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Date: 19980603

Dossier: 95-1894-IT-G

ENTRE :

SALVA GIDEON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus à Toronto (Ontario) le 19 mai 1998, sous le régime de la procédure générale de notre cour.

Point en litige

[2] La question est de savoir si l'appelante, soit un médecin de famille ayant un bon revenu, est en droit de déduire certaines pertes locatives qu'elle avait indiquées pour les années 1990, 1991 et 1992. La question secondaire est de savoir si l'appelante, qui avait indiqué 100 p. 100 des pertes locatives, ne devrait être autorisée à en déduire que 50 p. 100 parce qu'elle et son époux étaient copropriétaires du bien en cause. Les pertes initialement indiquées par l'appelante étaient de 20 686 $ pour 1990, de 13 967 $ pour 1991 et de 24 441 $ pour 1992. L'appelante a déposé en preuve la pièce A-22, soit un rapport de Joseph Flabbi, CA (qui a témoigné au sujet de ce rapport), de sorte que les pertes relatives à ces appels sont en fait de 16 714 $ pour 1990, de 24 313 $ pour 1991 et de 14 818 $ pour 1992.

[3] Vu le fait que le bien en cause (le « bien » ), soit le 6, Pleasant Valley Place, Brampton, avait été acquis conjointement par l'appelante et son époux, les pertes déduites devraient en fait représenter seulement 50 p. 100 des derniers montants mentionnés, c'est-à-dire qu'elles devraient être de 8 357 $ pour 1990, de 12 156 $ pour 1991 et de 7 409 $ pour 1992. Il est à noter que, pour 1996 et 1997, l'appelante n'a indiqué que 50 p. 100 de ses pertes dans ses déclarations de revenus.

[4] Tout comme dans la plupart des affaires de cette nature, il s'agit fondamentalement de savoir si, dans l'acquisition du bien, l'appelante avait une attente raisonnable de profit.

Dans la présente espèce, l'appelante a subi des pertes depuis 1990. Ces pertes ont diminué et, sur la foi du rapport de Joseph Flabbi (pièce A-22), l'appelante s'attend à tirer un profit de l'entreprise de location en 1998.

[5] L'appelante et son époux, Shehadeh Gideon, avaient acheté le bien à la Bramalea Ltd. (la « Bramalea » ) en mai 1990. Il s'agit d'une habitation à étage située à Brampton. L'époux de l'appelante a fait des efforts pour louer le bien. L'appelante et son époux n'ont jamais eu l'intention de vivre là. Ils avaient leur propre résidence. Le bien a été acheté comme bien locatif. Il n'a pas été annoncé dans les journaux. L'appelante voulait des locataires « sûrs » , citant le cas d'un bien d'une personne membre de sa famille qui avait été endommagé par des locataires inconnus de cette personne. M. Gideon avait mis un écriteau « À louer » sur la pelouse et avait téléphoné à des membres de sa famille et à des connaissances dans l'espoir de trouver un bon locataire. D'une manière générale, le marché locatif de la région indiquait que des biens comparables se louaient mensuellement entre 1 000 $ et 1 300 $. Dans une lettre en date du 18 juillet 1994, Caldwell Bankers disait que, sur le marché, les loyers mensuels moyens étaient de 1 223 $ en 1990, de 1 149 $ en 1991 et de 1 212 $ en 1992. L'appelante a déclaré qu'elle espérait obtenir 1 500 $ parce que le bien était supérieur à la moyenne et qu'il était situé près d'une école.

[6] Avant l'achat du bien, l'appelante avait fait une offre à la Bramalea pour l'achat d'un condominium situé à Brampton (Ontario). Au titre de cette opération, elle avait versé un acompte de 20 000 $. Toutefois, elle avait décidé de ne pas conclure cette opération, parce que les condominiums de la région ne se vendaient pas. De plus, des déclarations de la Bramalea s'étaient révélées inexactes, et les prix et les loyers baissaient. La Bramalea ne voulait pas libérer l'appelante, et le meilleur règlement qu'ait pu obtenir l'appelante avait été de renoncer à l'acompte de 20 000 $ et de consentir à acheter à la Bramalea le 6, Valley Place.

Le prix du bien était de 336 900 $ (la Bramalea avait demandé 376 000 $), un acompte de 30 000 $ devant être versé initialement et un paiement supplémentaire devant être fait à la date de transfert du bien. Le premier emprunt hypothécaire, d'un montant de 252 000 $, était un emprunt pour un an à un taux d'intérêt de 13,75 p. 100. Cet emprunt hypothécaire a été remplacé après la première année par un nouvel emprunt hypothécaire à un taux d'intérêt de 9,65 p. 100 pour trois ans. Cet emprunt hypothécaire a ensuite été remplacé par un emprunt hypothécaire à plus long terme, et le taux d'intérêt est actuellement de 5,95 p. 100. L'appelante, outre les versements hypothécaires hebdomadaires périodiques, a payé un montant représentant 10 p. 100 de ce versement, montant qui a servi à réduire le principal.

[7] Le bien a été loué au frère de l'appelante, Nick Hinn, du 1er août 1990 au 1er février 1991, pour 1 000 $ par mois. Le loyer a été payé. M. Hinn a déménagé avant février 1991 parce que son épouse, enceinte depuis peu, désirait aller s'installer plus près de chez sa mère et qu'ils voulaient un loyer plus bas.

[8] L'appelante a ensuite loué le bien aux parents de son époux pour 1 000 $ par mois, à partir d'avril 1991. À ce jour, les parents de l'époux habitent encore là. Le loyer mensuel a été porté à 1 100 $ en 1993 et est actuellement de 1 250 $.

[9] Pour ce qui est de l'emprunt hypothécaire, le principal a été réduit au fil des ans : de 252 000 $ qu'il était en 1990, il a été ramené à 205 443 $ au 31 décembre 1996.

Thèse de l'appelante

[10] L'appelante soutient essentiellement que, pour diverses raisons, elle avait une attente raisonnable de profit au moment de l'achat. Elle reconnaît que les locataires étaient des membres de sa famille, mais dit qu'elle était réticente à louer à n'importe quel tiers. Elle s'est rendu compte qu'elle ne pouvait s'attendre à réaliser un profit les premières années, mais estimait que, après un certain nombre d'années, vu son intention de réduire le principal de l'emprunt hypothécaire, elle pourrait s'attendre à un profit.

Thèse du ministre

[11] L'avocat du ministre fait valoir que le loyer demandé était inférieur aux loyers demandés sur le marché, que le bien a été loué à des membres de la famille, que les parents de l'époux de l'appelante n'avaient pas les moyens de payer le loyer, qu'il y a eu des pertes malgré le fait qu'on n'a pas demandé de déduction pour amortissement et que l'appelante a décidé d'acheter le bien surtout pour régler l'affaire du condominium avec la Bramalea; il conclut que l'appelante n'avait pas d'attente raisonnable de profit.

Analyse et décision

[12] Dans trois décisions récentes de la Cour d'appel fédérale, soit Tonn, 96 DTC 6001, Mastri, 97 DTC 5420, et Mohammad, 97 DTC 5503, on a analysé et distillé les facteurs à prendre en compte pour déterminer si l'on peut dire qu'un contribuable avait une attente raisonnable de profit à l'égard d'une entreprise de location.

Ces décisions établissent essentiellement que, lorsqu'il y a un élément personnel en cause, soit en l'espèce la location du bien à des membres de la famille, la charge qui incombe au contribuable de prouver qu'il avait une attente raisonnable de profit est plus lourde. De plus, la jurisprudence montre que, lorsqu'il y a des coûts fixes élevés, par exemple pour ce qui est des intérêts hypothécaires et des impôts fonciers, le contribuable doit prouver qu'il entendait réduire l'emprunt hypothécaire et parvenir ainsi à une rentabilité à un moment donné.

[13] À mon avis, l'appelante s'est acquittée de cette charge plus lourde qui lui incombait en matière de preuve. Mes motifs sont les suivants :

1. L'appelante était un témoin très crédible.

2. Le bien a été acquis comme bien locatif.

3. Les loyers demandés, quoique se situant à la limite inférieure des loyers demandés sur le marché, étaient raisonnables dans les circonstances, et on n'a pas fermement prouvé que le loyer n'avait pas été payé.

4. Les versements hypothécaires étaient hebdomadaires, ce qui, allié au paiement supplémentaire de 10 p. 100 mentionné précédemment, permettait de réduire le principal raisonnablement vite.

5. Le ministre n'a pas admis une période de démarrage suffisante, sa cotisation portant sur les trois premières années de l'entreprise de location.

6. La situation économique existant au cours des années en cause a eu des répercussions négatives sur l'entreprise de location.

7. Les pertes qui avaient été indiquées ont été réduites considérablement.

[14] En conséquence, les appels sont admis, avec dépens, et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations, compte tenu de ce qui suit :

1. l'appelante est en droit de déduire pour 1990 une perte locative représentant 50 p. 100 de 16 714 $, soit 8 357 $;

2. l'appelante est en droit de déduire pour 1991 une perte locative représentant 50 p. 100 de 24 313 $, soit 12 156 $;

3. l'appelante est en droit de déduire pour 1992 une perte locative représentant 50 p. 100 de 14 818 $, soit 7 409 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 1998.

« T. P. O'Connor »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 22e jour de février 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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