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Date: 20000607

Dossier: 1999-2313-IT-I

ENTRE :

DIANE GUILLEMETTE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Prononcés oralement sur le banc le 18 mai 2000 à Québec (Québec) et édités à Ottawa (Ontario) le 7 juin 2000)

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel par voie de la procédure informelle pour les années 1992, 1993 et 1994.

[2]            La question en litige pour l'année 1992 est de savoir si l'appelante doit inclure dans son revenu les montants de pension alimentaire reçus pour ses enfants.

[3]            La question en litige pour les années 1993 et 1994 est de savoir si les paiements faits par l'ex-conjoint de l'appelante aux enfants de cette dernière ont été ainsi faits suite à une direction de paiement de la part de l'appelante, tel que le prétend l'intimée. L'appelante soutient qu'il n'y avait pas une telle direction de paiement mais simplement l'acceptation de la non-exécution du jugement de divorce.

[4]            Les faits que le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a pris en compte pour établir ses nouvelles cotisations pour les années en cause sont décrits au paragraphe 9 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ) comme suit :

a)              le 29 avril 1991, l'honorable J.-Claude Larouche a rendu un jugement de divorce tout en entérinant une convention sur mesures accessoires signée respectivement par l'appelante et son ex-conjoint, monsieur Christian Lavoie, en date du 19 avril 1991;

b)             dans la convention sur mesures accessoires, monsieur Christian Lavoie s'engageait à payer à l'appelante une pension alimentaire pour les enfants de 100 $ par semaine, ladite pension étant indexable;

c)              du mariage des parties sont nés deux enfants, à savoir :

                i)               Dany, né le 12 novembre 1973,

                ii)              et Nadine, née le 28 mai 1976;

d)             le 15 mai 1996, l'Honorable juge Gratien Duchesne, entérine une convention intervenue entre les parties suite à une requête de monsieur Christian Lavoie, en modification des mesures accessoires;

e)              dans ladite convention entérinée en date du 15 mai 1996, les parties conviennent de ce qui suit :

« 10 Monsieur et Madame conviennent que vu la situation des enfants majeurs, qu'il n'y a plus de pension alimentaire à verser à Madame pour les enfants;

20 Madame consent à l'annulation des arrérages de pension alimentaire dus à Madame pour les enfants par Monsieur;

30 Les parties conviennent donc qu'il n'y a pas d'arrérages de pension alimentaire à payer à Madame, et qu'il n'y a plus de pension alimentaire à verser à Madame pour les enfants majeurs. »

                l'appelante renonçant ainsi au versement de la pension alimentaire pour ses enfants et des arrérages lui étant dus;

f)              les sommes de 5 742 $, de 5 840 $, de 5 937 $ et de 1 254 $ furent respectivement établies comme ayant été versées pour les années d'imposition 1992, 1993, 1994 et 1995;

g)             c'est à la demande de l'appelante que monsieur Christian Lavoie a versé, à compter de 1993, la pension alimentaire directement aux enfants, l'appelante ayant exercé sa discrétion en favorisant ce mode de paiement;

h)             vu les deux conventions établissant que la pension alimentaire devait être payée à l'appelante, lesquelles ont été entérinées le 29 avril 1991 et le 15 mai 1996 par la Cour supérieure, le ministre est justifié d'inclure les sommes de 5 742 $, de 5 840 $, de 5 937 $ et de 1 254 $ pour les années d'imposition 1992, 1993, 1994 et 1995 respectivement, dans le revenu de l'appelante.

[5]            De l'Avis d'appel, je cite les deux paragraphes pertinents :

Cette décision est inéquitable étant donné que ce n'est qu'une obligation morale d'un père envers ses enfants et inconcevable parce que ces montants ont servi uniquement à subvenir aux besoins de nos enfants, surtout que mon divorce avait entraîné à l'époque de graves difficultés financières.

Aussi, ayant la crainte que cet argent serve à mon seul bénéfice, leur père s'est empressé d'acquiescer à notre demande de verser la somme dans les comptes de banque respectifs de nos enfants à compter de 1993. De plus, il a cessé de payer la pension alimentaire à notre fille Nadine en octobre 1994 et à notre fils Dany en juin 1995.

[6]            L'appelante seule a témoigné. Elle a expliqué qu'en 1992, son ex-conjoint lui avait versé une pension alimentaire pour ses enfants. Les paiements étaient souvent en retard et il était difficile de les obtenir. L'ex-conjoint craignait toujours que l'appelante n'utilise pas les sommes payées pour leurs enfants. L'obtention du paiement nécessitait souvent des tractations entre avocats. Si bien qu'en 1993, l'appelante par la voie de son avocat aurait suggéré que son ex-conjoint paie les montants directement à leurs enfants. En ce qui la concerne, il ne s'agissait pas d'une direction de paiement mais d'un changement apporté aux directives du jugement.

[7]            Il n'y a pas eu de preuve contraire.

[8]            Le jugement de divorce mentionné à l'alinéa 9a) de la Réponse a été produit comme pièce I-2. La clause 6 de la Convention sur mesures accessoires attachée au jugement de divorce se lit comme suit :

Le défendeur paiera à la demanderesse, pour les enfants seulement, une pension alimentaire de 100 $ par semaine tel que stipulé dans la convention sur mesures accessoires avec indexation tel que prévu à l'article 638 ...

[9]            Le jugement mentionné à l'alinéa 9d) de la Réponse a été produit comme pièce I-3. C'est la convention entre les parties qui est le document le plus important de cette affaire. Je cite quelques Attendus et la convention des parties:

                ATTENDU que dans la convention Monsieur s'engageait à payer à Madame pour les enfants Dany et Nadine une pension alimentaire de 100 $ par semaine, ladite pension étant indexable;

...

                ATTENDU que Monsieur a versé depuis 1993 la somme de 57,51 $ à chacun des enfants directement dans leurs comptes de banque respectifs;

                ATTENDU que, dès qu'il a été informé des occupations de ses enfants majeurs, Monsieur a cessé de payer la pension alimentaire à sa fille Nadine en avril 1994 et a cessé de payer la pension alimentaire à son fils Dany en juin 1995;

...

LES PARTIES CONVIENNENT DE CE QUI SUIT :

10             Monsieur et Madame conviennent que vu la situation des enfants majeurs, qu'il n'y a plus de pension alimentaire à verser à Madame pour les enfants;

20             Madame consent à l'annulation des arrérages de pension alimentaire dus à Madame pour les enfants par Monsieur;

30             Les parties conviennent donc qu'il n'y a pas d'arrérages de pension alimentaire à payer à Madame, et qu'il n'y a plus de pension alimentaire à verser à Madame pour les enfants majeurs;

[10]          L'avocate de l'intimée s'est appuyée sur l'explication donnée par l'appelante dans son Avis d'appel et sur les passages de la Convention ci-avant mentionnés pour soutenir qu'il s'agissait de la part de l'appelante d'une désignation de paiement. La position de l'appelante a été exprimée au paragraphe 6 de ces motifs en ce qui concerne les années 1993 et 1994. En ce qui concerne l'année 1992, elle a fait valoir que les sommes reçues étaient pour ses enfants et non pour elle.

Conclusion

[11]          En ce qui concerne l'année 1992, la Cour d'appel fédérale dans Danielle Serra et Denyse Hamer et La Reine, 98 DTC 6422, a décidé que les pensions alimentaires versées à l'ex-conjoint pour l'entretien des enfants doivent être incluses dans le revenu du ou de la récipiendaire en conformité avec les alinéas 56(1)b), c) ou c.1) de la Loi.

[12]          En ce qui concerne les années 1993 et 1994, il me serait difficile de conclure que le document mentionné au paragraphe 9 de ces Motifs sous-entend qu'il y a eu une direction de paiement au payeur, de la part de l'appelante pour ses enfants et à son acquit. Ainsi, il est à noter que lorsque le payeur, pour quelque raison cesse de verser à ses enfants leur pension, il ne se remet pas à la verser à l'appelante. De plus, la convention prévoit que les sommes qui pourraient être exigibles par l'appelante en tant que créancière ne seront pas exigées.

[13]          Le paiement est une notion importante du droit civil relevant des Obligations. Il aurait donc été utile de connaître la position de l'intimée en regard de la doctrine et la jurisprudence pour savoir dans quelles circonstances un paiement fait à une personne autre que le créancier est accepté comme un paiement véritable fait au créancier par le débiteur.

[14]          Pour l'intérêt de la chose, je me réfère à l'ouvrage Les Obligations, 5e édition, Jean-Louis Beaudoin et Pierre-Gabriel Jobin, aux pages 495, 498 et 515 :

... Dans la langue juridique, payer c'est exécuter une obligation quelle que soit sa nature. ...

...

639 – Paiement au créancier – Le paiement, pour avoir un effet libératoire, doit être fait au créancier personnellement ou à celui désigné pour le recevoir à sa place par la convention (mandataire ou bénéficiaire d'une stipulation pour autrui), la loi (tuteur, curateur) ou la justice (syndic à la faillite). Lorsque le débiteur paye au représentant conventionnel du créancier, il doit prendre garde de s'assurer de sa qualité de représentant, le paiement à un tiers non autorisé ne liant pas le créancier et obligeant le débiteur à payer de nouveau, sauf dans l'hypothèse où le créancier a subséquemment ratifié l'acte ou profité du paiement (par exemple, lorsque le paiement a été fait au propre créancier du créancier, à son acquit). Le paiement fait à un tiers, sans droit, est en principe nul et donne droit à une action en répétition de l'indu.

...

Preuve du paiement

670 – Fardeau de la preuve – Le paiement pose des problèmes relatifs aux moyens de la preuve destinés à démontrer son existence. En principe, la charge de prouver le paiement repose sur les épaules du débiteur, après que le créancier ait établi l'existence du lien d'obligation. Le débiteur ne peut toutefois faire la preuve du paiement par n'importe quel moyen, et doit se conformer aux règles établies par le Code civil au chapitre de la preuve (art. 2803 et c. C.c.).

671 – Preuve littérale – Étant considéré par la majorité de la doctrine et de la jurisprudence comme un acte juridique, le paiement doit en principe, lorsque la somme excède un certain montant, être prouvé par un écrit. Cet écrit est, en général, le reçu ou la quittance délivrés par le créancier lors de la réception du paiement. Il peut toutefois consister également en des papiers domestiques ou une copie du titre de créance, restée entre les mains du créancier, et sur lesquels a été inscrite la note du paiement reçu. Lorsque le paiement est inférieur au montant prévu à l'article 2862 C.c., ou lorsqu'il y a un commencement de preuve par écrit, la preuve testimoniale est ouverte, à condition de respecter évidemment la règle de la meilleure preuve. Il en est de même lorsque le débiteur n'a pu se procurer de preuve écrite ou démontre son impossibilité, malgré sa bonne foi et sa diligence, de produire l'original de l'écrit.

[15]          D'après cette doctrine, le paiement se fait au créancier personnellement et s'il est fait à de tierces personnes il faut apporter la preuve certaine que mandat a été donné au débiteur de payer les tierces personnes plutôt que le créancier. Je serais donc portée à croire que, dans le cas où il n'y a pas de preuve concurrente, soit écrite ou testimoniale, provenant des deux parties à l'entente qu'il y a eu désignation des enfants de l'appelante pour recevoir à son acquit le paiement des pensions alimentaires ou dans le cas ou il n'y a pas d'écrit signé par l'appelante désignant ses enfants pour recevoir à son acquit le paiement des pensions alimentaires, il ne s'agit pas d'une désignation de paiement.

[16]          Ni la preuve testimoniale ni la preuve documentaire ne m'amènent à conclure qu'il y a une telle désignation des enfants pour recevoir à l'acquit de l'appelante les paiements de pensions alimentaires. Il n'y a sûrement pas eu non plus de ratification subséquente. Je suis d'avis que la preuve a révélé dans cette affaire qu'il s'agit tout simplement, tel que soutenu par l'appelante, de l'acceptation par cette dernière de la non-exécution du jugement de divorce du 29 avril 1991.

[17]          L'appel est rejeté pour l'année 1992. Il est accordé pour les années 1993 et 1994.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de juin 2000.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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