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Date: 20001006

Dossier: 2000-1466-EI

ENTRE :

BARBARA DOCHERTY,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

DAVID O. GRIFFITHS,

intervenant.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]            L'appelante interjette appel d'une décision datée du 31 mars 2000, dans laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a conclu que l'emploi qu’elle avait exercé pour l'intervenant — et payeur — du 1er septembre 1998 au 17 septembre 1999 n'était pas assurable parce que — du fait qu’elle était la conjointe de fait de David Griffiths — l’emploi était exclu et que le ministre n'était pas convaincu qu'ils auraient conclu entre eux un contrat à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[2]            David Griffiths a témoigné qu'il réside à Vancouver et qu'il pratique le droit. Il a fait la rencontre de l'appelante, qui venait d'obtenir une maîtrise en bibliothéconomie, alors qu'il vivait à Montréal. Ils se sont installés à Vancouver et — en 1985 — il a ouvert un cabinet d'avocats avec deux autres avocats aux termes d'une entente de partage des locaux et des coûts. L'appelante a commencé à travailler pour les trois avocats; Me Griffiths lui remettait un chèque de paie et demandait ensuite aux deux autres avocats de lui rembourser chacun leur part du salaire. En 1988, une nouvelle entente a été conclue avec d'autres avocats; par suite de la restructuration, il n'y avait plus assez de place pour installer l'appelante. En conséquence, elle s'est aménagé un bureau dans la résidence qu'elle partageait avec Me Griffiths, qui lui a versé un salaire mensuel sur lequel il faisait les retenues habituelles en tenant pour acquis qu'elle était une employée. À un moment donné, une connexion modem a été établie entre le bureau à domicile et le cabinet d'avocats de l'intervenant. Les autres avocats avaient alors cessé de prendre en charge le salaire de l'appelante. Me Griffiths payait sa part du loyer du bureau, des frais de réception et des autres frais connexes au gestionnaire de l'entente de partage des coûts. En 1990, il y a eu une autre entente de partage des coûts, mais l'appelante a continué d'assurer les services de technicienne en droit au cabinet de Me Griffiths, toujours à domicile. Me Griffiths a déclaré qu'il est devenu membre de l'association des avocats de l'aide juridique et que l'appelante a commencé à travailler pour l'association, à qui elle a facturé ses services 15 $ l'heure, pendant une période d'environ un an. Me Griffiths et l'appelante ont par la suite décidé que ce taux pouvait tout aussi bien être utilisé pour calculer son salaire mensuel, qui a ainsi été établi à 2 000 $. En mars 1995, le premier enfant du couple est né, et l'appelante a pris un congé de maternité au cours duquel elle a reçu les prestations d'assurance-emploi prévues. En 1996, les conjoints ont transféré l'hypothèque consentie sur leur résidence principale à la banque — et à la succursale — avec laquelle Me Griffiths faisait affaire aux fins de son cabinet d'avocats et ils se sont entendus avec la banque pour faire déduire — chaque semaine — le montant du paiement hypothécaire qui était en excédent du salaire net de l'appelante. En 1997, Me Griffiths a installé son cabinet dans des locaux déjà occupés par un autre cabinet d'avocats, Wilson & Buck. Malheureusement, il n’y avait pas de place pour installer le personnel de soutien dont Me Griffiths avait besoin. Il s’est donc branché à l’Internet et a obtenu, pour le télécopieur et le modem, une ligne affectée à demeure distincte de la ligne téléphonique ordinaire. La ligne téléphonique résidentielle suffisait à l’appelante pour ce qui était de s'acquitter de ses fonctions quotidiennes pour l'entreprise. Depuis 1985, la structure commerciale du cabinet d'avocats de Me Griffiths était demeurée essentiellement la même pour ce qui était de la relation de travail entre l'appelante et lui-même. Après 1988, alors que l’appelante travaillait à partir du foyer, Me Griffiths devait malgré tout pouvoir la joindre pendant les heures ouvrables; elle a même continué à travailler en soirée après la naissance de leur fils — en 1995 —, pendant qu'il s'occupait de l’enfant. Me Griffiths a précisé que son entreprise était principalement [TRADUCTION] « régie par la demande » et que cela ne cadrait pas avec un horaire de travail régulier. Au cabinet où il travaillait, seuls des services de réceptionniste lui étaient fournis; l'appelante avait toujours assuré tous les services de soutien dont il avait besoin, qu'il s'agisse de services de secrétariat ou de services de technicienne juridique, et ce, depuis qu'il avait ouvert son cabinet à Vancouver en 1985. En juin 1997, il a commencé à réduire progressivement les activités de son cabinet et a accepté d'effectuer des tournées comme avocat de l'aide juridique, ce qui l'obligeait à s'absenter une semaine tous les deux mois; au cours de ces périodes, l'appelante avait encore plus de travail. Le 10 mai 1999, Me Griffiths a accepté le poste d'avocat directeur du bureau d'aide juridique en matière pénale de Gastown (le bureau de Gastown), un cabinet d'avocats s’occupant de la défense d'affaires pénales. L'appelante et Me Griffiths se sont employés à fermer le cabinet d'avocats au cours de l'été 1999, Me Griffiths ayant obtenu de son employeur la permission de consacrer du temps à cette tâche; il fallait notamment trouver d’autres avocats pour prendre en charge les dossiers des clients privés. Au 17 septembre 1999, la fermeture du cabinet était pratiquement chose faite, et le deuxième enfant du couple — un fils — est né le 5 octobre 1999. Après le 17 septembre 1999, Me Griffiths n’avait plus de cabinet privé et travaillait à temps plein pour le bureau de Gastown. Cependant, il lui restait encore à effectuer une vérification finale et à remettre un rapport sur ses comptes en fiducie à la Law Society of British Columbia; il s'est acquitté de la tâche lui-même, sans faire appel à l'appelante. Il a préparé et envoyé un certain nombre d'états de compte à des clients et a continué de s’occuper d’une affaire matrimoniale dans les locaux qu'il occupait au bureau de Gastown. Me Griffiths a expliqué qu'il n'est pas inhabituel pour les criminalistes de la région de Vancouver de louer la plus petite superficie possible pour y installer à peu de frais leurs bureaux, où ils ne bénéficient d’aucuns services de soutien — une activité appelée en anglais perching — et de faire effectuer le travail juridique par une équipe installée ailleurs.

[3]            En contre-interrogatoire, Me Griffiths a déclaré que l'appelante a continué à travailler pour lui, même si elle travaillait aussi pour l'association de l'aide juridique, et qu'elle accomplissait les deux tâches en faisant de longues journées de travail. Il a décidé d'accepter un poste rémunéré au bureau de Gastown afin d’avoir un revenu stable et de jouir ainsi d’une certaine sécurité financière. S'il avait choisi de continuer à exploiter son cabinet d'avocats après la naissance de son fils en octobre 1999, il lui aurait fallu remplacer l'appelante, comme il avait été obligé de le faire après la naissance de leur premier enfant en 1995. Les heures de travail de l'appelante n’étaient ni prises en note ni consignées et l’appelante n'avait droit à aucun des avantages habituels associés à un emploi. La banque leur avait proposé un moyen de rembourser l'emprunt hypothécaire — à raison de 450 $ par semaine — en faisant des prélèvements sur le compte dans lequel étaient déposés les fonds provenant de son cabinet d’avocats. Par conséquent, ce montant hebdomadaire de 450 $ était retiré du compte et porté ensuite en déduction du salaire — net — de l’appelante et le solde était considéré comme ayant été payé sur les fonds que Me Griffiths versait dans le compte. Faisant référence à un état des retenues — pièce R-1 — pour le mois de janvier 1999, Me Griffiths a expliqué qu'y figuraient par erreur les cotisations payées par l'employeur au titre de l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada, et que le revenu net de l'appelante aurait dû être de 1 545,94 $. En 1998, en dépit du fait qu'il avait travaillé de 55 à 60 heures par semaine et que son revenu brut dépassait les 110 000 $, Me Griffiths avait indiqué dans sa déclaration de revenu — pièce R-2 —un revenu net inférieur à 22 000 $, alors que le salaire versé à l'appelante s'établissait à 25 850,26 $. Me Griffiths a déclaré que la charge de travail à l'aide juridique avait doublé depuis 1992, mais que les honoraires versés aux avocats avaient diminué de 45 p. 100, en raison de l'augmentation des frais d’exploitation.

[4]            Barbara Docherty a témoigné qu’après 1988, elle n’avait pas constaté de changement dans la façon de fonctionner du cabinet d'avocats ou dans ses conditions de travail, et qu'elle n'estimait pas avoir été surpayée. Elle s'occupait de toutes les remises et rédigeait des chèques tirés sur le compte général du cabinet d'avocats. Après le 17 septembre 1999, elle s'est acquittée uniquement de tâches administratives minimales pour Me Griffiths, comme préparer son propre relevé T4 et effectuer la dernière remise trimestrielle des retenues faites sur son salaire.

[5]            En contre-interrogatoire, Mme Docherty a déclaré qu’elle cohabitait avec Me Griffiths depuis 14 ans et qu'elle avait travaillé pour lui — à partir de 1988 — dans un bureau aménagé dans la résidence qu'ils partageaient. En 1999, l'enfant aîné — né en 1995 — allait à la prématernelle les lundis, mercredis et vendredis, de 9 h à midi; elle échangeait aussi le gardiennage des enfants avec une voisine, qui était avocate.

[6]            Me Griffiths, en sa qualité d'intervenant, a fait valoir que les éléments de preuve établissaient que la décision du ministre était clairement erronée, étant donné que les tâches avaient été accomplies par l'appelante, que le salaire était raisonnable, qu'il cadrait avec l'entente intervenue entre les parties 14 ans plus tôt et qu'il s'agissait d'une relation de travail courante dans le contexte du type de cabinet d'avocats qu'il exploitait.

[7]            L'appelante a fait siennes les prétentions de l'intervenant.

[8]            L'avocate de l'intimé a fait valoir que l'appelante n'était pas rémunérée au moyen d'un chèque de paie comme tel et que le montant de son salaire était une somme brute sur laquelle aucune retenue n'était effectuée mensuellement; elle a affirmé que, selon les éléments de preuve, il s'agissait d'une entreprise familiale plutôt que d'une relation employeur-employé courante.

[9]            La décision du ministre s’appuyait sur le fait que l'appelante cohabitait avec David Griffiths et qu’il n'était pas convaincu — aux termes de l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) — que les parties auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu entre elles un lien de dépendance.

[10]          La première question à trancher est celle de savoir si je suis fondé — en m'appuyant sur la preuve — à intervenir à la suite de la décision du ministre.

[11]          Dans l'affaire Crawford and Company Ltd. et M.R.N., publiée, [1999] A.C.I. no 850 (QL), soit une décision du juge suppléant Porter de la C.C.I. rendue le 8 décembre 1999, le juge Porter s'est penché sur les appels de trois employés de la société en cause, dont deux étaient des frères entrant dans la catégorie des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'autre appelant n'était pas une personne liée à la société, ce qui a nécessité un examen séparé des faits, étant donné que le ministre n'avait pas exercé le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré aux termes de l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi. Le juge Porter a procédé à une analyse détaillée de la situation des deux frères, et cette analyse est pertinente à l'analyse qu'il est nécessaire d'effectuer dans l'appel qui nous occupe. Pour cette raison, je reproduis un long passage de la décision rendue dans l'affaire Crawford, vu qu'il concorde avec ma compréhension du droit et que les faits de cette affaire sont presque identiques à ceux de la présente affaire. Aux paragraphes 58 et suivants, le juge Porter a déclaré ce qui suit :

[58]          Dans le cadre du régime établi par la Loi sur l'a.-e., le Parlement a prévu que certains emplois sont assurables et donnent droit à des prestations s'ils cessent, et que d'autres emplois, qui sont « exclus » , ne donnent droit à aucune prestation s'ils cessent. Lorsque des personnes qui ont un lien de dépendance concluent une convention d'emploi, il s'agit d'un « emploi exclu » . Des conjoints, des parents et leurs enfants, des frères, et des sociétés contrôlées par ces personnes sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance suivant le paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui régit cette situation. Cette disposition législative a manifestement pour but d'éviter au régime d'avoir à payer une multitude de prestations fondées sur des conventions d'emploi factices ou fictives; voir les observations de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Paul c. Le Ministre du Revenu national, (A-223-86) inédite, où le juge Hugessen a déclaré :

Nous sommes tous disposés à présumer, comme nous y invite l'avocat de l'appelante, que l'alinéa 3(2) c) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, et le paragraphe 14a) du Règlement sur l'assurance-chômage visent entre autres à éviter les emplois abusifs de la Caisse d'assurance-chômage par la création de soi-disant rapports « employeurs-employés » entre des personnes dont les rapports sont, de fait, très différents. Cet objectif se révèle tout à fait pertinent et rationnellement justifiable dans le cas des époux qui vivent ensemble maritalement. Mais même si, comme le soutient l'appelante, nous ne sommes en présence que d'époux légalement séparés et qui peuvent traiter entre eux sans lien de dépendance, la nature de leurs rapports en qualité de conjoints est telle qu'elle justifie, à notre avis, d'exclure de l'économie de la Loi l'emploi de l'un par l'autre.

[...]

Nous n'écartons pas la possibilité que les dispositions susmentionnées aient d'autres objectifs, comme par exemple la décision conforme à une politique sociale visant à écarter du champ d'application de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage tous les emplois exercés au sein de l'unité familiale, comme l'a suggéré l'avocat de l'intimé.

[59]          La rigueur de cette disposition a toutefois été atténuée par l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'a.-e., lequel prévoit qu'un emploi dans un cas où l'employeur et l'employé sont des personnes liées est réputé être exercé sans lien de dépendance et peut donc être considéré comme un emploi assurable, s'il remplit toutes les autres conditions, c'est-à-dire si le ministre est convaincu, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance de travail accompli, qu'il est raisonnable de conclure qu'ils auraient conclu entre eux un contrat à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu (en fait) un lien de dépendance.

[60]          Il pourrait être utile que je reformule la façon dont je comprends cet alinéa. Pour les personnes qui sont liées, la Loi exclut tout droit à des prestations d'assurance, à moins qu'on ne puisse convaincre le ministre que la convention d'emploi est bel et bien la même qu'auraient conclue des personnes non liées, c'est-à-dire des personnes qui n'ont manifestement aucun lien de dépendance. Le Parlement a jugé que, s'il s'agit d'un contrat de travail à peu près semblable, il devrait en toute équité être inclus dans le régime. Toutefois, c'est le ministre qui décide. Sauf s'il est convaincu qu'il y a lieu de l'inclure, l'emploi reste exclu et l'employé n'a pas droit à des prestations.

[61]          Le paragraphe 93(3) de la Loi sur l'a.-e. porte sur les appels au ministre et sur le règlement de questions par celui-ci. Il dispose que « [l]e ministre règle la question soulevée par l'appel ou la demande de révision dans les meilleurs délais et notifie le résultat aux personnes concernées. »

[62]          Le ministre est donc tenu de régler la question. La Loi l'exige. Si le ministre n'est pas convaincu, l'emploi reste exclu et l'employé n'a pas droit aux prestations. Si toutefois il est convaincu, sans plus de cérémonie et sans prise d'aucune mesure par le ministre (sauf la communication de la décision), l'employé a droit à des prestations, pourvu qu'il remplisse les autres exigences. Il ne s'agit pas d'un pouvoir discrétionnaire au sens que, si le ministre est convaincu, il peut alors juger que l'emploi est assurable. Il doit « régler la question » et, selon ce qu'il décide, aux termes de la Loi l'emploi est réputé soit comporter un lien de dépendance, soit ne pas en comporter. En ce sens, le ministre n'a pas à proprement parler de pouvoir discrétionnaire à exercer car, en prenant sa décision, il doit agir de façon quasi judiciaire et il n'a pas le droit de faire le choix qui lui plaît. Il ressort des décisions de la Cour d'appel fédérale sur cette question que le même critère s'applique à une multitude d'autres fonctionnaires qui prennent des décisions quasi judiciaires dans de nombreux domaines différents. Voir Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361, Attorney General of Canada and Jencan Ltd. (1997), 215 N.R. 352 et Her Majesty the Queen and Bayside Drive-in Ltd. (1997), 218 N.R. 150.

[12]          Dans l'arrêt Adolfo Elia c. Canada (Ministre du revenu national - M.R.N.), [1997] A.C.F. no 316 (QL), de la Cour d’appel fédérale du Canada, daté du 3 mars 1998, le juge Pratte a déclaré ce qui suit :

[...] Contrairement à ce qu'a pensé le juge, il n'est pas nécessaire, pour que le juge puisse exercer ce pouvoir, qu'il soit établi que la décision du Ministre était déraisonnable ou prise de mauvaise foi eu égard à la preuve que le Ministre avait devant lui. Ce qui est nécessaire, c'est que la preuve faite devant le juge établisse que le Ministre a agi de mauvaise foi, ou de façon arbitraire ou illégale, a fondé sa décision sur des faits non pertinents ou n'a pas tenu compte des faits pertinents. Alors, le juge peut substituer sa décision à celle du Ministre.

[13]          Dans l'arrêt Légaré c. Canada (Ministre du revenu national), [1999] A.C.F. no 878, de la Cour d'appel fédérale, le juge Marceau, s'exprimant pour la Cour, a déclaré ce qui suit à la page 2 :

                La Cour est ici saisie de deux demandes de contrôle judiciaire portées à l'encontre de deux jugements d'un juge de la Cour canadienne de l'impôt dans des affaires reliées l'une à l'autre et entendues sur preuve commune où se soulevaient une fois de plus les difficultés d'interprétation et d'application de cette disposition d'exception du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Une fois de plus, en effet, car plusieurs décisions de la Cour canadienne de l'impôt et plusieurs arrêts de cette Cour se sont déjà penchés sur le sens pratique à donner à ce sous-alinéa 3(2)c)(ii) depuis son adoption en 1990. On voit tout de suite en lisant le texte les problèmes qu'il pose par delà la pauvreté de son libellé, problèmes qui ont trait principalement à la nature du rôle attribué au ministre, à la portée de sa détermination et, par ricochet, à l'étendue du pouvoir général de révision de la Cour canadienne de l'impôt dans le cadre d'un appel sous l'égide des articles 70 et suivants de la Loi.

                Les principes applicables pour la solution de ces problèmes ont été abondamment discutés, encore qu'apparemment, à en juger par le nombre de litiges soulevés et les opinions exprimées, leur exposé n'ait pas toujours été pleinement compris. Pour les fins des demandes qui sont devant nous, nous voulons reprendre, en des termes qui pourront peut-être rendre plus compréhensibles nos conclusions, les principales données que ces multiples décisions passées permettent de dégager.

                La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[14]          Les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est appuyé sont énoncées au paragraphe 5 de la réponse à l'avis d'appel. Les cinq premières hypothèses — reproduites ci-après — sont exactes.

[TRADUCTION]

a)              au cours de la période, le payeur avait un cabinet d'avocats et était associé au cabinet Wilson & Buck, avocats et procureurs;

b)             le payeur exploitait son cabinet d'avocats dans les locaux de Wilson & Buck, avocats et procureurs, 744, rue West Hastings, bureau 425, Vancouver (Colombie-Britannique);

c)              Wilson & Buck, avocats et procureurs, fournissait les services d'une réceptionniste, dont le salaire était payé par les avocats du cabinet;

d)             l'appelante est la conjointe de fait de David Griffiths;

e)              l'appelante est secrétaire juridique et elle exécute des fonctions administratives pour le cabinet d'avocats du payeur depuis qu'il a été reçu au barreau, en 1985.

[15]          Cependant, aux alinéas 5f) et g), le ministre a formulé les hypothèses de fait suivantes :

[TRADUCTION]

f)              depuis 1995, le payeur a un bureau dans sa résidence et c'est dans ce bureau que sont coordonnées les tâches administratives se rapportant à son cabinet d'avocats;

g)             avant 1995, l'appelante assumait les fonctions de secrétaire juridique pour le payeur au lieu d'affaires de ce dernier, et, après la naissance de leur premier enfant en 1995, l'appelante a travaillé dans le bureau aménagé dans la résidence familiale.

[16]          Ces hypothèses sont incomplètes et erronées. Me Griffiths a aménagé un bureau — en 1988 — dans la résidence qu'il partageait avec l'appelante, cette dernière ayant été obligée d'y effectuer son travail par suite de la conclusion d'une nouvelle entente de partage des coûts qui l'a privée d'un lieu de travail dans les locaux mêmes du cabinet d'avocats. Au moment de la naissance de leur premier enfant en 1995, elle travaillait depuis sept ans dans le bureau aménagé dans la résidence, de sorte qu’il est possible de conclure, en s'appuyant sur les hypothèses du ministre, qu'on considérait que l’appelante avait travaillé pour Me Griffiths dans un bureau situé dans les locaux d'un cabinet d'avocats et qu'elle s’était ensuite installée dans un bureau secondaire aménagé dans leur résidence — en 1995 — après la naissance de leur premier enfant. Il ne s'agissait pas d'un bureau quelconque, il s'agissait du bureau du cabinet d'avocats de Me Griffiths.

[17]          Certaines autres hypothèses ne sont pas pertinentes. Le salaire mensuel était de 2 000 $ par mois, et il n'était pas nécessaire de tenir un compte des heures de travail; de même, le fait que l'appelante détenait le pouvoir de signature sur le compte commercial du cabinet d'avocats n’a rien d’inhabituel. Le ministre formule ensuite — aux alinéas 5o), p) et q) — les hypothèses de fait suivantes :

[TRADUCTION]

o)             le payeur a commencé à réduire progressivement les activités de son cabinet d'avocats en mai 1999 environ;

p)             le payeur n'a embauché personne pour remplacer l'appelante lorsque celle-ci a pris un congé de maternité commençant autour du mois de septembre 1999;

q)             l'appelante a continué de s’acquitter de tâches de secrétaire juridique pour le payeur pendant son congé de maternité, mais elle n'était pas rémunérée pour ce travail [...]

[18]          La preuve ne laisse subsister aucun doute : Me Griffiths n'a embauché personne pour remplacer l'appelante lorsqu'elle a cessé de travailler le 17 septembre 1999, parce qu'il n'avait aucune raison de le faire, vu qu'il était devenu un employé salarié du bureau de Gastown — le mois de mai précédent — et qu’il avait obtenu par la suite une autorisation spéciale de son nouvel employeur pour faire le nécessaire au cours des mois à venir pour fermer définitivement son cabinet d'avocats. Après avoir cessé de travailler pour lui, l'appelante n'a pas assuré de services de secrétariat à Me Griffiths, qui s’est lui-même acquitté des tâches de secrétariat, de comptabilité et d'administration requises, hormis quelques tâches de moindre importance comme la préparation du relevé T4 de l'appelante et la remise des retenues finales à Revenu Canada au titre du trimestre antérieur. La date limite était probablement le 30 septembre 1999. À mon avis, l'appelante s'est acquittée de ces deux tâches afin de régler les derniers détails de l'emploi qu'elle avait exercé pour son conjoint et parce qu’il y allait de son propre intérêt.

[19]          Même s'il n'existe aucune raison d'affirmer que la décision du ministre était motivée par la mauvaise foi ou qu’elle a été rendue de manière arbitraire ou illégale, il est manifeste que le ministre s'est appuyé sur des faits qui n’étaient pas pertinents, comme il a été mentionné précédemment. En outre, le ministre n'a pas examiné comme il se devait les faits pertinents de la relation d'emploi qui existait depuis longtemps entre l'appelante et Me Griffiths et l'explication raisonnable donnée quant aux motifs particuliers pour lesquels les services de secrétariat et d'administration nécessaires dans le cadre du cabinet d'avocats de Me Griffiths ont été fournis par l'appelante, dans le bureau aménagé dans la résidence familiale. Il est manifeste, si l'on prend connaissance de certaines des hypothèses de fait contenues dans la réponse à l’avis d’appel, que le ministre n'a pas compris de quelle nature était le cabinet d'avocats de MeGriffiths ni le fait que, depuis 1988, il n'y avait plus de place pour installer l'appelante et lui permettre de s’acquitter des tâches voulues pour son conjoint, même si ce dernier a conclu une autre entente de partage des coûts ailleurs en 1990. On peut conclure, après examen du contexte général dans lequel s’inscrivent les hypothèses sur lesquelles le ministre s'est appuyé, que l'appelante était considérée comme un membre auxiliaire du personnel administratif de MeGriffiths et qu'elle avait fait le choix de travailler à la maison. Le ministre n'a pas tenu compte du fait que Me Griffiths avait embauché une secrétaire travaillant à distance pour le seconder lorsque l'appelante avait pris un congé de maternité en mars 1995, mais, par ailleurs, il s'est appuyé sur le fait que Me Griffiths n'avait pas remplacé l'appelante pendant son soi-disant congé de maternité après le 17 septembre 1999. Le ministre a de toute évidence considéré que cette omission ne cadrait pas avec la relation sans lien de dépendance qui devrait exister entre des parties qui ne sont pas liées. L'erreur saute aux yeux. L'appelante n'était pas en congé de maternité au sens où elle devait reprendre son emploi quelques mois plus tard. Il n'y avait aucun emploi auquel elle pouvait retourner, et l'interprétation à retenir est que le 17 septembre 1999 est — tout simplement — la date de son dernier jour de travail.

[20]          Compte tenu de l'ensemble de la preuve, il est évident que je me dois d'intervenir et de modifier la décision du ministre. Je dois ensuite examiner la preuve afin de déterminer si l'emploi exercé par l’appelante au cours de la période pertinente était assurable ou bien s’il était exclu. La disposition pertinente de la Loi est l'alinéa 5(3)b), qui est ainsi libellé :

                l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

Rétribution

[21]          L'appelante recevait 2 000 $ par mois et ce salaire avait été établi en fonction du nombre d'heures de travail en général, lequel avait été multiplié par le taux horaire de 15 $ que l'appelante avait reçu de l'association de l'aide juridique durant un an. Sur le fondement de ces calculs — que je trouve raisonnables — elle était rémunérée pour 133 heures par mois ou quelque 32 heures par semaine. La méthode de paiement du salaire, qui consistait à porter la totalité du montant en déduction de l'emprunt hypothécaire, n'est pas particulièrement pertinente, vu que de nombreuses personnes font déposer leur paye — électroniquement — dans un compte. Une fois que les fonds se trouvent dans ce compte, ils peuvent être utilisés aux fins voulues. Il n'y a pas lieu d’accorder trop d’importance au fait que l'appelante et Me Griffiths avaient décidé d'amalgamer les fonds pour s'acquitter de leurs obligations familiales.

Modalités d'emploi

[22]          L'appelante travaillait pour MeGriffiths et assurait des services de secrétariat et de soutien administratif à distance à son cabinet d'avocats situé au centre de la ville et pour lequel il n’avait droit qu’à des services de réception minimes et ne recevait absolument aucun soutien technique. L’appelante a travaillé pour Me Griffiths à temps plein à compter de l'année 1985. Jusqu'en 1988, elle a travaillé pour Me Griffiths et deux autres signataires de l'entente de partage des coûts, mais la situation a changé et elle s'est trouvée à travailler uniquement pour Me Griffiths, sans pouvoir demeurer dans le bureau qu'elle occupait dans le cabinet d'avocats. Il était raisonnable de se brancher à l'Internet pour effectuer le travail ou d’utiliser des modems permettant les communications entre l'ordinateur du bureau de Me Griffiths et celui de la résidence. Le télétravail fait de plus en plus d’adeptes car il permet de réduire le coût élevé des locaux au centre de la ville pour installer le personnel administratif et permet aux employés d’éliminer les frais de transport et d’adapter leur horaire de travail.

Durée

[23]          L'appelante a travaillé à temps plein pendant une période de 14 ans. L'emploi n'était fonction ni des saisons, ni des liquidités, ni des courants. Il s'agissait d’un contrat de travail ouvert normal, auquel on était en lieu de s’attendre en ce qui concerne des tâches administratives d’une telle importance. Ce n’était pas un travail factice ou inventé de toutes pièces pour permettre à l'appelante d'avoir droit à des prestations d'assurance-emploi.

Nature et importance du travail exécuté

[24]          Le travail accompli par les secrétaires, les techniciens en droit et les autres adjoints administratifs revêt une importance cruciale pour quiconque exerce une profession libérale. La défense d'affaires pénales — dans le cadre, la plupart du temps, de programmes d'aide juridique — est une tâche titanesque et exigeante qui paye très peu. Si on y ajoute un service de règlement de litiges matrimoniaux, on peut comprendre qu’il soit nécessaire de compter sur les services d’un adjoint à temps plein. Il ne sert à rien de comparer le salaire versé aux employés avec les bénéfices nets de l'avocat. Quiconque a été obligé de faire face aux dépenses d'une entreprise commerciale — y compris les dépenses relatives à la paie — sait pertinemment bien que le propriétaire est le dernier à être payé et qu'il est possible de réaliser des économies ici et là sans réduire le personnel administratif et le personnel de secrétariat dont l’entreprise ne saurait se passer.

[25]          Le modèle à utiliser pour établir une comparaison avec les relations de travail entre parties sans lien de dépendance ne nécessite pas une concordance parfaite. Cette affirmation se trouve confirmée par le libellé de la loi, qui utilise les termes un « contrat de travail à peu près semblable » . Chaque fois que les parties sont liées entre elles au sens de la disposition législative pertinente, la relation de travail comportera nécessairement des particularités, surtout si le conjoint est le seul employé ou s’il fait partie d’un effectif restreint. Cependant, le but n’est pas d’empêcher les personnes qui satisfont aux critères établis de participer au régime national d'assurance-emploi. Les en exclure sans raison valable est une mesure inéquitable, qui va à l'encontre de l'esprit de la loi.

[26]          J'ai examiné les divers facteurs décrits précédemment et je conclus que l'appelante et le payeur — son conjoint de fait — auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu entre eux un lien de dépendance.

[27]          L'appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée comme suit :

                Barbara Docherty a exercé un emploi assurable pour David Griffiths du 1er septembre 1998 au 17 septembre 1999.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 6e jour d'octobre 2000.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 25e jour d’avril 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

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