Date: 20020613
Dossier: 2000-1446-EI,
2000-1448-CPP,
ENTRE :
SHAW COMMUNICATIONS INC.,
appelante,
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
intimé.
Motifsdu jugement
Le juge Mogan
[1] Les appels en l'instance ont été interjetés aux termes des dispositions de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi sur l'AE » ) et du Régime de pensions du Canada (le « RPC » ). Le ministre du Revenu national a rendu une décision à l'égard du statut de certains particuliers (les « travailleurs » ) à savoir s'ils étaient des employés ou des entrepreneurs indépendants aux fins de la Loi sur l'AE et du RPC pour la période allant du 1er janvier 1998 au 2 novembre 1998. Dans cette décision, le ministre a déterminé que les travailleurs étaient régis par des contrats de louage de services et étaient donc des employés de l'appelante. Le ministre a par conséquent conclu que les travailleurs occupaient un emploi assurable aux termes de la Loi sur l'AE et un emploi ouvrant droit à pension en vertu du RPC.
[2] L'appelante a interjeté appel de cette décision du ministre. La question à trancher est de savoir si les travailleurs sont des employés de l'appelante ou des entrepreneurs indépendants. Dans les présents motifs, j'appellerai souvent l'appelante « Shaw » . L'un des travailleurs, Patrick Plummer, a donné avis le 22 juin 2000 de son intention d'agir en tant qu'intervenant dans les appels en l'instance, mais il n'a pas par la suite participer à la procédure judiciaire.
[3] Shaw est une société publique résidant au Canada qui exploite une entreprise qui offre des services de câblodistribution, des services audionumériques ainsi que des services d'accès à Internet (Shaw@Home) à des foyers et à des entreprises situés dans diverses régions du Canada où elle détient des licences l'autorisant à fournir de tels services. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le « CRTC » ) lui a octroyé les licences nécessaires. Les travailleurs fournissaient deux genres de services de base :
(a) l'installation des services de câblodistribution, de Shaw@Home ou de câblodistribution numérique; et
(b) la vente des services de câblodistribution, de Shaw@Home ou de câblodistribution numérique.
Certains travailleurs ne fournissaient que des services de vente tandis que d'autres travailleurs fournissaient à la fois des services d'installation et des services de vente.
[4] La période en litige s'étend du 1er janvier au 2 novembre 1998. Au cours de cette période, Shaw détenait une licence exclusive du CRTC en vue de fournir des services de câblodistribution à un important territoire au nord et à l'est de la ville de Toronto, incluant Richmond Hill, Markham et Scarborough. Shaw gérait son territoire à partir d'un grand centre de services et d'un entrepôt situés à Richmond Hill. Peu après la période concernée, Shaw et Rogers Cable Communications ( « Rogers » ) ont convenu d'échanger des territoires avec le consentement du CRTC. Shaw a transféré à Rogers le territoire qu'il occupait au nord et à l'est de Toronto en échange d'un territoire de grandeur semblable dans l'ouest du Canada, plus près des activités principales de Shaw. Dans la présente affaire, tous les éléments de preuve se rapportent au territoire de Shaw situé au nord et à l'est de Toronto qui était géré à partir du centre de services et de l'entrepôt de Richmond Hill durant la période en litige.
[5] Treize personnes ont été appelées à témoigner à l'audition du présent appel. Les neuf premiers témoins ont été appelés par l'appelante et les quatre autres par l'intimé. Tous les témoins ont décrit leur lien avec Shaw pendant la période en litige. La majorité des témoins de l'appelante étaient soit des cadres supérieurs de Shaw au moment de l'audience (comme MM. Morris et Fenwick), soit des personnes qui avaient eu des liens avec Shaw au cours de la période en litige (comme MM. Davey, Murphy, Samuel et Cavallo et Mme Bacon), mais qui ont par la suite transféré leurs services à Rogers lors de l'échange de territoires. Les quatre témoins de l'intimé avaient eu des liens avec Shaw durant la période en litige, mais ce lien a pris fin et ils n'avaient pas de lien avec Shaw ou Rogers au moment de l'audience.
[6] Richard Morris, le vice-président des opérations de Shaw, travaille pour Shaw ou son prédécesseur depuis 1978. Il a expliqué comment Shaw a élaboré sa politique actuelle en matière d'installation. Avant 1992, Shaw faisait appel à des tierces compagnies de câblodistribution contractantes pour fournir des services d'installation aux clients. L'installation se faisait donc à la pièce et ainsi il n'était pas nécessaire d'embaucher, de superviser et d'offrir des avantages sociaux à des employés. En outre, il n'était pas nécessaire non plus de louer ou d'acheter, d'entretenir, d'assurer et d'entreposer un parc de véhicules. L'installation se prête au travail à la pièce en raison de la prévisibilité du temps nécessaire pour chaque travail. En 1992, Shaw a jugé que les tierces compagnies de câblodistribution contractantes ne fournissaient pas un niveau de service adéquat, parce que seulement une petite partie de la rétribution versée à une compagnie en particulier était remise à la personne qui avait procédé à l'installation. En conséquence, la qualité du travail laissait à désirer et le taux de roulement des installateurs était élevé.
[7] En 1992, Shaw a mis sur pied un programme d'installation de propriétaire-exploitant en vertu duquel elle contractait directement avec les installateurs, éliminant par le fait même l'intermédiaire. Le propriétaire-exploitant recevait une rémunération à la pièce pour les installations, en fonction des normes de l'industrie qui prenaient en considération la complexité du travail et le temps nécessaire pour le faire. Le programme visait également à éliminer le besoin de superviser les installateurs. Selon la nouvelle politique de Shaw, chaque propriétaire-exploitant devait signer un modèle d'accord qui définissait la relation entre Shaw et le propriétaire-exploitant. Un cahier contenant 103 accords de propriétaire-exploitant signés a été produit sous la cote A-2. Tous les accords paraissent être identiques.
[8] Andrew Fullerton et Mario Cavallo sont deux installateurs de câbles qui ont témoigné pour l'appelante. Ils avaient tous deux signé un accord de propriétaire-exploitant. L'accord de M. Fullerton figure à l'onglet 42 de la pièce A-2 et l'accord de M. Cavallo figure à l'onglet 25. Les deux témoins ont identifié leur accord de propriétaire-exploitant respectif et ont confirmé que l'accord décrivait les modalités en vertu desquelles ils offraient leurs services à Shaw. Les accords figurant sous la cote A-2 constituent un élément important de la présente affaire. Étant donné que les accords sont relativement courts, je reproduirai en entier celui de M. Cavallo qui figure à l'onglet 25, comme accord type des 103 accords.
[TRADUCTION]
SHAW CABLE SYSTEMS LTD.
ACCORD DE RESPONSABILITÉS DE PROPRIÉTAIRE-EXPLOITANT
(Durée indéterminée)
Je, Mario Cavallo, suis un propriétaire unique aux termes des lois de la province de l'Ontario, et je fournirai mes services en tant que propriétaire-exploitant à Shaw Cablesystems Ltd., en collaboration avec d'autres organisations si je le souhaite, à compter du 3 novembre 1997 et pour une durée indéterminée jusqu'à ce que l'accord prenne fin selon les modalités du paragraphe 8 ci-dessous.
Je, Mario Cavallo, louerai un véhicule ou serai propriétaire d'un véhicule, je serai titulaire d'un permis de conduire valide et d'une assurance-automobile dont je fournirai régulièrement une preuve à Shaw Cablesystems Ltd.
Je, Mario Cavallo, exploite une entreprise indépendante et je possède suffisamment d'outils relatifs à ce métier pour fournir des services à Shaw Cablesystems Ltd.
1. Je comprends que mon statut est celui d'un entrepreneur indépendant/propriétaire-exploitant et qu'aucune disposition du présent accord ne doit être interprétée de manière à constituer une relation employeur-employé, une association, une entreprise commune ou autre.
2. Je comprends que Shaw ne versera aucune cotisation au Régime de pensions du Canada, à la taxe provinciale en matière de santé ou à l'assurance-emploi, qu'elle ne fera pas de retenue d'impôt fédéral ou provincial pour moi, qu'elle ne fournira aucune cotisation au régime de retraite de la compagnie. Je ne serai pas non plus couvert par le régime d'invalidité à court terme de la compagnie. Je comprends que je suis seul responsable de remettre régulièrement mes impôts fédéral et provincial sur le revenu à Revenu Canada.
3. Je comprends que je suis responsable de souscrire ma propre assurance-responsabilité pour un montant d'au moins 1 000 000 $ et d'en fournir la preuve à Shaw Cablesystems Ltd. Je suis également responsable de souscrire (si je le souhaite) une assurance-responsabilité à court terme pour les congés de maladie à court terme. Shaw Cablesystems Ltd. versera la prime mensuelle d'indemnisation des accidents du travail en mon nom et déduira ces versements de mes factures tous les mois.
4. Je comprends que Shaw Cablesystems Ltd. me fournira une assurance-vie individuelle et pour les personnes à charge, une assurance-invalidité de longue durée, une assurance en cas de décès ou de mutilation par accident, et une assurance complémentaire pour les soins médicaux et dentaires. Je verserai les primes tous les mois pour mon assurance-vie individuelle et pour les personnes à charge et pour mon assurance-invalidité de longue durée. Ce montant sera déduit de mes factures. Je comprends que je dois compléter la période d'attente de six mois avant que la couverture d'assurance commence, sauf pour l'indemnisation des accidents du travail.
5. Lorsque je fournirai mes services à Shaw Cablesystems Ltd., je m'assurerai que mon véhicule est bon état mécanique et que l'extérieur en est entièrement peint. Je présenterai en tout temps une apparence professionnelle et j'adopterai toujours un comportement professionnel, courtois et aimable envers les clients.
6. Si on le demande, j'effectuerai des réparations, à mes frais, de manière satisfaisante pour les clients de Shaw chaque fois que je causerai des dommages.
7. Je procéderai à l'installation du câble et au travail de vente comme l'expose en détail ma feuille de taux en utilisant les matériaux approuvés que Shaw fournit et conformément aux spécifications techniques de Shaw.
8. Si Shaw Cablesystems Ltd. ou moi-même souhaitons mettre fin au présent accord, nous pouvons le faire en remettant à l'autre partie un avis écrit de deux semaines. Shaw Cablesystems me paiera les montants gagnés jusqu'à la date de la fin de l'accord moins les sommes dues à Cablesystems Ltd. Indépendamment de ce qui précède, Shaw Cablesystems peut mettre immédiatement fin au présent accord en me versant la rémunération équivalente à titre de préavis.
J'ai lu et compris les modalités ci-devant de l'accord de responsabilités. Je comprends mon rôle et mes responsabilités en tant que propriétaire-exploitant qui fournit des services à Shaw Cablesystems Ltd.
_ « Mario Cavallo » ___ _3 novembre 1997_
Propriétaire-exploitant Date
_ « Signature ? » ____
Directeur des systèmes
[9] Conformément aux modalités de l'accord reproduit ci-dessus, M. Morris a expliqué que tous les propriétaires-exploitants devaient prouver à la satisfaction de Shaw qu'ils étaient titulaires d'un permis de conduire valide, d'une assurance-automobile, d'une assurance-responsabilité et d'un numéro d'inscription aux fins de la TPS. Selon la politique de Shaw, chaque propriétaire-exploitant devait signer un accord (comme celui produit sous la cote A-2) avant de commencer à fournir des services à Shaw; or, en contre-interrogatoire, plusieurs personnes ont signalé qu'elles avaient commencé à fournir des services à Shaw avant de signer leur accord de propriétaire-exploitant respectif. M. Morris n'a pas été en mesure d'expliquer ces dérogations particulières à la politique de Shaw. Il a toutefois expliqué que les personnes reconnues comme des employés de Shaw bénéficiaient d'avantages sociaux qui n'étaient pas offerts aux propriétaires-exploitants. Il est possible de résumer la différence qui existe relativement aux avantages sociaux comme suit :
employé reconnu propriétaire-exploitant
paye de vacances néant
rémunération de jours fériés néant
congé de maladie néant
régime de soins médicaux et dentaires oui - le même
régime d'invalidité à court terme néant
régime de retraite néant
options d'achat d'actions néant
programme d'achat d'actions néant
[10] Un employé reconnu est rémunéré selon la feuille de paye régulière de Shaw, mais le propriétaire-exploitant présente une facture du travail effectué et est payé par le service des comptes fournisseurs. Shaw fournit à chaque propriétaire-exploitant presque tous les matériaux nécessaires aux installations parce que Shaw conserve la propriété des matériaux et est tenue de respecter certaines normes relatives à la qualité des matériaux installés conformément aux règlements fédéraux. La pièce A-1 est une publication fédérale intitulée « Procédure sur la radiodiffusion » dont le sous-titre est « Normes techniques et méthodes pour les entreprises de réception et de radiodiffusion (télévision par câble) » . En plus des raisons qui viennent d'être mentionnées pour expliquer que Shaw fournit les matériaux, Shaw peut obtenir des rabais importants sur le coût des matériaux parce qu'elle en achète en grande quantité.
[11] David Fenwick est actuellement le directeur régional de Shaw à Victoria (C.-B.), mais en 1998 il était chef de la division des ventes pour les opérations de Shaw à Richmond Hill. M. Fenwick a décrit les deux groupes de ventes distincts (i) le groupe câble qui vendait des services de câblodistribution; et (ii) le groupe Wave/Shaw@Home qui vendait des services d'accès à Internet à haute vitesse. Le service d'accès à Internet a d'abord été offert sous le nom de « Wave » , mais le nom a par la suite changé pour « Shaw@Home » . J'y ferai référence sous le nom de « Wave » parce que c'est ainsi que la majorité des témoins l'ont appelé. En plus des deux groupes de ventes, chaque installateur avait des fonctions de vente, c'est-à-dire que si un installateur se trouvait chez un client en train de faire une installation demandée par téléphone, on s'attendait à ce qu'il fasse mention d'autres services offerts par Shaw comme les chaînes thématiques et Wave. Si un installateur vendait un service additionnel, il recevait une commission ainsi que la rémunération à la pièce pour l'installation. Par conséquent, chaque propriétaire-exploitant dont la principale fonction était l'installation avait également une fonction de vente, tandis qu'un propriétaire-exploitant dont la fonction principale était de vendre des services de câblodistribution ne pouvait installer que le produit qu'il avait bel et bien vendu; et un propriétaire-exploitant qui vendait Wave n'installait aucun service.
[12] M. Fenwick a expliqué que lorsqu'un nouveau propriétaire-exploitant commençait à vendre des services de câblodistribution, celui-ci recevait en général trois à cinq jours de formation en observant les ventes dans le centre d'appel, et en observant un technicien de service et un propriétaire-exploitant vendeur de services de câblodistribution. En contre-interrogatoire, M. Fenwick a également déclaré qu'un propriétaire-exploitant vendeur de services de câblodistribution pouvait aller à l' « université Shaw » , un programme de formation de quatre jours conçu pour les nouveaux employés de Shaw et non pour les propriétaires-exploitants. Les objectifs du programme d'orientation de l'université Shaw sont énoncés de la façon suivante sous la cote R-1 :
[TRADUCTION]
1. Familiariser les employés avec l'historique, la culture et la diversité de Shaw Communications.
2. Fournir une sensibilisation et une appréciation des connaissances et habiletés principales nécessaires pour offrir l'excellence en matière de service à la clientèle.
3. Présenter les divers services et divisions de Shaw Communications.
4. Susciter l'enthousiasme à travailler chez Shaw!
[13] De l'avis de M. Fenwick, les propriétaires-exploitants vendeurs de services de câblodistribution n'avaient pas d'horaire de travail déterminé, pas de supervision quotidienne, ni d'examen de rendement. Un coordonnateur des ventes (Juan Villa) fournissait des plans des rues, recevait les commandes de travail exécutées et s'occupait des questions des clients. La plupart des commandes de travail exécutées d'un propriétaire-exploitant vendeur de services de câblodistribution pour une journée en particulier étaient rapportées au début de la journée suivante. Shaw fournissait un espace (appelé le coin des ventes) au sein du centre de services où les propriétaires-exploitants vendeurs de services de câblodistribution pouvaient faire des appels téléphoniques et se servir des ordinateurs gratuitement. Les propriétaires-exploitants vendeurs de services de câblodistribution acceptaient d'occuper tour à tour le bureau, un jour donné, afin que l'un d'entre eux demeure dans le coin des ventes pour répondre aux appels des clients. Ils tentaient ainsi de conclure des ventes qui avaient commencé sur le terrain. La vente était habituellement attribuée au propriétaire-exploitant qui avait établi le premier contact.
[14] Les ventes effectuées par un propriétaire-exploitant vendeur de services de câblodistribution étaient consignées de trois manières. Le propriétaire-exploitant enregistrait une vente sur sa commande de travail qui servait à établir sa commission. Le propriétaire-exploitant devait également remplir un relevé quotidien des ventes qui était remis à Juan Villa. Enfin, un formulaire quotidien de commission des ventes directes servait de copie supplémentaire aux commandes de travail. Chaque propriétaire-exploitant vendeur de services de câblodistribution se voyait assigné un territoire qui changeait à peu près tous les six mois.
[15] Paul Davey travaille en ce moment pour Rogers, mais en 1998, il était superviseur technique responsable de la répartition et de l'entretien pour Shaw à Richmond Hill. Il a plus tard été responsable de l'aménagement du réseau de câbles du service Wave. Il a confirmé que, au début de chaque jour, les installateurs se présentaient au centre de services de Shaw à Richmond Hill pour ramasser des commandes de travail et en général rapporter les commandes de travail exécutées le jour précédent. Un installateur qui avait besoin de matériaux se rendait à l'entrepôt de Shaw pour y prendre ce dont il avait besoin. Un propriétaire-exploitant qui installait le service Wave recevait une trousse contenant les matériaux nécessaires attachés à chaque commande de travail.
[16] Shaw se servait d'une grille de disponibilité pour fixer des rendez-vous en fonction d'un temps d'installation de deux heures et d'une moyenne de cinq à six installations par jour. Deux employés de Shaw avaient pour fonction d'établir l'horaire des propriétaires-exploitants installateurs. L'un de ces employés s'occupait des installateurs de câbles tandis que l'autre, des installateurs de Wave. Les rendez-vous pouvaient être fixés le matin, l'après-midi ou le soir. Les installateurs informaient Shaw des heures pendant lesquelles ils étaient disponibles et des heures qu'ils préféraient. Les rendez-vous de chacun étaient fixés en conséquence. M. Davey a confirmé l'existence d'un formulaire de demande de vacances que les propriétaires-exploitants devaient remplir et remettre à Shaw afin que la grille de planification puisse être ajustée en fonction des absences prévisibles. Dans certains cas, deux propriétaires-exploitants ou plus pouvaient s'entendre pour couvrir les congés de l'autre, mais ils n'étaient pas obligés de le faire.
[17] Michelle Bacon a commencé à travailler pour Shaw en 1995 comme représentante du service à la clientèle (customer services representative), habituellement appelé un « CSR » chez Shaw. À titre de représentante du service à la clientèle, elle était une employée qui bénéficiait de tous les avantages sociaux. Environ 25 représentants du service à la clientèle étaient en fonction chaque jour ouvrable de 9 h à 17 h chez Shaw. Un représentant du service à la clientèle avait comme principale fonction de répondre aux appels téléphoniques : répondre aux questions relatives aux services de câblodistribution ou au produit d'accès à Internet, aux plaintes des clients, aux demandes de renseignements sur la facturation, et fournir de l'information à des propriétaires-exploitants installateurs qui se trouvaient sur le terrain.
[18] À la fin de l'année 1997, Mme Bacon a entendu parler du nouveau produit d'accès à Internet Wave qui allait être vendu dans le secteur de Richmond Hill. Elle connaissait bien les ordinateurs et le produit parce qu'elle en avait fait la promotion au téléphone à titre de représentante du service à la clientèle. Elle s'est entretenue avec la personne chez Shaw responsable de l'embauche des propriétaires-exploitants pour vendre Wave et elle a décidé de tenter sa chance. Mme Bacon a démissionné de son poste d'employé chez Shaw et elle a signé un accord de propriétaire-exploitant pour vendre Wave. Voir l'onglet 17 produit sous la cote A-2.
[19] Lorsque Mme Bacon est devenue un propriétaire-exploitant, elle a dû obtenir son propre numéro d'inscription aux fins de la TPS. Elle a également été tenue de souscrire une assurance-responsabilité. Elle a cessé de recevoir un salaire et elle n'était payée qu'à la commission. Elle a renoncé aux services de câblodistribution de Shaw gratuits et elle ne faisait plus partie du régime d'options d'achat d'actions. Elle a toutefois conservé son régime de soins médicaux et dentaires.
[20] Mme Bacon a commencé à vendre Wave comme propriétaire-exploitant en janvier 1998. À l'époque, elle faisait partie d'un groupe de six à sept propriétaires-exploitants dont la seule fonction était de vendre Wave. Il existait quatre façons principales de faire une vente : les séminaires, les kiosques dans des centres commerciaux, le porte-à-porte et les clients proposés. Quand le produit était nouveau, les séminaires constituaient une méthode de vente importante. Mme Bacon et les autres propriétaires-exploitants qui vendaient Wave organisaient des séminaires à différents endroits comme une école du voisinage, un centre communautaire ou à l'immeuble de Shaw à Richmond Hill. Ils s'arrangeaient entre eux pour décider qui travailleraient à un séminaire ou à un événement semblable parce qu'ils avaient habituellement besoin d'au moins deux ou trois personnes pour faire la présentation, répondre aux questions, conclure des transactions avec les acheteurs et fixer des visites de suivi si nécessaire.
[21] Lors de la tenue de séminaires, ils unissaient leurs efforts et mettaient en commun les ventes et les commissions parce qu'ils ne voulaient pas se faire concurrence les uns avec les autres pour une vente en particulier, s'il s'agissait d'un événement pour l'ensemble du groupe. S'il y avait des frais de location à payer pour un endroit particulier (centre commercial, salle d'une école, etc.), Shaw les payait et fournissait les ordinateurs et les modems câbles ainsi que les dépliants publicitaires annonçant à la communauté la tenue du séminaire.
[22] Outre les séminaires, les événements dans des kiosques de centres commerciaux, les ventes au porte-à-porte et les clients proposés, les propriétaires-exploitants qui vendaient Wave se servaient de la base de données de Shaw appelées CBS (cable based system : système de câblodistribution de base). Pour des raisons de sécurité, le CBS ne pouvait être consulté qu'à l'immeuble de Shaw à Richmond Hill. À l'aide du CBS, un propriétaire-exploitant pouvait sortir le compte d'un client pour voir si celui-ci bénéficiait des services de câblodistribution de Shaw. Cette méthode permettait de gagner beaucoup de temps, parce que les vendeurs de Wave pouvaient ainsi travailler à partir d'un groupe de base qui était déjà des clients de Shaw pour la câblodistribution et qui pouvaient s'avérer des candidats potentiels pour Wave. Mme Bacon a déclaré qu'elle se rendait à l'immeuble de Shaw à Richmond Hill en moyenne quatre fois par semaine, même si elle n'était pas tenue de le faire.
[23] Mme Bacon a vendu Wave avec beaucoup de succès. À titre de représentante du service à la clientèle en 1997, elle avait reçu un salaire annuel de 30 000 $, or en 1998, à sa première année en tant que propriétaire-exploitant vendant Wave, elle a gagné environ le double de cette somme. Elle a cependant insisté sur le fait qu'elle travaillait de longues heures (lors de séminaires le soir et les fins de semaine, etc.) pour atteindre ce niveau de revenu à la commission. De plus, elle devait également payer elle-même des dépenses relatives au véhicule automobile, au téléphone cellulaire, aux cartes d'affaires et aux cartons pour les portes (une carte imprimée qui pouvait être accrochée à une poignée de porte avec le nom, le numéro de téléphone et le numéro de cellulaire de Mme Bacon ainsi qu'une phrase accrocheuse et le logo de Shaw).
[24] Mme Bacon a confirmé qu'il y avait peu de contrôle direct sur la manière dont elle fournissait ses services en tant que propriétaire-exploitant. Son rendement n'a jamais été évalué. Son travail n'était pas inspecté. Elle n'avait ni superviseur ni directeur. Elle pouvait prendre une journée de congé sans obtenir la permission de quiconque, mais elle devait être disponible pour des événements spéciaux prévus comme les séminaires. Elle ne relevait de personne. Elle choisissait elle-même la date de ses vacances et elle n'a pas reçu de paye de vacances. Elle devait présenter des factures afin d'être payée et elle a pris l'habitude de présenter des factures toutes les deux semaines afin de réduire les effets impayés pour les ventes qui n'étaient pas encore installées.
[25] Brad Fraser était un autre propriétaire-exploitant qui vendait le produit d'accès à Internet à haute vitesse Wave. Il travaillait dans le même groupe que Michelle Bacon. Il a signé un accord de propriétaire-exploitant (onglet 41 de la pièce A-2). Il a confirmé qu'il disposait de la même souplesse relativement aux heures de travail et aux dates de vacances, sous réserve des horaires des séminaires ou d'autres événements semblables. Au départ, Michelle Bacon et lui s'organisaient avec des entreprises privées pour qu'elles installent leur kiosque et leur matériel pour des séminaires et des démonstrations, et Shaw payaient les entreprises directement. Plus tard, M. Fraser s'est lui-même chargé de l'installation et demandait à Shaw un prix moins élevé que les entreprises de l'extérieur. Il exigeait des frais de base de 100 $ plus 15 $ l'heure. Mme Bacon a également déclaré lors de son témoignage qu'elle fournissait à Shaw des services non reliés à vente moyennant un taux horaire de 15 $.
Analyse
[26] Malgré les dépositions des témoins de l'appelante à l'égard de la relative indépendance des propriétaires-exploitants, je conclus pour les motifs énoncés ci-dessous que tous les propriétaires-exploitants étaient des employés de Shaw. Ils n'étaient pas des entrepreneurs indépendants. Plus tard dans les présents motifs, j'examinerai les principes de droit qui s'appliquent à la présente affaire, mais, pour l'instant, je ne traiterai que les accords de propriétaire-exploitant (pièce A-2) qui constituent une partie importante de la cause de l'appelante. L'un de ces accords est reproduit en entier au paragraphe 8 ci-dessus. Chaque accord a été conclu entre Shaw et une personne en particulier qui est appelé le « propriétaire-exploitant » . Au paragraphe 1, le propriétaire-exploitant déclare avoir le statut d'entrepreneur indépendant et il rejette l'existence d'une relation employeur-employé; or, à mon avis, la majorité des modalités de l'accord correspondent davantage à une relation employeur-employé qu'au statut pour un propriétaire-exploitant d'entrepreneur indépendant.
[27] Au paragraphe 3, Shaw est tenue de verser la [TRADUCTION] « prime mensuelle d'indemnisation des accidents du travail » du propriétaire-exploitant, mais Shaw se rembourse en déduisant les montants versés des factures du propriétaire-exploitant. Pourquoi Shaw verserait des primes d'indemnisation des accidents du travail pour le compte d'un groupe de personnes si celles-ci sont réellement des entrepreneurs indépendants? Pourquoi ces personnes ne verseraient-elles pas directement leurs propres primes d'indemnisation des accidents du travail? L'indemnisation des accidents du travail est-elle offerte à un propriétaire unique ou à un entrepreneur indépendant en Ontario eu égard au fait que tous les propriétaires-exploitants travaillaient dans la région de Toronto?
[28] Conformément au paragraphe 4, Shaw fournit [TRADUCTION] « une assurance-vie individuelle et pour les personnes à charge, une assurance-invalidité de longue durée, une assurance en cas de décès ou de mutilation par accident, et une assurance complémentaire pour les soins médicaux et dentaires » et elle est remboursée à même les factures du propriétaire-exploitant pour les primes versées pour l'assurance-vie individuelle et pour les personnes à charge et pour l'assurance-invalidité de longue durée, mais elle n'est pas remboursée pour l'assurance complémentaire pour les soins médicaux et dentaires. Cette disposition rejoint le témoignage de Michelle Bacon qui a déclaré que Shaw continuait à lui payer une assurance pour les soins médicaux et dentaires après sa démission comme employée et ses débuts comme propriétaire-exploitant. Pourquoi Shaw souscrirait une assurance pour les soins médicaux et dentaires aux propriétaires-exploitants si ceux-ci sont vraiment des entrepreneurs indépendants?
[29] Au paragraphe 5, le propriétaire-exploitant s'engage à ce que son véhicule soit en bon état mécanique et à ce que l'extérieur du véhicule soit entièrement peint; et il s'engage également à se comporter de manière courtoise et aimable envers les clients. Un vrai entrepreneur indépendant n'aurait à faire ces promesses à aucun de ses clients. Il ferait ses promesses à lui-même afin de s'assurer d'avoir au moins quelques clients. Il ressort manifestement du paragraphe 6, toutefois, que les clients mentionnés dans les accords de propriétaire-exploitant sont ceux de Shaw et non ceux d'un propriétaire-exploitant. Si Shaw est le seul « client » des propriétaires-exploitants étant donné qu'elle est la seule personne qui leur verse une rémunération, Shaw peut-elle être leur employeur?
[30] Au paragraphe 7, le propriétaire-exploitant convient de procéder à des installations du câble conformément aux spécifications techniques de Shaw en utilisant les [TRADUCTION] « matériaux approuvés que Shaw fournit » . Cette disposition de l'accord montre le contrôle exercé par Shaw sur la manière dont le propriétaire-exploitant travaille et sur les matériaux que le propriétaire-exploitant utilise. De plus, au paragraphe 8, le propriétaire-exploitant convient que Shaw peut mettre fin à l'accord en lui [TRADUCTION] « versant la rémunération équivalente à titre de préavis » . En droit du travail, un paiement à titre de préavis constitue une disposition commune pour une cessation d'emploi immédiate sans motif.
[31] Dans le paragraphe liminaire, le propriétaire-exploitant déclare : [TRADUCTION] « Je, , suis un propriétaire unique aux termes des lois de la province de l'Ontario [...] » . Le propriétaire-exploitant ne précise pas de quoi il est propriétaire unique. Il pourrait s'agir d'une huile sur toile ou d'une voiture de luxe. Les mots dans le contexte laissent entendre que le propriétaire-exploitant est le propriétaire unique d'une entreprise en raison de ce qui suit : [TRADUCTION] « [...] et je fournirai mes services en tant que propriétaire-exploitant à Shaw [...], en collaboration avec d'autres organisations si je le souhaite [...] » . Michelle Bacon a signé l'un de ces accords (pièce A-2, onglet 17), mais elle n'était pas la propriétaire unique d'une entreprise lorsqu'elle a signé le 1er janvier 1998, parce qu'elle venait juste de démissionner comme employée de Shaw pour devenir un propriétaire-exploitant.
[32] Le dernier paragraphe des accords de propriétaire-exploitant mérite d'être reproduit de nouveau :
[TRADUCTION] J'ai lu et compris les modalités ci-devant de l'accord de responsabilités. Je comprends mon rôle et mes responsabilités en tant que propriétaire-exploitant qui fournit des services à Shaw Cablesystems Ltd.
Le libellé de ce paragraphe laisse transparaître la puissance d'une grande société qui exigeait qu'un groupe de personnes signent un document type (rédigé par la société) avant qu'elles soient autorisées à lui fournir des services et à être payées par elle. Les modalités de l'accord n'ont pas été négociées entre Shaw et un propriétaire-exploitant potentiel. Chaque propriétaire-exploitant potentiel devait signer le document et n'avait d'autre choix que de le considérer comme un fait accompli. Il n'existait pas d'égalité au niveau de la négociation entre Shaw et un propriétaire-exploitant potentiel.
[33] La déclaration relative au statut dans les accords de propriétaire-exploitant sert les intérêts de Shaw, qui a rédigé le document, mais le statut déclaré d' « entrepreneur indépendant » n'est pas étayé par beaucoup d'éléments de preuve. La majorité de la preuve laisse entendre qu'il existait une relation employeur-employé. Selon moi, les accords de propriétaire-exploitant figurant sous la cote A-2 représentent collectivement un camouflage ou une façade, qui visaient à faire passer un groupe de personnes pour des entrepreneurs indépendants alors qu'elles étaient en réalité des employés de Shaw. Ces accords font plus de mal que de bien à l'appel en l'instance de Shaw.
[34] La déclaration de statut de propriétaire-exploitant (être un entrepreneur indépendant) au paragraphe 1 ne clôt pas la discussion. L'énoncé suivant de Viscount Simon dans l'affaire I.R.C. v. Wesleyan and General Assurance Society, [1948] 1 All E.R. 555, à la page 557, a été souvent cité :
[TRADUCTION]
Il convient sans doute de répéter deux propositions bien établies en ce qui a trait à l'application des règles de droit en matière d'impôt sur le revenu. En premier lieu, l'appellation donnée à une opération par les parties en cause n'établit pas péremptoirement la nature de celle-ci. Qualifier un paiement de prêt, alors qu'il s'agit en réalité d'une rente, n'est d'aucun secours pour le contribuable, pas plus que de donner à un poste la qualification d'élément imputable au capital ne saurait nous empêcher de le considérer comme un élément imputable au revenu si c'est la véritable nature de celui-ci. Il s'agit dans chaque cas de savoir quel est le caractère réel du paiement, et non pas quelle est la qualification donnée à celui-ci par les parties.
Cet énoncé de Viscount Simon a été adopté par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Estate of Roy Perini v. The Queen, 82 DTC 6080, dans laquelle le juge Le Dain a déclaré ce qui suit à la page 6082 :
[TRADUCTION]
Bien évidemment, il est élémentaire que l'appellation donnée par les parties à une somme payable conformément à l'alinéa (v) du paragraphe 1.3 de l'entente ne permet pas de déterminer de manière concluante la nature de cette somme. Voir l'affaire Commissioners of Inland Revenue v. Wesleyan & General Assurance Society 30 T.C. 11, aux pages 16 et 25. [...]
La Cour d'appel fédérale a adopté le même principe dans des affaires d'assurance-emploi. Dans l'affaire Standing c. Le ministre du Revenu national, C.A.F., no A-857-90, 29 septembre 1992 ([1992] F.C.J. 890), le juge Stone a déclaré ce qui suit :
[...] Peu importe l'appréciation, par la Cour de l'impôt, du critère énoncé dans l'arrêt Wiebe Door, l'essentiel, tout compte fait, c'est que les parties elles-mêmes ont ensuite qualifié leur relation d'employeur-employé. Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door. La Cour de l'impôt aurait dû analyser les faits en tenant compte de ce critère [...]
[35] Depuis 1986, la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 a constitué un guide utile pour déterminer la question de savoir si une personne en particulier était un employé ou un entrepreneur indépendant. En 2001, la Cour suprême du Canada a été tenue d'examiner la même question dans l'affaire 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983. Le juge Major, s'exprimant pour l'ensemble de la Cour dans l'affaire Sagaz, a souvent fait mention de la décision dans l'affaire Wiebe Door, tout en l'approuvant, et il a résumé le droit de la manière suivante à la page 1005 :
47 Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.
¶ 48 Ces critères, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.
[36] La Cour suprême a clairement énoncé la question centrale qui est de savoir si le travailleur « exploit[e] une entreprise pour son propre compte » . Les critères importants à prendre en considération sont les suivants : (i) le degré de contrôle que le payeur exerce sur les activités du travailleur; (ii) la propriété de l'outillage et du matériel du travailleur; (iii) l'embauche d'assistants par le travailleur; (iv) la possibilité de profit ou le risque de perte du travailleur; et (v) l'étendue de la responsabilité du travailleur en matière de mises de fonds et de gestion. J'ai déjà exposé aux paragraphes 27 à 33 ci-dessus les raisons pour lesquelles je suis d'avis que les accords de propriétaire-exploitant laissent entendre qu'il existait une relation employeur-employé. Outre les accords de propriétaire-exploitant, je passerai en revue les cinq critères que la Cour suprême a examinés.
(i) Contrôle
[37] Taylor Kennedy a été la première personne appelée à témoigner par l'intimé. Actuellement, il est entrepreneur général et réside en Ontario, mais en 1997 et au début de l'année 1998, il travaillait pour Shaw à Richmond Hill à titre de superviseur de l'installation. Il a supervisé l'installation de la câblodistribution de base ainsi que du produit d'accès à Internet Wave. Pendant une période de six mois, soit du mois de septembre 1997 au mois de mars 1998, alors que M. Kennedy était coordonnateur du volet numérique pour Shaw, l'un des propriétaires-exploitants l'a remplacé comme superviseur de l'installation. M. Kennedy a cessé de travailler pour Shaw à la fin du mois d'août 1998.
[38] Le témoignage de M. Kennedy est important parce que ce dernier a décrit dans quelle mesure Shaw contrôlait à la fois les heures de travail des propriétaires-exploitants comme installateurs et l'endroit où ils accomplissaient leur travail. La pièce R-12 est un formulaire qui a été rédigé et déposé par M. Kennedy et qui montre l'horaire de travail des installateurs pour la période allant du 6 au 26 avril 1998. La première page de la pièce R-12 comporte une liste de 26 installateurs indiquant leurs heures de travail déterminées pour chaque jour (de 8 h à 18 h ou de 11 h à 21 h) du lundi 6 avril au dimanche 12 avril. La deuxième page montre les mêmes 26 installateurs sous le même format, mais l'homme (Lodrick Bonardy) dont le nom figure en dernier à la première page est nommé en premier à la page deux et tous les autres noms de la première page ont descendu d'un espace sur la page deux. Le même processus est suivi à la page trois, où le nom de Lodrick Bonardy figure en deuxième place. Suivant ce processus, un installateur comme Trevor Sayers dont le nom figure au début de la première page connaît son horaire de travail pendant 26 semaines ou la moitié d'une année. M. Kennedy a expliqué son système d'alternance de la manière suivante :
[TRADUCTION]
R. [...] une fois que Trevor est rendu au bas de cette liste, son nom est remis en haut de la liste encore une fois, il est donc possible de prendre une seule page et de voir où vous serez dans les prochains six mois.
Transcription, à la page 643
[39] M. Kennedy a été prié de décrire une journée dans la vie d'un installateur et il a répondu ce qui suit :
[TRADUCTION]
R. Le travail était inscrit sur une feuille selon un itinéraire, normalement le soir précédant, placée dans leur casier, ils avaient des casiers qu'ils allaient voir le matin, ils ramassaient le travail, ils écrivaient une feuille de route et la photocopiaient, apportaient une copie de la feuille de route au centre d'appel, s'en allaient accomplir leurs tâches d'installateur, percevaient des sommes d'argent et remplissaient la feuille de route selon les codes appropriés pour les installations exécutées et cette feuille était photocopiée le matin et rapportée à la réception (Check In).
Q. Puis-je vous arrêter un instant. Nous avons entendu dans un autre témoignage le mot « enregistrement » (Postings), est-ce la même chose que « réception » (Check In)?
R. Non, la réception est constituée de deux femmes qui reçoivent les commandes de travail, et l'enregistrement de la commande de travail consistait à remplir la commande de travail en y inscrivant les codes d'installation.
Q. Ces deux personnes qui prenaient les commandes de travail, seulement en tant que groupe, les appelleraient-on les gens de la réception ou les gens de l'enregistrement, pourrait-on utiliser ces deux termes de manière interchangeable?
R. Non, il s'agissait de la responsabilité des femmes de la réception.
Q. Poursuivez, s'il-vous-plaît. Oh, peut-être que je pourrais demander pourquoi ils remettaient leur feuille de route aux gens de la réception?
R. Seulement pour prouver qu'on avait répondu à tous les appels, vous voulez dire celles qui étaient remplies?
Q. Je suis désolé. Revenons simplement en arrière dans le déroulement des événements. Vous avez dit qu'ils copiaient les feuilles de route et les remettaient à la réception -
R. Aux femmes de la réception.
Q. Pourquoi faisaient-ils cela?
R. Eh bien, cela permettait aux femmes de la réception de savoir qui était sur la route, qui avait quelle adresse et quel secteur au cas où un client appellerait et annulerait ou souhaiterait ajouter quelque chose, elles avaient la possibilité de communiquer avec cet installateur là où il se trouvait.
Q. Donc, après avoir remis ces feuilles aux gens de la réception, que faisait l'installateur?
R. Ils allaient prendre du matériel s'ils en avaient besoin et s'en allaient faire des installations.
Q. Ils emportaient leurs commandes de travail, devaient-ils communiquer avec quelqu'un de Shaw pendant la journée?
R. Toujours avec la réception.
Q. Avec la réception. Combien de fois par jour devaient-ils le faire?
R. Eh bien, au début ils devaient appeler pour terminer ou une fois qu'ils avaient terminé un travail ils devaient appeler, mais les communications téléphoniques étaient trop nombreuses, alors on a décidé qu'ils appelleraient après avoir fait deux ou trois commandes pour indiquer quelles commandes avaient été exécutées.
Q. Dans quel but appelaient-ils, vous avez dit pour indiquer quelles commandes avaient été exécutées, qu'est-ce que cela signifie réellement?
R. Pour indiquer par exemple qu'un client avait un service de plus grande valeur, que le travail avait été fait ou qu'il n'y avait personne à la maison (NBH). S'il n'y avait personne, ils pouvaient alors avertir les femmes de la réception qui appelaient à la résidence pour confirmer qu'il n'y avait personne, revenaient à l'installateur qui accrochait une note sur la porte et s'en allait ailleurs.
Q. Que signifient les lettres NBH?
R. Personne à la maison (Nobody Home).
Transcription, aux pages 684 à 686
[40] La pièce R-12 et le témoignage oral de M. Kennedy constituent de forts éléments de preuve du contrôle que Shaw exerçait sur les installateurs relativement aux heures de travail et aux endroits où ils travaillaient (c'est-à-dire, les foyers des clients de Shaw). Cette preuve est corroborée par le témoignage de certains témoins de l'appelante qui ont déclaré que les installateurs devaient se présenter à l'immeuble de Shaw tous les matins pour prendre leurs commandes de travail pour cette journée-là et pour rapporter leurs commandes de travail exécutées de la journée précédente. Paul Davey a déclaré que les propriétaires-exploitants devaient remplir un formulaire de demande de vacances et le remettre à Shaw afin que la grille horaire puisse être modifiée en fonction des absences prévisibles.
[41] Le témoignage de M. Kennedy, cité au paragraphe 39 ci-dessus, démontre également dans quelle mesure les installateurs devaient se rapporter chaque jour aux deux femmes de l'immeuble Shaw qui travaillaient à la réception. Le nom du travail « réception » (Check In) se passe de commentaires. Shaw exerçait un contrôle sur les installateurs.
[42] Shaw exerçait également un contrôle important sur les vendeurs qui ne faisaient pas d'installation, mais qui vendaient seulement le produit d'accès à Internet Wave. Michelle Bacon et Brad Fraser ont souligné avec insistance la liberté qu'ils avaient pour décider quand et où travailler, mais il existait de réelles limites à cette liberté. Ils devaient être présents en alternance aux séminaires et aux démonstrations du produit Wave, que ces séminaires ou démonstrations aient été organisés par des vendeurs comme Mme Bacon et M. Fraser ou par Shaw. De plus, Shaw fournissait le matériel pour les séminaires ou les démonstrations et les dépliants publicitaires; et Shaw payait les frais de location de l'emplacement. Si Mme Bacon et M. Fraser étaient des entrepreneurs indépendants, pourquoi ne fournissaient-ils pas leur propre matériel lors de la tenue de séminaires et de démonstrations? Pourquoi ne fournissaient-ils pas les dépliants publicitaires et ne payaient-ils pas les frais de location des emplacements pour les séminaires et les démonstrations?
[43] Lorsque les vendeurs de Wave tenaient un séminaire dans une salle communautaire ou faisaient la démonstration du produit à un kiosque dans un centre commercial, ils portaient habituellement des polos avec le logo de Shaw pour s'identifier comme personnes qui pouvaient répondre aux questions ou faire une vente. Les vendeurs du produit Wave n'étaient pas tenus d'aller à l'immeuble de Shaw tous les jours comme les installateurs qui devaient prendre leurs commandes de travail tous les matins, cependant Mme Bacon a déclaré dans son témoignage qu'elle se présentait à l'immeuble de Shaw à Richmond Hill en moyenne quatre fois par semaine afin de pouvoir consulter la base de données de Shaw. Pour des raisons de sécurité, l'accès à la base de données de Shaw était possible seulement à partir de l'immeuble de Shaw.
[44] Une personne qui vend un produit unique (comme Wave) offert par un seul fournisseur (comme Shaw) à un prix fixé par le fournisseur, et qui est rémunérée à 100 % à la commission peut paraître disposer d'une grande liberté de choisir quand et où travailler. Cette liberté, toutefois, est plus apparente que réelle quand la personne compte sur le revenu de commissions pour gagner sa vie. Mme Bacon et M. Fraser travaillaient fort pour vendre Wave parce qu'il s'agissait de leur gagne-pain. Ils n'étaient pas comme les anciens vendeurs de produits « Fuller Brush » qui gagnaient un revenu occasionnel en occupant un deuxième emploi le soir et la fin de semaine. Le besoin de gagner sa vie constitue un incitatif puissant pour l'autodiscipline et une rigide éthique du travail. Mme Bacon et M. Fraser sont à l'évidence des personnes entreprenantes, mais elles n'en sont pas pour autant les exploitants d'une entreprise personnelle ni des entrepreneurs indépendants à l'égard de la vente du produit Wave. Mme Bacon occupait un emploi à temps partiel dans un bar deux soirs par semaine, cependant pendant la journée de travail habituelle elle ne vendait que le produit de Shaw (Wave) aux clients de Shaw. Les personnes qui vendaient le produit Wave étaient très assujetties au contrôle de Shaw.
[45] En ce qui concerne le critère du contrôle, je conclus que Shaw exerçait un contrôle très important sur les installateurs et un contrôle important sur les personnes qui n'installaient pas mais qui vendaient à titre de propriétaires-exploitants. À mon avis, le critère du contrôle indique fortement l'existence d'une relation employeur-employé.
(ii) Propriété de l'outillage et du matériel
Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de juin 2002.
« M.A. Mogan »
J.C.C.I.
2000-1446(EI)
2000-1448(CPP)
ENTRE :
SHAW COMMUNICATIONS INC.,
appelante,
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
intimé.
Appels entendus les 24, 25, 26, 27 et 28 septembre 2001, à Calgary (Alberta), par
l'honorable juge M.A. Mogan
Comparutions
Avocats de l'appelante : Me Gregory Gartner, Me James C. Yaskowich et Me Howard Levitt
Avocats de l'intimé : Me Julia S. Parker et Me Mark Heseltine
JUGEMENT
L'appel interjeté aux termes du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est rejeté et la décision du ministre du Revenu national portant sur l'appel interjeté devant lui en vertu de l'article 92 de cette loi est confirmée.
L'appel interjeté aux termes de l'article 28 du Régime de pensions du Canada est rejeté et la décision du ministre du Revenu national portant sur la demande présentée devant lui en vertu de l'article 27.1 du Régime est confirmée.
Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de juin 2002.
« M.A. Mogan » |
J.C.C.I.