Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20000615

Dossier: 1999-3452-IT-I

ENTRE :

SEWPERSAUD LATCHMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance sont interjetés par Sewpersaud Latchman à l'encontre de cotisations d'impôt sur le revenu établies pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997. L'appelant a interjeté les appels sous le régime de la procédure informelle prévue à l'article 18 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.

[2] Dans le calcul de son revenu pour les années en question, l'appelant a déduit des pertes locatives de 13 018 $, 14 581 $ et 15 301 $ respectivement relativement à une propriété sise au 32, Drayton Crescent, Brampton. Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi une cotisation dans laquelle il a refusé la déduction de ces pertes pour le motif que l'appelant ne pouvait raisonnablement s'attendre à tirer un profit de la location de la propriété et que les pertes se rapportaient à des frais personnels ou de subsistance de l'appelant au sens des alinéas 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi).

[3] Au mois de mars 1989, l'appelant, son frère Vidia Latchman (Vidia) et son épouse ont acheté au 32, Drayton Crescent, à Brampton, une maison unifamiliale qu'ils ont payée 215 000 $. L'achat a été financé au moyen d'une hypothèque de premier rang de 155 000 $, dont le taux d'intérêt était de 12,5 %. L'appelant et son épouse détenaient une participation de deux tiers tandis que Vidia était propriétaire du reste. Au moment de l'achat, la propriété était une maison de plain-pied de trois chambres à coucher dont le sous-sol n'était pas aménagé. Pendant toutes les périodes pertinentes, c'était la résidence principale de l'appelant et de sa famille. Quelque temps après l'acquisition, l'appelant a entrepris d'aménager au sous-sol trois chambres à coucher, une cuisine et une salle de bain, dont la construction a été achevée en 1991. En 1990, juste avant la fin des travaux, la mère et le beau-père de l'appelant ainsi que deux beaux-frères ont emménagé au sous-sol.

[4] L'appelant soutient qu'il a réclamé à sa belle-famille un loyer de 100 $ par semaine jusqu'au mois d'août 1995, lorsque, par suite d'une dispute, son épouse, leurs trois enfants et toute la belle-famille ont quitté les lieux. Quelque temps après, le frère de l'appelant, Vidia, et sa famille, se sont installés au sous-sol de la maison et, d'après l'appelant, ont payé un loyer de 100 $ par semaine jusqu'à ce que cette “ location ” prenne fin le 31 décembre de la même année. L'appelant affirme qu'en 1996 le sous-sol a été loué à un ami. Des revenus de location bruts de 5 200 $ et de 6 400 $ ont été déclarés par lui en 1996 et 1997 respectivement. Si le témoignage de l'appelant n'est pas parfaitement clair, il semble cependant que plusieurs locataires ont occupé le sous-sol au cours de cette période.

[5] De 1992 à la fin de la dernière année d'imposition en cause, l'appelant a déduit les pertes locatives et déclaré le revenu de location suivants :

Année

Revenu brut

Perte

1992

6 000 $

( 6 621 $)

1993

6 000 $

( 8 873 $)

1994

5 200 $

( 6 507 $)

1995

5 200 $

(13 108 $)

1996

5 200 $

(14 518 $)

1997

6 400 $

(15 301 $)

Pour les années d'imposition en litige, le revenu de location, les dépenses et les pertes locatives nettes sont exposés à l'annexe A de la réponse à l'avis d'appel[1].

[6] En 1995, l'appelant a obtenu des autorités municipales la permission d'ajouter deux étages à la propriété à des fins, selon ses dires, de location. Il a donc obtenu un prêt de 50 000 $ de la banque et il a entrepris les travaux de construction l'automne de la même année. L'ajout n'a été complété qu'au cours de l'année 1998 et, d'après l'appelant, a accru la superficie de la résidence de 1 000 pieds carrés environ. L'appelant soutient que ces faits confirment sa thèse selon laquelle il exploitait en tout temps une entreprise de location viable qui était et continuera d'être exploitée en vue, certainement, de tirer des bénéfices dans un avenir prévisible.

[7] Pour obtenir gain de cause, l'appelant doit démontrer que les dépenses en litige ont été effectuées en vue de tirer un revenu d'un bien. Le paragraphe 9(1) de la Loi définit la notion de revenu d'entreprise en termes de bénéfice alors que l'alinéa 18(1)a) de la Loi assujettit la déduction des dépenses à des restrictions particulières. Plus particulièrement, il interdit la déduction de dépenses, sauf dans la mesure où elles sont engagées ou effectuées en vue de tirer un revenu. L'alinéa 18(1)h) limite expressément la déductibilité des frais personnels ou de subsistance, qui, suivant la définition qui en est donnée au paragraphe 248(1) de la Loi, excluent les dépenses inhérentes à un bien, à moins que celui-ci soit entretenu dans le but ou avec l'espoir raisonnable de tirer un profit de l'exploitation d'une entreprise.

[8] Dans l'affaire Moldowan c. La Reine[2], le juge Dickson (tel était alors son titre) a proposé les critères suivants pour déterminer s'il existait une attente raisonnable de profit :

Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s'en dégage aucune constante. A mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants: l'état des profits et pertes pour les années antérieurs, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l'importance de l'entreprise: La Reine c. Matthews. Personne ne peut s'attendre à ce qu'un fermier qui achète une affaire déjà productive subisse au départ les mêmes pertes que celui qui met sur pied une exploitation forestière sur un terrain vierge.

[9] Le représentant de l'appelant a fait valoir qu'en l'espèce son client ne tirait aucun avantage personnel puisqu'il ne fournissait pas un logement à ses parents en retour d'une aide aux fins des paiements hypothécaires ou en contrepartie d'un loyer réduit. Pour accepter cette observation, il faudrait que la Cour fasse fi du fait que l'appelant a acheté la propriété dans l'intention de l'occuper et qu'il l'a en fait occupée pendant toutes les périodes pertinentes comme résidence familiale principale. Il est tout aussi difficile d'accepter sa prétention qu'aucun élément personnel n'a motivé la construction et l'occupation subséquente du sous-sol par sa belle-famille et, plus tard, par son frère.

[10] S'il n'appartient pas à la Cour de mettre en doute le sens des affaires d'un contribuable ou d'y substituer le sien, lorsque les circonstances donnent fortement à entendre qu'une motivation personnelle existait et que l'attente de profit était si déraisonnable qu'on ne peut que la mettre en doute, il incombe au contribuable de démontrer qu'il existe des indices suffisants de commercialité pour justifier la conclusion selon laquelle une véritable entreprise était exploitée. Le témoignage de l'appelant concernant ses projets et les dispositions qu'il a prises ne constituent pas de tels indices. Il y a absence de preuve convaincante à de nombreux égards, par exemple, en ce qui concerne la capacité de l'appelant de rembourser une partie importante de l'emprunt effectué pour acquérir la propriété et pour construire les ajouts ainsi que la question de savoir si le loyer demandé à la belle-famille, au frère et ensuite à un ami et à d'autres personnes correspondait au taux de marché. De plus, les revenus de location dans les années d'imposition en cause couvraient à peine la moitié des frais fixes et, pendant toutes les années en question, représentaient moins de la moitié de l'intérêt payable sur les fonds empruntés. À mon avis, les dépenses substantielles et les pertes qui en ont découlé, si on les compare aux revenus bruts, ne concordent pas avec ce à quoi l'on pourrait raisonnablement s'attendre d'une entreprise.

[11] Tout bien considéré, je suis convaincu que, au cours des années d'imposition en cause, l'appelant n'exploitait pas une entreprise commerciale et son attente de profit était déraisonnable dans les circonstances. Par conséquent, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de juin 2000.

“ A. A. Sarchuk ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de novembre 2000.

Benoît Charron, réviseur

Annexe A de

réponse à l'avis d'appel

de Sewpersaud Latchman

Revenu de location et dépenses

1995

1996

1997

Revenu de location

5 200.00 $

5 200.00 $

6 400.00 $

Assurance

386,00 $

386,56 $

386,59 $

Intérêt

11 962,16

11 659,34

11 597,64

Frais juridiques et comptables

300,00

300,00

300,00

Taxes foncières

3 164,92

3 462,15

4 256,94

Services publics

3 462,15

3 462,15

3 482,67

Câble

465,00

465,00

465,00

Total des frais de location

36 616,73 $

32 969,89 $

36 168,37 $

Moins : portion personnelle

18 308,37

13 187,96

14 467,35

Frais de location nets

18 308,36

19 781,93

21 701,02

Pertes locatives nettes

(13 108,36)

(14 581,93)

(15 301,02)



[1]           Voir l'annexe jointe aux présentes.

[2]               [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213).

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