants ainsi payés n'avaient pas été inclus dans les revenus de monsieur Beauchesne. Il était possible que monsieur Beauchesne n'ait pas été au courant de la déduction en double.

[5] Comme monsieur Beauchesne demande maintenant les motifs de ma décision et qu'il n'a pu entendre la plaidoirie du procureur de l'intimée parce qu'il n'était pas présent lors de l'audition de ses appels, je vais résumer ici les principaux arguments du procureur de l'intimée. Tout d'abord, il a soutenu que les cotisations d'impôt devaient être maintenues telles quelles puisqu'il n'y avait eu aucune preuve tendant à démolir les faits sur lesquels le ministre s'était fondé pour établir ses cotisations. Ces faits, énoncés au paragraphe 19 de la réponse à l'avis d'appel de l'intimée, sont les suivants :

Pour établir les nouvelles cotisations à l'égard des années d'imposition 1992, 1993 et 1994, le ministre du Revenu national a tenu pour acquis, notamment, les faits suivants :

a) Durant les années en litige l'appelant avait deux principales sources de revenus, soit du revenu professionnel à titre de médecin et du revenu locatif;

b) L'exercice financier de l'appelant à titre de médecin durant les années en litige se terminait le 31 janvier de chaque année;

c) Durant les années en litige, l'appelant avait un système comptable très déficient puisqu'il ne maintenait aucun registre de ses revenus et de ses dépenses;

d) L'appelant préparait lui-même ses états financiers et engageait une firme comptable pour la préparation des déclarations d'impôt à partir de ses états financiers;

e) L'appelant avait présenté au vérificateur des rapports provenant de la Régie de l'assurance-maladie du Québec (R.A.M.Q.), qui étaient incomplets et qui ne contenaient pas tous les montants qui lui avaient été versés au cours de l'année;

f) Suite à l'obtention par le vérificateur des rapports complets de la R.A.M.Q., des écarts importants ont été notés entre les montants versés par la R.A.M.Q. et les montants de revenus professionnels déclarés par l'appelant, soit 22 189 $ en 1992, 27 543 $ en 1993 et 47 189 $ en 1994;

g) L'appelant n'ayant pas été en mesure d'expliquer les écarts, les montants décrits au sous-paragraphe 7)g) ont été ajoutés à ses revenus pour les années en litige;

h) Des montants totalisant 41 752 $ (1992), 36 172 $ (1993) et 26 795 $ (1994) ont été refusés par le ministre à titre de dépenses pour diverses raisons décrites ci-après :

1992 1993 1994 Total

Dépenses refusées

Cotisations et dons 2 898 $ 2 450 $ 700 $ 6 048 $

Assurances 4 971 $ 4 836 $ 4 636 $ 14 443 $

Salaires et bénéfices

marginaux 5 690 $ 1 398 $ 5 353 $ 12 441 $

Honoraires professionnels 3 799 $ 3 162 $ 1 561 $ 8 522 $

Dépenses automobiles 1 377 $ 1 926 $ 1 677 $ 4 980 $

Congrès et formations 17 229 $    18 942 $ 10 111 $ 46 282 $

Frais de bureau

à domicile 2 049 $ 2 110 $ 2 007 $    6 166 $

Intérêts (frais financiers) 3 739 $ 1 348 $ 750 $    5 837 $

TOTAL DES DÉPENSES

REFUSÉES    41 752 $    36 172 $ 26 795 $ 104 719 $

des dépenses ont été refusées à titre d'honoraires professionnels parce qu'il s'agissait de dépenses personnelles (ex : frais funéraires du père de l'appelant, cours de peinture ou de musique) et plusieurs montants n'ont pu être justifiés par des documents;

des dépenses ont été refusées à titre de dons et cotisations, tel un prêt au Club de golf de Baie-Comeau et sa cotisation professionnelle à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec qui était payée par la R.A.M.Q. et déjà réclamée par l'appelant;

des paiements de primes d'assurance-vie ont été refusés parce qu'il s'agissait de dépenses personnelles;

l'appelant avait inclus au poste de dépenses salariales la portion de l'employé au Régime des rentes du Québec, de l'assurance-chômage, du Régime de l'assurance-maladie du Québec et de l'impôt, ces montants ont été refusés;

des dépenses réclamées au poste congrès et formation ont été refusées pour manque de pièces justificatives ou encore parce qu'il s'agissait de voyages personnels ou de dépenses personnelles de l'appelant; l'appelant avait également réclamé la portion non-admissible de 20% pour des dépenses de restaurants ou divertissement;

des montants ont été refusés au titre d'utilisation de la résidence personnelle, car la principale place d'affaires de l'appelant était au “ Médicentre Boréal ”;

certains frais pour utilisation d'une automobile ont été refusés car les pièces justificatives montraient des dépenses pour deux véhicules différents;

des montants ont été refusés à titre d'intérêts sur marge de crédit parce que non conciliable [sic] avec ses dépenses personnelles.

i) Des montants de 25 020 $ (1992), 29 202 $ (1993) et 24 973 $ (1994) qui avaient été déclarés comme pertes locatives par l'appelant, relativement à un immeuble situé à St-Augustin-de-Desmaures, ont été refusés par le ministre car il n'existait aucune expectative raisonnable de profits dans la location de cette résidence unifamiliale pendant les années en litige;

j) Depuis l'acquisition de cette maison en 1990, l'appelant a réclamé des pertes de 127 819 $ sur une période de 5 ans;

k) Le loyer annuel perçu pour la location de la maison ne couvre pas les intérêts sur l'emprunt hypothécaire;

l) L'appelant a indiqué qu'il ne pouvait augmenter le prix du loyer car il n'aurait pas louer [sic] la maison, ce qui indique que l'immeuble générait son plein maximum de revenus;

m) L'appelant préparant lui-même ses états financiers depuis le début des années 1980, devait savoir qu'il ne pouvait réclamer les dépenses qui lui ont été refusées par le ministre pour les années en litige étant donné leur nature;

n) Les rapports de la R.A.M.Q. étaient très clairs et permettaient à l'appelant de déclarer adéquatement ses revenus professionnels pendant les années en litige;

o) L'appelant ayant fait sciemment ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, de faux énoncés dans ses déclarations d'impôts pour ses années d'imposition 1992, 1993 et 1994, en ne déclarant pas tous ses revenus et en réclamant des dépenses non-déductibles pour chacune des années en litige (voir tableau), des pénalités aux montants respectifs de 6 589 $, 5 083 $ et 6 831 $ ont été imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu :

1992

1993

   1994

Dépenses

Honoraires professionnels

949 $

3 162 $

1 561 $

Cotisations et dons

1 668 $

2 450 $

700 $

Congrès et formation

17 229 $

18 942 $

10 111 $

Total

19 846 $

24 554 $

12 372 $

Revenus

R.A.M.Q.

29 047 $

15 913 $

39 114 $

Montant assujetti à la pénalité

48 893 $

40 467 $

51 486 $

[6] Quant à l'imposition des pénalités, le procureur de l'intimée a distingué entre d'une part les revenus provenant de la R.A.M.Q. que monsieur Beauchesne n'a pas déclarés et d'autre part les dépenses de nature personnelle qu'il a déduites. Il faut se rappeler que le ministre devait établir que monsieur Beauchesne avait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde fait un faux énoncé ou une omission dans ses déclarations de revenu (paragraphe 163(2) de la Loi).

[7] À l'appui de ses arguments, le procureur a souligné l'importance des dépenses personnelles déduites par monsieur Beauchesne. Pour les trois années d'imposition pertinentes, elles totalisent 104 119 $, dont une somme de 56 772 $ a été assujettie à la pénalité prévue au paragraphe 163(2) de la Loi. Le poste le plus important parmi ces dépenses refusées et donnant lieu à des pénalités sont des dépenses de congrès et formation dont le total pour les trois années s'élève à 46 282 $.

[8] En plus d'être importantes, ces dépenses sont complètement farfelues : à l'évidence, elles ne pouvaient être considérées comme légitimes dans le calcul du revenu professionnel. Il y a notamment les frais funéraires pour son père, les frais de cours de peinture et de musique pour son épouse, les frais d'école de hockey et d'équipement de hockey pour son fils, des frais pour faire du ski dans Charlevoix, des coûts d'achat de planche à neige et des frais de voyages dans le Sud.

[9] De plus, le procureur de l'intimée a noté que les dépenses déduites en 1994 l'ont été même si le vérificateur du ministre avait informé auparavant monsieur Beauchesne que beaucoup des dépenses déduites pour les années 1992 et 1993 étaient de nature personnelle. Le vérificateur du ministre lui avait demandé de préparer un état de tous ses revenus de même que de ses dépenses pour l'année 1994. Or, parmi les dépenses personnelles déduites par monsieur Beauchesne, on retrouve notamment des dépenses de 951 $ pour une école de musique, des dépenses de 390 $ pour une école de hockey et des dépenses de 220 $ pour des cours de peinture.

[10] De plus, monsieur Beauchesne a déclaré pour l'année 1994 des revenus inférieurs de 39 114 $ à ceux qui lui avaient été réellement versés, même s'il savait que le ministre lui avait déjà fait part d'écarts pour les années antérieures. Pour les trois années d'imposition pertinentes, le montant des revenus non déclarés s'élève à une somme de 84 074 $. Le procureur de l'intimée soutient que si monsieur Beauchesne avait voulu connaître le montant réel de ses revenus, il aurait pu demander un relevé à la R.A.M.Q. - comme le vérificateur du ministre l'a fait - pour être fixé sur le montant de ses honoraires pour ses services professionnels.

[11] Quant aux montants représentant la fraction non admissible des frais de représentation, le procureur de l'intimée a soutenu que monsieur Beauchesne devait être au courant de cette restriction.

[12] Le procureur de l'intimée voit dans la conduite de monsieur Beauchesne, un médecin de profession, celle d'une personne qui tient à diminuer le montant de son revenu imposable par tous les moyens possibles. Si monsieur Beauchesne n'a pas sciemment pour l'année 1994 omis de déclarer tous ses revenus et exagéré ses dépenses en y ajoutant des dépenses manifestement de nature personnelle, à tout le moins a-t-il agi avec une négligence telle qu'il est clair qu'il s'agit là de circonstances équivalant à faute lourde.

[13] De plus, le procureur de l'intimée a indiqué à plusieurs reprises que si monsieur Beauchesne s'était donné la peine d'être présent lors de l'audition de ses appels, il aurait peut-être pu nous fournir des explications sur certains aspects de son dossier. Or, les absents ont toujours tort. Voici comment le procureur de l'intimée a résumé sa position :

Il veut le [son revenu] réduire au maximum en réclamant des choses complètement farfelues.

Et il est bien conscient, c'est un médecin [...] c'est carrément évident que d'aller skier [...] dans Charlevoix ou à Québec, c'est pas une dépense professionnelle ça.

Mais si je me dis que ce monsieur-là va jusqu'à ce point-là, et bien qu'on lui ait expliqué qu'il n'a pas droit à ça, en 94, il réclame le même type de dépenses. Bien, voyons! Je pense qu'on peut présumer qu'en son absence, il savait que ces revenus-là n'étaient pas totalement déclarés. Je parle de ceux provenant de la Régie de l'assurance-maladie du Québec.

Signé à Montréal (Québec) ce 24e jour de mars 2000.

“ Pierre Archambault ”

J.C.C.I.

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