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Date: 20010306

Dossier: 97-3286-IT-G

ENTRE :

MAURICE DUVAL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994. L'appel porte sur des dépenses qui lui ont été refusées.

[2]            Ingénieur de formation et détenteur d'un doctorat, l'appelant avait obtenu un contrat avec l'Agence canadienne de développement international (l' « ACDI » ) pour une durée de deux ans.

[3]            Aux termes de ce contrat, l'appelant a reçu en argent canadien un montant de 74 010 $ pour l'année de 1992 et un montant de 55 032,95 $ pour l'année d'imposition 1993, ces montants sont mentionnés à la pièce A-1.

[4]            En contrepartie des montants reçus, l'appelant enseignait à l'école Polytechnique située à Thiès au Sénégal. Parallèlement, il a entrepris plusieurs initiatives dans le cadre desquelles il a effectué des dépenses importantes dont la majorité lui ont été refusées.

[5]            Pour cotiser l'appelant, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a pris pour acquis les faits suivants :

a)              en tout temps pertinent, l'appelant était ingénieur;

b)             en 1992 et 1993, l'appelant travaillait pour l'Agence canadienne de développement international, ci-après « ACDI » au Sénégal;

c)              l'appelant a cessé de travailler pour l' « ACDI » en septembre 1993;

d)             en produisant sa déclaration de revenus pour ses années d'imposition 1992 et 1993, l'appelant a déclaré un revenu de profession libérale provenant exclusivement de son contrat avec l' « ACDI » de 74 010 $ pour 1992 et 55033 $ pour 1993, desquels montants il a déduit une dépense totalisant 30 033 $ pour 1992 et 29 104 $ pour 1993, soit un revenu net de 43 976 $ pour 1992 et de 25 928 $ pour 1993;

e)              suite à une vérification, le ministre du Revenu national a refusé à titre de dépense pour 1992 la somme de 25 390 $ et 26 262 $ pour 1993;

f)              pour ces années, la majorité des dépenses réclamées par l'appelant à l'encontre de son revenu de profession libérale n'étaient reliées d'aucune façon à son travail pour l' « ACDI » ;

g)             en produisant sa déclaration de revenus pour son années d'imposition 1994, l'appelant n'a déclaré aucun revenu de profession libérale et a réclamé une dépense totalisant 38 024 $ soit une perte nette de 38 024 $;

h)             le ministre du Revenu national a refusé à titre de dépense pour 1994 la somme de 37 251 $;

i)               durant les périodes en litige, l'appelant n'a jamais débuté d'entreprise;

j)               les dépenses de 25 490 $, 26 626 $ et 37 251 $, pour les années 1992, 1993 et 1994 respectivement n'ont pas été faites ou engagées par l'appelant en vue de tirer ou de produire un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

[6]            L'appelant a admis tous les faits pris pour acquis par le Ministre à l'exception des sous-paragraphes f), i) et j).

[7]            La question en litige consiste à déterminer si l'appelant avait le droit de déduire les dépenses refusées en 1992, 1993 et 1994.

[8]            L'intimée a d'abord indiqué que le montant de 5 532 $ avait bel et bien été déclaré pour l'année d'imposition 1992, contrairement à leurs prétentions premières, ajoutant qu'il s'agissait là d'une erreur.

[9]            L'appelant a témoigné à l'effet qu'il ne consacrait que quelques heures par semaine à sa fonction d'enseignant; disposant et bénéficiant de beaucoup de temps libre pour s'investir dans d'autres activités, il a affirmé avoir beaucoup fait pour démarrer une nouvelle entreprise ou obtenir divers contrats mettant à profit ses connaissances comme consultant-expert. Cela était d'autant plus important qu'il était conscient de la précarité de son statut avec l'ACDI, puisqu'il n'avait aucune garantie quant au renouvellement de son contrat à l'expiration après un an.

[10]          Pour assurer son avenir économique, l'appelant a indiqué avoir investi temps et argent pour obtenir d'autres mandats et initier certains projets susceptibles de générer des revenus et éventuellement devenir viables et rentables.

[11]          Pour ce faire, il a mis sur pied un bureau à Dakar et retenu les services d'une adjointe administrative qui s'est avérée être son épouse.

[12]          En sa qualité d'ingénieur-conseil, il a fait plusieurs démarches, lors de son séjour au Sénégal, pour obtenir des mandats lui permettant de monnayer son savoir et expertise de très haut niveau en génie.

[13]          Il a aussi tenté d'exploiter son savoir et nombreuses connaissances techniques et scientifiques dans le cadre de projets susceptibles de devenir éventuellement de véritables entreprises rentables.

[14]          La preuve a démontré que les efforts de l'appelant n'avaient jamais donné de résultats concrets d'où, à la fin de son contrat avec l'ACDI, il est revenu au Canada.

[15]          De retour au Canada, l'appelant a continué d'offrir ses services à titre d'expert-conseil tout en réfléchissant et songeant à des projets susceptibles de devenir une ou des véritables entreprises.

[16]          L'appelant a expliqué par son témoignage et de nombreux documents, photos et correspondance qu'il était, lors des trois années en litige, un travailleur autonome exerçant sa propre entreprise qui consistait à réaliser différents travaux de recherches visant des objectifs précis, soit mettre sur pied une ou des entreprises profitables.

[17]          Il n'y a aucun doute que l'appelant, lors des trois années d'imposition, a voulu et effectivement pris toutes sortes d'initiatives pour assurer sa survie économique. Consultant en génie de profession, il se devait d'ailleurs de faire le maximum de prospection pour assurer sa propre survie matérielle.

[18]          La preuve a cependant démontré que l'appelant avait au cours des années en litige, initié deux sortes d'activités économiques; tout d'abord, il a fait de la sollicitation pour obtenir un ou des contrats mettant en valeur son expertise et ses connaissances comme consultant, de manière à recevoir ou toucher des honoraires professionnels.

[19]          Dans un deuxième temps, l'appelant a entrepris des démarches dont le but ultime était de démarrer une ou des entreprises pouvant devenir éventuellement rentables et cela, dans le but, de les opérer seul ou en collaboration, ou tout simplement d'en disposer une fois établies.

[20]          Manifestement, l'appelant n'a jamais compris la distinction entre les deux genres d'initiatives. À cet égard, tant la preuve documentaire que son témoignage ont essentiellement consisté à faire la démonstration qu'il avait été lors des trois années d'imposition en cause, un travailleur autonome et qu'à cette fin, il pouvait compiler sans distinction, ni nuance toutes ses dépenses et les opposer à ses revenus.

[21]          La preuve a néanmoins établi de manière non équivoque que l'appelant a initié, réalisé et fait des dépenses dans le cadre de l'exercice de sa profession comme ingénieur-conseil. À ce titre, il pouvait comptabiliser les dépenses inhérentes et pertinentes; de telles dépenses pouvaient également être déduites de ses revenus à la condition qu'elles soient raisonnables, justifiées et appuyées par les reçus appropriés.

[22]          D'autre part, l'appelant a bel et bien tenté de démarrer certaines entreprises et cela tant au Sénégal qu'au Canada; il a vraiment espéré mettre sur pied une ou des entreprises pouvant et devant éventuellement assurer sa survie économique.

[23]          Or, d'une part, toutes les dépenses effectuées dans le cadre de ces initiatives devaient être comptabilisées de façon distincte et séparée de celles faites dans le cadre de sa profession; d'autre part, ces dépenses doivent s'apprécier dans le cadre des dispositions relatives à une entreprise.

[24]          Le fardeau de preuve incombait à l'appelant. Il devait relever ce fardeau de preuve par des éléments dont il était le seul maître. En cette matière, une telle preuve est généralement composée de témoignages et de pièces documentaires qui étoffent et soutiennent ou complètent la preuve testimoniale.

[25]          Ayant choisi de se représenter seul, le Tribunal a tenté de lui faire comprendre qu'il n'était pas pour autant dispensé de l'obligation de soumettre une preuve valable et adéquate pour soutenir et démontrer le bien-fondé de ses prétentions.

[26]          À cet égard, il a été très surprenant qu'il ne fasse pas témoigner sa conjointe, dont le salaire pour les années en litige était une composante très importante au niveau des dépenses. Si elle avait témoigné, elle aurait pu fournir des détails et informations hautement pertinents pour l'appel; je pense notamment à la justification même de son travail par une description de tâches, à la nature du travail exécuté et finalement des précisions sur l'ensemble des activités auxquelles elle avait été associées.

[27]          La preuve de l'appelant a été déficiente à plusieurs égards. Tout d'abord, ne comprenant manifestement pas les nuances à faire au niveau des dépenses effectuées dans le cadre de l'exercice de sa profession versus celles effectuées dans le but de démarrer une entreprise, l'appelant a tout confondu et a conclu que toutes les dépenses étaient et devaient être recevables.

[28]          Non seulement, n'a-t-il fait aucune distinction, il n'a même pas été en mesure de produire toutes les pièces justificatives pour le motif qu'il les avait perdues et égarées lors de ses déplacements.

[29]          Pour ce qui est des dépenses effectuées dans l'exercice de sa profession, elles auraient pu être de deux ordres. Dans un premier temps, il aurait pu s'agir de dépenses effectuées dans le dessein de toucher des honoraires; dans un deuxième temps, les dépenses auraient pu être opposées à des initiatives visant à obtenir des contrats mettant à contribution son expertise de consultant.

[30]          Finalement, et cela semble avoir été l'objet principal de la majorité des dépenses, il a indiqué qu'il avait tenté de mettre sur pied divers projets qui seraient devenus des entreprises autonomes et viables.

[31]          Comment faire la démarcation entre ces différents champs d'activités ?

[32]          D'une part, la preuve soumise par l'appelant ne le permet pas. D'autre part, certaines dépenses importantes, dont notamment le salaire payé pour le secrétariat aurait été imputable à tous les volets d'activités, c'est-à-dire autant pour la pratique professionnelle de l'appelant que pour le démarrage d'entreprise.

[33]          Le raisonnement de l'appelant a été fort simple; il a été le suivant. Il pourrait être exprimé comme suit : « Je n'ai pas toutes les pièces justificatives, mais il s'agit de dépenses raisonnables bel et bien effectuées. Pour de multiples raisons dont la compétition, la situation économique fort difficile, etc. je n'ai pu toucher aucun revenu de mes diverses initiatives. Si j'avais mieux connu la Loi de l'impôt sur le revenu, j'aurai pu profiter de certaines dispositions relatives à la recherche et au développement qui aurait eu pour effet de réduire ma charge fiscale encore plus significative. »

[34]          Ce sont là des arguments bien faibles pour soutenir son appel. Le Tribunal doit disposer de l'appel, non pas sur une base intuitive ou d'équité, mais essentiellement sur la foi des faits et non d'hypothèse à partir des pièces justificatives.

35]            Toute personne qui désire obtenir, augmenter et maximiser ses revenus de profession ou d'entreprise doit généralement concentrer ses énergies au niveau de deux volets distincts. Il fait tout en son pouvoir pour obtenir de nouveaux mandats ou recruter de nouveaux clients et fait en sorte de réduire au maximum ses dépenses; l'idéal est à un contrôle serré des deux composantes et une recherche d'un juste équilibre.

[36]          La mise en place d'une imposante structure qui ne génère aucun revenu est nécessairement suspecte et mérite des explications intelligentes et rationnelles.

[37]          En l'espèce, l'appelant a mis en place une structure qui ne peut être qualifiée de totalement raisonnable; chose certaine, elle était très discutable quant à la rubrique la plus importante, soit l'embauche d'une adjointe administrative. Il eut été certainement possible, voire même plus approprié, raisonnable et réaliste d'avoir recours à une formule pouvant donner sensiblement le même résultat, mais à un coût substantiellement moindre.

[38]          Il est facile de comprendre pourquoi l'appelant a privilégié le scénario au terme duquel il a engagé sa conjointe. Il a ainsi fractionné ses revenus tirés du contrat de l'ACDI et réduit ainsi considérablement son fardeau fiscal.

[39]          Il ne s'agissait pas là d'un choix interdit ou défendu. Par contre, il eut été nécessaire de faire la preuve qu'il s'agissait là d'une décision d'affaire commandée par des impératifs nécessaires à la bonne marche de la pratique de sa profession et pour le succès d'une éventuelle entreprise.

[40]          Pour ce qui est de l'année d'imposition 1994, ses revenus furent constitués du retrait d'un REER, ce qui rend encore plus suspect la pertinence de payer un salaire à sa conjointe. Il y a là une très forte présomption que le seul but était de fractionner des revenus provenant du REER.

[41]          Ayant comme seule source de revenus un REER, l'appelant a engagé sa conjointe à un salaire annuel de près de 15 000 $. S'agissait-il là d'une dépense nécessaire ou même utile ? L'embauche de sa conjointe a-t-elle eu pour effets de générer des revenus ? Pourquoi, comme de nombreux professionnels ayant de substantiels revenus de profession, n'a-t-il pas eu recours aux services de secrétariat spécialisés ou simplement à un service de prise de messages.

[42]          L'appelant n'a soumis aucune preuve ou explication quant à la pertinence de l'emploi; il n'a pas décrit le travail exercé par sa secrétaire qui recevait un salaire relativement important, eu égard aux activités commerciales et professionnelles très restreintes, au point qu'il n'y a eu à peu près aucun revenu.

[43]          Même si le Tribunal a indiqué que le témoignage de la personne ayant reçu le salaire aurait été utile pour démontrer sa pertinence, l'appelant a préféré ne pas la faire témoigner. Il s'est contenté d'indiquer que le salaire avait bel et bien été versé et que la bénéficiaire avait assumé les obligations fiscales inhérentes.

[44]          Le déboursé est certes un élément important mais ne suffit pas en soi et ne fait pas preuve qu'il s'agissait de « dépenses admissibles justifiées et acceptables » .

[45]          La preuve soumise par l'appelant pourrait se résumer comme suit : « Je suis un professionnel honnête; j'ai tout fait pour gagner honorablement ma vie. À cette fin, j'ai fait des déboursés nécessaires dont la pertinence n'a pas à être questionnée ou même discutée d'autant plus que j'aurais pu profiter et bénéficier d'avantages fiscaux beaucoup plus généreux dans le cadre des dispositions relatives à la recherche au développement. Conséquemment, l'intimée a l'obligation d'accepter toutes mes dépenses même si je ne peux démontrer leur pertinence dans les détails. »

[46]          Malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples. Toute dépense doit être justifiée et particulièrement si les faits laissent croire qu'il pouvait s'agir de dépenses personnelles.

[47]          En pareil cas, il est important que le contribuable ayant fait l'objet d'une cotisation où certaines dépenses ont été considérées comme personnelles, soit en mesure de démontrer par une prépondérance de la preuve que les dites dépenses étaient nécessaires et requises pour l'exploitation de l'entreprise ou l'exercice de la profession.

[48]          En l'espèce, l'appelant a soumis une preuve incomplète, déficiente et confuse à bien des égards, au point que le Tribunal n'était guère plus en mesure de rendre jugement après la preuve soumise par l'appelant qu'avant le début du procès.

[49]          Dans les circonstances, compte tenu de la preuve, il est très difficile pour ne pas dire impossible de trancher objectivement dans les dépenses admissibles versus celles qui ne le sont pas, puisque la preuve a été incomplète, déficiente et très insuffisante pour permettre un partage rigoureux.

[50]          Conséquemment, je n'ai pas d'autre choix que d'arbitrer les dépenses en m'appuyant sur une pièce que l'appelant a lui-même introduit en preuve, (pièce A-11).

[51]          Pour l'année d'imposition 1992, l'intimée avait accordé des dépenses totalisant 4 543,03 $ et refusé des dépenses au montant de 25 490,70 $ pour un total de dépenses réclamées de 30 033,75 $. Pour l'année d'imposition 1993, l'intimée avait accordé des dépenses totalisant 2 478,66 $ et refusé des dépenses au montant de 26 626,08 $ pour un total de dépenses réclamées de 29 104,75 $. Pour l'année d'imposition 1994, l'intimée avait refusé la totalité des dépenses au montant de 38 024 $.

[52]          L'appel est donc accueilli en ce que des nouvelles cotisations devront être établies sur la base des chiffres suivants, en prenant pour acquis que l'appelant pouvait réclamer à l'encontre de ses revenus les montants de dépenses ci-après indiqués pour les années en litige :

                Année                                     Dépenses

                1992                                                         13 464 $

                1993                                                         11 798 $

                1994                                                         19 012 $

le tout sans frais et l'appelant n'a droit à aucune autre mesure de redressement.

Signé à Ottawa, Canada ce 6e jour de mars 2001.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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