Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20000525

Dossier: 97-991-IT-I

ENTRE :

BERT TARINI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Ottawa (Ontario) le 3 mars 1998)

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance porte sur l'année d'imposition 1991. Au cours de l'année en question, l'appelant a quitté la ville de Kingston (Ontario) pour aller vivre à Ottawa en raison de son emploi; son employeur lui a alors versé un montant d'argent. Lorsqu'il a établi une cotisation d'impôt sur le revenu pour 1991, le ministre du Revenu national a inclus le montant dans le revenu de l'appelant. Ce dernier a interjeté appel de la cotisation, faisant valoir que le montant en question n'était pas un revenu. Il a choisi la procédure informelle.

[2] L'audition du présent appel a été retardée parce que, dans l'intervalle (entre 1991 et 1997), la Cour canadienne de l'impôt et la Cour d'appel fédérale se sont prononcées sur un nombre considérable d'affaires portant sur des questions et mettant en cause des situations factuelles semblables, où le contribuable soit avait dû déménager en raison de son travail sans quoi il aurait perdu son emploi, soit avait volontairement déménagé. Dans chaque cas, l'employé avait reçu de son employeur un paiement quelconque, et la question était de savoir si le montant reçu relativement au déménagement était imposable. La Cour d'appel fédérale a rendu au cours des dernières années deux décisions importantes qui ont clarifié cette question.

[3] L'appelant est un employé du ministère des Transports de l'Ontario. En 1990, alors qu'il travaillait à Kingston, il a demandé une mutation pour occuper un type d'emploi différent à Ottawa. Ayant obtenu le poste en question au terme d'un concours, l'appelant a dû déménager à Ottawa. À ce moment-là, lui et son épouse étaient propriétaires à Kingston d'une maison libre de toute hypothèque. Avant de déménager à Ottawa, ils ont vendu leur maison à Kingston, puis ils ont acheté une maison neuve dans la région d'Ottawa. Par suite de ces opérations, l'appelant a reçu du ministère des Transports de l'Ontario un paiement que je décrirai plus loin.

[4] En 1990, l'appelant, son épouse et leur famille vivaient dans une maison située au centre-ville de Kingston. Sise sur un lot d'une superficie de 55 pieds sur 132 pieds environ, elle avait une superficie de 1 800 pieds carrés approximativement. Elle a été vendue environ 189 000 $ vers la fin de 1989. L'appelant et sa famille ont déménagé à Ottawa et ont décidé de s'installer à Manotick, une collectivité située à environ 20 kilomètres au sud d'Ottawa. L'appelant et son épouse ont acheté une maison, qu'ils ont payée 275 000 $, sur un lot d'environ un quart d'acre. L'emplacement des deux habitations était donc très différent car, à Kingston, la maison était située au centre-ville alors que, à Manotick, la maison était située à l'extérieur de la banlieue d'Ottawa.

[5] À ce moment-là, il existait, pour les employés du gouvernement provincial et plus particulièrement pour les employés du ministère des Transports, une politique permettant le paiement d'un certain montant à un employé dans le cas d'un déménagement de ce genre. Cette politique est décrite aux pièces A-1 et R-1. La pièce A-1 est une directive ministérielle intitulée “ Frais de réinstallation, Programme de réinstallation amélioré ”, datée du 13 décembre 1990 bien qu'elle soit entrée en vigueur le 6 décembre 1989. La directive contient une description du type de paiement qu'un employé peut toucher.

[6] La pièce R-1, intitulée “ Frais de réinstallation : Guide du gestionnaire ”, a été produite par un témoin de l'intimée, Frieda Ménard, une employée du ministère des Transports de l'Ontario. Elle est coordinatrice des services aux employés à la direction des ressources humaines, et elle est au fait de l'application de la politique en cause aux employés. La pièce R-1 contient les paragraphes suivants qui, à mon avis, ont une incidence sur l'issue de l'appel en l'instance. Sous le titre “ Programme de réinstallation amélioré ”, on peut lire ceci :

[TRADUCTION]

Le Programme de réinstallation amélioré a été créé en 1984 (révisé en 1989) dans le but d'aider les ministères à recruter du personnel dans les grandes régions urbaines où le coût du logement est élevé. Le programme est appliqué à la seule discrétion du sous-ministre et repose sur l'écart entre les coûts du logement. Le programme n'a pas pour objet de rembourser le coût total de réinstallation dans une région où le coût de la vie est plus élevé. Il vise plutôt à attirer les ressources humaines nécessaires dans les régions où le coût de la vie est plus élevé en atténuant l'impact de la réinstallation.

Sous le titre “ Montant de l'aide ”, on peut lire ceci à la pièce R-1 :

[TRADUCTION]

Le montant de l'aide financière fournie pour une réinstallation, qui ne peut être supérieur au montant maximal permis, est déterminé au terme de négociations entre le sous-ministre et l'employé. Les négociations doivent commencer pendant le processus de recrutement, une fois que le sous-ministre a décidé que l'aide doit être offerte.

L'aide négociée doit être basée sur la différence entre les coûts réels du logement dans la nouvelle région et ceux en vigueur dans l'ancienne région, que l'employé loue le logement en question ou qu'il en soit propriétaire, ou, de façon plus appropriée, entre les coûts réels et la valeur d'un logement “ comparable ”. Le terme “ comparable ” englobe la superficie, le type et l'emplacement du logement.

Selon la preuve, l'appelant étant propriétaire à Kingston d'une maison qu'il a vendue pour en acheter une autre à Ottawa, l'employeur a décidé d'appliquer la politique en question et s'est fondé sur le coût d'un logement comparable à Ottawa.

[7] La pièce A-2 est un rapport dressé pour l'appelant par Immeubles Canada Trust Inc. au 9 janvier 1991 à l'intention du ministère des Transports et des Communications concernant une étude comparative du coût du logement à Kingston et à Ottawa. Brièvement, le rapport indique que, la maison de Kingston ayant été vendue 189 875 $, Canada Trust a déterminé que le coût d'une habitation comparable à Ottawa serait de 220 000 $. Par conséquent, selon le rapport, l'écart entre le coût du logement était de 30 125 $ et le taux d'intérêt préférentiel au 17 octobre 1990 était de 13,75 %.

[8] Selon le témoignage de l'épouse de l'appelant, lequel témoignage a été confirmé par Mme Ménard, le taux d'intérêt préférentiel de 13,75 % (ou le taux préférentiel plus 1 %) a été appliqué au montant de 30 125 $ pour fixer le montant de l'allocation de réinstallation améliorée. Ce montant a ensuite été réduit de 20 p. 100 pour que, sur une période de cinq ans, l'allocation soit ramenée à zéro. Par conséquent, le montant versé la première année se situerait autour de 4 160 $ (13,75 % de 30 125 $), et il serait réduit de 20 p. 100 annuellement sur une période de cinq ans.

[9] La pièce R-1 contient une disposition aux termes de laquelle, plutôt que de recevoir le montant annuel sur une période de cinq ans et de le réduire de 20 p. 100 chaque année, l'employé pouvait, la première année, opter pour une somme globale équivalant à la valeur actuelle des cinq montants annuels. La nature de ce “ versement global ” est résumée à la page 2 de la pièce R-1 dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Le versement global équivaudrait à la valeur actuelle de l'aide totale qui serait accordée sur une période de cinq ans. Le calcul peut être effectué au moyen des tableaux de la valeur actuelle et du taux d'intérêt préférentiel offert par les banques. [...]

L'appelant a opté pour le versement d'une somme globale fondée sur le taux d'intérêt préférentiel déterminé par Canada Trust. Il a touché 11 313 $ en 1991, montant que le ministre a ajouté à son revenu déclaré pour l'année d'imposition 1991.

[10] L'appelant soutient que le montant ne devrait pas être inclus dans le calcul de son revenu pour les motifs (i) qu'il a déménagé du fait de son travail, (ii) qu'il a engagé des frais de logement supplémentaires, et (iii) que ce montant de 11 313 $ était un remboursement du coût initial du logement. L'appelant a passé en revue certaines parties de la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt La Reine c. William R. Phillips, [1994] 2 C.F. 680 (94 DTC 6177). Cet arrêt est cependant préjudiciable à l'appelant car la Cour fédérale y a décidé qu'un montant de nature semblable reçu par M. Phillips était imposable.

[11] L'avocate de l'intimée m'a reporté à la décision de la Cour d'appel fédérale dans un groupe de cinq affaires, La Reine c. Hoefele, [1996] 1 C.F. 322 (95 DTC 5602). La Cour fédérale a entendu ensemble les appels de cinq contribuables, dont les situations étaient différentes, dans le but de clarifier le droit dans ce domaine. L'appel de quatre de ces contribuables avait été admis par la Cour canadienne de l'impôt, mais le cinquième avait été rejeté. La Cour d'appel fédérale a décidé que les montants reçus par les contribuables dans l'affaire Hoefele n'étaient pas imposables parce qu'ils étaient essentiellement le remboursement des dépenses engagées relativement à un déménagement; ils n'avaient pas accru la valeur nette de la résidence des contribuables. La Cour a dit ceci à la page 335 (DTC : à la page 5606) :

[...] Comme je le mentionne précédemment, quatre des cinq juges de la Cour canadienne de l'impôt appelés à statuer dans les cinq affaires dont la Cour est saisie ont tranché que l'aide au paiement de l'intérêt hypothécaire ne constituait pas un avantage imposable. La principale raison en est que le programme en cause n'a pas eu pour effet d'accroître la valeur nette réelle de la résidence pour le débiteur hypothécaire. Les contribuables n'ont réalisé aucun gain financier en raison de l'aide. La valeur nette de leur patrimoine ne s'est pas accrue.

[12] Dans l'arrêt Hoefele, l'employeur dans chaque appel avait exigé de l'employé en cause qu'il quitte une région où le coût du logement était peu élevé pour déménager dans une région où le coût du logement était élevé; il avait accepté de payer une partie de l'intérêt hypothécaire si l'employé achetait une maison qu'il devait grever d'une hypothèque plus élevée que celle qui grevait son ancienne maison. Il s'agissait de cas uniques car l'employeur avait exposé le plan dans une directive aux employés (comme dans la pièce R-1 dans le présent appel), mais il avait exigé que les employés obtiennent l'argent d'un prêteur désigné, une compagnie de fiducie ou d'assurance donnée. L'employeur a effectué les paiements directement au prêteur pendant 10 ans en fonction d'une échelle dégressive. Par conséquent, l'avantage était une aide directe au titre de l'intérêt hypothécaire

[13] À mon avis, la décision dans l'arrêt Hoefele se distingue facilement de la présente affaire. Je rejetterai l'appel en l'instance en raison des circonstances dans lesquelles l'aide a été offerte à l'appelant. Bien que ce dernier ait dû acheter une maison dans la région d'Ottawa et fournir une preuve de cet achat en produisant le contrat d'achat, il ressort clairement du témoignage de Mme Ménard et de celui de l'épouse de l'appelant que le montant en cause (11 313 $) n'avait rien à voir avec l'hypothèque consentie sur la nouvelle maison. Le montant en cause ne se rapportait qu'à l'écart entre le coût des maisons (la différence de valeur entre la maison de Kingston et une habitation comparable à Ottawa), et au taux d'intérêt préférentiel. Une fois que Canada Trust a fixé à 30 000 $ environ l'écart entre le coût des maisons, l'employeur a convenu de payer le taux d'intérêt préférentiel sur cet écart la première année (réduit de 20 % dans chacune des quatre années suivantes) sans égard à l'habitation que l'appelant avait achetée ou au montant de l'hypothèque grevant cette habitation.

[14] J'ai posé à Mme Ménard la question suivante : si l'appelant avait eu la chance de toucher un héritage important juste avant de déménager et qu'il avait acheté comptant une somptueuse demeure sans la grever d'une hypothèque, aurait-il reçu le même montant du ministère des Transports? Elle a répondu par l'affirmative. Elle a déclaré que la politique de l'employeur ne dépendait pas de la question de savoir si l'appelant avait un prêt hypothécaire ou si l'hypothèque était plus ou moins élevée que l'hypothèque qui grevait son ancienne maison de Kingston. Il s'agissait simplement, selon Mme Ménard, d'un montant fondé sur l'écart existant entre le coût des maisons et sur le taux d'intérêt préférentiel.

[15] À mon avis, il est question en l'espèce d'une aide imposable. Il ne s'agit pas d'une tentative de rembourser à l'employé une dépense annuelle liée à son acceptation d'un emploi dans une nouvelle localité, comme c'était le cas dans l'affaire Hoefele. Dans cette affaire, il y avait une dépense annuelle déterminable liée à une hypothèque plus élevée, et l'employeur avait tenté d'apporter une aide au paiement des frais d'intérêt plus élevés sur une base dégressive pendant une période de dix ans pour alléger le fardeau que représentait l'achat d'une habitation dans une ville où le coût des maisons était plus élevé.

[16] Dans le présent appel, l'appelant ayant décidé de déménager dans une municipalité où le coût des maisons était supérieur à celui des maisons dans la municipalité où il vivait auparavant, il avait droit à cette aide, qu'il consente une hypothèque ou non ou que l'hypothèque grevant la nouvelle maison soit plus élevée que l'hypothèque grevant l'ancienne, à condition cependant qu'il ait été propriétaire d'une maison dans la première municipalité et qu'il ait acheté une maison dans la nouvelle municipalité. Il en aurait été de même si c'est l'employeur qui avait décidé de muter l'appelant.

[17] Dans les faits du présent appel, l'appelant n'a imputé la somme globale à aucun paiement d'intérêt; il l'a plutôt imputée au remboursement de son emprunt hypothécaire. Par conséquent, sa situation est semblable à celle du contribuable dans l'affaire Phillips. On pourrait dire que, dans cette affaire, la valeur nette de M. Phillips s'est accrue parce qu'on lui a permis d'imputer le total de la somme globale au remboursement de l'emprunt hypothécaire contracté pour acheter sa maison, ce qui a eu pour effet d'augmenter la valeur nette réelle de sa maison et la valeur nette de son patrimoine. Les faits dans l'appel en l'instance sont différents de ceux de l'affaire Hoefele, mais ils sont semblables à ceux de l'affaire Phillips, de sorte que l'avantage lié à la réinstallation est imposable. Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de mai 2000.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de novembre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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