Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20000608

Dossier: 1999-4819-IT-I

ENTRE :

SERGE NANTEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s’agit d’un appel concernant l’année d’imposition 1998.

[2]            La question en litige est de savoir si l’appelant avait droit pour ses filles au crédit d’impôt non remboursable pour personnes handicapées, transféré de personnes à charge autres que le conjoint.

[3]            Les faits sur lesquels le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) s’est fondé pour refuser le crédit d’impôt pour personnes handicapées sont décrits au paragraphe 3 d) à 3 h), 3 k) et 3 l) comme suit :

d)             des certificats T2201 pour crédit pour personnes handicapées, relativement aux deux filles de l'appelant, Chloé et Audrey-Maude, et signées par le Dr. Léopold Medou (ci-après, le « médecin » ) en date du 10 juillet 1998, avaient été soumis pour les années d'imposition 1998 et subséquentes;

...

h)             le 27 janvier 1999, une lettre a été envoyée à l'appelant lui mentionnant que :

(1)            nos conseillers médicaux avaient complété la révision de sa demande;

(2)            que ses filles ne rencontraient pas les critères d'admissibilité;

(3)            selon l'information médicale examinée, ses filles n'avaient une déficience sévère et prolongée;

(4)            cependant ses filles n'avaient aucune limitation sévère dans les activités essentielles de leur vie quotidienne;

...

k)              au cours de l'année d'imposition en litige, les filles de l'appelant n'avaient pas de déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets auraient été tels que leur capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne aurait été limitée de façon marquée.

l)               par conséquent, le ministre a déterminé que l'appelant n'avait pas droit pour ses filles au crédit d'impôt non remboursable pour personnes handicapées transféré de personnes à charge autres que le conjoint pour l'année d'imposition 1998.

[4]            L’appelant était absent. Il était représenté par son épouse et la mère de leurs deux filles. Celle-ci a témoigné pour sa partie. Personne n’a témoigné pour la partie de l’intimée.

[5]            Les certificats T2201 et les certificats médicaux mentionnés aux paragraphes 3 d) et 3 e) de la Réponse ont été déposés comme pièce I-1 pour Chloé Gareau Nantel et comme pièce I-2 pour Audrey-Maude Gareau Nantel.

[6]            Je cite deux paragraphes du certificat médical dans le cas de Chloé :

...

Enfant : Chloé Gareau Nantel

...

L'enfant ci-haut mentionnée présente des problèmes allergiques d'une étendue très rare, particulièrement aux aliments, aux anesthésiques et autres médicaments, ainsi que des manifestations aussi inattendue que l'hypoglycémie. Même à des aliments aussi élémentaires que le sucre. Elle ne peut pas prendre les antibiotiques usuels, et doit toujours se promener avec une seringue de Epipen (en cas d'allergie) et Glucagon (en cas d'hypoglycémie).

L'étendue des éléments auxquels elle est allergique est telle qu'elle est très restreinte dans ses déplacements et ses relations avec des enfants de son âge. Ainsi même à l'école, pour éviter l'hypoglycémie elle doit manger plus souvent ... Elle doit avoir des repas spéciaux qui sont d'ailleurs plutôt difficiles à élaborer car la mère, en quête d'équilibre alimentaire doit rechercher à différents endroits de la ville les éléments nutritifs complémentaires et sans danger pour l'enfant.

[7]            Le certificat concernant l’autre fille est à peu près identique parce que toutes les deux souffrent de la même allergie alimentaire à la protéine bovine. Elles réagissent aussi fortement au sucre.

[8]            Madame Gareau a expliqué qu’à leur naissance, elle a allaité ses deux filles pendant une période d’environ cinq mois. Heureusement, dit-elle, qu’elle l’a fait, car la vie de ses deux filles aurait été en grave danger. C'est lors de l’allaitement qu'elle s’est rendue compte que selon ce qu’elle-même mangeait, ses filles pouvaient être couvertes d’eczéma ou avoir des difficultés respiratoires.

[9]            Ses filles doivent éviter de manger du boeuf, du veau, de l’agneau, de la gélatine, du lactosérum qui peut se retrouver dans la margarine, du sucre, du miel, sirop d’érable. Madame Gareau affirme que dans la société d'aujourd'hui tous les produits contiennent du sucre. Même les pains car la levure est à base de sucre. Ses filles peuvent manger du poisson, du poulet. En ce qui concerne le poulet, cela dépend de la façon dont le poulet a été nourri. Madame Gareau explique qu'elle vient à bout de trouver un éleveur ou un endroit qui produit ou vend du poulet auquel ses enfants ne réagissent pas. En ce qui concerne le pain, c'est la même recherche. Pendant des années elle a dû faire son pain. Bien des années plus tard elle a fini par connaître un boulanger qui a été capable de suivre la bonne recette et de s'y tenir. En ce qui concerne les fruits, il faut faire très attention car cela dépend de l’insecticide qui a été utilisé. Ses filles réagissent à la sorte d'insecticide qu'il y a sur les oranges, les pamplemousses, les citrons. Elles ne peuvent les manger même pelés. Il semble y avoir plus de liberté en ce qui concerne les légumes bien qu’il y ait toujours le danger de certains insecticides.

[10]          S’il y a une crise d’allergie, il y enflure de la gorge et difficultés respiratoires : il faut prévoir une piqûre d’adrénaline et un jeu de 20 minutes pour se rendre à l’hôpital. De plus, comme il s’agit d’une allergie alimentaire qui est reliée au sucre, les filles doivent comme les diabétiques manger à certaines heures. Autrement il y a possibilité de coma. Ceci est une préoccupation supplémentaire. Les crises sont plus rares maintenant car ses filles font attention.

[11]          Madame Gareau dit qu’en ce qui concerne son propre mode de vie il s'agit d'un retour de 150 ans en arrière. Elle doit faire le pain, la moutarde, la mayonnaise, la confiture. (Les confitures sont sucrées avec du sirop de riz qui est un aliment cher). Même les produits biologiques ne peuvent être considérés comme sûrs. Le blé doit être sans produits chimiques. Elle doit faire la plus grande partie de l’alimentation elle-même. Elle doit aussi faire la recherche des aliments auxquels ses filles ne sont pas allergiques. Tout ceci prend beaucoup de temps. À l’été, elle a un potager afin de voir elle-même à la production d’aliments sains pour ses filles. Même ses filles consacrent beaucoup de temps à préparer leur alimentation.

[12]          Madame Gareau a une formation de comptable. Elle ne peut pas exercer cette activité car elle doit consacrer la majeure partie de son temps à l’alimentation et le soin de ses filles. Personne d'autre qu'elle ne pourrait s'occuper de l'alimentation de ses filles. Si j'avais le malheur de baisser les bras ou même tomber malade, ce n'est pas compliqué mes enfants ne vivraient pas, point. Elle explique qu’une fois elle a été alitée et que deux personnes à temps plein ont dû la remplacer, soit sa belle-mère et sa belle-soeur qui sont passablement au courant des aliments que ses filles peuvent consommer.

[13]          L’avocat de l’intimée s’est rapporté à deux décisions de cette Cour concernant les personnes souffrant d’allergie coeliaque, soit celle du juge Bonner dans Hagen c. La Reine, [1997] A.C.I. no 827, et à ma décision dans Fernand McMaster c. La Reine, [1998] A.C.I. no 301. Il s’est référé au passage suivant :

[13]          En me référant à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Johnston c. La Reine, je vois que le critère objectif qui doit aider à trancher ces affaires est de savoir si la difficulté rencontrée par le particulier est telle que ce dernier requiert habituellement l’aide d’une autre personne pour accomplir l’activité essentielle ou qu’il prend, en comparaison avec une personne ne souffrant pas de la même incapacité, un temps excessif dans l’accomplissement de cette activité.

[14]          Selon ce raisonnement, il me semble que si les aliments dont pouvait se nourrir une personne étaient si rares que la personne devrait consacrer à leur recherche un temps excessif, il faudrait penser que la recherche des aliments n’est pas distincte de l’activité de s’alimenter. Toutefois, ce n’est pas le cas dans la présente affaire. Les aliments appropriés ne sont pas si rares que l’appelant puisse à peine trouver de quoi se nourrir. Ce dernier trouve ses aliments dans une très grande mesure dans les supermarchés comme les autres personnes, sauf qu’il doit faire attention à la composition des aliments préparés. En ce qui concerne certains aliments comme les pâtes, il doit aller les chercher plus loin. En ceci et dans l’attention qu’il doit mettre à l’achat de produits préparés, il soutient qu’il est différent des autres personnes. Mais dans quelle mesure? Dans une mesure qui me paraît minime. Il me semble que bien des particuliers se préoccupent de ce que contiennent les produits préparés et font quelques kilomètres pour se procurer les produits qu’ils aiment soit pour leur fraîcheur, leur goût ou leur prix. Il est vrai que la fréquentation des restaurants est difficile mais c’est le cas de toute personne qui souffre d’allergie alimentaire. En ce qui concerne l’activité même de s’alimenter, l’appelant n’a pas prétendu prendre plus de temps qu’un autre à manger. Je conclus donc que l’appelant ne souffre pas d'une déficience physique telle qu'il soit incapable d'accomplir l'activité de s'alimenter sans y consacrer un temps excessif.

[14]          Tout en se référant à cette décision l'avocat de l'intimée explique que la position de l'intimée est que ce qui compte pour l'application du crédit d'impôt est la capacité de se nourrir de la personne souffrant de la déficience. Il y a doute que le temps consacré par les autres personnes doive être pris en compte. Il y a doute aussi que l'on doive tenir compte du temps consacré à la recherche et la préparation des aliments.

[15]          Je crois donc utile de me référer aux propos de la Cour d'appel fédérale dans Johnston c. La Reine, [1998] A.C.F. no. 169, aux paragraphes 17, 18, 31, 32 et 33 pour une analyse de l'activité de se nourrir et de ce qu'elle comporte :

[17]          Il a déjà été défini que l'expression « limitée de façon marquée » renvoyait à l'incapacité d'une personne, en tout temps ou presque, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne. En outre, on considère que la capacité d'une personne est limitée de façon marquée si cette dernière doit consacrer un temps excessif pour accomplir une telle activité.

[18]          On n'a pas défini ce qui constitue un temps excessif pour accomplir les activités courantes de la vie quotidienne. À mon avis, l'expression « temps excessif » renvoie à un temps beaucoup plus long que celui que doivent normalement consacrer à ces activités des personnes en santé. Il implique une différence marquée d'avec ce que l'on considère normal.

...

[31]          L'avocate de l'intimée nous a présenté un point de vue auquel le juge de la Cour de l'impôt a souscrit selon lequel la notion de « s'alimenter » renvoyait à la capacité d'une personne de prendre des aliments d'une assiette et de les porter à sa bouche. Je suis fortement en désaccord. Il ne fait aucun doute qu'un enfant de deux ans peut prendre des aliments d'une assiette et les porter à sa bouche, mais il ne fait aucun doute non plus que personne n'affirmerait que cet enfant est capable de s'alimenter. Je souscris à l'opinion exprimée par le juge Bonner dans la décision M.R. Hodgin v. The Queen ([1995] E.T.C. 515) :

[TRADUCTION] J'aborde maintenant le fait de s'alimenter. Cela signifie, à mon avis, davantage que le simple fait de prendre un repas apprêté par une autre personne. On ne peut pas dire que la personne est capable de s'alimenter si elle ne peut se servir d'ingrédients de base, tels ceux que l'on trouve habituellement dans une épicerie, pour faire la cuisine ou autrement apprêter un repas. Pour satisfaire au critère, la personne doit pouvoir s'alimenter et non seulement prendre un repas. La loi est claire à cet égard. La capacité requise de s'alimenter comprend la capacité d'apprêter un nombre raisonnable de repas variés, et non seulement celle de préparer des collations, des friandises ou des plats congelés. En l'espèce, l'appelante, en raison des difficultés qu'elle éprouvait à se servir de ses mains, avait tellement besoin de l'aide de son époux pour apprêter les repas que l'on pouvait conclure, à bon droit, qu'elle était incapable de s'alimenter. [Non souligné dans l'original.]

[32]          La notion de s'alimenter implique également, à mon avis, la capacité d'apprêter un repas conforme à un régime alimentaire imposé à des fins médicales, régime qui, de concert avec des médicaments, vise à maintenir l'état de santé d'une personne ou, du moins, à en empêcher la détérioration.

[33]          En limitant la notion de s'alimenter à la capacité de prendre un repas, on néglige le fait que la Loi a pour objectif, faut-il le répéter, d'apporter une aide financière aux personnes qui, parce qu'elles sont atteintes d'une déficience, ont besoin de cette aide pour accomplir une activité courante de la vie quotidienne comme celle-là. Le fait d'inclure la préparation d'un repas acceptable dans la notion de s'alimenter est, au contraire, entièrement compatible avec un tel objectif et l'esprit dans lequel le législateur a établi le crédit pour déficience.

[16]          Selon cette décision la capacité d'une personne est limitée de façon marquée si cette dernière doit consacrer un temps excessif pour accomplir une activité essentielle de la vie. La notion de temps excessif renvoie à un temps beaucoup plus long que la norme. La notion de s'alimenter implique la capacité d'apprêter un repas conforme au régime alimentaire exigé par l'état de la personne. La préparation du repas est comprise dans l'activité de se nourrir.

[17]          On ne doit pas relativement à l’activité de se nourrir ne voir que le fait de porter la nourriture à sa bouche mais on doit aussi considérer la recherche et la préparation des aliments. Si cette recherche et préparation doivent être faites par une personne autre que la personne souffrant de la déficience, le temps de cette personne doit être pris en compte dans l'évaluation du temps excessif pris pour accomplir une activité essentielle de la vie. En ce qui concerne l’allergie coeliaque, je n’avais pas trouvé qu’une personne devait y consacrer un temps tellement plus grand que les personnes normales mais dans ce cas-ci, je considère que le temps consacré à la recherche des aliments et à la préparation de la nourriture dépasse nettement ce qui est normalement consacré par les personnes normales.

[18]          Il n'est pas possible de ne pas considérer, les allergies alimentaires de nature rare dont souffrent les filles de l'appelant, une déficience grave et prolongée et que pour la surmonter et demeurer autonome il faille y consacrer un temps nettement hors de l'ordinaire. La description qui a été faite par madame Gareau démontre qu’elle doit consacrer présentement un temps excessif dans la préparation de l’alimentation requise par ses filles par rapport à ce qui est la norme. Ses filles aussi. Si dans le futur ces difficultés s'estompent grâce aux découvertes médicales souhaitables, tant mieux. Mais dans la situation actuelle de ce que ces personnes doivent faire à l'égard de leur alimentation, il n'y a pas de doute qu'elles doivent consacrer un temps hors norme pour la recherche et la préparation de leur alimentation.

[19]          L’appel est accordé sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juin, 2000.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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