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Date : 20010309

Dossier : 2000-2638-EI

ENTRE :

MICHEL DUPLIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit de l'appel d'une détermination en date du 24 mars 2000, relatif au travail exécuté par l'appelant pour le compte et bénéfice de " Les Constructions Léo Barolet Inc. (ci-après appelé le payeur) ", lors des périodes s'échelonnant du : 17-01-93 au 11-12-93, 02-01-94 au 24-12-94, 29-01-95 au 16-12-95, 04-02-96 au 05-10-96 et 06-01-97 au 03-01-98.

[2]            Le présent appel fait partie d'un groupe de plusieurs dossiers relatifs à des emplois exécutés pour l'une ou l'autre de trois compagnies, toutes dirigées et contrôlées par monsieur Léo Barolet.

[3]            Pour éviter les répétitions, la plupart des appelants, dont l'appelant, ont accepté que l'intimé soumette, dans un premier temps, une preuve commune à tous les dossiers.

[4]            Constituée par les témoignages de messieurs Serge Marseille et Marc Tremblay, cette preuve a démontré qu'une méga-enquête avait été instituée auprès des compagnies dirigées par Léo Barolet.

[5]            Suite à des constats d'irrégularités lors d'une visite à la place d'affaires des compagnies à Weedon, la conjointe de Léo Barolet a autorisé et consenti à ce que les enquêteurs emportent avec eux plusieurs caisses de documents ayant trait aux employés pour qu'ils soient analysés et examinés en profondeur à leurs bureaux de Sherbrooke.

[6]            Lors de la vérification et analyse en profondeur des documents, les enquêteurs ont constaté que l'employeur avait mis en place une banque d'heures pour chacun des employés. Ils ont effectivement constaté que les employés recevaient généralement une paye représentant sensiblement toujours le même nombre d'heures, soit plus ou moins 43. Lorsque le travail diminuait, on puisait dans la banque pour compléter les heures manquantes et avoir ainsi une semaine de paye régulière.

[7]            Inversement, durant les périodes très achalandées, si l'employé travaillait plus d'heures que la semaine régulière, l'excédent d'heures travaillées étaient alors enregistré ou crédité à sa banque d'heures. Chaque employé avait sa banque d'heures laquelle était mise à jour hebdomadairement. Selon les périodes, la banque était soit excédentaire, soit déficitaire.

[8]            L'existence de la banque d'heures n'a fait aucun doute; d'une part, la preuve documentaire a été très convaincante et d'autre part, plusieurs travailleurs ont reconnu son existence.

[9]            L'analyse des documents a aussi permis de constater que plusieurs travailleurs rendaient régulièrement des services aux entreprises de Barolet sans rémunération en dehors de leur période de travail consignée au livre des salaires. Ce constat a été établi par de très nombreuses factures sur lesquelles apparaissaient les signatures d'employés, dont les noms n'apparaissaient pas au livre de salaires à ces mêmes dates. Les livres de salaires indiquaient pour certaines semaines un nombre d'heures inférieur à celui réellement travaillé, compte tenu de la nature des services rendus tel qu'établi par les factures. Ce sont là les principaux éléments de la preuve commune à tous les dossiers selon l'intimé.

[10]          L'appelant a consenti à ce que cette preuve fasse partie de son dossier; monsieur Michel Duplin, s'est décrit comme travailleur de la construction et homme à tout faire. Il a relaté ses diverses expériences de travail et fait état des nombreuses difficultés et problèmes qu'il a dû affronter au fil des ans, tant sur le plan professionnel que familial.

[11]          Se décrivant comme un travailleur honnête, très préoccupé par les nombreuses injustices, il a soutenu avoir dû accepter la banque d'heures, qui selon son témoignage, a été unilatéralement imposée par l'employeur. Il a indiqué qu'il n'avait jamais fait de travail bénévole pour le compte et bénéfice de l'employeur.

[12]          Sur ces deux importantes questions, j'ai indiqué à l'appelant qu'il avait lui-même fait certaines affirmations écrites lors des procédures qu'il a initiées pour être entendu devant la Cour canadienne de l'impôt.

[13]          Il y a lieu de reproduire certains extraits de la correspondance de l'appelant :

Lettre en date du 3 juillet 1999 :

...

                Je reconnais avoir accepté qu'une banque de temps soit constituée, dans la période dite assurable, afin de conserver mon emploi et stabiliser mon chèque de paie des semaines travaillées et déclarées!

                J'admet que l'état de santé de mon épouse et l'absence de sécurité de revenu chez mon ex-employeur m'ont emmené à ne pas exiger le temps et demi après 43 heures et de placer ces heures, à temps simple, dans une banque de temps servant à stabiliser ce maigre salaire lors d'absences afin d'accompagner mon épouse pour des soins médicaux!

                ...

                Désolé Mme Lemire, je suis vraiment celui qui en a bavé chez mon ex-employeur à cause de mon refus de plonger dans les gains faciles, plusieurs de mes compagnons de travail craignaient que je suis celui qui dévoile l'existence de leurs belles grosses enveloppes de paye.

Lettre en date du 2 avril 2000 :

...

                Que je suis du genre à ne jamais refuser de donner gratuitement un coup de pouce?

...

[14]          Ne pouvant nier les extraits ci-avant reproduits, l'appelant s'est replié sur le fait qu'il ne fallait pas donner trop d'importance au vocabulaire qu'il avait utilisé ou qu'il utilisait.

[15]          Comme je l'ai indiqué à l'audition, je dois rendre une décision suivant la preuve soumise et cela, bien que le dossier puisse être sympathique.

[16]          D'autre part, je crois important de rappeler que les décisions de la Cour canadienne de l'impôt sont rendues sur la foi de la prépondérance de la preuve dont le fardeau incombe toujours aux appelants en matière d'assurabilité. En d'autres termes, le Tribunal analyse et évalue l'ensemble de la preuve. En cas de doute, le Tribunal favorise généralement l'appelant. Ceci dit, je ne puis rendre une décision en prenant pour acquis ou en considération toutes sortes de faits ou éléments qui n'ont rien à voir avec l'appel.

[17]          En l'espèce, d'un côté l'appelant a semblé très sévère quant à certaines pratiques existantes dans les entreprises dirigées par Léo Barolet; par contre, il a aussi reconnu avoir bel et bien contribué et avoir été associé à ces mêmes pratiques dont certaines demandaient un minimum de volontariat; je fais notamment référence aux différentes commissions que les employés rendaient à l'entreprise.

[18]          Lorsque des services et/ou des commissions sont rendus à l'employeur, je ne crois pas que cela vicie automatiquement la qualité d'un contrat de louage de services, si cela est fait de façon ponctuelle ou lors de circonstances particulières. Par contre, si cela est répétitif, fréquent et généralisé chez la majorité des employés d'un employeur, il y a matière à interrogation; même si celui qui rend de tels services et/ou exécute de telles commissions, qualifie sa prestation de libre et volontaire, de bénévolat d'entraide, de support ou de sa solidarité à l'endroit de ses compagnons de travail, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit là de faits, modalités, circonstances difficilement conciliables avec un réel contrat de louage de services où tout travail doit être rémunéré.

[19]          Bien que la preuve n'ait pas fait de relation entre la banque d'heures et le travail bénévole exécuté en dehors des périodes décrites aux relevés d'emploi, il y a lieu d'être sceptique puisqu'il est assez inhabituel que des employés acceptent de travailler sans rémunération pour leur employeur, surtout si ce dernier ne paie jamais de temps supplémentaire.

[20]          L'appelant a reconnu avoir reçu des enveloppes dans lesquelles il y avait de l'argent comptant, ajoutant qu'il s'agissait là du paiement pour du travail et des déboursés n'ayant rien à voir avec son emploi, mais plutôt pour le paiement de travaux d'infographie; il a même affirmé avoir exécuté ce travail en deçà de son prix coûtant. Ce sont là des faits assez surprenants pour quelqu'un qui fait des affirmations d'une grande sévérité à l'endroit de son ex-employeur.

[21]          L'appelant n'a soumis aucun élément, fait objectif, ni soumis de preuve documentaire pour appuyer le bien-fondé de ses prétentions. Il aurait voulu que ce Tribunal lui donne raison sur la base de ses seules affirmations à l'effet qu'il était un homme honnête, travailleur ayant eu sa part de malchance dans la vie. Je ne mets pas en doute les qualités d'honnête homme de l'appelant; je ne doute aucunement du fait que la vie ait été sévère à son endroit, mais je rappelle que ce Tribunal doit rendre des décisions en s'appuyant essentiellement sur la preuve soumise et sur le droit applicable.

[22]          En l'espèce, la preuve a démontré qu'il s'agissait d'un employeur possiblement peu scrupuleux ayant mis sur pied un véritable système lui permettant d'obtenir une main-d'oeuvre sans doute hautement qualifiée, sans jamais avoir à débourser de temps supplémentaire.

[23]          La protection minimale pour les employés est souvent reliée et conséquente à l'accréditation syndicale; à défaut d'une telle accréditation il est possible que les employés aient tendance à être dociles, collaborateurs et avenants de manière à conserver leur emploi. Certaines personnes peuvent craindre de perdre leur emploi s'ils ne se conforment pas à toutes les exigences et caprices de leur employeur.

[24]          En l'espèce, il n'y a eu aucune preuve à l'effet que l'employeur aurait forcé, incité ou encouragé le travail bénévole sous peine de sanction de renvoi ou même de pénalité indirecte, tel le non rappel lors des reprises d'activités. Cette preuve eut été importante et surtout très pertinente.

[25]          De plus, je n'ai pas compris pourquoi l'employeur, écorché par certaines remarques ou commentaires, n'a pas été assigné pour venir témoigner. Est-ce une indication que les divers systèmes étaient plutôt avantageux pour tous ? Faute de preuve, je ne peux tirer de conclusions définitives. Je peux cependant présumer que tous les travailleurs à l'emploi de Barolet n'étaient pas tous opposés, offusqués et mécontents du système eu égard à son étendue et ampleur.

[26]          Le seul fait d'affirmer ne pas avoir partagé la façon de faire de l'employeur, n'est pas suffisant pour conclure au bien-fondé de l'appelant d'autant plus qu'il a expressément reconnu y avoir été associé.

[27]          Il n'appartient pas à ce Tribunal de sanctionner les abus de pouvoir possible d'un employeur. En matière d'assurabilité, je dois essentiellement décider si les faits dégagés par la preuve sont à l'effet qu'il y a eu un véritable contrat de louage de services lors de la ou des périodes en litige. Un véritable contrat de louage de services existe lorsqu'une personne fourni une prestation de travail défini dans le temps et généralement décrite à un livre de salaires, en retour de quoi, il reçoit une juste et raisonnable rémunération par le payeur qui en tout temps doit avoir un pouvoir de contrôle sur les faits et gestes de la personne qu'il rémunère. La rémunération doit correspondre à la prestation de travail exécuté pour une période de temps défini.

[28]          Entre elles, les parties peuvent convenir de ce qu'elles veulent, mais l'intimé n'est aucunement tenu de respecter ou accepter les formules retenues. L'assurabilité d'un travail doit répondre à certaines conditions fondamentales. Dans certains cas, même si les parties se sont entendues ou ont imposé certaines conditions ou particularités, cela n'est aucunement opposable à l'endroit des tiers, dont l'intimé.

[29]          Seuls les faits réels doivent être pris en considération pour déterminer s'il a existé ou non un véritable contrat de louage de services. Souvent, les faits ont été falsifiés, maquillés ou même occultés d'où le Tribunal doit s'en remettre à l'ensemble de la preuve offerte disponible. Les seuls faits et éléments pertinents sont ceux relatifs à la prestation de travail, à la rémunération et à la présence ou non d'un lien de subordination.

[30]          En d'autres termes, la volonté des parties à une entente de travail n'est aucunement déterminante pour la qualification d'un contrat de travail en contrat de louage de services. Il s'agit essentiellement d'un élément parmi beaucoup d'autres.

[31]          Les composantes fondamentales d'un contrat de louage de services sont d'ordre essentiellement économique. Les registres établis, tels livres de salaires, modalités de paye, etc. doivent être réels et correspondre également à la réalité. À titre d'exemple, le livre de salaires doit consigner les heures travaillées correspondant à la paye émise. Un livre des salaires qui consigne des heures non travaillées ou ne consigne pas des heures travaillées pour la période indiquée est une indication sérieuse qu'il y a eu falsification. Il en est ainsi d'une paye qui ne correspond pas aux heures travaillées. Dans un cas comme dans l'autre, cela crée une très forte présomption que les parties ont convenu d'un scénario faux et mensonger dans le but d'en tirer divers avantages dont notamment sur le plan fiscal et assurance-emploi.

[32]          Il est possible qu'un arrangement soit plus profitable à l'une des parties qu'à l'autre, mais il s'agit là d'un effet secondaire et non pertinent à la qualification au contrat de louage de services, puisque dès qu'un contrat de travail est façonné par des données fausses, inexactes ou mensongères, il ne répond plus aux conditions essentielles pour être qualifié de contrat de louage de services; ainsi lorsque la preuve est à l'effet que les registres consignant les données essentielles à l'existence d'un véritable contrat de travail sont mensongères et incomplètes, il devient alors essentiel de faire la preuve d'une façon déterminante que les faits réels soutiennent l'existence d'un véritable contrat de louage de services.

[33]          En l'espèce, l'intimé a conclu que le travail exécuté en dehors des périodes décrites aux divers relevés d'emploi constituait un véritable contrat de louage de services. Il s'agit là d'une détermination plutôt surprenante et tout à fait injustifiée eu égard aux faits disponibles révélés par l'enquête; je fais notamment référence aux banques d'heures et au travail exécuté en dehors des périodes de travail décrites aux relevés d'emploi. Le but d'une banque d'heures est souvent de rendre une semaine assurable alors que le nombre d'heures travaillées pour cette même semaine commande une détermination de non assurabilité. La preuve également soumise par l'intimé a relevé que plusieurs employés dont l'appelant avaient rendu des services en dehors des périodes décrites au relevé d'emploi.

[34]          De tels faits avaient pour effets de vicier la qualité du contrat de louage de services qui avait pu exister. L'intimé n'en tient pas compte d'une part, et d'autre part conclut que pour les semaines en litige en l'espèce, l'appelant n'a soumis aucun élément concret et tangible qui soit de nature à démontrer le bien-fondé de ses prétentions suivant la prépondérance de la preuve.

[35]          Les faits ne soutiennent aucunement la détermination de l'intimé qui, d'une part a conclu sans raison et d'une manière tout à fait déroutante que les périodes décrites aux relevés d'emploi constituaient des périodes où il avait existé un véritable contrat de louage de services. Ni les faits disponibles au moment de l'analyse par l'intimé ni la preuve soumise devant ce Tribunal n'appuie et ne soutient que les périodes autres que celles décrites aux relevés d'emploi étaient des semaines assurables. La détermination donne l'impression que l'intimé a voulu profiter au maximum des cotisations payables pour les semaines assurables et cela, au détriment d'une analyse sérieuse, logique et appropriée eu égard à la preuve disponible.

[36]          Dans les circonstances, à la lumière de la prépondérance de la preuve et du fait que je ne suis aucunement lié, par quelque appréciation ou détermination relative que ce soit, aux faits sur lesquels porte l'appel, je conclus donc que la prépondérance de la preuve ne permet pas de déterminer que le travail exécuté par l'appelant l'a été dans le cadre d'un contrat de louage de services. Il s'agissait d'un travail dont les périodes d'exécution n'ont jamais été véritablement établies, puisque le livre des salaires n'était pas conforme à la réalité. Conséquemment, la preuve ne permet aucunement de conclure qu'il a existé un contrat de louage de services entre l'appelant et la compagnie " Les Constructions Léo Barolet Inc. ".

[37]          L'appel est accueilli en ce que le travail exécuté par l'appelant ne constituait pas un véritable contrat de louage de services et cela pour la durée entière des périodes en litige.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mars 2001.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        2000-2638(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 MICHEL DUPLIN et MRN

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Thetford Mines (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 30 janvier 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable Juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 9 mars 2001

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                    L'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :                            Me Stéphanie Côté

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimé :                                         Morris Rosenberg

                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                Ottawa, Canada

2000-2638(EI)

ENTRE :

MICHEL DUPLIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 30 janvier 2001 à Thetford Mines (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Pour l'appelant :                         L'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :                  Me Stéphanie Côté

JUGEMENT

L'appel est accueilli selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mars 2001.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.


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