Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19981002

Dossiers: 97-1652-UI; 97-1653-UI

ENTRE :

ROBERT CHAREST,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs de l'ordonnance

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1] La Cour est saisie à Matane (Québec), le 18 septembre 1998, de deux requêtes en rejet d'appels aux motifs que ceux-ci sont prescrits et sans objet puisqu'ils n'ont pas été déposés dans le délai de 90 jours prévu au paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. (1996) ch. 23.

[2] L'affidavit du 27 août 1998 de Denis Simard, agent des appels au ministère du Revenu national se lit ainsi dans les deux cas :

« Je soussigné, DENIS SIMARD, ayant un bureau au Ministère du Revenu National, au 305 ouest, boul. René Lévesque à Montréal, affirme solennellement ce qui suit :

1. Je suis un agent des appels au Ministère du Revenu national et après avoir examiné le présent dossier de l'appelant auprès de ce ministère, j'ai une connaissance personnelle des faits ci-après mentionnés :

A. Par lettre en date du 12 juin 1997, l'intimé informa l'appelant de sa décision sur l'assurabilité de son emploi; copie de la décision du ministre est jointe à la présente déclaration sous serment sous la cote R-1;

B. L'appelant a déposé un avis d'appel au greffe de la Cour canadienne de l'impôt le 12 septembre 1997, à l'encontre de la notification du ministre datée du 12 juin 1997, tel qu'il appert du dossier de cette Cour;

C. Tous les faits allégués dans le présent affidavit sont vrais. »

La preuve de l'appelant

Selon Rolande Charest

[3] C'est elle qui a rédigé les lettres - « avis d'appel » - (pièce A-1) datées du 3 septembre 1997 et c'est son mari, l'appelant, qui les a signées.

[4] Les lettres de détermination sont datées du 12 juin 1997 mais il est possible qu'elle aient été postées seulement le lendemain et qu'elles aient été reçues quatre jours plus tard.

[5] Le 9 septembre 1997 elle a fait parvenir lesdites lettres - « avis d'appel » - au directeur-adjoint des appels par télécopieur.

[6] Elle a appelé chez Revenu Canada le 9 septembre 1997 et une secrétaire lui a dit que ses « FAX » avaient été bien reçus.

[7] Le 12 septembre 1997 l'agent des appels Gilles Turgeon lui a téléphoné pour lui dire que ces lettres - « avis d'appel » - (pièce A-1) n'avaient pas été envoyées à la bonne place et qu'elles devaient être transmises à cette Cour.

[8] Il ne lui a pas dit qu'elle était déjà en retard dans ses démarches.

[9] Elle a alors fait parvenir le 12 septembre 1997 par télécopieur les mêmes lettres (pièce A-2) au greffe de la Cour à Montréal.

[10] Les lettres de détermination (pièce A-3) datées du 12 juin 1997 sont bien à l'effet qu'en cas de désaccord l'appelant pouvait en appeler à cette Cour dans les 90 jours de leur date d'envoi mais elle pensait que « c'était la même affaire » .

[11] L'accusé de réception de la Cour (pièce A-4) indique bien que les avis d'appel ont été reçus au greffe le 12 septembre 1997.

Les plaidoiries

[12] La procureure de l'intimé cite l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Claude Lamarre et al. et M.R.N. (A-682-97) où l'honorable juge Marceau écrit pour celle-ci :

« Il ne fait pas de doute, depuis la décision de cette Cour dans Vaillancourt, que le délai de 90 jours prévu à ce paragraphe 70(1) de la Loi sur l'assurance-chômage pour en appeler d'une décision du ministre est un délai de rigueur que la Cour canadienne de l'impôt n'a pas le pouvoir d'étendre.

Il ne fait pas de doute, non plus, qu'en vertu de l'article 5 des Règles de procédure de la Cour canadienne de l'impôt à l'égard de l'assurance-chômage que le point de départ de ce délai de 90 jours est la date de la décision dans les cas, comme ici, où la décision fut communiquée à l'intéressé par la poste et qu'aucune preuve ne permet de penser qu'elle ne fut expédiée que plus tard. Les requérants tentent de soutenir que cette disposition des règles de pratique de la Cour canadienne de l'impôt, qui se rattache au pouvoir non-équivoque que lui a accordé le Parlement en 1993 au paragraphe 20(1) et à l'alinéa 20(1.1)h.1) de sa Loi habilitante, serait ultra vires parce que, en 1990 au moment de son adoption, elle ne respectait pas la Loi telle qu'elle existait à ce moment si le terme « communication » de l'article 70, alors utilisé seul, devait s'entendre de « prise de connaissance » . Mais, pour qu'une telle thèse soit soutenable, il faudrait non seulement tenir pour acquis que le caractère ultra vires d'une disposition ne doit pas s'analyser en fonction du droit existant au moment où l'attaque est portée, mais oublier le paragraphe 44g) de la Loi d'interprétation qui présume réadoption au moment de remplacement de la Loi habilitante. Et pour prétendre, finalement, que l'adoption d'une telle disposition enfreindrait quelque droit fondamental protégé par la Charte canadienne des droits et libertés, il faudrait penser qu'un droit d'appel est un droit naturel et absolu et non simplement un droit qui doit être expressément concédé et, partant, peut l'être conditionnellement.

Ajoutons, en dernière analyse, que nous ne croyons pas valable cet argument habilement avancé subsidiairement par le procureur au terme duquel si effet devait être donné à l'article 5, il devrait en être ainsi du paragraphe 26.1(1) des Règles de procédure de la Cour canadienne de l'impôt à l'égard de l'assurance-chômage relativement à la suspension de l'écoulement du terme pendant les vacances de Noël. Les termes mêmes de ce paragraphe 26.1(1) s'opposent à l'adoption d'une telle prétention puisqu'on parle là du délai établi par les règles et non de celui établi par la législation elle-même. C'est la Loi d'interprétation qui gouverne dans ce dernier cas. »

[13] Elle ajoute que suivant cet arrêt les deux requêtes en rejet d'appel doivent être accueillies.

[14] Selon le procureur de l'appelant les cas sous étude sont différents du cas Lamarre.

Selon lui également :

[15] Il faut tenir compte des circonstances.

[16] Il s'agit en l'instance de cas « border line » et la Cour peut rejeter les requêtes en rejet d'appel.

[17] L'article 27 des Règles de la Cour en matière d'assurance-emploi se lit ainsi :

« 27. (1) L'inobservation des présentes règles n'annule aucune procédure, à moins que la Cour ne l'ordonne expressément. Toutefois, cette procédure peut être rejetée en tout ou en partie comme irrégulière et être modifiée ou traitée autrement, de la manière et aux conditions que la Cour estime nécessaires dans les circonstances.

(2) Lorsqu'une personne demande le rejet d'une procédure pour irrégularité, elle doit exposer clairement dans sa demande les arguments qu'elle a l'intention d'avancer.

(3) Lorsqu'elle estime que cela peut être nécessaire dans l'intérêt de la justice, la Cour peut dispenser de l'application de toute règle.

(4) Dans les cas non prévus par les présentes règles, la Cour détermine la pratique à suivre, en réponse à une demande de directives ou après l'événement et aucune demande n'est présentée. »

[18] Cet article permet à la Cour de rejeter les deux requêtes en l'instance.

Selon la procureure de l'intimé en réplique

[19] La Loi est claire et n'a pas à être interprétée.

[20] Le délai de 90 jours commençait bien le 12 juin 1997.

[21] Il serait « ultra vires » pour la Cour de ne pas accueillir les deux requêtes.

[22] L'agent des appels Turgeon s'est comporté adéquatement.

[23] L'article 27 précité ne peut modifier la Loi.

Le délibéré

[24] Les lettres de détermination sont claires et l'appelant devait savoir qu'il lui fallait s'adresser à la Cour et non à Revenu Canada.

[25] Aucune preuve ne permet de penser que les lettres de détermination ont été expédiées après le 12 juin 1997 et la supposition de Rolande Charest ne peut être retenue.

[26] L'agent des appels a agi correctement.

[27] L'arrêt Lamarre est très clair, le délai d'appel est de rigueur et la Cour n'a pas le pouvoir de l'étendre.

[28] Un droit d'appel n'est pas un droit naturel et absolu.

[29] La Cour ne peut tenir compte des circonstances; elle doit appliquer la Loi.

[30] L'article 27 précité ne peut modifier la Loi.

[31] La Loi est peut être dure mais c'est la loi.

[32] Les deux requêtes sont donc accueillies.

Signé à Laval (Québec), ce 2e jour d'octobre 1998.

« A. Prévost »

J.S.C.C.I.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.