Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20000620

Dossier: 98-1149-UI

ENTRE :

HEBDO MAG INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

JOCELYNE PARIS,

intervenante.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s’agit d’un appel et d’une intervention concernant une décision du ministre du Revenu national (le « Ministre » ), portant que madame Jocelyne Paris avait exercé un emploi assurable du 1er janvier 1996 au 24 septembre 1997.

[2]            Cet appel et cette intervention devaient être entendus en même temps que l’appel de l’appelante portant le numéro 1999-3422(EI) et concernant trois travailleurs qui eux n’ont pas intervenu au débat. Au début de l’audition, l’avocate de l’intimé, a informé la Cour que l’intimé avait consenti à jugement dans cette affaire et qu’il était maintenant d’avis que les travailleurs étaient des travailleurs autonomes.

[3]            En ce qui concerne les présents appel et intervention, l’intimé a décidé de ne pas faire de représentations pour soutenir sa décision dont il y a appel et intervention. Le débat judiciaire se situe donc entre l’intervenante et l’appelante.

[4]            Les faits sur lesquels le Ministre s’est appuyé pour rendre sa décision sont décrits au paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel (la « Réponse » ) comme suit :

a)              l'appelante exploite une imprimerie et une entreprise spécialisée dans la publicité, laquelle publie, notamment, les magazines Auto Hebdo et Magazine Immobilier;

b)             durant la période en litige, l'appelante était vendeuse de publicité immobilière dans la région de Trois-Rivières;

c)              elle a reçu une formation du payeur durant laquelle elle était rémunérée;

d)             elle avait une territoire spécifique qui la limitait à Trois-Rivières plus un rayon de 50 km;

e)              le payeur lui avait fourni une liste de clients;

f)              elle travaillait habituellement au bureau du payeur;

g)             une fois par 2 semaines, elle se rendait chez les agents immobiliers, un mercredi après-midi, et travaillait à sa résidence un jeudi après-midi et vendredi entier;

h)             elle n'avait pas d'heures fixe de travail préétablies;

i)               elle devait travailler selon les directives du payeur;

j)               elle avait des objectifs de vente à rencontrer, des heures de tombée à respecter et un rapport de ventes à préparer à toutes les deux semaines;

k)              elle s'occupait de la perception des comptes de ses clients;

l)               elle payait ses frais de déplacement;

m)             le payeur fournissait un bureau et l'équipement et en défrayait les fournitures;

n)             elle recevait une avance de commission non remboursable de 400 $ par semaine;

o)             elle était rémunérée au taux de 7 p. 100 des ventes encaissées.

[5]            L’appelante a admis tous les faits décrits au paragraphe 5.

[6]            En ce qui concerne l’alinéa a), l’appelante travaillait pour Magazine Immobilier. Les travailleurs concernés dans l’appel portant le numéro 1999-3422(EI) travaillaient pour Auto Hebdo ou Moto Hebdo.

[7]            En ce qui concerne l’alinéa c), elle a reçu deux fois de la formation d’une journée chacune. La première fois elle a été payée 80 $. Les deux fois, ses repas lui ont été payés. Cette formation avait pour but de lui montrer comment remplir les documents nécessaires à l’entreprise, comme les bons de commande, les accords de publicité, les fiches de production, etc.

[8]            L’intervenante a expliqué qu’elle a travaillé à titre de conseillère publicitaire pour le magazine Immobilier Hebdo du 1er septembre 1993 au 24 septembre 1997. La période en litige est du 1er janvier 1996 au 24 septembre 1997.

[9]            La carte d’affaires de l'intervenante lui était payée par l’appelante. Les numéros de téléphone et de télécopieur qui y sont indiqués ainsi que l’adresse sont ceux du bureau d’Hebdo Mag à Trois-Rivières.

[10]          Une semaine sur deux, l’intervenante communiquait avec les agences immobilières. Elle demandait à la réceptionniste d’informer par appel collectif tous les agents qu’ils devaient placer leur commande publicitaire. Elle se rendait dans ces agences pour recueillir les commandes. L'intervenante allait voir les agents à Shawinigan ou à Victoriaville et les rencontrait dans un casse-croûte habituel. Elle utilisait sa voiture et payait son essence.

[11]          Les bons de commande et les fiches explicatives pour l’impression devaient être reçus à toutes les deux semaines le lundi matin au bureau-chef de l’appelante à Montréal. L'intervenante les envoyait par autobus le samedi ou le dimanche au frais de l’appelante. Pour les fins de compléter les fiches de montage et les bons de commande, la semaine de l'édition, elle travaillait chez elle le jeudi après-midi et le vendredi.

[12]          Les bons de commande servaient à la facturation qui était faite par l’appelante. Dans la semaine où l'intervenante n'avait pas à compiler les commandes publicitaires et à compléter les fiches de montage, elle recevait du bureau chef de Montréal les compilés informatiques des commissions à payer et des comptes déficients, documents qui portaient comme titre « Âge des comptes (clients) Client actif » . Ces documents lui étaient envoyés vu que tel que mentionné à l'alinéa 5 o) de la Réponse et tel que la preuve l'a révélé, l'intervenante en plus du 400 $ qu'elle recevait à titre d'avance de commissions non remboursable avait droit à une commission de 7 p. 100 des comptes payés. L'intervenante pouvait voir à la perception des comptes déficients.

[13]          Quand la revue arrivait, l'intervenante allait remettre les photos aux agents immobiliers et leur apportait en même temps le nombre d'exemplaires qu'ils désiraient. Ce n'est pas elle qui était la responsable de la distribution puisqu'il y avait une personne attitrée à cet égard.

[14]          Dans le bureau de l’appelante à Trois-Rivières, une pièce était réservée à l’intervenante. Cette dernière n’avait pas les clefs du bureau mais elle avait les clefs de cette pièce qu’elle fermait à clef quand elle n’y était pas. L'intervenante explique que c'était là son lieu de travail. Elle y recevait à l'occasion ses clients. C'était là où le courrier lui était apporté. Quand elle n'y était pas il y avait à sa porte, un panier où soit les gens du bureau ou soit les clients lui laissaient leur message. Les timbres lui étaient remboursés.

[15]          L’intervenante a expliqué qu’il y avait une gérante de bureau, une responsable de la distribution et une réceptionniste. L'intervenante dit que si elle était malade elle avisait la gérante du bureau. Le montant hebdomadaire qu'elle recevait n'était pas coupé. Elle n'a pas été malade souvent. Il ne lui est jamais arrivé de se faire remplacer. L'intervenante soutient que ses vacances lui étaient payées quoiqu'elle ajoute qu'elle en a très peu pris. Elle aurait pris une semaine en 1996. Elle a aussi produit une pièce montrant qu'une semaine lui aurait été payée au temps des fêtes alors que la revue n'était pas publiée.

[16]          Son travail consistait à appeler les agents immobiliers, à ramasser les photos et informations nécessaires à la publicité, à faire les montages et faire parvenir le tout à Montréal. Elle devait vérifier les comptes et s'occuper de la perception. En contre-interrogatoire, elle a admis que c'était elle qui faisait la planification de son travail et qui déterminait la façon d'opérer. Personne de chez l'appelante ne décidait quand elle devait rencontrer ses clients ni comment communiquer avec eux. Le contact avec les clients c'était elle qui en déterminait le mode. Elle n'avait pas le droit de travailler pour des concurrents de l'appelante. Selon l'intervenante, elle n'avait pas les moyens financiers pour engager du personnel. Elle n'avait pas d'horaire fixe. C'était elle qui déterminait ses heures. Habituellement elle arrivait à 9 h 00 au bureau et repartait vers 16 h 30. Le midi elle allait toujours manger chez elle.

[17]          Les tarifs étaient décidés par l'appelante. Au début de son travail avec l'appelante, la personne qu'elle a remplacée lui a remis la liste de ses clients. L'intervenante avait la possibilité d'accroître cette liste de clients.

[18]          L'intervenante a aussi produit comme pièce Int-13 un estimé budgétaire concernant les ventes publicitaires pour Trois-Rivières. Elle a soumis qu'il s'agissait d'un objectif qui lui était demandé. Elle dit qu'à chaque année elle atteignait l'objectif.

[19]          Monsieur Jean-François Auclair a témoigné pour l'appelante. Il travaille pour l'appelante depuis juillet 1995 à titre de directeur des ventes de l'est du Québec. Il a expliqué que le personnel administratif de l'appelante est salarié alors que les ventes de publicité sont faites par des agents qui sont des travailleurs autonomes.

[20]          Il a affirmé qu'il n'y avait aucun contrat écrit ou verbal entre l'appelante et l'intervenante. Elle n'avait pas droit à des congés de vacances ni de maladie. Elle ne participait pas aux bénéfices sociaux. Elle ne recevait aucune directive quant à la manière d'accomplir son travail. Il n'y avait aucune exigence de venir au bureau. Elle aurait pu se faire remplacer. En contre-interrogatoire, il a confirmé que l'intervenante recevait 400 $ par semaine, tout au long de l'année, soit 52 semaines. Il ne semblait pas trop familier avec le document produit comme pièce Int-1, « Accord de publicité » , qui semble exiger pour la part de l'appelante la signature du conseiller publicitaire et l'approbation du directeur des ventes. Une des conditions de cet accord stipule expressément : « Toutes les commandes seront soumises à l'approbation de Hebdo Mag » .

[21]          Monsieur Auclair a expliqué que c'est l'appelante qui envoie les factures. La seule perception que l'intervenante peut faire concerne celle des clients débiteurs retardataires. Il a affirmé que l'appelante ne procédait pas à la formation des conseillers en tant que publicistes. La seule formation qui était donnée ce qu'il appellerait plutôt de l'information, était la manière de remplir les formules préparées par Hebdo Mag pour les bons de commande et les fiches nécessaires à l'impression.

Positions des parties

[22]          L'avocat de l'intervenante fait valoir qu'elle avait une marge de manoeuvre limitée. Elle était encadrée par la procédure écrite. L'appelante versait 400 $ par semaine à l'intervenante, c'était sûrement pour quelque chose soit une prestation de travail dans le cadre d'un contrat de travail. Les outils étaient fournis par le payeur. L'intervenante payait son essence mais cela n'est pas déterminatif. Elle avait des directives quant aux limites géographiques, quant aux personnes, quant aux prix et quant à la date de tombée. La liste de clients appartient à l'appelante.

[23]          L'avocat de l'appelante fait valoir que l'entente intervenue entre l'appelante et l'intervenante était pour de la vente de publicité. Cette dernière recevait un montant fixe par semaine et une commission. Elle devait se déplacer dans le cadre de son travail. Ceci était à ses frais. Ses dépenses de voiture n'étaient pas remboursées. Avoir à remplir des formules d'une certaine manière et avoir des échéances à respecter, ne signifient pas le contrôle relatif à celui d'un contrat d'emploi. L'intervenante ne recevait pas d'instructions sur la manière d'accomplir ses tâches. Elle n'avait pas un minimum d'heures à travailler. Elle déterminait le nombre d'heures à consacrer à ses tâches. Elle faisait la planification de son travail. Il n'y avait pas d'exclusivité de personnes, elle aurait pu se faire remplacer. En ce qui concerne les objectifs, c'est elle qui a écrit le mot objectif sur le document. Les gains dépendaient de ses efforts. En ce qui concerne la perception des comptes déficients c'est que c'était dans son intérêt puisque ses commissions étaient payées sur le montant des comptes payés.

[24]          L'avocat de l'intervenante fait valoir en réplique que les commissions de l'appelante représentent peu en rapport avec le montant qui lui est attribué chaque semaine. Les paramètres étaient serrés et il y avait peu de latitude pour les profits et pertes. En ce qui concerne le contrôle, le principe de droit est qu'il vaut vérifier s'il y avait existence du droit de contrôle et non pas s'il y avait en fait contrôle. Il conclue que l'intervenante était une employée à salaire et à commissions.

[25]          L'avocat de l'intervenante s'est référé à deux décisions de cette Cour : Whitney Elizabeth Gleason v. M.N.R., en date du 9 mai 1984 et Club Automobile du Québec Inc. et M.R.N., en date du 5 mai 1983. Ces décisions ont pour sujet la distinction entre travailleurs indépendants et employés mais elles sont fondées principalement sur la notion de l'intégration du travail du travailleur dans l'entreprise du payeur. Ces décisions ont décidé qu'il s'agissait d'un emploi parce que ce travail était essentiel à l'entreprise du payeur. Elles ont cependant été rendues avant la décision de la Cour d'appel fédérale dans Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025, qui a établi les principes relatifs à l'intégration du travail du travailleur dans celui de l'entreprise. Cette décision explique qu'il ne s'agit pas de constater que le travail de l'un ou de l'autre est essentiel à l'entreprise du payeur pour conclure qu'il s'agit d'un employé. Car la réponse serait toujours affirmative. Il faut plutôt déterminer en regard de l'organisation du travail du travailleur et des possibilités de gain ou de perte s'il s'agit d'une entreprise ou d'un emploi.

Conclusion

[26]          Je vais d'abord analyser la preuve en ce qui concerne les circonstances de travail de l'intervenante au bureau local de l'appelante à Trois-Rivières. La preuve n'a aucunement révélé un lien de subordination entre la gérante du bureau et l'intervenante. C'est l'intervenante qui se gérait elle-même. Elle n’a pas fait état qu’elle recevait des instructions de la gérante de bureau. Elle n’a pas relaté qu’elle se rapportait à quiconque pour son travail. L'intervenante avait l'entière charge des services déterminés qu'elle devait rendre. Quand elle avait terminé ses tâches, on ne lui en donnait pas d'autres. On ne lui substituait pas une tâche pour une autre tâche. Quand elle n'était pas sur les lieux, son bureau était fermé à clef. Elle était la seule a y avoir accès. L’image qui ressort de la description du travail quotidien de l'intervenante est qu’elle exerçait son activité de manière autonome. Elle n'était pas sujette aux directives de quiconque au bureau local.

[27]          Était-elle supervisée par quelqu'un du bureau chef de Montréal ? L'intervenante recevait chaque semaine une avance de 400 $ pour ses services qui consistaient à la vente de contrats de publicité. Ce paiement hebdomadaire d'une somme d'argent certaine ainsi que de commissions au taux préétabli provient nécessairement d'une entente entre l'appelante et l'intervenante. Il était donc étrange d'entendre monsieur Auclair dire qu'il n'y avait pas de contrat entre l'appelante et l'intervenante. Il y a une entente. Il s'agit de déterminer s'il s'agit d'un contrat de travail ou d'un contrat d'entreprise.

[28]          L'appelante exigeait de l'intervenante qu'elle remplisse ses rapports d'une certaine manière. Cela ne crée pas un lien de subordination. La grande majorité des consultants doivent se conformer à une certaine forme dans l'établissement de leurs rapports. La manière de s'y prendre pour obtenir les contrats de publicité appartenait à l'appelante. Elle ne recevait aucune directive à cet égard. Elle avait l'entière discrétion quant à son mode opérationnel : ceci incluait les agents immobiliers, les lieux de rencontre et les heures de travail. Elle devait agir dans les limites géographiques qui lui étaient assignées par l'appelante pour ne pas empiéter sur celles des autres conseillers en publicité. Cette restriction est descriptive des paramètres des services à rendre. Elle ne décrit pas la manière de les rendre.

[29]          En ce qui concerne le bureau-chef de l'appelante situé à Montréal, je suis d'avis que la preuve n'a pas révélé que l'appelante exerçait un contrôle d'employeur sur l'intervenante par l'intermédiaire de ce bureau. Je suis aussi d'avis qu'il ne s'agissait pas d'un contrôle qui n'était pas exercé et qui aurait pu être exercé ainsi que l'a suggéré l'avocat de l'intervenante. En d'autres termes, il n'y avait pas de lien de subordination entre l'appelante et l'intervenante.

[30]          Je conclus donc que l'entente intervenue entre l'appelante et l'intervenante était une entente d'entreprise. En conséquence, l'appel de l'appelante est accordé, l'intervention de l'intervenante est rejetée et la décision du ministre est infirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de juin 2000.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.