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Date: 20020523

Dossier: 2001-88-IT-I

ENTRE :

JEAN-MARC SIMARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu Jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel par voie de la procédure informelle concernant les années d'imposition 1990 à 1994.

[2]            La question en litige concerne les intérêts sur l'impôt dû, l'imposition de pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) et les intérêts sur ces pénalités.

[3]            Les faits sur lesquels le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) s'est fondé pour établir ses nouvelles cotisations sont décrits au paragraphe 9 de la Réponse à l'avis d'appel comme suit :

a)              le dossier origine d'une enquête interne concernant certains employés du Centre fiscal de Jonquière qui avaient mis sur pied un stratagème qui consistait à faire bénéficier, à certaines personnes, de remboursements d'impôt frauduleux en contrepartie d'une commission fondée sur un pourcentage desdits remboursements;

b)             le 28 mars 1996, l'appelant a reçu un remboursement d'impôt total s'élevant à une somme de 8 027,47 $, à l'égard des années d'imposition 1990, 1991, 1992, 1993 et 1994, suite à des nouvelles cotisations datées du 28 mars 1996;

c)              les avis de nouvelles cotisations datés du 28 mars 1996, à l'égard des années d'imposition 1990 et 1991, établissaient que l'appelant était père de deux enfants et accordaient, dans le calcul des crédits d'impôt non remboursables, le crédit d'impôt équivalent de personne mariée, ainsi que celui pour personne à charge, et dans le calcul des crédits fédéraux, celui du crédit d'impôt pour enfants;

d)             l'avis de nouvelle cotisation daté du 28 mars 1996, à l'égard de l'année d'imposition 1992, établissait que l'appelant était père de deux enfants et accordait, dans le calcul des crédits fédéraux, le crédit d'impôt pour enfants;

e)              les avis de nouvelles cotisations datés du 28 mars 1996, à l'égard des années d'imposition 1993 et 1994, accordaient la déduction, dans le calcul du revenu de l'appelant, des sommes respectives de 5 750 $ et de 6 345 $, au titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement;

f)              l'appelant, aux enquêteurs du Ministre, a avoué par déclaration solennelle, qu'il avait accepté l'offre d'un fonctionnaire de Revenu Canada, monsieur Mario Boucher, qui lui offrait d'obtenir des remboursements d'impôt en contrepartie d'une commission de 50 %, et plus précisément, que son état civil serait modifié à personne séparée;

g)             l'appelant, aux enquêteurs du Ministre, a soutenu, par déclaration solennelle, qu'il n'était pas marié et n'était pas le père d'aucun enfant, à l'égard des années d'imposition en litige;

h)             aux enquêteurs du Ministre, l'appelant a avoué, par déclaration solennelle, qu'il avait viré, au mois d'avril 1996, dans un compte de banque appartenant à monsieur Mario Boucher et selon ses directives, deux sommes qui excédaient 50 % du remboursement total reçu au mois de mars 1996, à l'égard des années d'imposition 1990, 1991, 1992, 1993 et 1994;

i)               le Ministre est d'avis que l'appelant a fait montre dans cette affaire de collusion, de connivence et de complicité;

j)               à l'appui des nouvelles cotisations datées du 28 mars 1996, à l'égard des années d'imposition 1990, 1991, 1992, 1993 et 1994, l'appelant a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire ou a commis quelque fraude ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la « Loi » .

k)              la réclamation de crédits d'impôt non remboursables, au titre de l'équivalent de personne mariée et de personne à charge, ainsi que celle de crédits fédéraux, au titre de crédit d'impôt pour enfants, à l'égard des années d'imposition 1990 et 1991, et seulement la réclamation d'un crédit fédéral, au titre de crédit d'impôt pour enfants, à l'égard de l'année d'imposition 1992, ainsi que la réclamation d'une pension alimentaire, à l'égard des années 1993 et 1994, porte le Ministre à croire que l'appelant a fait sciemment, ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans les déclarations de revenus produites pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992, 1993 et 1994, ou a participé, consenti ou acquiescé à ce faux énoncé ou cette omission, d'où il résulte que l'impôt qu'il aurait été tenu de payer d'après les renseignements fournis dans les déclarations de revenus déposées pour ces années-là était inférieur au montant d'impôt à payer pour ces années-là.

[4]            L'Avis d'appel dit ce qui suit :

...

Comme je l'ai déjà mentionné à Revenu Canada, j'ai bel et bien reçu un remboursement d'impôt en 1996 je crois. À ce moment, j'avais encaissé ce chèque puisque je croyais que c'était parfaitement légal étant donné que c'était une personne qui travaillait à Revenu Canada depuis plusieurs années qui m'avait approché.

Lorsque cet employé de Revenu Canada m'a contacté, il m'a laissé savoir qu'il pouvait vérifier mes rapports d'impôt antérieurs s'ils avaient été bien complétés et si tous les crédits que je pouvais avoir droit avaient été demandés.

Puisque c'était une personne qui travaillait pour le gouvernement c'est-à-dire Revenu Canada Impôt, je lui ai fait confiance et fourni mon numéro d'assurance sociale pour qu'il vérifie mes impôts à son retour au bureau.

Quelque temps après il m'informa qu'il pouvait faire un redressement sur mes déclarations antérieures car la personne qu'il avait produit mes impôts à l'époque avait omis de demander quelques crédits auxquels j'avais droit. Comme de fait quelques semaines plus tard j'ai reçu un remboursement d'impôt comme il me l'avait mentionné. Par contre auparavant cet employé en question m'avait dit de penser à lui lorsque je recevrais mon remboursement et comme de fait lorsque j'ai reçu mon chèque je l'ai récompensé. J'aurais peut-être dû le dénoncer à ce moment car je sais qu'aucun employé du Gouvernement n'a le droit de recevoir des pots de vin des contribuables mais moi j'étais vraiment content de recevoir ce remboursement inattendu et c'est pour cette raison que je l'ai récompensé.

À mon grand étonnement à l'automne 1999 j'ai reçu la visite des Enquêtes Spéciales de Revenu Canada et me demandait des explications à savoir pourquoi j'avais reçu un tel remboursement. Ma réponse fut très brève et simple auprès de ces enquêteurs. Je leur ai mentionné que c'était un de leurs collègues de travail qui m'a contacté et qu'il a fait des nouvelles cotisations sur mes impôts antérieurs puisque quelques crédits avaient été omis et que j'y avais droit.

Aussitôt mes explications fournies, l'enquêteur m'informa que cet employé en question avait été congédié et que le remboursement que j'avais reçu quelques années auparavant je n'y avais pas droit. Je savais que l'enquêteur ne plaisantait pas mais je ne pouvais y croire.

Ce n'est quand même pas la faute des simples contribuables si Revenu Canada engage des fraudeurs. J'aimerais vous mentionner que j'avais confiance à Revenu Canada, mais maintenant je suis une personne parmi tant d'autres qui est désabusée de voir comment les choses se passent à l'intérieur de plusieurs ministères.

Pour conclure, je demande à la Cour canadienne de l'impôt d'annuler ce compte en entier c'est-à-dire pénalité, intérêts ainsi que le capital qu'on mentionne que je n'avais pas droit.

Je demande la clémence et la bonne compréhension de la Cour dans mon dossier puisque je me suis fait avoir et que de toute façon je ne peux rembourser ce montant faramineux.

...

[5]            Les témoins en cette affaire ont été pour la partie appelante, l'appelant lui-même et son frère monsieur Réjean Simard qui le représentait à l'audience. Pour la partie intimée, ce fut monsieur Roland Pelletier.

[6]            L'appelant a donné comme occupation celle d'apprenti menuisier troisième année.

[7]            L'appelant a relaté qu'un jour son frère, monsieur Réjean Simard, qui travaillait à Revenu Canada, lui a téléphoné pour lui faire part qu'il pouvait lui obtenir des remboursements d'impôt pour cinq années. La proposition lui avait été faite par téléphone car l'appelant habite à Saint Lin, ville des Laurentides alors que son frère habite à Chicoutimi.

[8]            Effectivement, il a reçu une somme de 8 027,47 $ en 1996 qui a été déposée directement dans son compte de banque. Il dit qu'il était très content de recevoir ce montant de 8 027,47 $ et qu'il a remercié son frère en lui donnant environ 3 000 $.

[9]            L'appelant a admis que dans les années en litige il n'était pas père de deux enfants, n'avait jamais été marié et n'avait pas payé de pension alimentaire. En fait il ne savait pas sur quelle base son frère monsieur Réjean Simard avait fait la demande des remboursements. Les nouvelles cotisations des années 1990 à 1994 ont été déposées comme pièce I-4.

[10]          Au moment de l'audience l'appelant avait remboursé 7 000 $ en payant 500 $ par mois. Son frère lui a remis le 3 000 $ ce qui explique qu'il a déjà remboursé 7 000 $ de sa dette fiscale.

[11]          L'appelant dit qu'au départ il pensait qu'il avait droit à ce remboursement. Il explique ainsi son attitude à la page 8 des notes sténographiques : « Puis, moi, étant une personne naïve, j'ai pas posé de questions, je lui ai fait confiance parce que ça a tout le temps été lui qui a fait mes impôts, puis il y a jamais eu de problèmes » .

[12]          Il fait valoir qu'il a tout le temps travaillé en gagnant sa vie honnêtement et que dans cette affaire il s'est fait embarquer. Cela fait 25 ans qu'il travaille et il a commencé à travailler à l'âge de 14 ans.

[13]          L'appelant relate que lorsqu'un agent de Revenu Canada a communiqué avec lui pour venir lui rendre visite, il a téléphoné à son frère. Ce dernier qui n'était pas encore suspendu, lui a suggéré un scénario qu'il a accepté de suivre pour protéger le travail de son frère. Le scénario était que c'était monsieur Mario Boucher qui avait communiqué avec lui et non son frère. Monsieur Boucher était déjà suspendu et il aurait accepté que tout lui soit mis sur le dos.

[14]          En contre-interrogatoire, l'avocate de l'intimée a produit la pièce I-1, qui est une déclaration solennelle signée par l'appelant en date du 9 décembre 1999. Cette déclaration solennelle disait que c'était monsieur Mario Boucher qui l'avait appelé et à qui il a remis plus de 50 p. 100 du montant reçu. La pièce I-1 est la deuxième déclaration solennelle, la pièce I-2 est la première déclaration solennelle, elle a été signée le 8 décembre 1999. Ces déclarations solennelles répètent le scénario que lui avait soufflé son frère Réjean.

[15]          Monsieur Réjean Simard a donné comme occupation journalier. Cela aurait fait 17 ans le 16 avril 2000, qu'il aurait travaillé pour Revenu Canada. Il dit qu'il était un bon employé jusqu'au jour où une personne du centre fiscal l'a approché, soit monsieur Mario Boucher. Monsieur Boucher aurait travaillé près de 18 ans pour Revenu Canada. Le témoin explique que monsieur Boucher savait qu'il allait s'acheter une maison et qu'il avait plein de projets. Il lui a alors parlé des fraudes qu'il faisait depuis déjà plusieurs années : « Moi, je suis un gars assez risqueux, j'ai dit oui, il m'a expliqué la situation, puis j'ai dit, oui » .

[16]          Une enquête a commencé à son sujet le 13 septembre 1999 et six semaines plus tard, il était congédié. Il a subi un procès devant la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale. Il a plaidé coupable. La sentence a été rendue le 12 novembre 2001 (pièce I-3). Il a été condamné à un an de prison. Il a fait deux mois et a été remis en liberté pour bonne conduite. De plus, une amende de 25 371 $ lui a été imposée avec un délai de 36 mois pour le paiement de cette amende. Il est en probation jusqu'en novembre 2005.

[17]          Monsieur Réjean Simard dit que cette période a été très dure pour lui. Il savait qu'il avait mis bien du monde dans le pétrin ainsi que lui-même. Il a énormément regretté son geste. Il avait un bel emploi qu'il aimait bien. Pourquoi il a fait ce geste, c'est l'appât du gain. Il savait que monsieur Boucher le faisait depuis quelques années et cela avait l'air facile.

[18]          C'est Mario Boucher qui avait le droit de donner la commande électronique qui permettait le remboursement. Dans aucun des dossiers frauduleux, il n'y a eu de demandes écrites de la part des récipiendaires spécifiant tels ou tels crédits. Ce sont messieurs Boucher et Simard qui décidaient quels remboursements demander en faisant les entrées électroniques qu'ils jugeaient nécessaires.

[19]          Il explique, en ce qui concerne l'appelant, que c'est toujours lui qui faisait ses déclarations d'impôt sur le revenu. Un jour, il a approché son frère en lui disant qu'il pouvait lui obtenir un remboursement intéressant. Son frère, par générosité selon lui, lui a remis 3 000 $ en argent.

[20]          Il affirme que Jean-Marc était innocent et qu'il ne savait pas que le remboursement était frauduleux. Un dimanche, son frère Jean-Marc l'a appelé pour lui dire qu'il avait reçu une lettre des enquêteurs de Revenu Canada mentionnant qu'ils voulait le rencontrer. C'est alors, selon monsieur Réjean Simard, qu'il a expliqué à son frère Jean-Marc qu'il n'avait pas droit au remboursement.

...

Mais Jean-Marc, il le savait pas , lui, que je l'avais embarqué dans ça. Là, rendu là c'est là que je lui ai expliqué que ... « Jean-Marc, je t'ai embarqué dans une affaire puis c'était vraiment frauduleux, c'était un remboursement que tu avais vraiment pas droit. » Là, lui, il a fait le saut, il en croyait pas ses ... il croyait pas ça. Là, il croyait pas ça, mais : « Jean-Marc, c'est ça. »

Suite à ça, moi, j'ai dit à Jean-Marc, parce que, moi, je voulais pas perdre mon emploi. Parce que je me disais que Revenu Canada, ils n'avaient pas beaucoup de preuve contre moi pour me clairer, O.K., pour me faire perdre mon emploi. J'étais sous enquête, mais je me disais qu'ils avaient pas assez de preuve. Tandis que Mario Boucher, O.K., lui, il avait un dégât de nouvelles cotisations. Il avait, en tout, il y en a eu plusieurs des remboursements frauduleux puis Mario, il était rendu dans une grosse dépression puis il voulait plus rentrer puis c'était sûr qu'il perdrait son emploi. Je lui ai dit : « Bien, tu as rien qu'à dire que c'est Mario Boucher qui t'a embarqué dans ça puis moi, ça va me protéger. » Parce que je voulais pas perdre mon emploi. J'y tenais à mon emploi, je voulais la perdre. C'était tout pour moi, cet emploi-là, j'adorais ça. J'adorais ça. Je l'ai mentionné tout à l'heure.

J'ai vraiment mis ça avec Jean-Marc. Jean-Marc, il va falloir que tu dises ça, que tu dises ça, que tu dises ça. Lorsque les enquêteurs sont arrivés, c'est ce qu'il a dit. Puis il y a rien de vrai dans tout ça, c'est tout moi qui a manigancé Jean-Marc puis c'est tout moi. Puis la preuve, j'ai été sentencé, j'ai eu un an de prison, je paye déjà assez cher ma faute, puis là ce qui me fait mal au coeur dans tout ça c'est que Jean-Marc soit impliqué dans ça puis avec un gros compte.

...

[21]          Quand monsieur Réjean Simard faisait les déclarations d'impôt pour les gens de sa famille ou pour l'appelant, il ne chargeait rien, mais dans le cas du remboursement de 8 027,47 $, il s'attendait à ce que l'appelant lui donne une récompense. Pourquoi lui en aurait-il accordée une à l'égard de ce remboursement? Monsieur Réjean Simard continue à affirmer que l'appelant ne savait pas qu'il n'avait pas droit à ce remboursement et que c'est parce qu'il était généreux qu'il lui a remis 3 000 $.

[22]          Le prochain témoin a été monsieur Roland Pelletier, de l'Agence canadienne des douanes et du revenu ( « l'A.C.D.R. » ). Il est enquêteur principal aux enquêtes spéciales du bureau du district Québec.

[23]          En 1998, une personne du centre fiscal de Jonquière a attiré l'attention des autorités fiscales sur des remboursements qui n'étaient pas supportés par des documents pertinents à l'égard de deux contribuables.

[24]          Monsieur Pelletier a fait venir des pistes pour savoir qui avait travaillé sur ces dossiers. Une piste est une écriture ou un signe qui demeure à chaque fois qu'une personne accède à un dossier électronique. On peut savoir qui a travaillé sur un dossier en voyant son mot de passe. Les pistes ont révélé qu'il y avait six ou sept personnes qui avaient eu accès aux dossiers sous étude dans la période de novembre 1996, dont messieurs Boucher et Simard ainsi que quatre autres personnes. Monsieur Pelletier a fait agrandir le sujet de l'examen pour savoir quels dossiers avaient été consultés par messieurs Boucher et Simard et les quatre autres personnes pour la période de septembre à décembre 1996. Il y avait 400 personnes dont les dossiers avaient été consultés. Il y avait quatre autres personnes qui avaient eu des remboursements directement faits à l'écran. Messieurs Boucher et Simard étaient allés dans ces dossiers et les autres personnes qui avaient été identifiées au départ n'y étaient pas. Donc il y avait une constante, il s'agissait de messieurs Boucher et Simard.

[25]          Monsieur Pelletier a fait son rapport au mois de juin. Pendant les mois de juillet et d'août, le centre fiscal de Jonquière a continué et élargi l'enquête aux mois d'avril à septembre 1996. On a trouvé onze ou douze cas litigieux. Un vérificateur de l'ACDR a rencontré certains contribuables et a écrit à d'autres, comme l'appelant. Il obtenait toujours la même réponse. Ces personnes n'avaient jamais demandé de remboursements par écrit alors que normalement, les remboursements sont faits à partir de formulaires ou de demandes écrites, accompagnés de pièces à l'appui.

[26]          Monsieur Pelletier explique qu'il s'agissait d'une vaste fraude à l'interne où les connaissances et les parents des deux personnes en question ont malheureusement participé. Ainsi, par exemple, l'enquête a montré que tous les frères et la soeur de monsieur Simard avaient eu des remboursements par transferts électroniques.

[27]          Monsieur Pelletier a déposé comme pièce I-6, le compte de banque de l'appelant dans lequel a été transféré le remboursement. On y voit en date du 1er avril 1996 un dépôt au montant de 8 027,47 $. Le témoin a déposé comme pièce I-5 un document de travail montrant pour chacune des années les montants d'impôt en jeu ainsi que les pénalités et intérêts et le total pour chacune des années, ainsi que le total des cinq années, au 14 juillet 2000.

Arguments

[28]          L'avocate de l'intimée rappelle les crédits d'impôt au sujet desquels il y a eu un remboursement. Il s'agit de celui d'équivalent pour conjoint, celui d'enfants à charge et de crédit pour pension alimentaire. Or, l'appelant n'était pas marié, n'avait pas d'enfant et n'a pas payé de pension alimentaire. L'avocate de l'intimée fait valoir que les versions de l'appelant ont souvent changé. Il y a eu celle qui est incluse dans la déclaration statutaire, celle de l'Avis d'appel et celle d'aujourd'hui à l'audience.

[29]          Elle se réfère au paragraphe 152(4) de la Loi qui prévoit que l'on peut cotiser à l'extérieur de la période normale de cotisation sur présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire où a commis quelques fraudes en produisant des déclarations dans le régime de la présente Loi. Elle se rapporte à la décision de la Cour d'appel fédérale dans Nesbitt c. Canada, [1996] A.C.F. no 1470 (Q.L.) et plus particulièrement au passage suivant :

... Il me semble que l'un des objets du paragraphe 152(4) est de favoriser l'établissement soigné et exact des déclarations de revenus. C'est au moment où la déclaration est produite que l'on peut déterminer s'il y a eu ou non présentation erronée de faits par négligence ou inattention en remplissant la déclaration. Des faits ont été présentés erronément s'il se trouve un élément inexact dans la déclaration, du moins un élément qui est important pour les fins de déclaration ainsi que de toute nouvelle cotisation ultérieure. Cela demeure une présentation erronée de fait même si le Ministre pourrait relever ou relève effectivement l'erreur dans la déclaration en procédant à une analyse attentive des documents justificatifs. ...

[30]          Dans le présent dossier, l'appelant soutient ne pas avoir fait lui-même les changements; c'est plutôt son frère avec la complicité d'un autre de ses collègues de travail, monsieur Mario Boucher qui ont fait les changements au système informatique. L'avocate de l'intimée fait valoir que la règle du mandat s'applique. Monsieur Réjean Simard était le mandataire de l'appelant et les actes de l'employé deviennent ceux de l'appelant. Elle se réfère à la définition du mandat à l'article 2130 du Code civil du Québec (le « Code » )qui se lit comme suit :

2130. Le mandat est le contrat par lequel une personne, le mandant, donne le pouvoir de la représenter dans l'accomplissement d'un acte juridique avec un tiers, à une autre personne, le mandataire qui, par le fait de son acceptation, s'oblige à l'exercer.

                Ce pouvoir et, le cas échéant, l'écrit qui le constate, s'appellent aussi procuration.

[31]          Elle se réfère aussi aux articles 2152 et 2153 du Code qui prévoit la ratification par le mandant des gestes du mandataire :

2152. Le mandant est tenu de décharger le mandataire des obligations que celui-ci a contractées envers les tiers dans les limites du mandat.

                Il n'est pas tenu envers le mandataire pour l'acte qui excède les limites du mandat; mais ses obligations sont entières s'il ratifie cet acte ou si le mandataire, au moment où il agit, ignorait la fin du mandat.

...

2153. Le mandant est présumé avoir ratifié l'acte qui excède les limites du mandat, lorsque cet acte a été accompli d'une manière qui lui est plus avantageuse que celle même qu'il avait indiquée.

[32]          Dans la présente affaire, l'appelant a reçu le remboursement par paiement direct dans son compte de banque et, la journée même, il se présente à la caisse et retire le tiers du montant et le remet à son frère. Il y a donc ratification du geste posé par son frère. L'avocate de l'intimée se réfère à l'article 2160 du Code et fait valoir que l'appelant est tenu envers le tiers pour les actes accomplis par son frère à titre de mandataire puisqu'il a entièrement ratifié l'acte proposé par son frère.

[33]          En ce qui concerne l'imposition des pénalités, l'avocate de l'intimée s'est référée à la décision de la Cour fédérale de première instance dans Venne c. Canada, [1984] A.C.F. no 314 (Q.L.) et plus particulièrement au passage suivant :

Quant à la possibilité d'une faute lourde, j'ai conclu, après hésitation, qu'elle n'a pas non plus été établie ici. La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi. ...

[34]          Au moment de l'audience l'appelant accepte d'être imposé relativement aux crédits d'impôt ou aux déductions qu'il a obtenus ou réclamées par l'action frauduleuse de son frère. Toutefois, il réclame la clémence de la Cour à l'égard des intérêts et des pénalités en faisant valoir que, compte tenu de son revenu annuel, ces intérêts et pénalités sont trop élevés.

Analyse et conclusion

[35]          L'appelant a obtenu le 28 mars 1996, 8 027,47 $. Le 14 juillet 2000, il a été cotisé pour les années 1990 à 1994 pour un total de 19 126,89 $. D'après la pièce I-4, les revenus imposables révisés de l'appelant sont respectivement de 22 764 $, 13 260 $, 1 540 $, 19 373 $ et 19 965 $ pour les années 1990 à 1994. Je n'ai pas de motifs de croire qu'ils soient tellement plus élevés à l'heure actuelle.

[36]          Le montant total des nouvelles cotisations paraît très élevé, premièrement en regard du montant qui a été reçu en 1996 et deuxièmement en regard du revenu annuel de l'appelant.

[37]          Par une lettre en date du 18 mars 2002, l'avocate de l'intimée m'a fait parvenir le détail des cotisations. Il se lit comme suit :

Tableau - Détail des cotisations

1990

Remboursement injustifié    2 125,75 $                Intérêts sur ce montant entre                            973,59 $

                                                                le 28 mars 1996 et le 14 juillet 2000

Intérêts récupérés                                 55,08 $ Intérêts sur ce montant entre                            25,24 $

                                                                le 28 mars 1996 et le 14 juillet 2000

Pénalité 163(2)                                       1 062,87 $                Intérêts sur ce montant entre                            1 407,01 $

                                                                le 30 avril 1991 et le 14 juillet 2000

Total                                                        3 243,70 $                                Total des intérêts                  2 405,84 $

                                                                                Grand total pour 1990                                                         5 649,54 $

1991

Remboursement injustifié    2 166,74 $                Intérêts sur ce montant entre                            992,40 $

                                                                le 28 mars 1996 et le 14 juillet 2000

Intérêts récupérés                                 56,14 $ Intérêts sur ce montant entre                            25,71 $

                                                                le 28 mars 1996 et le 14 juillet 2000

Pénalité 163(2)                                       1 083,37 $                Intérêts sur ce montant entre                            1 160,24 $

                                                                le 30 avril 1992 et le 14 juillet 2000

Total                                                        3 306,25$                                 Total des intérêts                  2 178,35 $

                                                                                Grand total pour 1991                                                         5 484,60 $

1992

Remboursement injustifié    1 415,00 $                Intérêts sur ce montant entre                            648,08 $

                                                                le 28 mars 1996 et le 14 juillet 2000

Intérêts récupérés                                 372,15 $ Intérêts sur ce montant entre                            170,45 $

                                                                le 28 mars 1996 et le 14 juillet 2000

Pénalité 163(2)                                       707,50 $ Intérêts sur ce montant entre                            629,63 $

                                                                le 30 avril 1993 et le 14 juillet 2000

Total                                                        2 494,65 $                                Total des intérêts                  1 448,16 $

                                                                                Grand total pour 1992                                                         3 942,81 $

1993

Remboursement injustifié    845,27 $ Intérêts sur ce montant entre                            387,15 $

                                                                le 28 mars 1996 et le 14 juillet 2000

Intérêts récupérés                                 148,82 $ Intérêts sur ce montant entre                            68,16 $

                                                                le 28 mars 1996 et le 14 juillet 2000

Pénalité 163(2)                                       422,63 $ Intérêts sur ce montant entre                            318,36 $

                                                                le 30 avril 1994 et le 14 juillet 2000

Total                                                        1 416,72 $                                Total des intérêts                  773,67 $

                                                                                Grand total pour 1993                                                         2 190,39 $

1994

Remboursement injustifié    780,53 $ Intérêts sur ce montant entre                            357,49 $

                                                                le 28 mars 1996 et le 14 juillet 2000

Intérêts récupérés                                 61,99 $ Intérêts sur ce montant entre                            28,37 $

                                                                le 28 mars 1996 et le 14 juillet 2000

Pénalité 163(2)                                       390,26 $ Intérêts sur ce montant entre                            240,91 $

                                                                le 30 avril 1995 et le 14 juillet 2000

Total                                                        1 232,78 $                                Total des intérêts                  626,77 $

                                                                                Grand total pour 1994                                                         1 859,55 $

[38]          Nous constatons que les intérêts sur les remboursements injustifiés sont calculés à partir du 28 mars 1996, ceux relatifs aux pénalités sont calculés à partir du 30 avril de chaque année d'imposition pour laquelle un remboursement a été obtenu. La disposition pertinente à l'intérêt sur les pénalités est le paragraphe 161(11) de la Loi.

[39]          En ce qui concerne l'intérêt sur les montants d'impôt, il y a une jurisprudence constante de notre Cour voulant qu'elle n'ait pas de discrétion pour les radier ou les alléger, tout comme elle n'a pas de discrétion pour alléger les montants d'impôt dus. L'intérêt est considéré comme le loyer de l'argent.

[40]          Qu'en est-il des pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi? Ce paragraphe se lit ainsi pour la partie pertinente :

(2)           faux énoncés ou omissions — Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition pour l'application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants :

[41]          Je suis d'avis que la preuve a révélé que l'appelant a acquiescé aux faux énoncés faits par son frère. Le fait que le jour même où le montant de 8 027,47 $ est viré dans son compte il en remette le tiers à son frère est une acceptation que le montant en question ne lui est pas légitimement dû. Il faut se rappeler que son frère faisait ses rapports d'impôt chaque année et que jamais l'appelant ne lui a versé une ristourne sur les remboursements d'impôt. Dans ce cas-ci, immédiatement, il retire du compte cette partie qu'il remet à son frère. De plus la crédibilité de l'appelant est très entachée par le fait de ses déclarations statutaires qui ne sont pas vraies ainsi que par la version des faits donnée dans l'Avis d'appel.

[42]          Il me faut conclure que l'intimée a établi que l'appelant a fait pour chacune des années en cause des faux énoncés dans des circonstances équivalant à faute lourde. Il est donc passible de la pénalité prévue au paragraphe 163(2) de la Loi.

[43]          Cependant l'analyse ne s'arrête pas là. Comment la Cour doit-elle interpréter cette disposition? Doit-elle l'interpréter dans le sens où elle n'a aucun pouvoir discrétionnaire à l'égard de l'imposition de la pénalité? Les mots « est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants : » peuvent-ils être sujets à interprétation?

[44]          Jusqu'à maintenant, la Cour ne s'est pas à vrai dire penché sur la question à savoir si cette disposition devait être interprétée comme décrétant une pénalité maximale. Elle décrète évidemment une pénalité minimale.

[45]          Si l'imposition de la pénalité en vertu de l'alinéa 163(2)a) de la Loi n'a jamais attiré mon attention par son résultat disproportionné, par contre, cette imposition en application du paragraphe 163(2.1) de la Loi, m'avait déjà paru fort onéreuse si ce n'est nettement excessive.

[46]          Ici, je me bornerai à analyser les dispositions législatives en question dans la présente instance, soit les alinéas 163(2)c), c.1) et c.2) de la Loi. Ces dispositions permettent-elles l'usage du pouvoir discrétionnaire du juge? Devraient-elles être interprétées comme le permettant ou comme l'empêchant?

[47]          Je reviens aux faits du présent litige. Les montants des crédits d'impôt dont le Ministre réclame le remboursement sont de 7 333,29 $ et les intérêts sur ces impôts de 4 370,82 $. Si nous additionnons ces deux derniers montant, le résultat est de 11 704,11 $. Le montant des pénalités est de 3 666,63 $ et les intérêts sur les pénalités sont de 3 756,15 $ pour un total de 7 422,78 $. Les revenus modestes de l'appelant sont décrits au paragraphe 35 de ces motifs.

[48]          Pour des contribuables à revenu modeste, déjà le remboursement des impôts payés en trop, additionnés des intérêts, est fort onéreux. Il faut comprendre que les sommes reçues ont habituellement été dépensées. Le remboursement de 11 704,11 $ est sûrement fort difficile pour l'appelant. S'il faut ajouter à cela le paiement des pénalités et des intérêts, cela ne devient-il pas disproportionné? L'intention du législateur est-elle de permettre ou d'empêcher l'usage du pouvoir discrétionnaire du juge?

[49]          Le pouvoir discrétionnaire du juge est ainsi défini dans le Dictionnaire de Droit québécois et canadien, Hubert Reid, 2e éd., Wilson & Lafleur, à la page 425 :

Pouvoir discrétionnaire : Faculté accordée à une personne appelée à prendre une décision, dans les limites de sa compétence, de choisir parmi les décisions possibles celle qui lui paraît la plus appropriée suivant les circonstances. Ex. Le pouvoir discrétionnaire du juge.

Rem.        Le pouvoir doit toujours être exercé dans le respect des principes de justice naturelle et conformément à la finalité de la loi sur laquelle repose la décision.

...

[50]          Je me reporte, pour montrer l'importance de l'exercice d'un tel pouvoir, à la décision de la Cour suprême du Canada dans Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416 et aux propos du juge Sopinka aux pages 435, 436, 437, 439, 444 et 445, relativement à une disposition de la Loi restreignant le pouvoir discrétionnaire du juge relativement à l'émission d'un mandat de perquisition :

...

24            À mon avis, il ressort d'une analyse des principes sur lesquels l'arrêt Hunter était fondé que l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire judiciaire de décider d'accorder ou de refuser l'autorisation d'un mandat de perquisition était essentiel au régime d'autorisation préalable qui, selon le juge Dickson, constituait une condition indispensable du respect de l'art. 8 dans cette affaire. Il ressort très clairement de cet arrêt que la décision d'accorder ou de refuser le mandat exige de soupeser deux droits : celui du particulier d'être libre de toute ingérence de l'État et celui de l'État de s'immiscer dans la vie privée du particulier en vue d'appliquer la loi. ...

29.            Non seulement l'existence d'un pouvoir discrétionnaire est-elle indispensable à l'appréciation des droits envisagés dans l'arrêt Hunter, mais l'exigence que l'officier qui autorise la saisie soit indépendant et ait la capacité d'agir judiciairement est incompatible avec la notion que l'État peut lui dicter les circonstances précises dans lesquelles le droit du particulier peut être ignoré ...

...

37            Il convient de dire que la qualification de certaines infractions et de certains régimes législatifs comme étant des « mesures de réglementation » ou des « mesures pénales » , bien qu'il s'agisse d'un facteur utile, n'est pas décisive aux fins de l'analyse fondée sur la Charte. Dans l'arrêt R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, où l'infraction de publicité fausse ou trompeuse prévue dans la Loi sur la concurrence, S.R.C. 1970, ch. C-23 et ses modifications, a été contestée sur le fondement de l'art. 7 et de l'al. 11d) de la Charte, le juge La Forest a dit, à la p. 209, que « ce qui importe en fin de compte, ce ne sont pas les étiquettes (bien qu'elles soient sans doute utiles), mais les valeurs en jeu dans le contexte particulier » , et il a conclu que la possibilité d'une peine d'emprisonnement de cinq ans à la suite d'une déclaration de culpabilité est une privation de liberté qui nécessite des garanties beaucoup plus importantes que les dispositions visées dans l'arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce),[1990] 1 R.C.S. 425, pour respecter l'art. 7 ou l'al. 11d).

...

40            Compte tenu de la nature envahissante des perquisitions et de leur objet correspondant qui est de recueillir des éléments de preuve afin de poursuivre un contribuable, je ne vois aucune raison de s'écarter de façon radicale des lignes directrices et des principes exposés dans l'arrêt Hunter, précité. Toute réduction des attentes en matière de protection de la vie privée en raison de la nature de la LIR influera sans doute sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge appelé à donner l'autorisation, mais ne saurait en justifier l'élimination.

[51]          Ces propos aident à comprendre l'utilité historique du pouvoir discrétionnaire du juge. Il ne peut exister de règle pour chaque situation imaginable. Le juge doit pouvoir exercer son jugement afin de rendre justice. Il faut aussi prendre en compte les principes d'interprétation des lois qui veulent notamment que l'on considère la finalité d'une disposition et que la législation à caractère pénal s'interprète de manière restrictive.

[52]          Il faut constater que les alinéas 163(2)c) et c.1) de la Loi sont des dispositions beaucoup plus à caractère pénal qu'à caractère réglementaire de par leur exigence de l'intention coupable ou de la faute lourde et que la finalité de ces dispositions est de punir. C'est cette finalité qui est en jeu ici. La punition doit-elle être proportionnée?

[53]          Dans le contexte d'une législation à caractère pénal, il est intéressant de prendre en connaissance l'article 734 du Code criminel. Cet article qui est celui qui autorise l'imposition des amendes, prévoit à son paragraphe 734(2) que, sauf dans le cas d'une amende minimale, le tribunal ne peut infliger une amende que s'il est convaincu que la personne a la capacité de payer.

[54]          Je me réfère aux propos du juge Biron (ad hoc) de la Cour d'appel du Québec dans R. c. Savard, [1998] A.Q. no 1565 (Q.L.), décision partagée par les juges LeBel et Nuss :

Je ne puis me convaincre que le législateur ait voulu faire imposer des amendes à des gens qui n'ont pas de biens ni sources de revenus permettant de les acquitter. Avant de payer des amendes il faut que le délinquant vive, et le cas échéant, subvienne aux besoins de ceux qui dépendent de lui. Autrement ce serait les condamner très souvent à l'oisiveté ou à tenter de tirer des revenus d'une activité criminelle quelconque. Ce ne peut être le but poursuivi par le législateur et l'art. (734)2 me paraît en être la confirmation.

[55]          Je suis d'avis qu'il faille aussi s'inspirer de l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés qui stipule que chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. En vertu de cet article, la Cour suprême du Canada dans R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045 a déclaré, allant à l'encontre de cet article 12, une disposition de la Loi sur les stupéfiants qui imposait une peine obligatoire d'emprisonnement de 7 ans, au motif que l'empêchement de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal pouvait entraîner une peine disproportionnée.

[56]          La jurisprudence a admis que dans le cas d'amendes minimales comme dans le cas d'infractions aux lois régissant les limites de vitesse ou le stationnement, un tribunal peut ne conserver aucune discrétion. Je ne sache pas qu'une telle admission jurisprudentielle existe à l'égard d'amendes ou de pénalités plus substantielles.

[57]          Il s'agit ici dans les circonstances de la présente instance de pénalités importantes. Je suis donc d'avis que la discrétion judiciaire dont l'existence a été jugée essentielle aux fins de la justice par le plus haut tribunal de ce pays, ne peut pas être mise de côté dans l'interprétation à donner au sens des alinéas 163(2)c) et c.1) de la Loi à moins que le texte ne la mette clairement de côté.

[58]          Ma lecture de ces dispositions ne m'amène pas à cette conclusion. Je ne crois pas que la disposition dise clairement que c'est la pénalité maximale qui doive être imposée. La personne en est passible mais l'autorité qui impose doit exercer son jugement. Les règles d'interprétation veulent que les dispositions pénales reçoivent une interprétation stricte d'autant plus qu'elles imposent des sanctions sévères. Donc cette Cour de justice doit pouvoir user de sa discrétion dans l'imposition de ces pénalités et s'assurer que la pénalité prend en compte la gravité de l'acte, la conduite antérieure du contribuable et la capacité de payer du contribuable, dans un but d'équilibre dans l'administration de la justice.

[59]          Si une telle discrétion judiciaire existe, existe-t-elle aussi pour le Ministre, lors de l'imposition des pénalités sous cet article. La réponse ne peut être qu'affirmative. Ainsi quand la Cour d'appel fédérale, dans Canada c. Consolidated Canadian Contractors Inc., [1999] 1 F.C. 209, a confirmé l'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable à l'égard de l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise, le Ministre a dû appliquer cet article en prenant en compte la diligence du contribuable.

[60]          Je suis d'avis, vu le revenu de l'appelant, vu qu'il s'agit d'une première faute, vu qu'il n'est pas l'initiateur de la fraude, que l'imposition maximale de la pénalité n'est pas la sanction appropriée. En prenant en considération ces éléments et surtout la capacité de payer de l'appelant il m'a paru que le sixième de la pénalité maximale serait approprié et proportionné. Les intérêts sur les pénalités ne sont pas de la même nature que ceux qui suivent les montants d'impôt dus. Ils pourraient être radiés. Dans ce cas-ci ma décision a été de diminuer les pénalités et que les intérêts soient ajustés en conséquence.

[61]          L'appel est accordé pour réduire la pénalité imposée au sixième de la pénalité maximale prévue aux alinéas 163(2)c) et c.1) de la Loi. Les intérêts seront ajustés en conséquence.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de mai 2002.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        2001-88(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Jean-Marc Simard et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 27 février 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                      23 mai 2002

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelant :               M. Réjean Simard

Avocats de l'intimée :                          Me Annick Provencher

Me Philippe Dupuis

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2001-88(IT)I

ENTRE :

JEAN-MARC SIMARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 27 février 2002 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Représentant de l'appelant :                           M. Réjean Simard

Avocats de l'intimée :                                    Me Annick Provencher

                                                                             Me Philippe Dupuis

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992, 1993 et 1994 sont accordés pour réduire la pénalité imposée au sixième de la pénalité maximale prévue au paragraphe 163(2) de la Loi et les intérêts seront ajustés en conséquence, selon les motifs du jugement ci-joints.

          L'appelant n'a droit à aucune autre mesure de redressement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de mai 2002.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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