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Date: 20001017

Dossier: 2000-159-EI; 2000-160-CPP

ENTRE :

DR PATRICIA CHERNESKY ET DR H. CHRISTIANSEN S/N NIPAWIN HEALTH CENTRE,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1]            Dans les appels en l'instance, qui portent sur des décisions du ministre du Revenu national (le « Ministre » ) en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) et du Régime de pensions du Canada (le « RPC » ), la question à trancher est de savoir si, à différents moments en 1997, certains médecins ont été embauchés aux termes d'un contrat de louage de services ou d'un contrat d'entreprise par les appelants, médecins eux aussi. Si les médecins ont été embauchés aux termes d'un contrat de louage de services, les appelants sont tenus d'effectuer des paiements à leur égard conformément à la Loi et au RPC.

[2]            Les docteurs Chernesky et Christiansen exercent la médecine et exploitent un centre médical sous la raison sociale Nipawin Health Centre (le « Centre » ) à Nipawin (Saskatchewan). En tout, 5 000 personnes vivent à Nipawin, et 10 000 autres résident aux alentours. La principale clinique est celle de Nipawin, mais le Centre en compte quatre autres, deux sur des réserves et deux dans des collectivités plus petites à proximité de Nipawin. Outre les appelants, le Centre fait appel aux services d'autres médecins pour répondre aux besoins de sa clientèle. Les appelants et les autres médecins du Centre offrent des services de médecine générale, y compris l'établissement de diagnostics, les traitements et les interventions chirurgicales pratiquées à la salle d'urgence de l'hôpital de district. De plus, les médecins se rendent dans des maisons de soins infirmiers et donnent des consultations à domicile.

[3]            Les médecins dont le statut est au coeur des appels en l'instance sont les docteurs Dino Smiljic, Sunel Sookdeo, Steven Abramson, Stefanus De Nuysschen, Leandra Forman et Paul Forman. (Dans les présents motifs, ils sont parfois désignés par les termes « travailleur » ou « travailleurs » , selon qu'il est question de l'un d'eux en particulier ou d'eux tous à la fois).

[4]            M. Edwin Hobday, directeur administratif de la Saskatchewan Medical Association (SMA), a témoigné pour les appelants. Il a décrit la SMA comme étant une association privée de médecins de la Saskatchewan qui défend les intérêts des médecins. En plus d'offrir des programmes d'éducation à ses membres et de promouvoir la qualité des soins de santé, la SMA est l'agent négociateur des médecins pour la négociation des honoraires avec la province de la Saskatchewan.

[5]            Il existe une pénurie de médecins dans les régions rurales de la Saskatchewan, de même que dans d'autres régions rurales et éloignées du Canada. Le College of Physicians and Surgeons of Saskatchewan (le « Collège » ) détermine la nature du permis d'exercice que doivent détenir les médecins pour pouvoir pratiquer la médecine dans la province. Par exemple, le permis peut être permanent ou temporaire. Selon M. Hobday, un permis temporaire peut être accordé à un médecin dont « les qualifications n'ont pas encore été reconnues aux échelons fédéral et provincial » . Un tel permis sera donné aux médecins de l'étranger qui souhaitent travailler en Saskatchewan durant une période indéterminée. Ces médecins, appelés « remplaçants » aux dires de M. Hobday, exercent un emploi temporaire dans différents contextes où des médecins supplémentaires sont requis. Les remplaçants peuvent travailler dans toutes les régions de la province, mais ils exercent leur profession principalement dans les régions rurales de la Saskatchewan.

[6]            Les travailleurs sont des « remplaçants » .

[7]            Certains remplaçants détiennent un permis d'exercice permanent en Saskatchewan. Toutefois, la plupart d'entre eux ont un permis temporaire. Les remplaçants peuvent « aller d'une collectivité à l'autre » . Leur champ d'activité médicale n'est pas limité; par contre, des limites sont applicables à l'égard des honoraires qu'ils peuvent exiger.

[8]            La Medical Care Insurance Branch (MCIB), du ministère de la Santé de la Saskatchewan, attribue un numéro de facturation uniquement aux médecins ayant un permis d'exercice complet. En temps normal, le médecin établit la facture au nom de la MCIB, et c'est cette dernière qui le paie. Pour pouvoir établir une demande de paiement, le médecin doit avoir un numéro de facturation. Les remplaçants n'en ont pas un en propre. Pour reprendre les mots de M. Hobday, ils « empruntent » ou « utilisent » le numéro de facturation d'un médecin ayant un permis d'exercice complet. On leur attribue un numéro subordonné pour savoir quels services ils ont fournis. Le numéro du médecin ayant un permis d'exercice complet et le numéro subordonné du remplaçant doivent être indiqués sur les demandes de paiement de ce dernier. D'après M. Hobday, ce n'est pas parce qu'un médecin autorise un remplaçant à utiliser son numéro de facturation qu'il « devient du coup responsable du travail du remplaçant » . Il se peut même que le médecin ayant un permis d'exercice complet ne connaisse pas le remplaçant, que ce soit à titre professionnel ou à titre personnel.

[9]            M. Hobday a indiqué que les remplaçants peuvent utiliser les installations hospitalières, et qu'ils doivent à cette fin suivre la même procédure que les médecins ayant un permis d'exercice complet. Chaque district de santé de la Saskatchewan accorde des privilèges de traitement en hôpital; le médecin qui n'a pas de tels privilèges ne peut utiliser les installations de santé du district. L'octroi des privilèges est discrétionnaire, et il peut arriver que des médecins ayant un permis d'exercice complet n'en reçoivent pas. Le même barème d'honoraires est utilisé pour tous les médecins, qu'ils aient un permis d'exercice complet ou qu'ils soient remplaçants.

[10]          En Saskatchewan, les honoraires des médecins sont établis selon la formule de la rémunération à l'acte : on utilise un barème décrivant les services médicaux et précisant les honoraires que peuvent exiger les médecins pour ces services. Pour ceux qui exercent la médecine de groupe, par exemple le Centre, il existe une méthode de facturation fondée sur la clientèle. Une clinique donnée détermine un groupe de médecins et y attribue un nombre donné de patients. Le gouvernement mène des négociations avec le groupe de médecins au sujet des honoraires, qui seront calculés à l'aide d'une formule tenant compte de plusieurs facteurs, dont l'âge et le sexe des patients ainsi que les factures établies dans le passé par les médecins du groupe. La MCIB ne se soucie pas de la manière dont les sommes reçues au titre des honoraires sont distribuées entre les médecins du groupe. Il n'y a que deux cliniques qui ont adopté cette méthode de facturation, a indiqué M. Hobday. L'une d'elles est le Centre.

[11]          Le Centre soumet des factures à la MCIB au titre des honoraires pour services rendus de la même manière qu'un médecin travaillant seul. M. Hobday a parlé de « facturation de pure forme » , les factures établies au titre des honoraires n'étant pas traitées par la MCIB. Ainsi que l'a expliqué le docteur Chernesky, puisque le Centre effectuait sa facturation en fonction de la clientèle, les factures proprement dites étaient en quelque sorte mixtes — fondées en partie sur la clientèle et en partie sur les honoraires au titre des services. On obtient ainsi des factures « de pure forme » servant au calcul des paiements aux travailleurs.

[12]          Chaque travailleur recevait les deux tiers des honoraires facturés à la MCIB au titre des services qu'il avait fournis; les appelants conservaient le reste pour acquitter les coûts reliés au Centre, par exemple le salaire du personnel de soutien et des infirmières ainsi que le coût de l'équipement.

[13]          L'avocat des appelants a examiné avec M. Hobday les hypothèses sur lesquelles s'est fondé le Ministre pour conclure que les travailleurs étaient des employés du Centre. Le Ministre a supposé entre autres que les travailleurs étaient en service de garde par roulement sur une période de 24 heures, et que les appelants « planifiaient les rendez-vous et établissaient l'horaire des disponibilités en consultation avec les travailleurs » . M. Hobday a expliqué que tout médecin en Saskatchewan est tenu d'être « disponible » à compter du moment où il établit un rapport avec un patient. Le médecin doit veiller à ce que ses patients puissent recevoir des soins médicaux à toute heure du jour, que ces soins soient dispensés par lui-même ou par un autre médecin. Cette responsabilité est partagée entre tous les médecins. M. Hobday a ajouté que les cliniques elles-mêmes assurent un roulement entre leurs médecins et ceux d'autres cliniques dans le but de s'acquitter de cette obligation. En d'autres termes, ainsi que l'expliquait M. Hobday, un médecin doit prendre les arrangements nécessaires afin de se tenir en tout temps à la disposition de ses patients, ce qui veut dire que, à défaut de coopérer avec d'autres médecins, il est en service à toute heure du jour, tous les jours.

[14]          Le Ministre s'est également fondé sur l'hypothèse que le travail des travailleurs « faisait l'objet d'une surveillance, portant sur le respect de l'éthique médicale dans le cadre des soins dispensés aux patients, sur la tenue de livres et sur la facturation » . M. Hobday a déclaré que les médecins sont responsables à titre personnel de la qualité des soins dispensés. La surveillance est la même à l'égard du travail d'un remplaçant et de celui d'un médecin ayant un permis d'exercice complet. M. Hobday a dit en outre que le Collège établit les normes de surveillance et effectue des inspections sur place afin d'en assurer la bonne application.

[15]          Le docteur Chernesky a recruté les travailleurs à l'étranger parce que le Centre n'avait pas assez de médecins pour servir sa clientèle. Le docteur a déclaré que les diplômés des écoles de médecine locales préfèrent travailler en milieu urbain. Les appelants fournissent aux remplaçants éventuels une lettre d'emploi pour qu'ils puissent obtenir un visa afin de venir travailler au Canada. Les appelants garantissent aux remplaçants éventuels un revenu mensuel minimum de 8 000 $ lors des quatre premiers mois où ils travaillent au Centre. Elle a indiqué que, après cette période, les remplaçants gagnent « presque toujours » plus. Dans plusieurs cas, les appelants offrent une indemnité de logement aux remplaçants.

[16]          Les remplaçants se bâtissent une clientèle de la même manière pour l'essentiel que les médecins ayant un permis d'exercice complet. Par exemple, un patient traité par un remplaçant qui est de garde demandera habituellement à consulter ce dernier lors de la visite de suivi.

[17]          Le docteur Chernesky a indiqué à la Cour qu'un système d'horaire variable était utilisé au Centre. Ce dernier est ouvert de 8 h à 17 h 30. Le docteur dit que cet horaire constitue un cadre proposé, à l'intérieur duquel la plupart des patients sont en mesure de consulter les médecins. Les horaires de travail étaient établis en consultation avec tous les médecins du Centre, y compris les travailleurs. Chaque médecin décidait de la période durant laquelle il voulait travailler. Les travailleurs n'étaient pas tenus de se rendre dans les cliniques satellites; le choix leur appartenait. Selon le docteur Chernesky, si un médecin, y compris un remplaçant, voulait s'absenter, il disait à la réceptionniste du Centre de ne pas donner de rendez-vous à des patients pour la période pertinente. Les médecins s'arrangeaient entre eux pour combler les absences durant leurs périodes de disponibilité.

[18]          Aucun contrat écrit n'avait été signé entre les travailleurs et le Centre. Les travailleurs ne s'engageaient pas à demeurer à l'emploi du Centre pour une période donnée. Le docteur Chernesky espérait qu'ils restent « un certain temps » . Elle a dit se souvenir de remplaçants qui avaient travaillé pour le Centre deux semaines à peine, mais elle a ajouté que certains restent des mois, une année entière ou plus. Il demeure que les remplaçants peuvent rester ou partir à leur guise.

[19]          Selon le docteur Chernesky, les travailleurs pouvaient exercer un contrôle sur leur niveau de revenu. Ils pouvaient choisir leur période de travail et indiquer le nombre d'heures de travail qu'ils désiraient. Le revenu des travailleurs était fonction de leurs décisions ainsi que de leur capacité d'entretenir de bonnes relations avec leurs patients. Un patient qui n'aimait pas l'attitude d'un travailleur était un patient de moins pour ce dernier. Les patients étaient libres de choisir leur médecin. De plus, un travailleur au moins faisait de la publicité pour ses services.

[20]          Lors de l'interrogatoire principal, le docteur Chernesky a passé en revue le statut des travailleurs :

le docteur Sookdeo n'avait pas de numéro de facturation de la MCIB en 1997, mais il en a obtenu un en 1998. En 1997, il n'avait pas un permis d'exercice complet, et il utilisait le numéro de facturation du docteur Christiansen;

le docteur Abramson et les docteurs Leandra et Paul Forman utilisaient eux aussi le numéro du docteur Christiansen en 1997;

le docteur Smiljic avait un permis d'exercice complet en 1997, et il possédait son propre numéro de facturation de la MCIB. Il n'était pas un remplaçant.

[21]          Le docteur Chernesky a expliqué que, lors de la facturation d'un service à la MCIB, le nom du patient, le service et les honoraires sont précisés. La MCIB fait un paiement au Centre.

[22]          Le docteur Chernesky a dit que, avant que les travailleurs commencent à travailler au Centre, elle leur donnait des lignes directrices concernant le nombre d'heures de travail attendues des médecins au Centre, l'équipement dont ils devaient disposer et d'autres questions connexes.

[23]          Le docteur Chernesky a déclaré que les travailleurs fournissaient leur stéthoscope et leur veste de laboratoire. Ils devaient également disposer d'une automobile s'ils choisissaient de se rendre aux cliniques satellites. Elle a précisé que les frais du Centre et des médecins ne sont pas facturés à la MCIB. La documentation de référence médicale, l'assurance responsabilité professionnelle, les frais d'automobile et les autres frais professionnels sont également à la charge des travailleurs. Les médecins, y compris les travailleurs, acquittent leurs propres frais.

[24]          Les médecins recevaient 50 $ chaque fois qu'ils se rendaient sur les réserves; par contre, lorsqu'ils allaient aux cliniques faisant partie du Centre, les travailleurs et les autres médecins n'avaient droit à aucun montant. Le Centre présentait des factures à la MCIB au titre des patients sur les réserves.

[25]          Lorsque Revenu Canada a commencé à se pencher sur la question de savoir si les appelants étaient tenus de verser les cotisations prévues par la Loi et par le RPC, un questionnaire a été envoyé au docteur Chernesky. On demandait notamment si le Centre s'attendait à ce que les travailleurs travaillent exclusivement pour lui. Selon la réponse du docteur Chernesky, « l'horaire des travailleurs sera si chargé qu'il est peu probable que ceux-ci concluent d'autres contrats » . Elle a toutefois mentionné que certains remplaçants avaient travaillé en salle d'urgence ailleurs et qu'ils avaient été rétribués à titre personnel pour ce travail.

[26]          Le docteur Chernesky a également indiqué que les travailleurs ne recevaient pas d'avantages sociaux. « Nous ne nous soucions pas de questions comme les retenues à la source, la rémunération de vacances, le temps supplémentaire, les avantages sociaux et les normes de travail. » À ses yeux, les employés du Centre étaient la réceptionniste, la dactylo, les techniciens de laboratoire, les infirmières, le personnel de bureau, le responsable de l'administration du bureau et les concierges, non les remplaçants. Elle a reconnu que, suivant l'avis de Revenu Canada, le Centre a fait des retenues, au taux de 15 p. 100, sur la rémunération des travailleurs qui étaient non-résidents du Canada, soit les docteurs Paul et Leandra Forman, le docteur Sookdeo, le docteur Abramson et le docteur De Nysschen.

[27]          Le docteur Chernesky a dit que, lorsqu'un remplaçant quitte le Centre, ce dernier conserve ses dossiers. Elle considère que ces dossiers appartiennent au Centre. De plus, le médecin qui quitte le Centre ne reçoit pas d'indemnité de vacances ou de départ ni aucun avantage de ce genre.

[28]          Elle a admis que les appelants pouvaient réaliser un profit à l'égard des services rendus par les travailleurs. Si les services facturés par un travailleur s'élevaient à 18 000 $ et que celui-ci en conservait 12 000 $, le Centre pouvait réaliser un profit, une fois déduites ses dépenses, sur les 6 000 $ qui lui revenaient, mais ce ne serait pas énorme. Elle doutait que le Centre ait jamais gagné de l'argent grâce à un remplaçant.

[29]          Selon l'intimé, les travailleurs étaient bel et bien les employés des appelants. L'avocate de l'intimé a soutenu que, étant donné que l'on garantissait un revenu mensuel de 8 000 $ aux travailleurs, ceux-ci ne risquaient pas de subir une perte si le montant brut facturé était inférieur à 12 000 $. Cela est peut-être vrai, mais ce revenu n'était garanti que pour les quatre premiers mois passés par les travailleurs au Centre. De plus, durant cette période, les travailleurs pouvaient gagner un revenu mensuel plus élevé, surtout dans les derniers mois, s'ils étaient disposés à y mettre le temps et l'effort.

[30]          L'avocate de l'intimé a soutenu également que l'examen des faits se rapportant aux appels en l'instance à la lumière des quatre éléments composant le critère élaboré par le juge MacGuigan de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Wiebe Door Services c. M.R.N.[1] (contrôle, propriété des instruments de travail, chances de bénéfice et risques de perte, intégration) corrobore la thèse de l'intimé selon laquelle les travailleurs étaient les employés des appelants. Elle a déclaré que les travailleurs faisaient partie intégrante d'une entreprise entièrement fonctionnelle exploitée par ses propriétaires, les appelants. Tous les membres du personnel du Centre sont payés par les appelants, et les travailleurs étaient à l'emploi des appelants, sans plus. Les appelants versent le salaire de tout le personnel du Centre, sont propriétaires de tout l'équipement, établissent et appliquent toutes les politiques administratives du Centre.

[31]          L'avocate de l'intimé a prétendu que les faits relatifs aux appels en l'instance sont semblables à ceux examinés dans l'affaire Mirchandani c. M.R.N.[2], décision rendue par le juge Beaubier. Dans cette affaire, des psychiatres contractuels étaient embauchés afin de travailler dans des cliniques exploitées par les districts de santé de la Saskatchewan. Les psychiatres travaillaient dans des conditions similaires pour ce qui est des horaires de travail, de la prestation de leurs services dans les cliniques, des services de garde à l'hôpital et de la disponibilité; le degré de contrôle dont ils faisaient l'objet de la part du payeur était réduit, tout comme dans les appels en l'instance. Le payeur fournissait tous les instruments de travail et l'équipement, sans oublier les services du personnel de la clinique, tandis que les districts de santé faisaient de même dans les hôpitaux. Les psychiatres devaient acquitter le coût de leur véhicule et de l'assurance contre la faute professionnelle, et ils n'avaient pas droit à des avantages sociaux. La méthode de rémunération n'était pas la même que dans les appels en l'instance : plutôt que d'avoir un salaire minimum garanti, les psychiatres étaient payés par périodes de facturation de quatre heures, et le nombre de périodes de facturation variait passablement d'un psychiatre à l'autre. Le juge Beaubier a jugé que les psychiatres étaient des employés :

Si un patient ou un autre membre de la collectivité examine objectivement la situation des psychiatres, ces derniers, lorsqu'ils travaillaient conformément à leurs contrats de rémunération à la séance, paraissaient être employés dans le cadre de l'entreprise de la clinique et leur travail paraissait faire partie intégrante de cette entreprise. Les psychiatres ne fournissaient pas alors leurs services comme des personnes qui étaient dans les affaires à leur compte, mais le faisaient à titre de membres du personnel des cliniques qui étaient leurs payeurs. Par conséquent, les appels sont rejetés.[3]

[32]          Je dois établir si, nonobstant le fait que l'entreprise exploitée au Centre soit celle des appelants, on peut dire également que chacun des travailleurs exploite lui aussi une entreprise. Par exemple, dans l'affaire Alexander c. M.R.N.[4], un médecin exerçait toutes ses activités dans un hôpital, sauf lorsqu'il remplaçait des associés pendant leurs vacances, ceux-ci lui rendant la pareille. Il n'avait pas de clientèle privée, compte tenu de son domaine de spécialisation, ce qui signifie essentiellement que les consultations avec les patients avaient normalement lieu à l'hôpital. Il était payé par l'hôpital en fonction des services professionnels rendus, moins une retenue de 5 p. 100 au titre des comptes non perçus. De plus, le médecin était à la tête du département de radiologie de l'hôpital, poste qui lui imposait beaucoup de travail d'ordre administratif. Le juge Jackett a conclu que ce médecin exerçait dans le cadre d'un contrat d'entreprise, et qu'il pouvait déduire les frais engagés dans le but de gagner un revenu. Il exploitait sa propre entreprise. À l'opposé, dans l'affaire Boardman c. La Reine[5], un psychiatre avait convenu avec le gouvernement de l'Alberta d'offrir des services psychiatriques aux termes de ce que l'on présentait comme un contrat d'entreprise. La Cour a jugé toutefois qu'il s'agissait d'une relation employeur-employé. Elle a examiné les modalités du contrat proprement dit, qui contenait bon nombre de stipulations similaires à celles applicables à d'autres employés du gouvernement de l'Alberta, entre autres les congés, les congés de maladie, les restrictions et droits en matière d'exercice privé, les retenues à la source aux fins de l'impôt, les indemnités de subsistance et de déplacement ainsi que le versement d'une rémunération mensuelle fixe.

[33]          Dans les appels en l'instance, contrairement à ce que l'on observe dans l'affaire Mirchandani, précitée, le tiers des honoraires facturés par les travailleurs était utilisé pour payer les frais de la clinique. Dans les faits, les travailleurs participent au paiement des frais d'exploitation du Centre. Dans l'affaire Mirchandani, les psychiatres recevaient une rémunération fixe par période de facturation de quatre heures, et ce, peu importe que les patients se soient présentés à la séance ou non. Dans le cas présent, le salaire des travailleurs était calculé selon le principe de la rémunération à l'acte : si le patient ne se présentait pas à son rendez-vous, le travailleur n'était pas payé.

[34]          L'avocate de l'intimé a également fait mention de l'affaire Hauser v. M.N.R.[6], dans laquelle on a conclu qu'un pathologiste travaillant dans un hôpital était un employé. L’un des critères utilisés par la Commission de révision de l’impôt est celui de la réalité économique. La Commission comparait les paramètres économiques des activités professionnelles des appelants et celles des praticiens d'exercice privé ayant leur propre laboratoire; elle a conclu que ces derniers s'exposent à un risque au titre du financement de l'équipement et de l'aide requise pour administrer et faire fonctionner le laboratoire, et qu'ils doivent compter sur une clientèle assez vaste pour garantir leur viabilité. Au contraire, le docteur Hauser utilisait l'équipement et les fournitures mis à sa disposition par l'hôpital, et il n'avait pas à embaucher d'employés puisqu'il pouvait obtenir de l'aide du personnel de l'hôpital. Il n'avait pas à faire d'efforts pour se constituer une clientèle. En son absence, c'était l'hôpital, et non lui, qui payait le salaire de son suppléant. L'intimé déclare que ces faits sont identiques à ceux des appels en l'instance. Je ne suis pas d'accord. Ainsi que je l'ai déjà indiqué, les travailleurs versaient le tiers de leurs honoraires bruts au Centre, qui, selon la preuve, affectait cet argent au salaire des employés, à l'achat d'équipement et, de façon générale, aux activités de la clinique. De plus, les travailleurs doivent se constituer une clientèle. Je tiens à répéter que leur revenu n'est garanti que pour les quatre premiers mois où ils travaillent pour le Centre. Il leur faut ensuite trouver des patients, sinon ils n'ont pas de revenu. Le fait que les travailleurs qui veulent prendre des vacances n'aient pas à embaucher ni à payer de suppléant ne change rien à leur statut selon moi. Un autre médecin du Centre s'occupe de leurs patients et est rémunéré en conséquence. Rien dans la preuve qui m'a été soumise n'indique que le docteur Chernesky ou le docteur Christiansen eux-mêmes auraient à payer un suppléant s'ils prenaient des vacances.

[35]          Dans l'affaire Wiebe Door, précitée, le juge MacGuigan a déclaré qu'il ne faut pas se fonder sur un seul élément d'une relation pour déterminer s'il s'agit d'une relation commettant-préposé. Il faut examiner les quatre critères pertinents : la propriété des instruments de travail; les chances de bénéfice et les risques de perte; le contrôle; et l'intégration. Selon lui, il faut se garder de tenir compte d'un élément en particulier, mais plutôt considérer l'ensemble des éléments qui caractérisent la relation. Dans l'affaire Hennick c. Canada[7], la Cour d'appel fédérale a confirmé qu'il est nécessaire d'examiner la relation entre les parties dans sa globalité.

[36]          Dans les appels en l'instance, l'entreprise est celle des appelants, et les travailleurs sont embauchés dans le but de soutenir ses activités. Ordinairement, les remplaçants travaillent sur une base temporaire à différents endroits, et ils n'ont de toute évidence aucun intérêt à long terme dans la réussite d'une entreprise.

[37]          La notion de contrôle est difficile à cerner dans les appels en l'instance. Rien n'indique que les appelants aient exercé une forme de contrôle donnant à penser qu'il existe une relation commettant-préposé, c'est-à-dire employeur-employé. Les codes vestimentaires et les procédures administratives sont une réalité dans de nombreux contextes professionnels et ne sont pas en soi l'indication d'un fort degré de contrôle, voire de quelque contrôle que ce soit. Il est sans doute vrai qu'un patient souhaitant porter plainte contre un travailleur devrait le faire par l'entremise des appelants, et que ceux-ci, selon toute probabilité, discuteraient de la chose avec le travailleur concerné. Ce dernier pourrait ensuite tenter de trouver une solution au problème, à défaut de quoi il perdrait le patient. Il ne s'agit pas là de l'exercice d'un contrôle. De fait, le risque pour le travailleur de perdre un patient donne à penser qu'il existe un risque de perte de revenu.

[38]          Ainsi que cela a été mentionné, les travailleurs étaient exposés à un risque de perte, et ils avaient des chances de bénéfice. Le revenu mensuel de 8 000 $ n'est garanti aux travailleurs que pendant quatre mois. Après quoi, leur revenu ne dépend plus que d'eux.

[39]          Concernant les instruments de travail, il est parfaitement clair que certains appartiennent aux travailleurs et que d'autres, dont une partie de l'équipement lourd, appartiennent aux appelants et sont utilisés par les travailleurs. Toutefois, ici encore, le versement aux appelants du tiers des honoraires des travailleurs confère à ces derniers le droit d'utilisation de cet équipement. Il demeure que cet élément n'est pas particulièrement déterminant au regard de la relation entre les appelants et les travailleurs.

[40]          Lorsqu'on situe les faits en l'instance dans leur contexte économique, on voit que les travailleurs exploitent une entreprise de leur propre chef. Ils établissent des rapports avec leurs patients. Une fois écoulés les quatre premiers mois, le revenu qu'ils gagnent dépend entièrement d'eux. Ils participent aux activités de l'entreprise des appelants, mais ils sont les seuls responsables de leur réussite (ou de leur échec). Ils exploitent leur propre entreprise de concert avec l'entreprise des appelants.

[41]          Les travailleurs étaient embauchés par les appelants aux termes d'un contrat d'entreprise.

[42]          Par conséquent, les travailleurs n'exerçaient pas un emploi assurable au sens du paragraphe 5(1) de la Loi ni un emploi ouvrant droit à pension au sens de l'alinéa 6(1)a) du RPC. Les appels sont accueillis.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d'octobre 2000.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 26e jour d'avril 2001.

Mario Lagacé, réviseur



[1]            (1986) 3 C.F. 553.

[2]            [2000] A.C.I. no 283.

[3]           Affaire Mirchandani, précitée, par. 8.

[4]            70 DTC 6006 (C. de l’É.).

[5]            [1979] 2 C.F. 422 (79 DTC) 5110.

[6]            [1978] C.T.C. 2728.

[7]           [1995] A.C.F. no 294.

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