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Date: 20000531

Dossier: 98-1188-IT-G

ENTRE :

SOLOMON YUNGER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bonner, C.C.I.

[1] L'appelant interjette appel à l'encontre des cotisations d'impôt sur le revenu établies pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993. Deux questions font l'objet de l'appel :

(a) La déductibilité des montants de 7 086 $ en 1991 et de 34 729 $ en 1992 en vertu du sous-alinéa 20(1)p)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”);

(b) La déductibilité des montants de 20 100 $ en 1992 et de 36 000 $ en 1993, qui, selon l'appelant, ont été payés à Yuncorp Holdings Limited (“ Yuncorp ”) en contrepartie de services offerts pour la gestion de biens locatifs dans lesquels l'appelant possédait un intérêt.

[2] L'alinéa 20(1)p) de la Loi prévoit :

20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant :

[. . .]

p) le total des montants suivants :

[. . .]

(ii) les montants dont chacun représente la partie du coût amorti, pour le contribuable, à la fin de l'année d'un prêt ou d'un titre de crédit qu'un contribuable — qui est un assureur ou dont l'entreprise habituelle consiste en partie à prêter de l'argent — a consenti ou acquis dans le cours normal de ses affaires, qu'il a établie comme étant devenue irrécouvrable au cours de l'année;

Selon l'intimée, l'appelant ne respectait pas deux des conditions de la disposition parce que (a) les prêts entraînant les pertes n'ont pas été consentis dans le cours normal des affaires d'une entreprise par l'appelant et (b) l'appelant n'exploitait aucune entreprise habituelle qui consistait en partie à prêter de l'argent. Les pertes, selon l'intimée, constituaient des pertes en capital.

[3] Les honoraires de gestion auraient été payés à Yuncorp, une société dont les actionnaires étaient la conjointe et les enfants de l'appelant. Selon l'intimée, en ce qui concerne ces honoraires, les dépenses engagées n'étaient pas raisonnables dans les circonstances et étaient par conséquent interdites par l'article 67 de la Loi qui est ainsi libellé :

67. Lors du calcul du revenu, aucune déduction ne doit être faite relativement à un débours ou à une dépense à l'égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense était raisonnable eu égard aux circonstances.

Même si la réponse à l'avis d'appel n'est pas claire sur ce point, les deux parties ont abordé l'affaire en tenant compte du fait que, en plus de la question relative à l'article 67, les questions incluent celle de savoir si l'alinéa 18(1)a) de la Loi est respecté, à savoir si les paiements ont été faits en vue de tirer un revenu d'une entreprise de l'appelant.

[4] Je vais d'abord traiter de la question de la mauvaise créance. Il a été bien établi que l'appelant avait contracté des mauvaises créances de la manière suivante :

(a) en 1991, une perte de 7 086 $ à l'égard de l'opération qui est connue comme l'hypothèque Beeton;

(b) en 1992, une perte de 34 728 $ à l'égard d'une opération qui est connue comme l'hypothèque Aurora.

[5] L'appelant est marié avec Lily Yunger et a une fille et deux fils, Samuel Yunger et David Yunger. La famille est très unie. Le principal emploi de l'appelant se trouvait dans le domaine de la bijouterie, mais il a également été actif pendant plus de 40 ans dans l'achat et la vente de biens immeubles ainsi que dans l'investissement associé à ces biens. Cette activité a fait en sorte que l'utilisation d'hypothèques pour le financement d'opérations immobilières lui soit devenue familière.

[6] Selon l'appelant, aux alentours de 1990, la famille Yunger a entendu parler d'amis qui faisaient des profits en prêtant de l'argent garanti par des hypothèques préparées par Me Samuel Sochaczewski, un avocat possédant une pratique immobilière chargée. La famille Yunger, avec à sa tête l'appelant, a entrepris des démarches afin de consentir ce genre de prêt. L'appelant ou son fils Samuel a pris contact avec Me Sochaczewski et a informé celui-ci au sujet de l'intérêt de la famille quant à des placements hypothécaires. En conséquence, Me Sochaczewski a commencé à appeler l'appelant ou Samuel Yunger lorsqu'il tentait de conclure un prêt hypothécaire pour un client. Me Sochaczewski fournissait des détails sur l'emprunteur, la garantie, le montant du prêt et les conditions proposées. Habituellement, l'appelant prenait le temps de discuter de la proposition avec les membres de la famille et appelait ensuite Me Sochaczewski afin de lui indiquer l'acceptation générale ou le rejet de la proposition. Je dis acceptation générale, car normalement ou exigeait un taux d'intérêt plus élevé que celui initialement offert. La totalité, ou presque, des prêts étaient accompagnés d'une prime pour le prêteur. Généralement, les hypothèques étaient de deuxième rang ou inférieures.

[7] Environ la moitié des propositions faites par Me Sochaczewski aux Yunger se sont transformées en prêts. L'appelant et son fils Samuel songeaient à étendre l'activité de prêts en communiquant avec deux autres avocats qu'on croyait être les fournisseurs de prêts hypothécaires possibles. Toutefois, ils n'ont pas entrepris de prêter de l'argent par l'entremise de ces deux personnes. De plus, on a songé à étendre l'activité en se lançant dans l'entreprise du crédit mobilier, mais cette initiative n'a pas eu de suite.

[8] Me Sochaczewski a témoigné. Il avait préparé par écrit une liste de sept opérations hypothécaires concernant la famille Yunger qui avaient toutes été faites par son entremise. Elles étaient toutes d'une durée d'une année. Au moins cinq des sept opérations ne nécessitaient que le versement d'intérêts pendant le terme. Yuncorp a été nommé créancier hypothécaire pour deux des sept opérations. Les membres de la famille Yunger autres que l'appelant ont été nommés créanciers hypothécaires pour les cinq autres opérations. Au moins deux autres prêts provenaient de Me Sochaczewski. Il s'agissait des prêts hypothécaires Beeton et Aurora.

[9] Rien n'indique que l'appelant possédait un intérêt financier direct à titre de prêteur dans l'une des sept opérations mentionnées ci-dessus. L'appelant a déclaré qu'il avait donné à Leah Yunger l'argent prêté par elle dans un cas. Il a expliqué qu'il [TRADUCTION] “ pourrait avoir ” donné l'argent et l'avoir placé à son nom, pour des raisons fiscales ou autres. Il a insisté sur le fait qu'il a [TRADUCTION] “ participé ” aux opérations, au moins de cette manière.

[10] Les trois opérations dans lesquelles l'appelant possédait un intérêt direct ont mal tourné. Les pertes subies au cours de deux d'entre elles sont en cause. Le prêt hypothécaire Aurora était d'un montant de 103 000 $ et portait intérêt au taux de 10 p. 100 par année. La date d'ajustement des intérêts était le 13 avril 1991. Le remboursement du prêt hypothécaire était exigible le 13 septembre 1992. Les titulaires de la charge hypothécaire nommés au recto du document sont Sol Yunger, fiduciaire[1], David Yunger et David Good, fiduciaire, qui détenaient respectivement un intérêt de 47 p. 100, 20 p. 100 et 33 p. 100. Le prêt hypothécaire était en souffrance. La valeur de l'actif qui faisait l'objet de l'hypothèque a décliné. En vertu d'une entente conclue entre les parties au prêt hypothécaire, une partie seulement du capital et des intérêts a été remboursée aux prêteurs.

[11] La perte de 1991 découlait de l'hypothèque Beeton. Cette dernière garantissait un prêt de 160 000 $ consenti en mai 1990. Le remboursement du prêt hypothécaire est devenu exigible en novembre 1990. Seuls les intérêts étaient payables par des versements mensuels pendant la durée du prêt hypothécaire. Ce dernier portait intérêt au taux de 19 p. 100 par année. Le créancier hypothécaire nommé dans l'acte hypothécaire était Samuel Sochaczewski en fiducie. La preuve a indiqué que selon la pratique de M. Sochaczewski, ce dernier détenait des hypothèques en fiducie afin de faciliter la perception et la distribution des paiements lorsque plus d'un client étaient prêteurs. L'appelant a indiqué dans son témoignage que dans le cas de l'hypothèque Beeton, la famille ne savait pas au début qui allait faire l'investissement. Il a déclaré que, dans ce cas, il [TRADUCTION] “ s'est occupé de toute l'affaire ”.

[12] Il y a eu une autre opération au cours de laquelle l'appelant a prêté de l'argent. En 1990, le montant de 200 000 $ a été prêté à 820126 Ontario Inc., une compagnie détenue par Rex Heslop. L'appelant connaissait M. Heslop puisqu'il était un client de la bijouterie familiale. La durée du prêt était de six mois, et le taux d'intérêt était de 15 p. 100. Un certain accord a été conclu entre M. Heslop ou la corporation d'un côté et la famille Yunger de l'autre au sujet d'une prime prenant la forme d'un droit d'acheter des lots d'un lotissement en cours de développement par 820126. Les titulaires de la charge hypothécaire nommés dans le document portant sur le prêt hypothécaire étaient David et Samuel Yunger. Il semble que rien n'a été récupéré.

[13] À mon avis, en examinant la question de savoir si l'appelant était un contribuable dont l'entreprise habituelle consistait en partie à prêter de l'argent, il est nécessaire de mettre l'accent sur les opérations de prêt auxquelles l'appelant a participé en tant que prêteur. Bien qu'il ressorte clairement de la preuve que différents membres de la famille ont participé en tant que prêteurs à au moins dix opérations, cette preuve indique que l'appelant n'a participé à ce titre qu'à trois d'entre elles. Je ne considère pas les avances de l'appelant faites aux membres de la famille afin de les aider à effectuer des prêts à d'autres personnes comme la preuve qu'il exploitait l'entreprise habituelle requise. Rien n'indiquait que l'appelant et des membres de la famille en tant que groupe exploitaient une entreprise de prêts en commun. L'appelant n'a pas déclaré de revenu d'intérêt provenant de prêts hypothécaires sauf en ce qui concerne les deux opérations en litige. Il est évident que l'appelant a conseillé les membres de la famille au sujet des prêts consentis par eux et que de cette manière il les a influencés. Cela, toutefois, ne constitue pas la preuve que l'appelant exploitait une entreprise à titre de prêteur d'argent.

[14] L'appelant a indiqué dans son témoignage avoir emprunté l'argent nécessaire pour effectuer les prêts. L'emprunt d'argent avec l'intention d'effectuer des prêts à des tiers à un taux d'intérêt plus élevé est une activité qui est nettement différente de celle qui consiste à investir les économies d'une personne dans les prêts hypothécaires[2]. La première activité constitue une preuve solide de l'existence d'une entreprise de prêt d'argent. Toutefois, je ne suis pas convaincu qu'il s'agit de ce que l'appelant faisait. Il n'a produit aucun document soutenant la prétention selon laquelle il empruntait de l'argent afin de le prêter à des tiers non plus qu'il n'a demandé aucune déduction fiscale des frais d'intérêt associés à un tel emprunt.

[15] L'un des facteurs qui établit une différence entre des prêts effectués à titre de simples investissements de capital et des prêts effectués dans le cours des activités d'une entreprise à titre de bailleur de fonds est la continuité. Dans l'affaire Newton v. Pyke (1908), 25 T.L.R. 127, à la page 128, le juge Walton a déclaré :

[TRADUCTION]

La question de savoir si une personne exploitait une entreprise à titre de bailleur de fonds doit, comme on l'a fait remarquer dans l'affaire Litchfield v. Dreyfus, être tranchée en fonction des faits de chaque cas. Il semble impossible d'établir une définition ou une description qui serait très utile, mais je crois qu'il ne serait pas suffisant de simplement établir qu'une personne a en différentes occasions prêté de l'argent à des taux d'intérêt rémunérateurs; il doit y avoir dans une certaine mesure un système et une continuité au sujet des opérations.

La nécessité d'un système et d'une continuité est soulignée à l'alinéa 20(1)p) qui exige non seulement que l'entreprise habituelle du contribuable consiste en partie à prêter de l'argent, mais également que le prêt en question soit fait dans le cours normal des activités de cette entreprise. En examinant l'application de l'alinéa 20(1)p), la Cour doit donner effet à l'utilisation des adjectifs “ normal ” et “ habituelle ”. L'activité concernée dans l'octroi des trois prêts par l'appelant possède, à mon avis, une portée tellement restreinte qu'elle ne suffit pas à établir que l'entreprise habituelle de l'appelant consistait en partie à prêter de l'argent.

[16] Je me penche maintenant sur la question des honoraires de gestion. L'appelant possédait un intérêt de 20 p. 100 dans un bien locatif commercial connu comme Woolwich-Norfolk. Sa conjointe et lui possédaient collectivement un intérêt de 22 p. 100 dans un bien locatif industriel connu comme Northline. Les honoraires de gestion en litige qui étaient considérés être payés ou payables par l'appelant à Yuncorp sont censés avoir été faits en contrepartie des services rendus par l'appelant à titre d'employé de Yuncorp, lesquels services auraient été liés à la gestion des deux biens. Chacun des deux biens était exploité par un gestionnaire immobilier au nom des copropriétaires en tant que groupe. Les services de l'appelant s'additionnaient à ceux du gestionnaire immobilier. Il n'est pas précisé quelle contribution exacte à l'exploitation des biens a été faite par l'appelant à titre d'employé de Yuncorp. Il a affirmé qu'il était conduit à Guelph une journée par mois afin de visiter l'un des biens et qu'il travaillait des journées de douze heures à ce sujet. Il a déclaré qu'au total, il a passé 250 heures à offrir des services de gestion. La preuve du temps passé et de la nature des services rendus était vague et insuffisante. Aucun dossier courant n'a été produit.

[17] L'appelant a produit une entente faite “ à partir ” du premier jour d'août 1988 entre lui-même et sa conjointe d'un côté et Yuncorp de l'autre. Par cette entente, les deux engageaient Yuncorp pour fournir [TRADUCTION] “ certains services administratifs et de gestion clés que (l'appelant et sa conjointe) peuvent exiger de temps à autre dans le cours [...] des activités de l'entreprise en ce qui concerne (leur) investissement dans Northline Building et Woolwich-Norfolk [...] ”. Cette entente exigeait que l'appelant et sa conjointe paient à Yuncorp un montant égal à 10 p. 100 des dépenses brutes du siège social de Yuncorp en ce qui concerne ces services. Les parties ont de plus convenu de réviser et de déterminer les honoraires pour les années subséquentes. Il est loin d'être évident que les paiements en litige ont été faits en vertu de ce contrat. Les mots “ à partir ” signifient généralement le moment qui a été assigné arbitrairement à un événement. Rien n'indique à quel moment le contrat a été formé. Cela pourrait s'être produit avant que l'appelant ait rendu les services en question, mais également, cela pourrait ne pas être le cas. Il n'y a pas la moindre preuve indiquant que cette entente ait régi d'une façon ou d'une autre le montant des paiements en litige ni que ces paiements étaient d'une quelconque manière proportionnés à la valeur des services qui auraient été fournis. Je ne peux conclure que Yuncorp a été payée aux termes d'une entente véritable faite dans l'intention de tirer un revenu de Woolwich-Norfolk et de Northline. La déduction est par conséquent interdite par l'alinéa 18(1)a) de la Loi. De plus, en l'absence de lien rationnel entre les dépenses sur les honoraires et le processus de production d'un revenu des investissements dans les deux biens, l'article 67 s'applique également afin d'interdire les déductions. Les appels seront par conséquent rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mai 2000.

“ Michael J. Bonner ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 21e jour de novembre 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1] Il n’est pas précisé pourquoi l’appelant a été décrit comme “ fiduciaire ”. De toute évidence, le mot ne constitue pas une description de l’emploi de l’appelant. Rien n’indique clairement l’existence d’une relation qui aurait expliqué pourquoi l’appelant était décrit dans l’acte hypothécaire comme le “ fiduciaire ”.

[2] Voir J. Harold Wood v. M.N.R., 69 DTC 5073.

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