Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20020704

Dossiers: 2000-517-IT-I, 2000-524-IT-I, 2000-617-IT-I

ENTRE :

ÉMILE NASRALLAH, CHARBEL GEBRAYEL,

MARWAN GEBRAYEL,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

Intimée.

Motifsdu jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'appels qui ont été entendus consécutivement, par voie de la procédure informelle. La preuve de l'intimée a été commune.

[2]            Dans les trois appels, il s'agit de donations qui auraient été faites à l'Ordre Antonien Libanais des Maronites ( « OALM » ). Dans chacun des cas, il s'agit de savoir si les dons de bienfaisance étaient véritablement au montant mentionné dans le reçu, si le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) pouvait cotiser en dehors de la période normale de cotisation et si c'est à bon droit que les pénalités ont été imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[3]            Monsieur Emile Nasrallah a été le premier appelant entendu. Dans son cas, les années en litige sont de 1992 à 1994.

[4]            L'appelant est né au Liban en 1960. Il est arrivé au Canada le 18 mai 1990. Il s'est marié en janvier 1992 au Liban avec Katia Homsy. Elle est venue au Canada en novembre de cette année. En mai 1995, ils ont acheté une maison. Ils ont eu une fille en 1999, Audrey.

[5]            Il est un ingénieur en génie électrique, diplômé de l'Université St-Joseph de Beyrouth. Depuis 1994, il fait partie de l'Ordre des ingénieurs du Québec.

[6]            Dans les années en litige, il était à l'emploi de Alstom Canada Inc., une entreprise dans la fabrication d'équipement de haute tension électrique. Il y occupait un emploi depuis 1990 au service à la clientèle.

[7]            Les dons sont au montant de 2 000 $ pour l'année 1992 et de 7 500 $ pour les années 1993 et 1994. En 1993, le don a été fait par chèque. Les autres années, en espèces liquides. Les dons sont datés de la fin de l'année et le paiement s'est fait en un seul montant. L'appelant a déposé comme pièce A-1, les reçus des dons. Ils portent tous les trois la date du 31 décembre et sont signés par la même personne. Les reçus n'ont pas été signés devant l'appelant mais auraient été remplis devant lui. Les copies de ces reçus sont également reproduites à l'onglet 5 de la pièce I-2.

[8]            L'appelant a déposé comme pièce A-2, les relevés de son compte bancaire pour les années en litige. On y voit que pour le mois de décembre 1992, il y a huit retraits au guichet automatique au montant total de 2 200 $. Pour l'année 1993, le relevé du mois de décembre n'a pas été produit dans sa totalité. Il va jusqu'au 7 décembre. Il est à noter que les retraits au guichet s'élèvent déjà à 1 300 $. En 1993, le don aurait été fait par chèque mais selon la pièce A-2, il n'aurait été encaissé que le 21 février 1994. L'explication de la provenance de l'argent du don pour l'année 1994 est que le 27 juin 1992, il a retiré 14 017 $ pour un voyage d'un mois au Liban avec son épouse du 7 septembre au 6 octobre 1992. Il serait resté suffisamment de liquide de cette somme d'argent pour faire le don de 7 500 $ à la fin de l'année.

[9]            L'appelant dit qu'il fréquentait de façon régulière, l'église catholique maronite, (une Église qui relève du pape) située avenue Ducharme à Outremont. Lors d'une messe, le prêtre Louis Hage leur avait fait état des besoins de reconstruction du Liban et de l'aide aux réfugiés qui arrivaient au Canada. Les dons étaient faits à l'OALM en majeure partie pour ces fins et pour aider à défrayer les frais de l'église. À la fin de décembre de chacune des années en cause, l'appelant allait voir le prêtre. En 1992 et 1994, il s'agissait du père Claude Nadra et en 1993 du père Louis Hage. Il a remis soit son argent soit son chèque, en main propre, au prêtre en question. Il explique qu'il a augmenté son don de 2 000 $ à 7 500 $ parce qu'ils étaient plus aisés ces années-là.

[10]          On voit aux onglets 1 à 3 de la pièce I-2 les déclarations de revenu de l'appelant pour les années 1992 à 1994. Ses revenus d'emploi étaient de 52 118,84 $, 58 487,10 $ et 53 052,74 $. À part les dons faits à l'OALM, pour ces années, il n'y a pas d'autres dons. Dans les années subséquentes, il n'y a aucune donation substantielle. Les seuls dons sont des dons à Centraide au montant de 20 $ pour les années 1997 à 1999. Ainsi, en 1999, il y a un don de 20 $ qui paraît à la déclaration de revenu pour cette année à la pièce I-2, onglet 4.

[11]          Son épouse ne déclarait aucun revenu. Il était le seul soutien familial. En 1992, l'appelant a contribué à un REER au montant de 5 987,21 $ et a réclamé des pertes d'une entreprise de consultation au montant de 10 000 $. En 1993, le montant contribué au REER est de 7 245,55 $ et le montant des pertes est de 4 786 $. En 1994, la contribution au REER est de 8 016,51 $ et la perte réclamée est de 1 172 $.

Marwan Gebrayel

[12]          Les années en litige sont de 1991 à 1993. L'appelant est conseiller en sécurité financière. Dans les années en litige, il était chef d'équipe pour Les Chevrons Lavallois Inc.

[13]          Monsieur Marwan Gebrayel est né le 10 novembre 1967. Il est arrivé du Liban au Canada le 12 juillet 1987. Au Canada, il habitait avec ses parents et deux frères et sa soeur. Il s'est marié au Liban en 1990 à Maya Slayby. Ils ont deux enfants Mario et Kevin nés le 15 septembre 1991 et le 2 août 1996.

[14]          À la demande des avocats de l'intimée, il a fourni l'information que son revenu pour l'année 1990 a été de 15 000 $. Pour l'année 1991, 15 244 $ de revenu d'emploi et 3 676 $ en assurance-chômage, en 1992, 18 703 $ de revenu d'emploi et 1 271 $ en assurance-chômage et en 1993, 11 464,84 $ de revenu d'emploi et 4 712 $ en assurance-chômage. La déclaration de revenu de l'année 1993 se trouve à l'onglet 1 de la pièce I-4.

[15]          L'appelant a déposé comme pièce A-5 les reçus des dons pour les années 1992 et 1993. Le cahier de documents de l'intimée a été déposé comme pièce I-4. On retrouve également les reçus pour les années 1991 à 1993 à l'onglet 7 de cette pièce.

[16]          C'est suite aux appels des prêtres qu'il a fait des dons à l'OALM au montant de 1 000 $ pour l'année 1991 et 2 000 $ pour chacune des années 1992 et 1993.

[17]          Les dons auraient été faits en argent à la fin des années 1991 et 1993 et au mois de novembre pour l'année 1992. Les reçus ont été signés par le prêtre qui a reçu l'argent, soit le père Joseph Kamar. Son épouse Maya Slayby aurait aussi fait des dons aux montants de 2 000 $ et 1 500 $ en 1991 et 1992 (pièce I-5). Cette dernière, pour quelque raison, n'a pas été cotisée à nouveau.

[18]          L'appelant a expliqué que les dons en argent avaient été faits à partir de cadeaux en argent reçus lors de son mariage et conservé dans un coffret de sécurité. En 1993, sa conjointe aurait gagné 10 000 $. En mai 1994, la famille a déménagé.

[19]          Il n'y a pas eu de dons substantiels dans les années subséquentes. Il y a un don de 39,88 $ pour l'année 1997 dont le reçu a été émis par l'Association des diplômés des HEC. Le don se fait automatiquement avec les frais de l'inscription.

Charbel Gebrayel

[20]          Les années en litige sont de 1990 à 1993. Il exploite présentement une entreprise de livraison. Dans les années en litige, il était assembleur dans une société d'assemblage d'aluminium, soit Prime Industries Ltd.

[21]          Il est le frère de Marwan Gebrayel. Il est né le 3 janvier 1966. Quand il est arrivé au Canada le 7 juin 1987, il était fiancé. Il s'est marié au Liban le 13 août 1989 avec Micheline Maalouly. Ils sont revenus au Canada ensemble. Ils ont trois garçons Anthony, Patrick et Alex nés le 4 novembre 1991, le 1er avril 1994 et le 23 juin 1995.

[22]          En 1990, il a quitté la maison de ses parents, vu que son frère Marwan revenait y habiter avec son épouse.

[23]          L'appelant a encouragé son frère Marwan à faire des dons. Il en avait fait un an avant lui. Les dons sont aux montants respectifs de 2 000 $, 3 000 $, 3 000 $ et 2 500 $. Selon l'appelant, ils auraient été faits, au fur et à mesure, les dimanches. Il déposait ses dons dans une enveloppe. Le prêtre aurait tenu dans un registre les dons faits par chacun au cours de l'année (Aucun registre n'a été produit à l'audience.). À la fin de l'année, le prêtre Joseph Kamar lui aurait mentionné combien il lui manquait pour compléter la donation et il a donné ce montant, soit en 1990, 400 $, en 1991, 600 $. En 1992, il a payé en un seul montant. En 1993, le prêtre aurait été Louis Hage.

[24]          Les reçus ont été déposés comme pièce A-6. En 1992, le reçu est en date du 4 septembre 1992. Les autres sont en date du 31 décembre.

[25]          En 1990, l'appelant a gagné un revenu d'emploi de 17 764,67 $ et des prestations d'assurance-chômage au montant de 2 978 $. En 1991, il a gagné 18 933 $ en revenu d'emploi et 4 004 $ en assurance-chômage, en 1992, 22 421 $ et 2 453 $ et en 1993, 16 224 $ et 7 797 $. En 1993, sa conjointe a un revenu net de 8 064 $.

[26]          Dans les années subséquentes, ainsi qu'on le voit à la pièce I-10, il n'y a aucun don de charité, sauf en 1999 un don de 45 $ et en 2000 un don de 100 $.

[27]          L'appelant a fait valoir qu'il travaillait beaucoup bénévolement pour l'église et que ce travail pouvait aisément s'évaluer à un montant de 5 000 $ par année.

Témoins de l'intimée

[28]          Madame Rim Ghorayed a été assignée à témoigner au moyen d'un subpoena. Elle est infirmière. Elle est arrivée du Liban au Canada en 1991. C'est son comptable, monsieur Bassam Farès, qui est le même comptable que celui de monsieur Nasrallah, qui lui a suggéré de faire un don à l'OALM. Il lui a expliqué que le crédit d'impôt serait supérieur au montant du don. Au début de l'année 1997, elle a reçu une lettre de Revenu Canada l'informant que le don qu'elle avait fait en 1993 n'était peut-être pas légal. Elle a répondu par une lettre en date du 20 février 1997 qui a été produite à l'onglet 11 de la pièce I-11. Cette lettre explique que c'est le comptable qui lui a proposé de faire un don, dont elle ne paierait qu'un pourcentage, et qu'elle obtiendrait un crédit d'impôt pour le plein montant du don.

[29]          Monsieur Jean-Yves Cloutier a aussi été convoqué par subpoena. Il est retraité. Lors des événements, il était travailleur social. C'est son épouse Marie Natchayan, qui est d'origine arménienne et qui a vécu au Liban, qui l'a mis en contact avec l'OALM. Il a obtenu des reçus d'impôt pour dons au montant de 1 000 $ pour 1991 à 1993 en donnant 100 $. Les montants étaient remis en février, mais les reçus portaient la date du 31 décembre de l'année précédente. Il a cessé de faire la demande de tels reçus parce que cela le mettait mal à l'aise.

[30]          Monsieur Gaétan Ouellet est enquêteur à Revenu Canada. Il a commencé comme vérificateur il y a 33 ans, mais il est enquêteur depuis 25 ans. Son action dans le dossier a commencé à la suite d'une dénonciation provenant de l'épouse d'un administrateur de l'OALM. Ils se sont séparés en 1994. Cette épouse est venue révéler au Ministre les stratagèmes de l'OALM. Il y a eu une rencontre en mars 1994 entre cette personne, le comptable de cette personne, et madame Colette Langelier, vérificatrice du Ministre. Le 23 août 1995, cette personne a signé une déclaration assermentée (pièce I-15) expliquant le système. Je cite le paragraphe 3 :

3)              Le stratagème utilisé par l'Ordre était à ma connaissance le suivant :

                Des dons étaient faits en espèce et une partie était retournée en argent au donataire, par exemple, un don de 20 000 $ pour un reçu de 60 000 $.

                Un pourcentage était établi, variant de 25 à 50 %, qui restait à l'organisme de charité. Un chèque pour le montant total du reçu était émis et l'argent « cash » était remis par la suite. Les personnes pouvaient donc prouver leur sortie de fonds.

[31]          Monsieur Ouellet relate que c'est madame Colette Langelier qui a procédé à la vérification de l'OALM. À la fin de sa vérification, elle a suggéré qu'une enquête se fasse. C'est monsieur Ouellet qui a fait l'enquête. Le mandat de perquisition a été exécuté le 8 novembre 1995. Monsieur Ouellet a déposé comme pièce I-11, un cahier de documents contenant 14 onglets, intitulé « Documents d'enquête » .

[32]          Selon monsieur Ouellet, l'enquête a révélé que la façon de procéder était d'émettre des reçus à 100 p. 100 pour 20 p. 100 d'espèces liquides, ou pour 20 p. 100 en chèque, ou pour un chèque au montant total mais avec remise en argent liquide et parfois pour aucune somme d'argent. Des plaintes au criminel ont été déposées à l'égard d'environ 18 donateurs au montant de 100 000 $ et plus sur une période de 1989 à 1995. Les procès-verbaux des plaidoyers de culpabilité se trouvent à l'onglet 2 de la pièce I-11. Les autres soi-disant donateurs, environ 1 200 ont été cotisés à nouveau. Il y a eu de nombreux règlements entre Revenu Canada et les donateurs. Il y a eu de nombreux aveux que l'on retrouve à l'onglet 10 de la pièce I-11.

[33]          On retrouve notamment à l'onglet 3 de la pièce I-11, un document informatique intitulé « Biblio-Reç » . Ce document de neuf pages a été trouvé aux bureaux de l'OALM. Il est indiqué à la tête des différentes colonnes : No, prénom, nom, téléphone, montant, à payer, payé, rest à p., Nôtre, via. L'enquêteur interprète le « No » comme étant le numéro du reçu, « montant » comme étant celui du reçu, « à payer » comme étant le montant qui est retourné au donateur et « Nôtre » comme étant le montant véritablement donné. Ainsi pour le reçu portant le numéro 32, j'omettrai le nom et le numéro de téléphone, le montant est de 4 000 $, le montant « à payer » est de 3 200 $ et le montant « Nôtre » est de 800 $.

[34]          Le nom de monsieur Nasrallah y paraît. Le numéro de reçu est 90, le montant est de 7 500 $ et le montant de « Nôtre » est 1 500 $. Le reçu de monsieur Nasrallah déposé comme pièce A-1 et à l'onglet 5 de la pièce I-2 porte le numéro 0090, est en date du 31 décembre 1993 et est au montant de 7 500 $.

[35]          Le nom de monsieur Jean-Yves Cloutier y paraît aussi. Le « montant » est de 500 $ et celui du « Nôtre » est de 75 $. Celui de son épouse y est aussi. Le « montant » est de 1 000 $ et celui du « Nôtre » est de 150 $.

[36]          Les déclarations de renseignements des organismes à déclaration publique de renseignements ou les T3010, pour les années 1989 à 1994, ont été déposées comme pièce I-16. On y voit à la fin de chaque déclaration la liste totale des donateurs. Les numéros de reçus se suivent. Chacun des appelants se retrouvent dans les listes.

[37]          Les états des quêtes de quelques dimanches pour l'année 1994 ont été déposés à l'onglet 12 de la pièce I-11. On y voit des quêtes au montant total de 566 $, 354 $, 443 $ et 299 $.

[38]          Madame Langelier a déposé un document de travail exécuté au moment de la vérification qui montre les importants retraits d'argent faits lors de chaque dépôt par l'Ordre au cours des années sous vérification (pièce I-17). Ce qui est advenu de ces retraits d'argent n'a pas pu être retracé dans aucun des registres mis à la disposition de la vérificatrice. Ni elle ni monsieur Ouellet l'enquêteur, n'ont pu mettre la main sur le registre qui était tenu à l'égard de ces retraits extrêmement importants. En 1989, les dépôts des chèques ont totalisé 845 154,23 $ et les retraits 680 369 $. En 1990, 1 111 507,99 $ et 883 350 $. En 1991, 1 337 769,96 $ et 1 152 740,89 $. En 1992, 1 293 502,63 $ et 1 090 528 $. En 1993, 1 169 108,60 $ et 857 340,50 $. En 1994, 1 068 966,01 $ et 695 250 $.

[39]          Les bordereaux des dépôts des années 1989 à 1994 ont été déposés sous la cote I-18 en deux volumes. Le reçu de monsieur Nasrallah pour l'année 1992 porte le numéro 2675. Le don a été fait en espèces liquides. Toutefois, les reçus 2660 à 2668 des montants qui ont été payés par chèques ont été déposés le 25 février et le 4 mars 1993 (pièce I-18, onglet 8 et pièce I-16, onglet 4). Le chèque pour l'année 1993 a été déposé en février 1994 (pièce I-18, vol 2, onglet 10). Le reçu au montant de 7 500 $, daté du 31 décembre 1994, n'a pas été déposé puisque les sommes avaient été versées en argent. Toutefois, son numéro est à l'intérieur d'autres reçus dont les chèques ont été déposés le 16 mars 1995.

[40]          La pièce I-13 est une liste de personnes dont les noms ne paraissent pas au « Biblio-Reç » et d'autres dont les noms y figurent et qui ont admis avoir obtenu de faux reçus.

[41]          La pièce I-14 est une liste plus longue que celle de « Biblio-Reç. » . Elle a été retrouvée dans le bureau d'un comptable. Elle comprend les reçus no 32 jusqu'à 495. Toutefois, selon la vérificatrice il s'agit d'une liste dont on a amputé une partie. Les éléments décrits s'arrêtent à « montant » . Or, cette liste reproduit les reçus no 32 jusqu'au numéro 354 qui faisait partie de la « Biblio-Reç. » avec toute l'information compromettante qui s'y trouvait. Dans cette liste tronquée, on retrouve le nom de monsieur Charbel Gebrayel au no 491 et celui de Maya Slayby au no 490.

[42]          Madame Langelier a fait, pour chacun des contribuables, le calcul de l'intérêt que chacun pouvait retirer d'une donation de 20 p. 100 du montant indiqué au reçu. La pièce I-21 montre que pour un montant de 7 500 $ pour lequel un individu aurait versé 20 p. 100 soit 1 500 $, le total des crédits pour don, fédéral et provincial, s'élève à 3 645 $.

Analyse

[43]          Il s'agit ici d'une preuve par présomptions de fait. Elle est ainsi définie dans La preuve civile, Jean-Claude Royer, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1987, à la page 296 :

798 - Définition - La présomption de fait est la conséquence que le tribunal tire d'un ou de plusieurs faits connus à un fait inconnu.

[44]          Les avocats de l'intimée se sont référés à une décision du juge Marceau de la Cour fédérale de première instance, dans Canadian Titanium Pigments Ltd. c. Fratelli D'Amico Armatori, [1979] A.C.F. no 206 (Q.L.), et plus particulièrement aux paragraphes 11 à 14 :

11             La demanderesse, je l'ai dit, n'est pas en mesure d'apporter une preuve directe ni de l'une ni de l'autre des deux propositions: j'ai expliqué, en présentant la cause, qu'elle ne s'était rendu compte du bris de ses conduits qu'après coup et qu'elle n'avait pu le rattacher au passage du Mare Placido que longtemps après. La demanderesse entend prouver ses assertions uniquement par preuve indirecte, soit par présomptions, et même par présomptions à deux niveaux, pour ainsi dire, car, comme on le verra, certains des faits qui, d'après elle, attestent de ses conclusions ne peuvent eux-mêmes être prouvés que par présomptions.

12             Il n'y a certes pas lieu d'insister sur la recevabilité d'une preuve par présomptions pour démontrer l'existence d'un fait: c'est même en pratique un moyen de preuve qui, dans un domaine comme celui de la responsabilité civile, peut être souvent plus efficace que n'importe quel autre. Il n'y a pas lieu non plus de s'attarder sur les principes à la lumière desquels une preuve de cette nature doit être analysée. Tout cela est trop bien connu. Tirées tout autant de la logique que de la théorie juridique, les règles applicables en la matière sont essentiellement les mêmes en droit civil qu'en common law, et c'est pourquoi, soit dit en passant, je n'attache pas d'importance à la question de savoir si le litige doit être résolu en fonction exclusivement du droit québécois, -- comme l'ont pris pour acquis les procureurs des deux parties sous prétexte sans doute que la cause d'action avait pris naissance au Québec et que le procès s'y déroulait -- ou du droit que cette Cour, en sa juridiction d'amirauté a reçu des tribunaux auxquels elle a succédé -- comme il serait possible de le prétendre.

13             Pour réussir, on le sait, la demanderesse devra faire valoir des présomptions qui emportent l'adhésion tant par leur nombre que par leur gravité, leur précision et leur concordance -- j'emprunte ici les expressions que les auteurs et la jurisprudence utilisent au Québec sous l'inspiration de l'article 1353 du Code français. Mais cette adhésion, ne l'oublions pas, n'aura pas à s'appuyer sur une certitude inébranlable: une telle certitude excède les exigences de la justice civile; elle devra résulter d'une simple conviction relative tirée d'une déduction rationnelle des faits et circonstances.

14             Il s'agit donc d'examiner ces faits et circonstances mis en lumière par l'enquête et de se demander si on en peut déduire rationnellement une preuve suffisamment convaincante de la justesse de ces deux propositions sur lesquelles l'action est fondée.

[45]          J'ai souligné les passages que je trouve les plus éclairants.

[46]          Les avocats de l'intimée se sont également référés à la décision de la Cour suprême du Canada dans Lévesque c. Comeau et al., [1970] R.C.S. 1010, aux pages 1012 et 1013 :

... Elle seule était en mesure d'apporter au tribunal ces éléments de preuve et elle ne l'a pas fait. À mon avis, il faut appliquer la règle que dans de telles circonstances un tribunal doit présumer que ces éléments de preuve lui seraient défavorables. ...

[47]          Ils ont fait valoir que les appelants n'ont pas présenté de preuve qui pourrait amener le tribunal à croire que leurs cas étaient des cas d'exception au stratagème organisé dont l'intimée a fait la preuve.

[48]          Ils se réfèrent, en ce qui concerne les pénalités à une décision de la juge Barbara Reed dans Patricio c. Canada, [1984] A.C.F. no 540 (Q.L.) :

... À mon avis, son ignorance des exigences du Système fiscal était directement fonction de son choix délibéré de porter des oeillères et ne procédait pas d'une simple négligence ou ni d'une insouciance. L'ignorance volontaire d'une personne qui est en mesure d'agir de façon responsable constitue à mon avis une faute lourde, compte tenu des circonstances de l'espèce. ...

[49]          Les appelants font valoir que rien dans la preuve ne prouve qu'ils ont remis moins à l'OALM que ce que le reçu d'impôt ne montre. Ils ont voulu aider le Liban. Ils demandent que je rende à leur égard la même décision qui a été rendue par le juge Tardif de cette Cour dans Abboud c. Canada, [2001] A.C.I. no 161, qui a accordé les appels des appelants et se réfèrent plus particulièrement au paragraphe 14 des motifs :

Il n'y a rien qui puisse justifier de rejeter l'un ou l'autre des témoignages des appelants. Les appelants avaient la capacité financière d'effectuer les dons. La cause sous-jacente aux dons était noble, raisonnable et réelle. S'il s'était agi d'un stratagème pour élucider des impôts ou réduire leur fardeau fiscal, je crois que les montants des dons auraient été, d'une part, supérieurs à ceux sur lesquels porte le présent litige et d'autre part, les appelants auraient sans doute fait en sorte que le tout s'échelonne sur plus de trois années; de plus, tous deux en auraient possiblement profité d'une manière plus significative.

Conclusion

[50]          Je me réfère à l'article 2849 du Code civil du Québec que l'on trouve au Chapitre troisième De la présomption du Livre septième De la preuve :

Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont laissées à l'appréciation du tribunal qui ne doit prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes.

[51]          Il y a dans cette affaire des présomptions qui sont graves, précises et concordantes. La conviction que je tire de la déduction rationnelle des faits et des circonstances, selon les termes du jugement du juge Marceau ci-dessus, est que les appelants n'ont pas été des exceptions au système d'émission de reçus de dons à une valeur nettement supérieure au montant effectivement donné.

[52]          Le nom de monsieur Nasrallah paraît au « Biblio-Reç. » , celui de monsieur Charbel Gebrayel, à la liste tronquée, les reçus n'ont pas été émis selon la date de réception des sommes d'argent ou de chèques. Les personnes dont les noms paraissent au « Biblio-Reç. » et celles qui ont été repérées pour avoir fait des réclamations de crédits d'impôt pour dons à l'OALM, ont été cotisées à nouveau. Un certain nombre de ces personnes ont même été accusées au criminel. De celles-ci, la plupart ont plaidé coupable. La grande majorité des personnes cotisées n'ont pas contesté les nouvelles cotisations. Plusieurs ont fait des aveux écrits. Or, toutes ces personnes avaient en leur possession des reçus analogues à ceux présentés par les appelants.

[53]          La seule production des reçus dans ces circonstances ne pouvait donc pas suffire à me convaincre que la totalité du montant avait été véritablement donnée et que les appelants étaient des exceptions à un système organisé d'émissions de reçus de charité frauduleux. La décision Abboud (supra), sur laquelle se sont appuyés les appelants, a été rendue selon ses propres circonstances et ne peut être suivie dans la présente affaire. La générosité alléguée des appelants dépasse, de façon incompréhensible, les normes usuelles de la générosité dans des circonstances de revenus moyens et des besoins pécuniaires de jeunes ménages. La générosité des années subséquentes montre la générosité plausible et possible des appelants. Les montants des quêtes dominicales sont aussi révélateurs.

[54]          Monsieur Charbel Gebrayel a fait valoir qu'il avait fait beaucoup de travail bénévole pour cette église. Son frère aurait participé à ce travail bénévole. Ce travail n'a pas été confirmé, mais je peux accepter la véracité de cette affirmation car elle en avait les accents. Toutefois, ainsi que je l'ai mentionné au cours de l'audience, le travail bénévole ne donne pas droit à un reçu de charité. J'ai déjà étudié cette question dans Slobodrian c. Canada, [1998] A.C.I. no. 380 (Q.L.), où j'ai conclu que le travail bénévole n'était pas un bien susceptible d'appropriation ou en d'autres termes n'était pas un bien ou un droit patrimonial. Il ne pouvait faire l'objet d'un don.

[55]          En ce qui concerne, les pénalités, je suis d'avis qu'elles ont été correctement imposées en ce qui concerne monsieur Nasrallah. En ce qui concerne messieurs Gebrayel, il est possible de croire qu'ils aient considéré que les montants totaux de ces reçus avaient été véritablement gagnés par leur travail bénévole. Je leur donne le bénéfice du doute. Les pénalités doivent donc être annulées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de juillet, 2002.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2000-517(IT)I, 2000-524(IT)I

et 2000-617(IT)I

INTITULÉS DES CAUSES :                                Émile Nasrallah et Sa Majesté la Reine

                                                                                                Charbel Gebrayel et Sa Majesté la Reine

                                                                                                Marwan Gebrayel et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATES DE L'AUDIENCE :                                 les 13, 15 et 16 mai 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                      le 4 juillet 2002

COMPARUTIONS :

Pour les appelants :                              les appelants eux-mêmes

Avocats de l'intimée :                          Me Nathalie Lessard

                                                                                Me Simon Nicolas Crépin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour les appelants :                              n/a

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2000-517(IT)I

ENTRE :

ÉMILE NASRALLAH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Charbel Gebrayel (2000-524(IT)I) et Marwan Gebrayel (2000-617(IT)I)

les 13, 15 et 16 mai 2002 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Pour l'appelant :                                            l'appelant lui-même

Avocats de l'intimée :                                    Me Nathalie Lessard

                                                                   Me Simon-Nicolas Crépin

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 sont rejetés, selon les motifs du jugement ci-joint.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de juillet, 2002.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.


2000-524(IT)I

ENTRE :

CHARBEL GEBRAYEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Émile Nasrallah (2000-517(IT)I) et Marwan Gebrayel (2000-617(IT)I)

les 13, 15 et 16 mai 2002 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Pour l'appelant :                                            l'appelant lui-même

Avocats de l'intimée :                                    Me Nathalie Lessard

                                                                   Me Simon-Nicolas Crépin

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993 sont accordés en ce qui a trait aux pénalités qui doivent être annulées, à tout autre égard, les cotisations restent les mêmes, selon les motifs du jugement ci-joint.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de juillet, 2002.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.


2000-617(IT)I

ENTRE :

MARWAN GEBRAYEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Charbel Gebrayel (2000-524(IT)I) et Émile Nasrallah (2000-517(IT)I)

les 13, 15 et 16 mai 2002 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Pour l'appelant :                                            l'appelant lui-même

Avocats de l'intimée :                                    Me Nathalie Lessard

                                                                   Me Simon-Nicolas Crépin

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993 sont accordés en ce qui a trait aux pénalités qui doivent être annulées, à tout autre égard, les cotisations restent les mêmes, selon les motifs du jugement ci-joint.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de juillet, 2002.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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