Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20000531

Dossier: 97-2327-GST-G

ENTRE :

RFA NATURAL GAS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] La requête en l'instance vise à obtenir, en vertu du paragraphe 30(2) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), une ordonnance permettant à la compagnie appelante d'être représentée par Mme Linda Leonard, une dirigeante de la compagnie qui n'est pas une avocate. En fait, si je comprends bien, elle est maintenant l'unique actionnaire et administratrice de la compagnie. Le 7 juillet 1999, j'ai rendu une ordonnance aux termes de laquelle j'ai autorisé Mme Leonard à représenter la compagnie dans toutes les procédures précédant le début de l'audition de l'appel, notamment dans le cadre d'une demande visant à ce que l'ordonnance englobe également l'audition de l'appel. Elle présente aujourd'hui cette demande. Voici le libellé de l'article 30 des Règles :

30(2) Une personne morale se fait représenter par un avocat dans toute instance devant la Cour, sauf lorsque dans des circonstances spéciales, la Cour autorise la personne morale à se faire représenter par un de ses dirigeants.

[2] Dans l'affaire Pratts Wholesale Limited c. La Reine,[1] le juge Beaubier, de la Cour, suivant le jugement rendu par le juge Muldoon dans l'affaire Kobetek Systems Ltd. c. R.,[2] a énuméré quatre facteurs qu'il faut prendre en considération pour déterminer si des circonstances spéciales justifient qu'une ordonnance soit rendue sous le régime de l'article 30 des Règles. Ils sont énoncés de la manière suivante :

1. La société a-t-elle les moyens de payer un avocat?

2. Le représentant proposé sera-t-il un témoin?

3. Quel est le niveau de complexité des questions de droit?

4. L'affaire se déroulera-t-elle rapidement?

Le juge Beaubier s'est dit d'avis que les deuxième et troisième facteurs étaient les plus importants dans le contexte d'un appel devant la Cour. Je conviens que tous ces facteurs devraient être pris en considération. Toutefois, pour des motifs que j'exposerai ci-après, je ne crois pas qu'il faille donner beaucoup de poids au deuxième facteur.

[3] L'appel est à l'encontre d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, selon laquelle l'appelante doit payer la taxe sur les produits et services (TPS) sur certaines ventes de gaz naturel. Le montant de taxe en litige, d'après l'avis d'appel, est de 1 126 688 $. L'intérêt et les pénalités sont eux aussi contestés. L'avis d'appel a été déposé en juillet 1997 par des avocats agissant pour le compte de la compagnie. Dans son avis d'appel, l'appelante a demandé que l'appel soit régi par la procédure informelle. Sur demande du procureur général formulée en vertu du paragraphe 18.3002(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, la Cour a ordonné que l'appel soit régi par la procédure générale.

[4] L'intimée ne conteste pas véritablement le fait que la compagnie appelante n'a pas les fonds nécessaires pour retenir les services d'un avocat. L'avis d'appel a été rédigé et déposé par un avocat de Toronto, qui a ensuite pris des mesures pour être retiré du dossier, apparemment parce que la compagnie était incapable de le payer. Un avocat de Vancouver a ensuite représenté l'appelante, mais pendant une courte période seulement. J'admets la déclaration que Mme Leonard a faite à plusieurs reprises, à savoir qu'elle retiendrait les services d'un avocat pour sa compagnie aux fins du déroulement de l'appel si elle en était capable.

[5] La principale question de droit dans l'appel sera, semble-t-il, celle de savoir si les ventes de gaz naturel en cause sont une fourniture détaxée aux termes de l'article 15 de la partie V de l'annexe VI de la Loi. À mon avis, c'est une question qui soulèvera davantage de problèmes de fait que de problèmes de droit. Les affaires de TPS sont bien souvent complexes, et celle-ci n'échappe probablement pas à la règle. Cependant, Mme Leonard a, semblerait-il, réussi à s'assurer les services d'un avocat américain pour l'aider à se préparer aux fins de l'audition. Je crois qu'elle sera en mesure d'aborder les questions d'une manière raisonnablement satisfaisante.

[6] Je suis également convaincu que, si l'appelante est représentée par Mme Leonard, l'affaire peut se dérouler de manière structurée. Mme Leonard a représenté l'appelante tout au long du processus de communication au cours des dix derniers mois, et l'avocat de l'intimée ne m'a signalé aucun incident qui puisse m'amener à avoir des doutes sur sa capacité de continuer de le faire à l'audition.

[7] Le motif véritable que l'intimée fait valoir à l'encontre de la présente demande est que Mme Leonard sera un témoin à l'audition. Mme Leonard soutient qu'elle ne sera pas un témoin pour l'appelante; l'avocat de l'intimée réplique que, dans la présente affaire, il a l'intention de l'appeler à témoigner et d'attaquer sa crédibilité. Il soutient qu'elle ne peut comparaître en qualité de représentante et de témoin. L'avocat de l'intimée a invoqué le passage suivant de la décision du juge Bowman (tel était alors son titre) dans l'affaire G. Samra c. M.R.N. :[3]

Il s'est agi d'une affaire difficile et complexe, qui a comporté une multitude de questions de fait, de droit et de comptabilité. Le résultat aurait pu être différent si l'on avait présenté l'affaire en tenant compte des règles pertinentes en matière de charge de la preuve, de preuve et de droit, connaissances qui sont requises dans un domaine aussi complexe que les litiges fiscaux. Fort peu de membres du barreau ont la témérité de s'engager dans ce champ difficile et technique de la profession. Lorsque les membres des autres professions, aussi qualifiés puissent-ils être dans leur propre domaine, cherchent à s'y engager, ils mettent leurs clients en danger, de la même façon qu'un avocat qui effectuerait une vérification ou qui certifierait un état financier.

Le représentant des appelants a comparu tant à titre de représentant pour plaider l'affaire qu'à titre de témoin principal. On a, dans certains cas, toléré qu'un membre du barreau comparaisse à titre de procureur et de témoin dans la même affaire, mais la chose a été fortement déconseillée : Phoenix v. Metcalfe, (1975) 48 D.L.R. (3d) 631; Stanley v. Douglas, (1951) 4 D.L.R. 689, à la page 695. Dans d'autres cas, on ne l'a pas permis : A & E Land Industries Ltd. v. Saskatchewan Crop Insurance Corporation, [1988] 3 W.W.R. 590; R.C. Archiepiscopal Corp. v. Rosteski, (1958) 13 D.L.R. (2d) 229. Je ne vois pas pourquoi je devrais appliquer une règle moins rigoureuse lorsque le contribuable est représenté par quelqu'un qui n'est pas membre du barreau. Il peut y avoir des raisons pratiques et économiques valables de permettre à un contribuable, dans une affaire simple et de peu d'importance, de se faire aider par des représentants non qualifiés, mais l'ampleur et la complexité de l'affaire en instance exigeaient que les appelants soient représentés par un procureur qui aurait pu citer des témoins et présenter la preuve de la façon ordinaire sans être dans la situation fondamentalement ambiguë et paradoxale où il agirait à la fois à titre de défenseur et de témoin dans la même affaire.

[8] Il semble que ni le juge Muldoon ni le juge Beaubier n'aient été renvoyés à la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Muszka c. La Reine,[4] rendue après la décision dans l'affaire Samra. La Cour d'appel fédérale a conclu dans l'arrêt Muszka que les raisons qui empêchent un avocat de comparaître comme avocat et comme témoin ne s'appliquent pas dans le cas d'un représentant non juriste. Le juge Mahoney, pour la Cour d'appel fédérale, a dit ceci à la page 4 (DTC à la page 6077):

La crédibilité de tout témoin est mise en jeu. La bonne administration de la justice requiert qu'un membre du barreau qui a été constitué avocat dans des procédures ne puisse pas témoigner, car cet avocat est alors un officier de la cour et il jouit d'une crédibilité inconditionnelle. Cette crédibilité ne doit pas être mise en jeu par le témoignage qu'il pourrait donner. Les fonctions d'avocat et de témoin sont, en effet, dans une même instance, tout simplement incompatibles et on ne doit pas accepter qu'elles puissent être cumulées par un officier de la cour. Or, un conseiller non juriste, à qui on demande ou permet de témoigner, comme dans la présente procédure engagée devant la Cour de l'impôt, n'est pas un officier de la cour.

[9] Personne ne conteste le fait qu'il serait préférable que l'appelante en l'espèce soit représentée à l'audition par un avocat — de préférence un avocat pour qui les complexités de la loi sur la TPS n'ont pas de secret et qui maîtrise l'art de la promotion et la défense des droits. Pour des raisons économiques, cela est impossible. Si Mme Leonard ne représente pas l'appelante, l'appel sera rejeté par défaut. L'intimée a déjà présenté deux requêtes visant à faire rejeter l'appel pour défaut de poursuivre. Dans les deux cas, les délais qui ont donné lieu à la requête avaient été causés par les avocats qui refusaient de continuer d'agir pour l'appelante. Si Mme Leonard n'est pas autorisée à représenter l'appelante et qu'aucun avocat ne se porte soudainement volontaire pour défendre le dossier sans avance sur honoraires, la prochaine requête en vue de rejeter l'appel sera fort probablement admise.

[10] Dans la présente affaire, il faut prendre en considération un cinquième facteur. L'appelante a choisi la procédure informelle lorsqu'elle a interjeté appel. Le procureur général du Canada a demandé que l'affaire soit plutôt régie par la procédure générale de la Cour, comme il a le droit de le faire aux termes de l'article 18.3002 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt. Cette disposition ne confère aucun pouvoir discrétionnaire à la Cour si la demande est présentée, comme elle le fut en l'espèce, dans les 60 jours suivant la communication de l'avis d'appel au ministre. Si le présent appel était régi par la procédure informelle, l'appelante aurait le droit d'être représentée par un non juriste — du fait des articles 18.3001, 18.302 et 18.14 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt. Elle a perdu ce droit lorsque le procureur général a choisi la procédure générale.

[11] J'ai pris en considération les cinq facteurs. À mon avis, le premier et le cinquième doivent avoir le plus de poids dans les circonstances de la présente affaire. Il est certes regrettable que des dossiers complexes soient menés en l'absence d'avocats compétents pour représenter les deux parties, mais c'est là une situation à laquelle la Cour doit fréquemment faire face. L'article 4 des Règles ne doit pas être négligé; les Règles visent à ce que les appels soient tranchés sur le fond de manière équitable et diligente. Je suis convaincu que, dans la présente affaire, on ne peut atteindre cet objectif qu'en rendant l'ordonnance demandée. Mme Leonard peut représenter l'appelante à l'audition de l'appel. Les dépens de la requête demeureront dans l'affaire.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mai 2000.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de novembre 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               C.C.I., no 97-3562(IT)G, 4 mars 1998 (98 DTC 1561).

[2]               C.F. 1ère inst., no T-1969-97, 14 janvier 1998 ([1998] 1 C.T.C. 308).

[3]               C.C.I., no 90-1576(IT), 7 novembre 1991, à la page 9 ([1991] 2 C.T.C. 2653, aux pages 2657 et 2658).

[4]               C.A.F., no A-892-92, 15 décembre 1993 (94 DTC 6076).

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