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Date: 20010308

Dossiers :1999-4349-IT-I

ENTRE :

PHILIPPE HOUDE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel relatif à l'année d'imposition 1995.

[2]            L'appelant a bien résumé les faits dans son avis d'appel qui se lit comme suit :

1.              Le ou vers le 22 mars 1999, l'intimée a transmis à l'appelant un avis de nouvelle cotisation concernant l'année d'imposition 1995, dans lequel elle l'imposait relativement à une somme de 70 751,22 $ que l'appelant avait reçu de Travaux Publics et Services Gouvernementaux Canada, Direction des pensions de retraite, en vertu du régime de pension de la Fonction Publique de sa soeur Feue Madeleine Houde, décédée le 12 janvier 1995, le tout tel qu'il appert de la pièce R-1;

2.              Dans les délais prescrit par la Loi, l'appelant a logé un avis d'opposition de la cotisation émise par l'intimée, cette dernière étant sommée de produire l'original de cet avis d'opposition, à défaut, preuve secondaire en sera faite à l'audition;

3.              Le ou vers le 23 juillet 1999, l'intimée confirmait la nouvelle cotisation établie à l'égard de l'appelant le ou vers le 22 mars 1999, le tout tel qu'il appert de la décision rendue par madame Anne Maziade, chef des appels du Centre fiscal de Jonquière, produite au soutien des présentes sous la cote R-2;

4.              L'appelant s'oppose à la cotisation émise par l'intimée notamment pour les motifs suivants :

a)              Le ou vers le 26 mai 1995, madame Pauline Boudreault-Leblanc de la division des services opérationnels aux clients de Travaux Publics et Services Gouvernementaux Canada, direction des pensions de retraite, informait l'appelant qu'il recevait une prestation du régime de pension de la Fonction Publique du Canada de sa soeur Feue Madeleine Houde, le tout tel qu'il appert de ladite lettre produite sous la cote R-3;

b)             Un peu avant le moment de la préparation de ses déclarations fiscales, l'appelant a reçu de Travaux Publics et Services Gouvernementaux Canada les formulaires T4-A et Relevé 2, attestant de la somme de 70 751,22$ transmise, lesdits relevés étant faits au nom de la Succession de Feue Madeleine Houde, le tout tel qu'il appert desdits relevés produits sous la cote R-4;

c)              Le ou vers le 30 septembre 1997, l'appelant a reçu une communication par télécopieur de madame Sylvia Stack de Travaux Publics et Services Gouvernementaux Canada à l'effet que le T4 émis au nom de la Succession de Feue Madeleine Houde serait annulé et remplacé par un T4 au nom de Philippe Houde, le tout tel qu'il appert de cette transmission produite au soutien des présentes sous la cote R-5;

d)             Dans l'intervalle, l'appelant avait transmis les relevés qu'il avait reçus de Travaux Publics et Services Gouvernementaux Canada à son comptable, lequel a déclaré la prestation du régime de pension de la Fonction Publique du Canada dans la déclaration de revenus de la Succession de Feue Madeleine Houde, le tout tel qu'il appert de ladite déclaration produite au soutien des présentes sous la cote R-6;

e)              Des intérêts totalisant plus de 4 000 $ ont été facturés autant par Revenu Canada que par le ministère du Revenu du Québec, en raison de l'erreur commise par Travaux Publics et Services Gouvernementaux Canada dans l'émission des T4-A et Relevé 2 suite au décès de Feue Madeleine Houde;

f)              Les déclarations fiscales de Feue Madeleine Houde ont été produites auprès des autorités fiscales dans les délais requis par l'appelant et ce, conformément aux formulaires T4-A et Relevé 2 reçus par le gouvernement Fédéral;

g)             Si le gouvernement Fédéral n'avait pas commis d'erreur dans l'émission de ses relevés, l'appelant n'aurait pas eu à subir le paiement d'intérêts de plus de 4 000 $ qui lui sont imposés par Revenu Canada et le ministère du Revenu du Québec.

[3]            En réplique, l'intimée a principalement allégué ce qui suit :

a)              pour l'année d'imposition en litige, un formulaire T-4A a été émis au nom de la Succession M. Houde, par Travaux Publics et Services Gouvernementaux Canada, relativement à un montant de 70 751 $;

b)             lors de la production de la déclaration de Feue Madeleine Houde pour l'année d'imposition 1995, le montant de 70 751 $ a été déclaré à titre d'autres revenus;

c)              conséquemment, l'appelant a produit sa déclaration de revenu pour l'année d'imposition en litige, sans y inclure le montant de 70 751 $ mentionné au paragraphe a) ci-dessus;

d)             pour l'année d'imposition en litige, un formulaire T-4A amendé a été émis au nom de l'appelant, par Travaux Publics et Services Gouvernementaux Canada, relativement à ce montant de 70 751 $ reçu par l'appelant à titre de prestation globale fondée sur la pension que Feue Madeleine Houde aurait reçue sur une période de cinq ans, dont l'appelant était bénéficiaire;

e)              en date du 8 mars 1997, pour l'année d'imposition 1995, le ministre a modifié l'année d'imposition 1995 de Feue Madeleine Houde, réduisant à néant le montant de 70 751 $ déclaré à titre d'autres revenus et transférant à l'appelant le montant d'impôt retenu à la source de 10 612,68 $;

f)              en raison du solde dû à Succession M. Houde, le ministre a conséquemment payé à Succession M. Houde, des intérêts sur arriérés, pour l'année d'imposition 1995;

g)             pour l'année d'imposition en litige, le ministre a aussi ajouté aux revenus de l'appelant un montant de 70 751 $ à titre d'autres revenus, et considéré un montant d'impôt retenu à la source supplémentaire de 10 612,68 $ dans le calcul de son solde d'impôt à payer;

h)             le ministre a donc établi le solde dû par l'appelant comme suit :

                Impôt fédéral        18 659,87 $

                Remboursement de prestation          4 690,00 $

                de programme sociaux

                Abattement du Québec      (2 939,24 $)

                Déductions d'impôt            (10 612,68 $)

i)               en raison du solde dû, le ministre a conséquemment imposé à l'appelant des intérêts sur arriérés, pour l'année d'imposition en litige.

[4]            La question en litige consiste à déterminer si les intérêts sur arriérés ont été correctement calculés et légalement réclamés.

[5]            Dans un premier temps, l'appelant a admis l'exactitude de tous les faits pris pour acquis pour l'établissement de nouvelles cotisations, lesquelles sont plus spécifiquement décrites au paragraphe 13 de l'alinéa a) à i) inclusivement.

[6]            L'appelant a soutenu essentiellement que la cotisation était mal fondée du fait que Travaux Publics et Services Gouvernementaux Canada « T.P.S.G.C. » avait fait une erreur et que cette erreur avait été à l'origine des intérêts imposés et réclamés.

[7]            L'appelant a plaidé qu'il n'est aucunement tenu de payer les intérêts, puisqu'il n'a commis aucune erreur et qu'au contraire, il a été très vigilant en prenant plusieurs initiatives.

[8]            N'étant aucunement imputable de l'erreur à l'origine des intérêts, il s'appuie sur la théorie de l'estoppel pour prétendre que les mauvais renseignements et l'erreur sont la cause directe et exclusive des intérêts et que de ce fait, les intérêts ne lui sont pas opposables.

[9]            La théorie de l' « estoppel by representation » est une doctrine élaborée par la common law; son application est assujettie à la présence de conditions très précises, lesquelles ont été énoncées par l'honorable juge Bowman de cette Cour dans l'affaire Goldstein c. Canada 96 DTC 1029 (CCI), traduction [1995] A.C.I. no 170.

[10]          Avant d'évaluer s'il y a ou non matière à application de la théorie de l' « estoppel by representation » , il y a lieu de s'interroger si cette doctrine peut être appliquée au Québec. La question a déjà été traitée par l'honorable juge Pierre Dussault de cette Cour dans l'affaire Alameda Holdings Inc. v. Canada 2000 DTC 1544, en français A.C.I. no 839.

[11]          Suivant le principe de droit administratif établi dans l'affaire Laurentide Motels c. Beauport (ville de) [1989] 1 R.C.S. 705,et maintenant codifié à l'article 300 Code civil du Québec ( « C.c.Q. » ) selon lequel les personnes morales de droit public sont régis par le C.c.Q. notamment « quant à leur statut de personne morale, leurs biens ou leurs rapports avec les autres personnes » , le juge Dussault a tranché la question dans les termes suivants :

                [...] J'estime que la doctrine de l'estoppel ne peut être invoquée dans la présente affaire et que c'est le Code civil du Québec qui s'applique. Dans l'affaire Soucisse (précitée), le juge Beetz de la Cour suprême du Canada distingue les deux concepts tout en reconnaissant qu'il y a souvent eu confusion entre les deux et l'utilisation des deux vocables. Il se réfère notamment à l'opinion du J. Mignault dans l'affaire Grace and Company (précitée) selon laquelle le concept d'estoppeltel qu'il est appliqué dans le système anglais est inconnu en droit civil. Toutefois, il y reconnaît expressément l'existence des fins de non-recevoir en droit civil et que l'un des fondements possibles d'une fin de non-recevoir puisse être le comportement fautif d'une partie par référence aux articles 1053 et suivants du Code civil du Bas Canada (actuels articles 1457 et suivants du Code civil du Québec).

[12]          Les motifs du juge Dussault trouvent leur principal fondement dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada Banque Nationale du Canada c. Soucisse et autres, [1981] 2 R.C.S. 339 (C.S.C.). Dans cette affaire, l'honorable juge Beetz, au nom de la Cour suprême du Canada, écartait dans les termes suivants l'applicabilité de la doctrine de l'estoppel en droit civil québécois :

                [...] il ne paraît pas exister une théorie articulée des fins de non-recevoir comme il existe une théorie de l'enrichissement sans cause en droit civil ou une théorie de l'estoppel en droit anglais.

                Il n'en demeure pas moins indiscutable qu'il y a dans le droit civil québécois des fins de non-recevoir que l'on a parfois confondues avec l'estoppel malgré l'admonition du juge Mignault dans Grace and Company c. Perras, (1921), 62 R.C.S. 166, à la p. 172:

                [TRADUCTION] ... Je me permets de faire remarquer que la théorie de l'estoppel qui existe en Angleterre et dans les provinces de common law au Canada n'existe pas dans le droit de la province de Québec. Cela ne signifie pas cependant que dans bien des cas où, en Angleterre, une personne peut se voir opposer une fin de [page361] non-recevoir, elle ne serait pas tenue responsable dans la province de Québec. L'article 1730 du Code civil est un exemple de ce qu'on appelle, en Angleterre, le principe de l'estoppel, et lorsqu'une personne, par ses démarches, a amené une autre personne à modifier sa position à son préjudice, la responsabilité au Québec peut être retenue en vertu des art. 1053 et suivants du Code civil. Savoir si cette responsabilité peut être invoquée en défense à une action, en vue d'éviter ce qu'on a appelé un "circuit d'actions", est une question qui, s'il était nécessaire de l'examiner ici, pourrait certes s'appuyer sur l'autorité de Pothier. Avec égards, j'ajouterais simplement que l'emploi du mot « estoppel » , qui vient d'un autre système de droit, devrait être évité dans les affaires qui viennent du Québec puisqu'il pourrait signifier la reconnaissance d'une doctrine qui, comme elle existe aujourd'hui, ne fait pas partie du droit applicable dans la province de Québec.

[...]

                L'un des fondements juridiques possibles d'une fin de non-recevoir est le comportement fautif de la partie contre qui la fin de non-recevoir est invoquée.

[13]          En résumé, il est désormais clairement établi que la théorie de l' « estoppel by representation » , telle que développée en common law, ne trouve pas application en droit québécois, dans la mesure où elle s'applique à une question de droit civil. En conséquence, les autorités soumises par l'appelant ne trouvent pas application en ce qui concerne le présent appel.

[14]          La preuve est à l'effet que « T.P.S.G.C. » ont fait une erreur qui a fait en sorte que l'intimée, conformément à la Loi, a émis une cotisation dont le fondement était essentiellement des intérêts.

[15]          Y a-t-il là un comportement fautif, négligeant ou abusif de la part de l'intimée au niveau du calcul des intérêts ? Je ne crois pas, l'intimée a plutôt procédé normalement, correctement et conformément à la Loi.

[16]          L'appelant n'a strictement rien à se reprocher puisque l'erreur commise par « T.P.S.G.C. » est à l'origine du retard ayant entraîné les intérêts. L'appelant voudrait opposer l'erreur à l'intimée et obtenir l'annulation des intérêts.

[17]          Sur une base d'équité, l'intimée aurait sans doute pu faire droit aux arguments de l'appelant. Par contre, en droit strict, l'intimée avait le pouvoir d'imposer de tels intérêts. À cet égard, il a agit légalement et la cotisation est le résultat d'un exercice inattaquable. Je ne crois pas que l'erreur de « T.P.S.G.C. » soit opposable à l'intimée d'autant plus que l'appelant a ou avait un excellent recours en responsabilité contre les auteurs de la faute.

[18]          En vertu du paragraphe 161(1) de la Loi, des intérêts au taux prescrit sont automatiquement calculés sur l'impôt impayé. Le pouvoir de renoncer à ces intérêts appartient au ministre du Revenu national (le « Ministre » ), selon les conditions prescrites par le paragraphe 220(3.1) de la Loi, et la Circulaire d'information 92-2. En vertu du paragraphe 165(1.2) de la Loi, les cotisations faites en vertu du paragraphe 220(3.1) ne sont pas sujettes au processus d'appel devant cette Cour.

[19]          L'exercice de ce pouvoir par le Ministre peut toutefois être révisé par la Cour fédérale en vertu de son pouvoir de contrôle judiciaire, tel qu'il lui est conféré par les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale L.R.C. (1985) ch. F-7, telle qu'amendée.

[20]          L'interaction de ces différentes dispositions est clairement exposée par la juge Lamarre Proulx de cette Cour dans Gretillat v. the Queen 98 DTC 1483 (C.C.I.), à la page 1486.

[21]          Il semble que ce soit conformément à ces règles que la jurisprudence a affirmé à maintes reprises que la Cour canadienne de l'impôt n'est pas compétente pour se prononcer sur la question des intérêts, lorsqu'ils ont été imposés correctement. Lorsqu'il existe un solde impayé à la dette fiscale d'un contribuable et que des intérêts sont calculés suivant le paragraphe 161(1) de la Loi, cette Cour ne peut intervenir, sur la base de l'équité, pour annuler ou réduire les intérêts payables en vertu de la Loi. Le pouvoir de ce faire appartient exclusivement au Ministre en vertu du paragraphe 220(3.1) et il ne pourra être révisé par la Cour fédérale que s'il n'est pas exercé conformément aux principes de justice naturelle.

[22]          Ce Tribunal n'a donc pas le pouvoir de réviser la question des intérêts qui a fait l'objet de la cotisation.

[23]          L'appel doit donc être rejeté.

Signé à Ottawa, Canada ce 8e jour de mars 2001.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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