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Date: 20020705

Dossier : 2000-1618-IT-G

ENTRE :

GASTON CELLARD INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel relatif aux années d'imposition 1996 et 1997.

[2]            Pour établir et émettre les cotisations qui font l'objet du présent appel, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a pris pour acquis les faits suivants :

a)              Au cours de l'année d'imposition 1991, l'appelante exploitait une scierie dans le comté de Bonaventure en Gaspésie;

b)             Le 11 mars 1991, l'appelante a reçu de la part du ministère des Transports du Québec un avis d'expropriation publié au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Bonaventure no 2, à Carleton, sous le numéro 62255;

c)              Cet avis d'expropriation visait le terrain sur lequel l'appelante exploitait sa scierie;

d)             Le ou vers le 16 décembre 1995, l'appelante et le ministère des Transports du Québec ont conclu une entente par laquelle l'appelante recevrait une indemnité d'un montant de 1 150 156 $ comprenant les postes d'indemnisation suivants :

·                      L'acquisition de terrains;

·                      Le déplacement des bâtiments, des équipements et autres;

·                      L'amélioration au sol;

·                      Les frais d'expertise et autres dommages.

e)              L'appelante a fait construire une nouvelle scierie à même cette indemnité, dont les travaux se sont terminés durant l'année 1995;

La bâtisse-moulin à scie :

f)              Dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition se terminant le 31 décembre 1995, l'appelante s'est prévalue des dispositions du paragraphe 44(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (ci-après la « Loi » ) en faisant un choix lui permettant de différer l'imposition du gain en capital provenant de la disposition du terrain et de la bâtisse du moulin à scie;

g)             Le coût en capital réel de la nouvelle bâtisse du moulin à scie est de 479 912 $;

h)             L'appelante a établi le coût en capital réputé de la nouvelle bâtisse du moulin à scie ( « le bien de remplacement » ) à 58 105 $ en conformité avec l'alinéa 44(1)f) de la Loi;

i)               En calculant son crédit d'impôt à l'investissement à la fin de l'année d'imposition 1995, l'appelante a cependant tenu compte du coût réel d'acquisition de la nouvelle bâtisse et non, comme elle se devait, du coût en capital réputé du bien de remplacement prévu à l'alinéa 44(1)f) de la Loi;

j)               Le ministre du Revenu national a par conséquent révisé le crédit d'impôt à l'investissement accordé pour la construction de la nouvelle bâtisse à 17 432 $, tel que le démontre le tableau suivant :

Description du bien :

bâtisse - moulin à scie

Coût réclamé

512 121 $

Coût admissible

58 105 $

Coût non admissible

454 016 $

C.I.I. réclamé pour la bâtisse - 30%

153 636 $

C.I.I. accordé pour la bâtisse -30%

17 432 $

k)              La révision du crédit d'impôt à l'investissement pour la construction de la bâtisse gagné en 1995 à 17 432 $ a eu pour effet de réduire le solde de crédit d'impôt à l'investissement disponible pour les années d'imposition 1996 et 1997 de la façon décrite au paragraphe 10 de la présente réponse à l'avis d'appel et a eu une conséquence sur les montants du crédit d'impôt à l'investissement remboursé à l'impôt à payer pour les années se terminant le 31 décembre 1996 et le 31 décembre 1997;

Transport et construction d'une base de béton pour une balance :

l)               Le ministre du Revenu national a considéré que le coût de 20 640 $ relié au transport et à la construction d'une base de béton servant à soutenir une balance usagée en 1996 était inadmissible aux fins du calcul du crédit d'impôt à l'investissement;

m)             Cette inadmissibilité a eu pour effet de réduire le solde de crédit d'impôt à l'investissement disponible pour les années d'imposition 1996 et 1997 de la façon décrite au paragraphe 10 de la présente réponse à l'avis d'appel, a affecté le remboursement de crédit d'impôt à l'investissement pour l'année se terminant le 31 décembre 1996 et a eu une conséquence sur l'impôt à payer pour l'année se terminant le 31 décembre 1997;

[3]            L'appel soulève deux questions, la première étant de déterminer si le C.I.I. ( « crédit d'impôt à l'investissement » ) prévu au paragraphe 127(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) doit être calculé à partir du coût en capital de la bâtisse ou du coût en capital réputé aux termes de l'alinéa 44(1)f) de la Loi.

[4]            La deuxième question en litige consiste à décider si l'appelante avait droit à un C.I.I. sur le coût de la construction des fondations en béton nécessaire pour l'installation d'une balance usagée.

[5]            En 1991, l'usine de l'appelante faisait l'objet de procédures en expropriation par le gouvernement du Québec. Après avoir été indemnisée en 1995, l'appelante décidait de construire sa nouvelle usine sur un autre site.

[6]            Le paiement d'une indemnité découlant de l'expropriation d'un immeuble fait en sorte qu'il s'agit d'une disposition réputée en vertu de la Loi. Conséquemment, l'exproprié peut faire le choix prévu à l'alinéa 44(1)f) de la Loi; ce choix permet de différer le gain en capital réalisable découlant de la disposition réputée, générée par l'expropriation. L'appelante a fait ce choix.

[7]            En remplacement de l'usine expropriée, l'appelante en a construit une nouvelle. Ayant dû assumer tous les coûts de construction de la nouvelle usine, l'appelante a réclamé le C.I.I., sur la base des déboursés réels nécessités pour la construction de la nouvelle usine.

[8]            Le Ministre soutient que la base des calculs du C.I.I. n'est pas le coût réel du coût en capital, mais plutôt le coût en capital réputé en vertu de l'alinéa 44(1)f) de la Loi. Le Ministre a également refusé d'accorder la demande de C.I.I. relatif au coût des fondations érigées pour l'installation d'une balance usagée.

[9]            Dans un premier temps, je disposerai de la question relative au coût de construction des fondations requises pour l'installation de la balance usagée.

[10]          La balance devait être déménagée et réinstallée sur de nouvelles fondations en béton, sur le site de la nouvelle usine. Il s'agissait de fondations dont la dimension était de 70 pieds de long par 10 pieds de large. Cette balance avait été acquise pour le mesurage du bois en déterminant la masse volume et à partir de quoi les coûts pour le droit de coupe étaient établis; il s'agissait là de nouvelles exigencesgouvernementales.

[11]          La balance pouvait être déplacée à condition d'être séparée de ses assises qui devenaient pour ainsi dire inutiles. Quant à la balance, elle était tout aussi inutile jusqu'à sa réinstallation sur d'autres fondations. Pour être fonctionnelle, elle devait être ancrée ou annexée à des fondations de béton.

[12]          Une fois fixée aux nouvelles fondations, l'installation devenait permanente et constituait un bien immobilier au même titre que les bâtiments de l'usine.

[13]          La balance avait deux composantes essentielles pour être opérationnelle ou assumer sa vocation fondamentale: une partie mécanique qui pouvait être déplacée et des fondations permanentes n'ayant aucune valeur sans la balance.

[14]          Qualifier la partie mécanique au moment où elle était séparée de ses fondations n'est pas approprié puisqu'il s'agissait d'une situation temporaire inhabituelle; en plus, il s'agissait d'un bien sans intérêt ni utilité. Une fois assemblée ou fixée aux fondations, elle devenait fonctionnelle, en mesure d'assumer son rôle.

[15]          Eu égard à la qualité de ses attaches et de son ancrage au sol, il n'y a aucun doute qu'il s'agissait d'un immeuble. Cela devient particulièrement évident à la lecture des dispositions pertinentes que sont les articles 900 et suivants du Code civil du Québec (le « Code » ).

[16]          Les articles 900 et 901 du Code, se lisent comme suit :

Article 900.

Sont immeubles les fonds de terre, les constructions et ouvrages à caractère permanent qui s'y trouvent et tout ce qui en fait partie intégrante. Le sont aussi les végétaux et les minéraux, tant qu'ils ne sont pas séparés ou extraits du fonds. Toutefois, les fruits et les autres produits du sol peuvent être considérés comme des meubles dans les actes de disposition dont ils sont l'objet.

Article 901.

Font partie intégrante d'un immeuble les meubles qui sont incorporés à l'immeuble, perdent leur individualité et assurent l'utilité de l'immeuble.

[italiques ajoutées]

[17]          Je ne retiens pas l'argument de l'intimée voulant que la fondation fasse partie de la balance; je crois plutôt que la nature de la balance doit s'apprécier au moment où elle est en état de fonctionner ou en mesure d'accomplir ce pourquoi elle a été acquise, soit déterminer le poids du bois.

[18]          La balance est donc devenue une partie intégrante de la fondation à partir du moment où elle y a été fixée ou annexée. L'installation de la balance sur ses nouvelles fondations a eu pour effet de le rendre un immeuble.

[19]          Les fondations ont requis un déboursé de 15 000 $. Il s'agissait là d'un déboursé de la même nature que celui requis pour la construction de l'usine. Conséquemment, je conclus que le déboursé de 15 000 $ pour la construction des fondations requises pour l'installation d'une balance était admissible au crédit d'impôt à l'investissement.

[20]          Quant à la première question en litige soit la détermination du coût en capital de l'usine devant faire l'objet du C.I.I., l'intimée soutient que le coût en capital réputé en vertu de l'alinéa 44(1)f) de la Loi devait être le fondement des calculs du C.I.I. et non pas le coût en capital déboursé, comme le prétend l'appelante.

[21]          Pour justifier son interprétation, l'intimée soutient que rien dans les dispositions prévues à l'alinéa 44(1)f) ne limite ou ne restreint le champ d'application du coût en capital réputé prévu par cet article de la Loi. En d'autres termes, l'intimée prétend que le coût en capital réputé, prévu par l'article 44, s'applique à toute la Loi, sauf quant aux exceptions expressément prévues; le législateur n'ayant pas prévu l'exception des données à l'origine du présent dossier, le Ministre conclu que seul le coût en capital réputé s'applique en l'espèce.

[22]          De son côté, l'appelante fait le même constat à savoir que l'alinéa 44(1)f) ne prévoit pas d'exception ou de restriction spécifique quant aux faits à l'origine de son appel.

[23]          Bien qu'elles s'entendent quant à l'absence de précisions, les parties interprètent le silence du législateur de façon très différente. L'appelante soutient que le législateur a tout simplement voulu par son silence permettre l'obtention du C.I.I. sur le coût en capital réel et non pas sur le coût en capital réputé établi en vertu de l'alinéa 44(1)f). De son côté, l'intimée prétend que si tel avait été le but du législateur, il l'aurait alors clairement exprimé.

[24]          Les parties s'entendent également sur l'objectif poursuivi par le législateur, à savoir que le C.I.I. a été prévu pour encourager et soutenir le développement économique de certaines régions du pays défavorisées à cause de leur éloignement.

[25]          Outre l'argument voulant que si le législateur n'a pas prévu de façon spécifique au paragraphe 127(11.1) de la Loi et que de ce fait le C.I.I. ne s'applique que sur le coût en capital réputé aux termes de l'alinéa 44(1)f), l'intimée plaide que l'investissement de l'appelant n'était pas un investissement réel en ce qu'il s'agissait de l'utilisation de l'indemnité d'expropriation pour non pas construire une nouvelle usine dans la région, mais essentiellement construire une usine en remplacement de celle fermée des suites de l'expropriation.

[26]          Il s'agit d'un argument très peu convaincant, puisque l'appelante aurait pu décider de ne pas reconstruire ou même de réinvestir dans un tout autre secteur d'activité économique ou même dans une toute autre région; la région concernée aurait alors été privée de l'investissement.

[27]          La décision de reconstruire consolidait les emplois et nécessitait les mêmes déboursés que s'il s'était agi d'une nouvelle usine aménagée pour la première fois.

[28]          Cela étant, l'appelante a véritablement investi les coûts requis pour la construction de sa nouvelle usine. La région a profité de l'investissement et les emplois ont été maintenus, voire même consolidés des suites de l'investissement. À cet égard, le C.I.I. a pleinement joué son rôle en contribuant, sans doute, à la décision de reconstruire. Il s'agissait très certainement d'une mesure incitative au réinvestissement de l'indemnité d'expropriation.

[29]          À partir des mêmes fondements juridiques, les parties ont soumis des arguments valables pour soutenir leur interprétation respective. Il en découle donc que le libellé des dispositions pertinentes n'a pas la clarté et la précision souhaitable.

[30]          Un C.I.I. est une mesure incitative et stimulante. Si le législateur avait voulu limiter la portée et l'étendue de l'avantage, il l'aurait prévu de manière expresse ou spécifique, de façon à éviter toute incertitude ou confusion, selon l'appelante.

[31]          Règle générale, si les termes utilisés dans la Loi sont clairs, ils doivent être interprétés selon leur sens ordinaire et courant. En l'espèce, il ne s'agit pas d'interpréter le vocabulaire de la Loi, mais il s'agit plutôt de déterminer l'applicabilité d'une présomption contenue dans une disposition de la Loi (soit l'alinéa 44(1)f)) à une autre disposition (soit le paragraphe 127(9)) qui n'est pas reliée à la première. En d'autres termes, il s'agit de déterminer si le coût en capital présumé en vertu de 44(1)f) comme étant moindre que le coût en capital réel d'un bien, doit être pris en compte pour les fins de la définition de « crédit d'impôt à l'investissement » prévu au paragraphe 127(9) de la Loi.

[32]          Le terme coût en capital n'est pas défini dans la Loi. Dans l'affaire La Reine c. Stirling, [1985] 1 C.F. 342, la Cour d'appel fédérale en analysant ce que constitue le coût en capital d'un bien, a défini ce terme comme suit :

Sauf erreur, le mot « coût » qu'on trouve dans ces articles signifie le prix que le contribuable a accepté de payer pour obtenir le bien en question; il ne comprend pas les dépenses que le contribuable a pu engager pour être en mesure de payer ce prix ou de conserver le bien par la suite [Voir : R. c. Canadien Pacifique Ltée, [1978] 2 C.F. 439; 77 DTC 5383(C.A.); Birmingham Corporation v. Barnes, [1935] A.C. 292 (H.L.); R. c. Consumers' Cas Company Ltd., [1984] 1 C.F. 779; 83 DTC 6058 (C.A.).]

[33]          Dans l'arrêt La Reine c. Singleton, 2001 C.S.C. 61, l'honorable juge LeBel, dissident, fait une excellente élaboration de l'évolution récente des méthodes d'interprétation. Le juge Lebel s'exprimait au paragraphe 59 et suivants comme suit :

4.              L'interprétation de la loi

a. La méthode du contexte global

59             Dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, notre Cour a énoncé une nouvelle méthode d'interprétation législative applicable à la Loi de l'impôt sur le revenu, que le juge MacGuigan a qualifiée de « méthode du contexte global » dans Harris Steel Group Inc. c. M.N.R., 85 DTC 5140. Dans l'arrêt Stubart à la p. 578, le juge Estey a souscrit à la règle d'interprétation des lois énoncée par Driedger dans Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87 - règle que notre Cour avait déjà adoptée pour d'autres lois - et selon laquelle [TRADUCTION] « il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » .

60             Depuis l'arrêt Stubart, notre Cour a adopté cette méthode dans nombre d'autres décisions, par exemple La Reine c. Golden, [1986] 1 R.C.S. 209, à la p. 214, le juge Estey, et Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, à la p. 744, le juge Iacobucci, et à la p. 806, le juge L'Heureux-Dubé. Même des arrêts comme Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, à la p. 15 (préconisant la méthode téléologique), et Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, au par. 10 (préconisant la méthode du « sens ordinaire » ), ont indiqué que l'arrêt Stubart demeurait l'arrêt moderne fondamental au Canada en matière d'interprétation des lois.

61             La méthode du contexte global constitue une voie mitoyenne entre la méthode téléologique pure préconisée par le juge Gonthier dans l'arrêt Corp. Notre-Dame de Bon-Secours et la méthode fondée sur le « sens ordinaire » de la loi privilégiée par le juge Major dans l'arrêt Friesen. Comme le souligne le professeur David G. Duff dans son article intitulé « Interpreting the Income Tax Act » (1999), 47 Can. Tax J. 741, à la p. 787, [TRADUCTION] « [e]n rejetant les extrêmes que constituent l'interprétation téléologique, d'une part, et la règle du sens ordinaire, d'autre part, la méthode du contexte global confirme l'application d'une approche plus « extensive » en matière d'interprétation des lois » .

62             Il est important de se rappeler que la deuxième précision apportée par le juge McLachlin dans l'arrêt Shell Canada n'exige pas l'application d'une variante simplifiée de la règle du « sens ordinaire » en matière d'interprétation législative. La méthode du contexte global garantit qu'il ne sera pas fait abstraction du libellé clair d'une disposition dans le but de réaliser plus efficacement un objectif législatif général. Il s'agit de la méthode qui doit être appliquée en l'espèce.

b.              La méthode téléologique

63             Dans l'arrêt Corporation Notre-Dame de Bon-Secours rendu en 1994, notre Cour a adopté à l'unanimité la « méthode téléologique » en vue de l'interprétation des lois fiscales. De l'avis du juge Gonthier, à la p. 18, les tribunaux doivent d'abord examiner l'objectif poursuivi par le législateur pour dégager l'intention de ce dernier. Une fois cette intention établie, les tribunaux peuvent ensuite déterminer le genre de présomptions à appliquer à l'égard d'une disposition donnée :

[C]'est l'interprétation téléologique qui permettra d'identifier l'objectif qui sous-tend une disposition législative spécifique et le texte de loi dans son ensemble. Et c'est l'objectif en question qui dictera, dans chaque cas, si une interprétation stricte ou libérale est appropriée ou encore si c'est le fisc ou le contribuable qui sera favorisé.

64             On ne peut toutefois pas appliquer mécaniquement cette méthode puisqu'elle cela pourrait faire naître la première des craintes qu'a exprimées le juge en chef Dickson relativement à l'interprétation des lois dans l'arrêt Bronfman Trust (crainte qui correspond substantiellement à la première précision apportée par le juge McLachlin dans Shell Canada), soit qu'on perde de vue le fait que l'appréciation du contexte de la loi est utile « pourvu qu'elle soit compatible avec le texte [. . .] de la loi fiscale » ( p. 53). Si nous examinons d'abord l'objectif de la loi, nous courons le risque d'obscurcir le sens du texte litigieux dans notre empressement à favoriser l'atteinte de l'objectif général de la loi. Il faut toujours prendre soin de donner effet aux termes précis choisis par le législateur.

c.              La méthode du sens ordinaire

65             La méthode préconisée en réaction à la méthode téléologique met l'accent sur le texte de la disposition concerné et est souvent appelée méthode du « sens ordinaire » . Notre Cour n'a toujours pas expliqué de manière uniforme en quoi consiste précisément cette méthode. Dans certains arrêts, par exemple dans les motifs majoritaires exposés par le juge Major dans l'arrêt Friesen (à la p. 114, citant P.W. Hogg et J.E. Magee, The Principles of Canadian Income Tax Law, section 22.3(c), « Strict and purposive interpretation » , aux p. 453 et 454), la Cour adopte une attitude stricte :

[TRADUCTION] « [L]'objet » ne peut jouer qu'un rôle limité dans l'interprétation d'une loi aussi précise et détaillée que la Loi de l'impôt sur le revenu. Lorsqu'une disposition est rédigée dans des termes précis qui n'engendrent aucun doute ni aucune ambiguïté quant à son application aux faits, elle doit être appliquée nonobstant son objet.

66             Toutefois, dans d'autres affaires, par exemple les motifs majoritaires du juge Cory dans l'arrêt Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963, notre Cour a interprété le critère de façon tellement différente qu'il est souvent difficile de le distinguer de la méthode du contexte global. Dans cet arrêt, le juge Cory a conclu, au par. 15, « qu'il convient toujours d'examiner « l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » pour déterminer le sens manifeste et ordinaire de la loi en cause » .

67             La façon dont le juge Cory a interprété la méthode du « sens ordinaire » dans l'arrêt Alberta (Treasury Branches) est singulière mais révélatrice. Le fait qu'il se réfère au contexte global de la loi pour déterminer le « sens ordinaire » du texte législatif en cause indique que, parfois, le sens d'un texte est clair uniquement dans un contexte particulier. Selon un axiome élémentaire de tout type d'interprétation textuelle, le sens d'un texte dépend de son contexte. Il peut arriver que le sens de certaines dispositions législatives paraisse évident, et ce indépendamment du contexte. Ce n'est toutefois pas parce que le contexte ne joue aucun rôle dans l'interprétation des mots employés, mais simplement parce que dans pareils cas le contexte est si prévisible qu'il n'est pas nécessaire d'y prêter une attention spéciale. Néanmoins, le contexte joue un rôle fondamental dans notre façon de comprendre les mots qui sont utilisés.

68             Pour que la méthode du « sens ordinaire » conserve quelque logique, elle ne peut certes pas signifier qu'il faut toujours faire abstraction du contexte dans l'interprétation des textes législatifs. Il faut plutôt comprendre que, quoique le contexte soit toujours un aspect important dans le cadre de cette méthode, de vastes considérations touchant à l'objet général de la loi ne sauraient primer sur les termes précis choisis par le législateur. Cela revient à reconnaître que les objectifs visés par le législateur peuvent être complexes. Au lieu d'attribuer un objectif unique à l'ensemble de la Loi et d'y recourir pour interpréter le texte par ailleurs clair de certaines dispositions, nous devrions utiliser de tels objectifs généraux uniquement comme contexte en vue d'éclaircir le sens du texte législatif concerné. Considérée ainsi, la méthode du sens ordinaire n'est pas incompatible avec l'idée maîtresse de la méthode du contexte global.

[34]          La majorité de la Cour a repris au paragraphe 27, un passage de l'arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 40, où la juge McLachlin (maintenant Juge en Chef du Canada) s'exprimait comme suit :

Deuxièmement, la jurisprudence fiscale de notre Cour est bien établie : l'examen de la « réalité économique » d'une opération donnée ou de l'objet général et de l'esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l'obligation d'appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable. Lorsque la disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée.

[35]          L'intimée interprète strictement les dispositions de la Loi en affirmant que si le législateur avait voulu spécifiquement exclure pour les fins du calcul d'un C.I.I. la définition du coût en capital prévu à l'alinéa 44(1)f), il l'aurait prévu au paragraphe 127(11.1) de la Loi. Si une telle interprétation devait être retenue, il faudrait tout de même déterminer si le paragraphe 44(1)f) de la Loi est applicable au paragraphe 127(9) ou si son application est limitée aux fins du report du gain en capital prévu au paragraphe 44(1) de la Loi.

[36]          L'intimée prétend que rien dans l'alinéa 44(1)f) ou dans le paragraphe 44(1) ne limite l'applicabilité de l'alinéa 44(1)f) aux seules fins du paragraphe 44(1). Par contre, rien ne vient étendre l'applicabilité de l'alinéa 44(1)f) aux restes des dispositions de la Loi. L'intimée ajoute que le législateur spécifie à quoi s'applique une définition ou un terme pour ainsi limiter l'applicabilité de la définition ou du terme, concluant que l'alinéa 44(1)f) ne prévoit pas de telles limites ou restrictions.

[37]          Il est cependant important de rappeler qu'il existe des dispositions, notamment le paragraphe 13(7.1), qui spécifie qu'elles sont applicables à toute la Loi. Le paragraphe 13(7.4) est relié au paragraphe 13(7.1); ce paragraphe est donc applicable à toute la Loi.

[38]          Cet exemple démontre que ce n'est pas en raison du fait que le législateur n'a pas expressément limité l'application de l'alinéa 44(1)f) que ce dernier est applicable à toute la Loi puisqu'il existe des dispositions telle que 13(7.1) où le législateur a pris la peine de spécifiquement étendre leur application à toute la Loi.

[39]          Cette approche n'est cependant pas suffisante pour tirer des conclusions puisqu'il y a aussi des dispositions de la Loi (tel que le paragraphe 44(6)) qui limitent elles-mêmes leur applicabilité démontrant ainsi que l'applicabilité d'une disposition n'est pas automatiquement limitée aux fins de la disposition même.

[40]          L'article 15 de la Loi d'interprétation stipule :

15.(1)       Les définitions ou les règles d'interprétation d'un texte s'appliquent tant aux dispositions où elles figurent qu'au reste du texte.

(2)           Les dispositions définitoires ou interprétatives d'un texte :

a) n'ont d'application qu'à défaut d'indication contraire;

b) s'appliquent, sauf indication contraire, aux autres textes portant sur un domaine identique.

[41]          L'alinéa 44(1)f) n'est pas une disposition définitoire ou interprétative. Il s'agit plutôt d'une disposition créant une présomption dans le cadre d'une disposition spéciale de calcul du gain en capital.

[42]          Un terme employé dans une disposition a généralement le même sens à travers la Loi. Dans l'arrêt Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 255, 298, le juge La Forest a formulé ce principe comme suit :

Selon un principe d'interprétation bien établi, les termes employés par le législateur sont réputés avoir le même sens dans chacune des dispositions d'une même loi [...]. Comme pour tout principe d'interprétation, il ne s'agit pas d'une règle, mais d'une présomption qui doit céder le pas lorsqu'il ressort des circonstances que telle n'était pas l'intention du législateur.

[43]          Une chose est certaine, il n'est pas clair à la lecture de l'alinéa 44(1)f) que le coût en capital prévu à cet alinéa est celui applicable à toute la Loi. De plus, il n'est pas évident que le législateur en n'ayant pas exclu dans le paragraphe 127(11.1) l'alinéa 44(1)f), a voulu que ce dernier soit pris en compte pour les fins du calcul d'un C.I.I. Dans les circonstances, il m'apparaît nécessaire d'analyser le contexte de la législation dans le but de déterminer l'intention du législateur.

[44]          Conséquemment, pour disposer de la question il m'apparaît nécessaire de retourner aux faits et circonstances pris en considération par le législateur.

[45]          Les paragraphes 127(5) à (12) de la Loi ont été promulgués par la Loi modifiant le droit fiscal (no 2) S.C. 1974-75-76 ch.71, par. 9(1), sanctionnée le 2 décembre 1975. La création du C.I.I. est prévue dans un Avis de motion de voies et moyens visant à modifier la Loi de l'impôt sur le Revenu, donné le 23 juin 1975, par le ministre des Finances du Canada, l'honorable John N. Turner. Cet avis est reproduit dans le Canada Income Tax Guide Reports, Special Report number 49, 1975 Budget Message, publié par CCH Canadian Limited, le 24 juin 1975. Ce rapport (Special Report) inclut le commentaire suivant du ministre des Finances :

Minister's Comment. If our economy is to remain productive and competitive and capable of providing jobs, we must ensure that we have modern capital facilities with which to work. We must guard against any slowdown in investment. I have been pleased that capital investment has continued to expand in present circumstances and I want to do what government can do to ensure that this expansion continues.

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I am therefore proposing to introduce an investment tax credit as a temporary incentive for investment in a wide range of new productive facilities. The credit will be 5 per cent of a taxpayer's investment in new buildings, machinery and equipment which are for use in Canada primarily in a manufacturing or processing business, production of petroleum or minerals, logging, farming or fishing. ...

Official Supplementary Explanation: To sustain investment in new productive facilities the budget proposes a 5-per-cent credit against federal income tax for specified investments made between now and July 1, 1977.

[46]          La création du C.I.I. a été annoncée dans le budget de 1975; la mesure avait pour but de créer une incitation économique temporaire. Le C.I.I. a été reconduit aux années subséquentes à 1977 et est toujours disponible. À la lumière des commentaires ci-avant du ministre des Finances, une interprétation voulant que le coût en capital présumé prévu à l'alinéa 44(1)f) de la Loi soit celui qui, en l'espèce doit être pris en considération, n'est ni rationnelle ni raisonnable. Le législateur a voulu créer un stimulant économique pour favoriser le développement. À partir d'une telle prémisse, il serait étonnant que la mesure incitative soit réduite ou diluée par le biais d'une autre disposition de la Loi.

[47]          Les parties ont reconnu qu'il s'agissait bel et bien d'une mesure exceptionnelle ayant pour seul but de permettre une meilleure répartition de la richesse collective en permettant à certaines régions du pays d'obtenir les investissements essentiels ou bénéfiques à leur survie et leur développement économique. Cette réalité non contestée m'amène à conclure que si le législateur avait voulu restreindre et limiter les bénéfices découlant du C.I.I., il l'aurait prévu de façon expresse et spécifique.

[48]          Pour soutenir ses prétentions, l'intimée a aussi plaidé que la nouvelle usine a été construite au moyen d'une indemnité d'expropriation et qu'il ne s'agissait pas d'une véritable nouvelle usine, mais plutôt d'un remplacement, d'une relocalisation. Cet argument découle sans doute de la restriction voulant qu'une subvention ou un support financier fourni par l'État pour la réalisation d'un projet soit exclu des calculs pour l'établissement du C.I.I.

[49]          Le législateur a voulu empêcher qu'un C.I.I. soit accordé sur des montants qu'il a lui-même octroyés à l'investisseur. En l'espèce, l'indemnité reçue correspondait à la valeur réelle des biens expropriés. Il ne s'agissait aucunement d'une subvention ou d'une quelconque prime; l'appelante n'a reçu que ce qui lui était dû à la suite de l'expropriation.

[50]          Des suites de l'expropriation, l'appelante n'avait aucune obligation de construire une nouvelle usine, elle n'avait pas d'obligation de poursuivre en affaires; elle aurait tout simplement pu décider de cesser d'opérer, auquel cas une autre entreprise aurait pu décider de prendre la relève et l'intimée n'aurait pu soulever aucun de ses arguments.

[51]          Fondamentalement, le but recherché par le législateur est d'encourager les investissements permettant aux régions visées d'atteindre un niveau de développement économique acceptable de manière à ce que plus d'emplois deviennent disponibles.

[52]          La réalisation du projet de l'appelante (relocalisation de sa nouvelle usine) est conforme à la motivation et à l'intention du législateur qui a voulu consolider et développer la structure économique des régions visées par le C.I.I. D'une part, l'appelante n'avait aucune obligation légale de reconstruire; d'autre part, elle aurait pu choisir d'investir dans un tout autre secteur d'activité économique ou même dans une autre région.

[53]          De plus, l'indemnité d'expropriation n'avait strictement rien à voir avec le développement économique de la région. Il m'apparaît donc inapproprié de prétendre qu'il s'agissait là de fonds publics.

[54]          En l'espèce, il ne s'agit pas d'interpréter les termes utilisés dans la Loi, puisque la formulation est claire; il s'agit plutôt de déterminer si le gain en capital réputé prévu à l'alinéa 44(1)f) s'applique au paragraphe 127(9).

[55]          En d'autres termes, le coût en capital réputé en vertu de 44(1)f), lequel est évidemment moindre que le coût en capital réel, est-il celui qui doit être retenu pour les fins de calcul du C.I.I. prévu au paragraphe 127(9) de la Loi ?

[56]          Je comprends de la lecture du paragraphe 127(11.1) que le législateur a voulu que les contribuables profitent du C.I.I. sur le coût en capital déboursé, en d'autres termes, sur le montant réellement investi. Un telle interprétation m'apparaît conforme et cohérente avec l'objectif global poursuivi par le législateur. Une mesure législative d'encouragement à l'investissement dont les bénéfices seraient considérablement réduits à la suite d'un choix autorisé par la Loi ou fonction de la situation financière des contribuables, aurait des effets pervers en ce qu'elle serait essentiellement théorique. Je crois que ce n'est pas exagéré d'affirmer qu'il s'agirait d'une situation absurde.

[57]          Pour ces motifs l'appel est accueilli et le dossier devra faire l'objet d'un nouvel examen en prenant pour acquis que le coût de 15 000 $ déboursé pour la construction des fondations requises pour l'installation d'une balance et que le coût en capital réellement déboursé et non le gain en capital réputé à l'alinéa 44(1)f) devront être ceux retenus pour les fins du calcul du C.I.I. applicable.

[58]          Quant aux dépens, ils sont accordés sur la base de la catégorie B.

Signé à Ottawa, Canada ce 5e jour de juillet 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        2000-1618(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Gaston Cellard Inc. et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      New Carlisle (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 11 septembre 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 5 juillet 2002

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :                          Me André Lévesque

Avocate de l'intimée :                          Me Valérie Tardif

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                       Me André Lévesque

                                Étude :                     St-Onge, Assels

                                Ville :                       New Carlisle (Québec)

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2000-1618(IT)G

ENTRE :

GASTON CELLARD INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 11 septembre 2001 à New Carlisle (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me André Lévesque

Avocate de l'intimée :                          Me Valérie Tardif

JUGEMENT

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996 et 1997 est accueilli et le dossier devra faire l'objet d'un nouvel examen en prenant pour acquis que le coût de 15 000 $ déboursé pour la construction des fondations requises pour l'installation d'une balance et que le coût en capital réellement déboursé et non le gain en capital réputé à l'alinéa 44(1)f) devront être ceux retenus pour les fins du calcul du C.I.I. applicable, selon les motifs du jugement ci-joints.

          Quant aux dépens, ils sont accordés sur la base de la catégorie B.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de juillet 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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