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Date: 19990528

Dossier: 1999-1126-GST-APP

ENTRE :

JEAN MASSAROTTO,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] Il s'agit d'une demande de prorogation du délai pour produire un avis d'opposition à une cotisation aux termes des dispositions de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”) relatives à la taxe sur les produits et services (“ TPS ”).

[2] La Réponse à la demande de prorogation de délai se lit comme suit :

1. Le 23 août 1996, le ministre du Revenu national (le “Ministre”) a émis l'avis de cotisation numéro T96R288 relativement à la période allant du 1er avril 1992 au 30 juin 1992;

2. Le requérant n'a pas déposé d'avis d'opposition auprès du Ministre dans le délai prescrit par l'article 301 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, telle qu'amendée (ci-après “L.T.A.”, lequel se terminait le 21 novembre 1996;

3. Une demande de prorogation du délai relatif au dépôt d'un avis d'opposition a été déposée auprès du Ministre le 14 septembre 1998;

4. Le 22 décembre 1998, le Ministre avisait le requérant qu'il refusait sa demande de prorogation de délai relativement à la production d'une opposition à l'encontre de la cotisation mentionnée plus haut au motif que la demande n'a pas été présentée dans l'année suivant l'expiration du délai soit 455 jours, par ailleurs imparti pour faire opposition, tel que prévu à l'article 303(7)a) L.T.A..

5. Le 28 janvier 1999, le requérant adressait à cette Honorable Cour sa demande de prorogation de délai pour produire un avis d'opposition.

6. L'intimée soutient que la demande devrait être rejetée pour le motif suivant :

a) La demande auprès du Ministre suivant l'article 303(1) L.T.A. n'a pas été présentée dans l'année suivant l'expiration du délai par ailleurs imparti pour faire opposition, le tout conformément à l'article 304(5)a) L.T.A..

[3] Le requérant soutient n'avoir jamais reçu ni vu l'avis de cotisation dont il est question au paragraphe 1 de la Réponse à la demande de prorogation de délai.

[4] Il affirme qu'en 1992 il avait construit quelques petits immeubles avec un certain monsieur Benoît Bois avec qui il faisait des affaires à l'époque. Ces immeubles auraient été loués puis vendus à l'époque visée par la cotisation soit d'avril à juin 1992. Le requérant et monsieur Bois ne feraient plus d'affaires ensemble depuis et ils auraient même des démêlés en justice en relation avec des transactions passées. Monsieur Bois aurait depuis déclaré faillite.

[5] Le requérant affirme qu’il n’était pas associé avec monsieur Bois et qu’ils auraient vendu les immeubles sous les deux noms. Par ailleurs, dans sa demande de prorogation du délai pour faire opposition adressée au ministre du Revenu national (le “ Ministre ”) en date du 14 septembre 1998 (pièce A-6), le requérant parle d'un “ partenaire ” avec qui il avait “ un contrat de société tacite et verbal ”. Dans un document intitulé “ État des rajustements de vérification TPS ” (“ État des rajustements ”) dont il sera question plus loin (pièce A-2, page 2 et pièce A-4) le requérant est décrit par le vérificateur comme “ propriétaire associé ”. La preuve présentée ne permet pas de déterminer quelle était la véritable relation d’affaires que le requérant entretenait avec monsieur Bois durant l’année 1992. S’agissait-il d’une société, d’une co-entreprise ou d’une copropriété ? Il est impossible d’apporter une réponse claire à cette question en l’absence d’éléments additionnels de preuve. Cependant, une chose est certaine : les deux personnes n’avaient plus de relation d’affaires le 23 août 1996, au moment où, selon le paragraphe 1 de la Réponse à la demande de prorogation de délai reproduite ci-haut, “ le Ministre a émis l’avis de cotisation numéro T96R288 relativement à la période allant du 1er avril 1992 au 30 juin 1992 ”.

[6] Ce n'est qu'en juin 1998 que le requérant affirme avoir été mis au courant par le service de perception de Revenu Québec qu'il y avait eu en 1996 une vérification de ses affaires avec monsieur Bois, qu'il avait été cotisé en août 1996 et qu'il devait une somme approximative de 35 000 $. Il dit n'avoir jamais rencontré le vérificateur, un certain monsieur Jean-Pierre Lemieux, en 1996. De plus, il affirme que jamais personne ne l'a contacté à l’époque concernant cette vérification et la cotisation émise par la suite. Monsieur Bois ne l'aurait pas non plus informé de cette vérification et de cette cotisation.

[7] Suite à une rencontre, en juin 1998, avec trois représentants du service de vérification de Revenu Québec à Laval dont le vérificateur, monsieur Lemieux, le requérant affirme avoir reçu par la poste l'État des rajustements faisant état des sommes dues pour la période du 1er avril au 30 juin 1992 (pièces A-2 et A-4). L’État des rajustements fait toutefois mention que l'original aurait été remis tant à monsieur Bois qu'au requérant lui-même en date du 26 juin 1996. Le requérant affirme n’avoir jamais reçu ce document à l’époque et que monsieur Lemieux aurait lui-même admis ne l'avoir jamais rencontré lors de la vérification. En tout état de cause, le requérant dit qu'on ne lui a jamais remis l'avis de cotisation dont il est ici question et qu’il ne l’a jamais reçu.

[8] Après avoir reçu les documents de vérification en juillet 1998, le requérant a, le 14 septembre 1998, fait parvenir un avis d'opposition au ministère du Revenu du Québec (pièce A-7). Les renseignements inscrits concernant l'avis de cotisation contesté indiquent un numéro qui semble plutôt un numéro de référence qui n'est pas le numéro de l'avis de cotisation auquel l’intimée se réfère dans sa Réponse à la demande de prorogation de délai. La date indiquée n'est pas la date de cotisation mais plutôt celle de l'État des rajustements mentionné plus haut. Le montant contesté de 35 034,53 $ est toutefois exact et correspond également à celui indiqué au même État des rajustements. Il en est de même pour la période indiquée.

[9] Le même jour, soit le 14 septembre 1998, le requérant a également fait parvenir une demande de prorogation du délai pour présenter, selon ce qu’il écrit, “ un avis d'opposition à l'état de rajustement de vérification (ERV), qui ne constitue même pas un avis de cotisation en bonne et due forme, pour la période du 1992.04.01 au 1992.06.30 ” (pièce A-6).

[10] En date du 22 décembre 1998, la demande a été refusée au motif qu'elle n'avait pas été présentée dans l'année suivant l'expiration du délai pour produire un avis d'opposition (pièce A-8).

[11] Le 28 janvier 1999, le requérant présentait à la Cour une demande de prorogation du délai pour produire un avis d'opposition. Toutefois, le requérant indique qu'il veut produire un avis d'opposition “ à une cotisation datée du 31 janvier 1997, portant le numéro d'avis T97F050, pour le numéro de TPS 134200450, pour la période du 1er juillet 1992 au 31 décembre 1996 ”. Évidemment, une demande ainsi libellée par référence à une autre cotisation ne peut qu'ajouter à la confusion qui entoure déjà ce dossier.

[12] D'abord, si je considère que la demande se rapporte véritablement à une cotisation dont l'avis porte le numéro T97F050 et est daté du 31 janvier 1997 pour la période du 1er juillet 1992 au 31 décembre 1996, elle doit être rejetée puisque je n'ai aucune preuve qu'une demande préalable de prorogation du délai pour faire opposition a été présentée au Ministre tel que le prévoit le paragraphe 303(1) de la Loi.

[13] Par ailleurs, si je considère qu'il s'agit plutôt, ce qui m'apparaît plus logique, d'une demande de prorogation du délai pour faire opposition à la cotisation qui aurait été établie le 23 août 1996 et dont l'avis porte le numéro T96R288 relativement à la période du 1er avril 1992 au 30 juin 1992 (tout comme l'a fait l'intimée dans sa Réponse à la demande de prorogation de délai reproduite ci-haut),[1] je devrais également rejeter la demande puisqu'elle n'a pas été présentée dans le délai de 30 jours suivant l'envoi de la décision par le Ministre tel que prévu au paragraphe 304(1) in fine de la Loi.

[14] Mais il y a plus. Lors de l'audition de la demande, l'avocat de l'intimée a présenté une copie d'un avis de (nouvelle) cotisation datée du 23 août 1996 et portant le numéro T96R288 (pièce I-1). Cet avis indique un montant dû de 35 034,53 $ pour la période du 1er avril 1992 au 30 juin 1992. L'avis est adressé de la façon suivante :

BENOIT BOIS ET JEAN MASSAROTTO

21, rue de l'Érablière

R.R. # 2

Saint-Jérôme (Québec) J7Z 5T5

[15] Or, le requérant prétend qu’il n’a jamais reçu cet avis, qu’il ne connaît pas l’adresse indiquée, qu'il n'a jamais résidé à cet endroit et que son adresse est au 2977, avenue Renaissance à Boisbriand (Québec). Il dit ignorer si l'adresse indiquée à l'avis de cotisation est celle de monsieur Bois. Il sait seulement que ce dernier résidait dans la région de Saint-Jérôme à l’époque à laquelle ils faisaient des affaires ensemble.

[16] Ainsi, non seulement le requérant affirme-t-il n’avoir jamais reçu l'avis de cotisation mais il appert que cet avis ne lui aurait jamais été envoyé à son adresse personnelle par le Ministre. D'ailleurs, je note que dans sa Réponse à la demande de prorogation de délai, l'intimée n'allègue aucunement que l'avis de cotisation a été envoyé au requérant ou à une autre personne. Aucune preuve n'a été présentée à cet égard, l’intimée n’ayant fait entendre aucun témoin et n’ayant produit aucun affidavit.

[17] Il a été établi qu’une cotisation n'est complète donc valide que si l'émission de la cotisation est suivie de l’envoi d’un avis au contribuable concerné. À cet égard, on peut se référer au jugement de la Cour de l’Échiquier dans l’affaire Scott v. M.N.R., 60 DTC 1273, [1960] C.T.C. 402. Plus récemment, la Cour d’appel fédérale réaffirmait ce principe en s’appuyant sur le paragraphe 152(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu dans l’affaire Aztec Industries Inc. v. The Queen, 95 DTC 5235 (à la page 5237), [1995] 1 C.T.C. 327 (à la page 330). Dans cette affaire, le contribuable, qui avait présenté sa demande tardivement tout comme dans le cas présent, alléguait non seulement qu’il n’avait pas reçu l’avis de cotisation mais qu’un tel avis n’avait jamais été émis. Le juge Hugessen, en rendant le jugement pour la Cour, souligne bien que dans les circonstances, il revenait au Ministre de prouver l’existence de l’avis de cotisation et la date de sa mise à la poste puisque ces faits sont normalement à sa connaissance et les moyens de preuve sous son contrôle.

[18] Le juge Hugessen poursuit en citant les paragraphes 244(5), 248(7), 244(14) et 244(9) de la Loi de l’impôt sur le revenu sur lesquels le Ministre peut s’appuyer et qui sont manifestement destinés à alléger le fardeau de preuve qui est le sien. Malgré ces dispositions, l’avocat du Ministre concédait que le Ministre n’avait pu faire la preuve de l’existence, de l’envoi par la poste et de la date d’envoi d’un avis de cotisation. Dans les circonstances, la Cour en est donc venue à la conclusion que la demande de prorogation du délai pour faire opposition devait être rejetée, non pas parce qu’elle avait été présentée tardivement comme l’avait décidé le juge de la Cour canadienne de l’impôt, mais plutôt parce que le Ministre n’avait pas fait la preuve de l’existence ou de l’envoi de l’avis de cotisation. La demande de prorogation du délai pour faire opposition du contribuable était ainsi sans objet puisque la cotisation était inexistante ou incomplète et donc non valide.[2]

[19] Tout comme le paragraphe 152(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, en matière de TPS le paragraphe 300(1) de la Loi prévoit qu’une fois une cotisation établie à l’égard d’une personne, le Ministre doit lui envoyer un avis de cotisation. Dans la version anglaise on utilise l’expression “ shall send ” ce qui constitue manifestement une disposition impérative.

[20] Toutefois, à la différence de la Loi de l’impôt sur le revenu, la définition du mot “ personne ” énoncée au paragraphe 123(1) de la Loi couvre aux fins de la TPS une “ société de personnes ”. Par ailleurs, tout comme en matière d’impôt sur le revenu, la Loi contient un certain nombre de présomptions quant à la date d’une cotisation, quant à la date de la mise à la poste de l'avis et quant à la date de la réception. Il s’agit des paragraphes 335(11), 335(10) et 334(1). Le paragraphe 335(5) traite de la preuve par affidavit d’un fonctionnaire en ce qui concerne la nature et le contenu d’un document.

[21] D’autres règles concernant l’envoi et la signification d’un avis ou d’autres documents ont été prévues à l’article 333 pour couvrir notamment l’envoi ou la signification à une société de personnes.

[22] Dans le présent cas, le Ministre savait, compte tenu de la formulation de l’avis d’opposition et de la demande de prorogation du délai pour faire opposition que lui adressait le requérant en date du 14 septembre 1998, que ce dernier prétendait ne pas avoir reçu l’avis de cotisation. Il est manifeste que l’on n'a pas tenu compte de cette prétention et qu’on a refusé la demande en se fondant sur l’alinéa 303(7)a) de la Loi, c’est-à-dire en invoquant le fait que la demande n’avait pas été présentée dans l’année suivant le délai par ailleurs imparti pour faire opposition. Pour le même motif, l’intimée demande maintenant de rejeter la demande présentée à la Cour suite à la décision du Ministre et ce, en application de l’alinéa 304(5)a) de la Loi.

[23] J’estime que la copie d’un avis de cotisation présentée par l’avocat de l’intimée et identifiée comme pièce I-1 ne constitue pas une preuve suffisante d’une cotisation valide et complète à l’égard du requérant. Celui-ci affirme n’avoir jamais reçu ou même vu ce document qui est adressé à monsieur Bois et à lui-même mais qui aurait été envoyé à une adresse qui n'est pas la sienne et qu'il ne connaît pas.

[24] Dans l'hypothèse où le Ministre aurait pu prétendre (ce qui n'a pas été fait) qu'une société de personnes avait pu exister entre monsieur Bois et le requérant en 1992, je suis d'avis, compte tenu de la preuve présentée, qu'elle n'existait sûrement plus en 1996[3] de sorte qu'il m'apparaît plus que douteux que le Ministre aurait pu faire la preuve d'un envoi valable de l'avis de cotisation au requérant en se fondant sur les dispositions de la Loi précédemment mentionnées dont celles de l'article 333. À tout événement, aucune preuve n'a été apportée par l'intimée tendant à démontrer la validité de l'envoi de l'avis de cotisation au requérant. L'avocat de l'intimée n'a pas tenté non plus d'invoquer quelque disposition que ce soit de la législation applicable.

[25] En somme, il aurait fallu démontrer que la cotisation était complète et valide à l'égard du requérant particulièrement quant à la question de savoir si l'avis de la cotisation pouvait lui être valablement envoyé à l'adresse indiquée.

[26] Or, rien de tout ceci n’a été fait. Dans les circonstances, j’estime que le Ministre n’a pas démontré qu’une cotisation complète et valide a été établie à l’égard du requérant. Par voie de conséquence, j'estime que le Ministre ne saurait recouvrer les sommes réclamées en vertu de cette prétendue cotisation. À cet égard, on peut se référer à la décision du juge Bowman de cette Cour dans l'affaire Rick Pearson Auto Transport Inc. (précitée, note 2).

[27] En application du principe énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Aztec Industries Inc. (précitée) je dois donc rejeter la présente demande de prorogation du délai pour faire opposition au motif que le Ministre n’a pas prouvé la validité de la cotisation en ce qu'il n'a pas établi que l’avis de cotisation avait été envoyé au requérant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de mai 1999.

“ P.R. Dussault ”

J.C.C.I.



[1]               D'ailleurs, tous les documents produits à la Cour par le requérant avec sa demande, y compris la décision du Ministre en date du 22 décembre 1998, ne sont en rapport qu'avec l’État des rajustements pour la période du 1er avril au 30 juin 1992 ou, selon la décision du Ministre, en rapport avec la cotisation qui aurait été établie le 23 août 1996 et dont l'avis porterait le numéro T96R288.

[2]               Au même effet, voir également les décisions de la Cour canadienne de l’impôt dans les affaires MacKenzie v. R., [1996] 2 C.T.C. 2153, et Rick Pearson Auto Transport Inc. v. The Queen, [1996] T.C.J. No. 624.

[3]               En 1992, le paragraphe 1892(3) du Code civil du Bas Canada prévoyait qu'une société se terminait par la consommation de l'affaire pour laquelle elle a été formée. Le nouvel article 2258 du Code civil du Québec énonce également que le contrat de société prend fin par l'accomplissement de l'objet du contrat.

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