Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20001121

Dossier: 1999-1853-IT-G

ENTRE :

PAM SANFORD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1]            L’appelante a donné naissance à une fille le 10 août 1997 à Winnipeg, au Manitoba. L’appelante a demandé une prestation fiscale pour enfants à l’égard de sa fille. Elle l’a reçue de septembre 1997 à juillet 1998. Le 20 août 1998, le ministre du Revenu national a informé l’appelante (au moyen d’un avis spécial) qu’elle ne recevrait plus de paiements de prestation fiscale pour enfants à moins de fournir le nom et le numéro d’assurance sociale de son conjoint. L’appelante a interjeté appel à l’encontre de cet avis. La principale question en litige est celle de savoir si l’appelante avait un « conjoint » en 1997 au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[2]            Les faits en l’espèce ne sont pas contestés. Les faits à l’origine du litige allégués dans l’avis d’appel ont été admis par l’intimée dans la réponse. Je vais par conséquent présenter ci-dessous les neuf premiers paragraphes de l’avis d’appel, qui sont tous admis :

                [TRADUCTION]

1.              L’appelante est une citoyenne canadienne. Elle réside au 735, avenue Wolseley, Winnipeg, Manitoba, R3G 1C4.

2. *          Le 10 août 1997, l’appelante a donné naissance, à Winnipeg, au Manitoba, à sa fille, Amy Katherine Sanford ( « Amy » ). L’appelante réside avec le père de Amy. Elle n’est pas mariée avec lui selon la Loi sur le mariage, L.R.M. 1987, ch. M50 et elle ne vit pas en union reconnue par la common law [dans la version anglaise : common law marriage] avec lui.

3.              Le 25 août 1997, l’appelante a rempli une demande de prestation fiscale pour enfants (la « demande » ) afin d’obtenir la prestation fiscale pour enfants à l’égard de sa fille. Dans sa demande, elle a déclaré que son état matrimonial actuel était « célibataire » . Elle a présenté la demande à l’intimée, qui l’a reçue le 2 septembre 1997 ou vers cette date.

4.              Le 20 octobre 1997, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a écrit à l’appelante pour lui dire que sa demande de prestation fiscale pour enfants ne pouvait pas être traitée parce qu’elle était « incomplète » . Plus particulièrement, la lettre du ministre précisait que la demande devait être modifiée de manière à refléter « son état matrimonial véritable » et à fournir des renseignements au sujet de son « conjoint » .

5.              Un échange de lettres a suivi la réception par l’appelante de la lettre du ministre datée du 20 octobre 1997. Dans une lettre, l’appelante prétendait que sa demande était en réalité complète et que l’insistance du ministre à l’effet qu’elle déclare un conjoint dans le but d’obtenir la prestation fiscale pour enfants à l’égard de Amy équivalait à lui demander de mentir.

6.              Le 20 mars 1998, le ministre a envoyé un avis de prestation fiscale pour enfants à l’appelante qui acceptait sa demande. Dans l’avis, le ministre acceptait l’état matrimonial de l’appelante ainsi qu’elle avait indiqué dans sa déclaration de revenus de 1996, c’est-à-dire célibataire. L’avis était accompagné d’un chèque, pour la prestation fiscale pour enfants, couvrant les mois de septembre 1997 à mars 1998.

7.              L’appelante a continué à recevoir la prestation fiscale pour enfants à l’égard de Amy pendant la période allant du mois d’avril 1998 au mois de juillet 1998.

8.              Le 20 juillet 1998, le ministre a envoyé à l’appelante un avis de prestation fiscale canadienne pour enfants l’informant que, si elle souhaitait continuer à recevoir la prestation fiscale pour enfants pour la période allant du mois de juillet 1998 au mois de juin 1999, le ministre devait recevoir le nom, le numéro d’assurance sociale et la déclaration de revenus de 1997 de son conjoint.

9.              Le 20 août 1998, le ministre a envoyé à l’appelante un avis de prestation fiscale canadienne pour enfants l’informant que, tant qu’elle n’aurait pas fourni le nom et le numéro d’assurance sociale de son conjoint, elle ne recevrait pas d’autres paiements de prestation fiscale pour enfants et que le paiement reçu relativement au mois de juillet 1998 serait considéré comme un paiement en trop.

*               Partiellement admis dans la réponse, mais complètement admis au début de l’audience.

[3]            L’appelante a été la seule personne à témoigner. Je vais tenter de résumer son témoignage. Elle occupe un emploi de commis de bibliothèque à la University of Winnipeg. Avant 1989, elle était à l’emploi de Revenu Canada en tant que répartitrice. Depuis 1989, elle effectue un peu de travail saisonnier en préparant des déclarations de revenus pendant quelques mois chaque printemps. L’appelante cohabite avec Markus Buchart depuis 1990. Elle et M. Buchart n’ont jamais contracté mariage sous une forme ou une autre. Elle ne lui a pas fait de quelconque promesse de mariage. Elle ne considère pas qu’elle vit en union reconnue par la common law. Elle parle de M. Buchart comme de « l’homme avec lequel je vis » . Elle ne parle jamais de lui comme de son « époux » ou de son « conjoint » . Elle ne l’a jamais entendu parler d’elle comme de son « épouse » ou de sa « conjointe » . L’appelante et M. Buchart n’ont jamais reçu de prestation de conjoint.

[4]            En ce qui concerne les faits allégués dans l’avis d’appel et admis, Amy est née le 10 août 1997. L’appelante est la mère de Amy, et M. Buchart est le père de Amy. L’appelante et M. Buchart gèrent leur argent séparément. Le seul compte bancaire qu’ils partagent est consacré à l’éducation de Amy. L’appelante et M. Buchart partagent des dépenses de ménage comme la nourriture, les services publics, les frais d’automobile, les frais de garde d’enfants, etc. L’appelante se considère financièrement indépendante de M. Buchart. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle avait interjeté le présent appel, l’appelante a donné une très longue réponse, au cours de laquelle elle a déclaré que (i) si elle fait confiance à quelqu’un comme M. Buchart, elle n’a pas besoin d’un contrat, comme un contrat de mariage, pour confirmer ou prouver cette confiance et que (ii) l’État n’a pas à s’immiscer dans la vie d’une personne pour découvrir comment elle peut qualifier sa relation avec une autre personne.

[5]            En contre-interrogatoire, l’appelante a ajouté d’autres éléments de preuve. Elle a rencontré M. Buchart en 1989, et, 18 mois plus tard, il emménageait dans la maison qu’elle louait. Sa relation avec lui était intime, sexuelle et exclusive et dépassait le stade de l’amitié. Elle n’a pas eu de relation romantique ou intime avec un autre homme que M. Buchart depuis qu’ils ont commencé à vivre ensemble. En 1993, ils ont acheté la maison qu’ils louaient et dans laquelle ils vivaient depuis 1990. Ils l’ont achetée ensemble, ils ont partagé le coût en parts égales et ils ont enregistré le titre conjointement, de sorte que, si l’appelante mourait, le titre de la maison, serait entièrement dévolu à M. Buchart. Ils ont l’usage exclusif de la maison à l’exception d’une partie louée à un locataire. L’appelante et M. Buchart prennent leurs repas ensemble. L’appelante fait la cuisine la plupart du temps, mais M. Buchart fait du pain, de la bière et du vin. Ils partagent les tâches du ménage et celle de la lessive de Amy. Ils partagent le coût des meubles de la maison. L’appelante fait la plupart du travail de jardin. Ils visitent des amis ensemble et ils échangent de petits cadeaux.

[6]            L’appelante a déclaré qu’ils ne donnaient pas l’impression d’être une famille élevant Amy, mais elle l’a reconnu lorsqu’elle a répondu à la question suivante, au cours de l’interrogatoire préalable :

                [TRADUCTION]

Q.             Et donnez-vous l’impression à votre famille (c.-à-d. les proches de l’appelante) que vous vivez comme un couple élevant un enfant ensemble?

R.             Oui.                                                                                                          (Question no 129)

[7]            L’appelante et M. Buchart conservent un livre des dépenses relatives à Amy. Tous les deux mois, ils additionnent les montants du livre et les répartissent en parts égales. L’appelante avait reconnu qu’il y avait probablement un avantage financier pour elle à vivre avec M. Buchart. Elle croit qu’elle a une couverture d’invalidité de longue durée, mais, si elle ou M. Buchart perdait sa capacité de gagner un revenu, elle ne s’attendrait pas à ce que la personne sans revenu doive quitter le logement. La maison est enregistrée et assurée aux deux noms. M. Buchart a une police d’assurance-vie liée à son travail qui désigne l’appelante comme bénéficiaire. En 1992, l’appelante et M. Buchart ont conjointement acheté une propriété de 70 acres située à la campagne, à environ 110 kilomètres à l’est de Winnipeg.

[8]            Selon les actes de procédure, la principale question en l’espèce est celle de savoir si l’appelante a droit à la prestation fiscale pour enfants pour les mois de juillet 1998 à juin 1999 inclusivement. Cet énoncé de la question n’est pas entièrement exact. Au cours de l’argumentation, les avocats ont éclairci la question de la manière décrite ci-dessous. La question n’est pas de savoir si l’appelante a droit à la prestation fiscale pour enfants pour ce nombre de mois, mais bien de savoir si le revenu de Markus Buchart doit être inclus dans la détermination du montant de la prestation. Cela nous amène à la question sous-jacente de savoir si Markus Buchart était le « conjoint visé » pour les fins de la prestation. Les articles pertinents de la Loi de l’impôt sur le revenu sont présentés ci-dessous :

122.61(1)                 Lorsqu'une personne et, sur demande du ministre, son conjoint visé à la fin d'une année d'imposition produisent une déclaration de revenu pour l'année, un paiement en trop au titre des sommes dont la personne est redevable en vertu de la présente partie pour l'année est réputé se produire au cours d'un mois par rapport auquel l'année est l'année de base. Ce paiement correspond au résultat du calcul suivant : [...]

                                                                                                (Je souligne.)

La formule n’est pas pertinente, mais le paragraphe 122.61(1) crée un paiement réputé d’impôt en trop, dont dépendent en partie (i) le « revenu modifié » de la personne et (ii) le nombre de personnes à charge admissibles et leur âge.

122.6                        Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente sous-section.

« revenu modifié » Quant à un particulier pour une année d'imposition, le total des montants qui représenteraient chacun le revenu pour l'année du particulier ou de la personne qui était son conjoint visé à la fin de l'année si aucun montant n'était inclus dans le calcul de ce revenu au titre d'un gain provenant d'une disposition de bien à laquelle s'applique l'article 79.

                                                                                (Je souligne.)

Si une personne demandant la prestation fiscale pour enfants a un « conjoint visé » à la fin de l’année d’imposition, le revenu de ce conjoint est combiné à celui de cette personne afin que soit déterminé le « revenu modifié » de la personne pour cette année-là.

« conjoint visé » Personne qui, à un moment donné, est le conjoint d'un particulier dont il ne vit pas séparé à ce moment. [...]

252(4)      Dans la présente loi :

a)             les mots se rapportant au conjoint d'un contribuable à un moment donné visent également la personne de sexe opposé qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et a vécu ainsi durant une période de douze mois se terminant avant ce moment ou qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et est le père ou la mère d'un enfant dont le contribuable est le père ou la mère, compte non tenu de l'alinéa (1)e) et du sous-alinéa (2)a)(iii); pour l'application du présent alinéa, les personnes qui, à un moment quelconque, vivent ensemble en union conjugale sont réputées vivre ainsi à un moment donné après ce moment, sauf si elles ne vivaient pas ensemble au moment donné, pour cause d'échec de leur union, pendant une période d'au moins 90 jours qui comprend le moment donné;

                                                                               (Je souligne.)

                b)             [...]

[9]            En ce qui concerne le sens élargi de « conjoint » de l’alinéa 252(4)a), la véritable question en l’espèce est celle de savoir si, pendant la période pertinente, l’appelante et Markus Buchart ont « [vécu] ensemble en union conjugale » . L’appelante soutient qu’il existe quatre états matrimoniaux dans les provinces de common law :

a)              célibataire;

b)             la cohabitation de deux personnes de sexe opposé ayant des relations sexuelles, appelée « concubinage » ;

c)              l'union reconnue par la common law;

d)             le mariage célébré en vertu d’une loi, qui peut être appelé « mariage reconnu par la loi » ou « mariage célébré » , est souvent appelé à tort « mariage légal » .

L’appelante soutient qu’elle et M. Buchart entrent dans la catégorie a) ou b), mais non dans la catégorie c) ou d) parce qu’un mariage en vertu de c) ou de d) nécessite la capacité juridique de se marier et la volonté de le faire. L’appelante rejette le concept de mariage pour elle-même. Elle est résolue à demeurer célibataire par respect pour son identité personnelle. En ce qui concerne sa cohabitation avec M. Buchart et leur rôle parental conjoint à l’égard de Amy, l’appelante soutient que leur relation correspond au « concubinage » (comme celle de la catégorie b) ci-dessus) parce qu’il n’y a pas de volonté de se marier. L’avocat de l’appelante a résumé ainsi l’argument de l’appelante :

                [TRADUCTION]

L’essence de l’union reconnue par la common law et du mariage célébré est une entente. Le mariage est un marché conclu entre deux personnes. Par définition, il est impossible que deux personnes se marient si elles n’y consentent pas ni ne sont au courant.

[10]          M’appuyant sur les quatre états matrimoniaux énumérés au paragraphe 9, je suis convaincu qu’il n’y a jamais eu de mariage célébré entre l’appelante et M. Buchart. Par conséquent, je peux éliminer la catégorie d). De même, je ne m’intéresse pas à la manière dont l’appelante se considère célibataire. Par conséquent, je peux éliminer la catégorie a). Je ne m’intéresse qu’à la manière dont la relation de l’appelante avec M. Buchart est décrite aux fins de l’article 122.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu, et, compte tenu des quatre états matrimoniaux présentés par l’appelante, il me semble devoir choisir entre les catégories b) et c). De la façon dont je comprends l’argument de l’appelante, si je suppose que toutes les parties ont la capacité, en droit, de se marier, la principale distinction entre les catégories b) et c) est que, en vertu de l’état b), l’homme et la femme qui vivent ensemble ont décidé qu’ils ne se marieraient pas et ils ne considèrent pas qu’ils sont mariés, alors qu’en vertu de l’état c), l’homme et la femme qui vivent ensemble souhaitent se marier sans cérémonie de mariage ou autre événement célébré et ils considèrent qu’ils sont mariés.

[11]          L’avocat de l’appelante a parlé d’un examen du terme « common law spouse » [ conjoint reconnu par la common law ] effectué par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Keddie v. Currie, (1991) 60 B.C.L.R. (2d) 1. Dans cette affaire, la question était de savoir si M. Keddie pouvait être admissible à titre de « conjoint reconnu par la common law » de Dorretta Currie dans le but d’intenter une demande à l’encontre de sa succession. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a été invitée à interpréter et à appliquer l’article 85 de la Estate Administration Act :

                [TRADUCTION]

85.            Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

« conjoint reconnu par la common law » Une personne qui est unie à une autre par mariage, lequel, bien qu’il ne soit pas reconnu par la loi, est reconnu par la common law, ou une personne qui a vécu et cohabité avec une autre personne en tant que conjoint, laquelle a subvenu à ses besoins pendant au moins deux années immédiatement avant son décès.

                                                                                                (Je souligne.)

                                                                                                               

Rien n’indiquait que Mme Currie ait déjà subvenu aux besoins de M. Keddie, et la Cour ne s’est donc intéressée qu’à la première partie du critère de l’article 85. Le juge d’appel Cumming, s’exprimant au nom de la majorité, a déclaré que :

                [TRADUCTION]

Page 18 L’effet de la Marriage Act [...] est d’exiger que les mariages conclus en Colombie-Britannique soient célébrés conformément à la Marriage Act et de conserver, pour le terme « union reconnue par la common law » , un rôle distinct de celui qui est de langage courant aujourd’hui. [...]

Page 19 À la lumière de ce qui précède, je n’ai aucun doute à l’effet que les unions reconnues par la common law, c’est-à-dire les mariages reconnus par la common law, soient distincts du concubinage et que ce soient les unions reconnues par la common law, dans le sens strict du terme, qui sont visées par l’article 85 de la Estate Administration Act.

Page 23 Puisqu’il a été décidé qu’une union « reconnue par la common law » était en fait une relation juridique distincte du « concubinage » , il faut interpréter l’article 85 de la Estate Administration Act dans cette perspective. Il est évident que les faits en l’espèce n’entrent pas dans le cadre de l’exception, relative à l’union reconnue par la common law, aux conditions de validité officielle d’un mariage examinée ci-dessus. M. Keddie n’a pas démontré qu’il existait une relation ayant fait entrer les parties dans le cadre de l’exception relative à l’union reconnue par la common law et qu’elles aient rempli les conditions d’une union reconnue par la common law. [...]

[12]          L’avocat de l’appelante s’est appuyé sur l’affaire Keddie v. Currie et l’article 85 de la Estate Administration Act, de la Colombie-Britannique, pour soutenir qu’une union reconnue par la common law continue d’exister dans la province de la Colombie-Britannique. De même, il s’est appuyé sur l’affaire Blanchett v. Hansell et al, (1944) 52 Man. R. 1 pour soutenir qu’une union reconnue par la common law continue d’exister dans la province du Manitoba, où l’appelante et M. Buchart résident. Sans décider de la question, je suis prêt à supposer qu’une union reconnue par la common law existe en vertu des lois du Manitoba. L’appelante et M. Buchart n’ont pas célébré de mariage et ils ne souhaitent pas se marier en vertu de la common law. Par conséquent, en ce qui concerne les quatre états matrimoniaux énumérés au paragraphe 9, leur cohabitation peut très bien entrer dans la catégorie du concubinage. Ce raisonnement me paraît quelque peu théorique, puisque je suis invité à interpréter le mot « conjoint » ainsi qu’il est défini à l’alinéa 252(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu. La question fondamentale est d’interprétation législative. Si M. Buchart est le « conjoint » de l’appelante au sens de l’alinéa 252(4)a), il est le « conjoint visé » au sens de l’article 122.6, et son revenu devra être combiné à celui de l’appelante afin que soit déterminé le « revenu modifié » de cette dernière pour les besoins d’une prestation fiscale pour enfants.

[13]          Dans l’affaire Corporation Notre-Dame de Bon-Secours c. Communauté Urbaine de Québec, [1994] 3 R.C.S. 3 (95 DTC 5017), la Cour suprême du Canada a établi certaines règles d’interprétation des lois fiscales. Après avoir cité le juge en chef Dickson dans l’affaire Bronfman Trust, le juge Gonthier (s’exprimant pour la Cour) a déclaré, à la page 17 (DTC : à la page 5022) :

                Il ne fait plus de doute, à la lumière de ce passage, que l'interprétation des lois fiscales devrait être soumise aux règles ordinaires d'interprétation. Driedger, à la page 87 de son volume Construction of Statutes (2e éd. 1983), en résume adéquatement les principes fondamentaux : [TRADUCTION] « ... il faut interpréter les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » . Primauté devrait donc être accordée à la recherche de la finalité de la loi, que ce soit dans son ensemble ou à l'égard d'une disposition précise de celle-ci. [...]

à la page 20 (DTC : à la page 5023) :

Les principes dégagés dans les pages précédentes, dont certains, d'ailleurs, ont été récemment invoqués dans l'affaire Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, peuvent se résumer ainsi :

L'interprétation des lois fiscales devrait obéir aux règles ordinaires d'interprétation;

Qu'une disposition législative reçoive une interprétation stricte ou libérale sera déterminé par le but qui la sous-tend, qu'on aura identifié à la lumière du contexte de la loi, de l'objet de celle-ci et de l'intention du législateur; c'est l'approche téléologique;

Que l'approche téléologique favorise le contribuable ou le fisc dépendra uniquement de la disposition législative en cause, et non de l'existence de présomptions préétablies;

Primauté devrait être accordée au fond sur la forme dans la mesure où cela est compatible avec le texte et l'objet de la loi;

Seul un doute raisonnable et non dissipé par les règles ordinaires d'interprétation sera résolu par le recours à la présomption résiduelle en faveur du contribuable.

[14]          Je propose de suivre ces règles. En ce qui concerne la règle B, l’objet sous-jacent de l’article 122.6 est d’offrir un avantage financier au parent à faible revenu qui élève un enfant. L’avantage financier prend la forme d’un paiement en trop d’impôt artificiel ( « un paiement en trop [...] est réputé se produire » ), qui est remboursé au parent périodiquement. L’avantage financier est fonction de deux conditions fondamentales. D’abord, l’enfant doit avoir moins qu'un certain âge. Deuxièmement, le montant fixe de l’avantage est réduit d’un pourcentage du « revenu modifié » du parent, ce qui fait que, si le revenu modifié est trop élevé, l’avantage financier disparaît. À mon avis, ces deux conditions sont d’égale importance si le but sous-jacent de l’article 122.6 doit être atteint. Par conséquent, en interprétant la définition de « conjoint » de l’alinéa 252(4)a), je ne suis pas enclin à donner un sens strict ou libéral. Je vais revenir à la règle A et suivre les règles ordinaires pour interpréter les mots « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical » .

[15]          Les mots importants de l’alinéa 252(4)a) sont « vivent ensemble en union conjugale » . Il n’y a aucun doute dans mon esprit à l’effet que l’appelante et Markus Buchart vivent ensemble. Au paragraphe 2 de son avis d’appel, elle soutient que « l’appelante réside avec le père de Amy » . Cette allégation a été admise. Au cours de son témoignage oral, elle a déclaré que Markus Buchart était le père de Amy. En argumentation, l’avocat de l’appelante a utilisé les quatre états matrimoniaux énumérés au paragraphe 9 ci-dessus pour faire remarquer que la « cohabitation » de l’appelante et de Markus Buchart était du « concubinage » au sens du sous-paragraphe b). Selon le témoignage oral de l’appelante, il n’y a aucun doute à l’effet qu’elle et Markus Buchart ont une relation intime. Le Canadian Oxford Dictionary (1998) définit ainsi « cohabit » [cohabiter] :

                                                [TRADUCTION]

Vivre ensemble amicalement; le fait pour deux personnes de vivre ensemble une relation sexuelle et romantique hors des liens du mariage.

Je considère comme avéré que l’appelante et Markus Buchart ont vécu ensemble pendant toute la période pertinente au sens de l’alinéa 252(4)a).

[16]          L’appelante et Markus Buchart ont-ils vécu ensemble en « union conjugale » ? Ils entretenaient certainement une union. Était-elle conjugale? Le Canadian Oxford Dictionary (1998) définit ainsi le mot « conjugal » :

                                                [TRADUCTION]

Relatif au mariage ou à la relation entre époux.

Le Black's Law Dictionary (1990) a une définition semblable :

                                                [TRADUCTION]

Relatif au mariage ou au fait d’être marié; qui convient ou est approprié au fait d’être marié ou à des personnes mariées; matrimonial;

Cette dernière définition du dictionnaire offre les possibilités « mariage ou au fait d’être marié » et « approprié au fait d’être marié ou à des personnes mariées » . L’appelante et Markus Buchart n’ont jamais participé à une cérémonie de mariage ou à un quelconque autre événement célébré qui aurait fait d’eux des personnes mariées. Il n’y a pas eu de mariage célébré ou de mariage reconnu par la loi. Toutefois, l’état de l’appelante et de Markus Buchart, en tant que femme et homme vivant ensemble une relation intime et élevant une fille, est « relatif » au fait d’être marié et est « convenable ou est approprié » au fait d’être marié. L’état de l’appelante et de Markus Buchart (vivant ensemble et élevant leur fille ensemble) est le signe distinctif du « fait d’être marié » , même si l’appelante et Markus Buchart rejettent personnellement le concept du mariage.

[17]          Un vieux cliché me vient à l’esprit. En anglais, on dit que si une créature à deux pattes et avec des plumes se dandine comme un canard, cancane comme un canard et ressemble à un canard, ce doit être un canard. Par un raisonnement parallèle, si un homme et une femme possèdent et habitent la même habitation, prennent leurs repas ensemble, partagent les corvées domestiques, vivent une intimité physique, conçoivent un enfant et l'élèvent, ils doivent entretenir une relation qui est « convenable ou appropriée au fait d’être marié » , selon le Black's Law Dictionary. En d’autres termes, ils vivent ensemble en union conjugale. L’argument de l’appelante s’appuie sur son attitude subjective à l’égard du mariage. Comment un étranger pourrait-il savoir que l’appelante et Markus Buchart n’acceptent pas l’institution du mariage ou qu’ils s’entendent pour ne pas se marier, alors que toutes les circonstances les entourant font en sorte qu’ils donnent l’apparence d’un mariage célébré ou d’une union reconnue par la common law?

[18]          Pour décider de la question de savoir si l’appelante et Markus Buchart vivent ensemble en union conjugale au sens de l’alinéa 252(4)a), il faut déterminer leur état au moyen de normes objectives, et non d’attitudes subjectives. Si l’on interprète les mots « vivent ensemble en union conjugale » d’après leur sens ordinaire, qui s’harmonise avec l’esprit de l’article 122.6, ils décrivent l’état matrimonial de l’appelante et de Markus Buchart. À mon avis, Markus Buchart est le « conjoint » de l’appelante au sens de l’alinéa 252(4)a). En conséquence, il est le « conjoint visé » au sens de l’article 122.6. L’appel est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de novembre 2000.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 20e jour d'avril 2001.

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.