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Date: 20010910

Dossier: 2000-5076-EI

ENTRE :

PHILIPPE POLLET,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifsdu jugement

Le juge suppléant Somers, C.C.I.

[1]            Cet appel a été entendu à Montréal (Québec), le 12 juillet 2001.

[2]            L'appelant interjette appel de la décision du ministre du Revenu national, le Ministre, selon laquelle l'emploi exercé au cours des périodes en cause, soit du 4 mars 1996 au 31 janvier 1997 et du 1er novembre 1997 au 31 juillet 1999, auprès de 9031-3107 Québec Inc., o/s Distribution Pollpex, le payeur, n'était pas assurable au motif qu'il ne rencontrait pas les exigences d'un contrat de louage de services et qu'il n'existait pas de relation employeur/employé entre l'appelant et le payeur.

[3]            Le paragraphe 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) se lit comme suit :

Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[4]            Le fardeau de la preuve incombe à l'appelant. Ce dernier se doit d'établir selon la prépondérance de la preuve que la décision du Ministre est mal fondée en fait et en droit. Chaque cas est un cas d'espèce.

[5]            Le Ministre s'est fondé pour rendre sa décision sur les faits suivants qui ont été admis ou niés :

a)              le payeur a été constitué en société le 14 février 1996; (admis)

b)             le payeur faisait affaires sous la raison sociale Distribution Pollpex; (admis)

c)              le payeur se spécialisait dans la vente et la consultation d'isolation thermique industrielle; (admis)

d)             selon le registre de la société, les prétendus actionnaires du payeur seraient : (nié)

                Sébastien Pollet                                     62 % des actions votantes

                l'appelant                                                                38 % des actions votantes

e)              l'appelant est le père de Sébastien Pollet; (admis)

f)              au moment de la constitution de la société, Sébastien Pollet était étudiant; (admis)

g)             Sébastien Pollet n'a pas payé les actions et n'a rien investi dans le payeur; (admis)

h)             Sébastien Pollet ignorait quelles étaient les périodes d'embauche, les activités et le salaire de l'appelant et il ne discutait jamais de la société avec son père; (nié)

i)               le payeur n'avait pas de vie corporative depuis sa constitution; (nié)

j)               à l'agent de l'intimé, Sébastien Pollet reconnaissait qu'il était un prête-nom; (nié)

k)              les bureaux de l'entreprise étaient situés au domicile de l'appelant; (admis)

l)               l'appelant était le seul employé de l'entreprise; (admis)

m)             l'appelant était directeur des ventes et s'occupait de la consultation avec les clients; (admis)

n)             l'appelant prenait seul toutes les décisions; (nié)

o)             l'appelant décidait seul de son salaire et de ses périodes d'embauche et de mises à pied; (nié)

p)             l'appelant signait seul les chèques de l'entreprise; (admis)

q)             l'appelant était le maître d'oeuvre de l'entreprise et personne ne le contrôlait. (nié)

[6]            Le payeur a été constitué en société le 14 février 1996, se spécialisant dans la vente et la consultation d'isolation thermique industrielle.

[7]            Les actionnaires, selon le registre de la compagnie, sont Sébastien Pollet et l'appelant, possèdant respectivement 62 % et 38 % des actions votantes. L'appelant est le père de Sébastien Pollet.

[8]            Au moment de l'incorporation en 1996, l'appelant voulait intéresser ses deux fils à cette entreprise familiale en allouant à chacun un tiers des actions votantes. Seulement Sébastien Pollet a consenti à en faire partie.

[9]            Le comptable de l'appelant a suggéré que 62 % des actions votantes soit attribué à Sébastien Pollet alors que l'appelant en possèdait un tiers.

[10]          Avant l'incorporation, l'appelant travaillait pour une autre compagnie. L'appelant était directeur des ventes et s'occupait de la consultation avec les clients.

[11]          Au moment de l'incorporation, Sébastien Pollet, âgé de 23 ans, était étudiant et s'intéressait peu aux opérations de la compagnie. Il a reçu 62 % des actions votantes sans investir un sous.

[12]          Selon son témoignage de Sébastien Pollet est encore actionnaire de la compagnie mais n'est pas actif dans l'entreprise familiale. Il a avisé son père de son intention de ne pas participer dans les opérations de la compagnie. Il avait des intérêts comme graphiste.

[13]          Au tout début il a été informé des opérations de la compagnie mais par après s'est désintéressé. Les procès-verbaux de la compagnie dûment signés annuellement par les administrateurs, indiquent que l'appelant est nommé président, tandis que Sébastien Pollet est nommé secrétaire.

[14]          L'appelant montrait rapidement à son fils les rapports financiers sans que celui-ci s'y intéresse particulièrement.

[15]          En contre-interrogatoire, Sébastien Pollet affirme qu'il a travaillé pour la compagnie lorsqu'il était étudiant sans être rémunéré et sans recevoir de dividendes. Il ajoute qu'il n'a pas vraiment travaillé; il s'occupait des ventes, mais admet qu'il n'avait pas beaucoup d'expérience. Il avait remplacé l'appelant en 1996 ou en 1997 alors que ce dernier était malade.

[16]          Sébastien Pollet déclare qu'il n'a pas été consulté pour les achats du véhicule ou les mobiliers et ne sait même pas la marque du véhicule. Il ne se souvient pas des décisions prises. Il n'a pas participé à établir le salaire de l'appelant. L'appelant se supervisait lui-même, sans la participation du fils. Il ne connaît pas les heures de travail de son père ou la qualité du travail. C'est l'appelant lui-même qui détermine sa mise à pied.

[17]          L'appelant témoigne que son fils était mis au courant des opérations de la compagnie mais sans trop préciser.

[18]          L'appelant déclare qu'il était le seul employé de la compagnie et qu'il travaillait environ 45 à 50 heures par semaine mais parfois jusqu'à 70 heures. Il ne comptabilisait pas ses heures de travail. Son salaire était établi par lui-même.

[19]          Le bureau de la compagnie était situé au domicile de l'appelant. La compagnie ne payait pas de loyer mais payait 40 % des frais d'électricité, taxes, etc. Le véhicule appartenait à la compagnie.

[20]          En contre-interrogatoire, l'appelant admet qu'il n'avait pas d'horaire de travail, pas de vacances et qu'il n'était pas supervisé. Il admet avoir rendu des services à la compagnie lorsqu'il recevait des prestations d'assurance-emploi et l'aurait déclaré à la Commission d'assurance-emploi et ses prestations ont été modifiées en conséquence.

[21]          Les états financiers démontrent qu'il y a eu des investissements de 20 000 $ et 5 000 $ sans que l'appelant puisse donner des explications sur la provenance de ces investissements. Le salaire pour la période annuelle du 1er mars 1996 au 28 février 1997 était de 27 853 $. Le salaire du 1er mars 1997 au 28 février 1998 était de 8 407,00 $, alors que le salaire du 1er mars 1998 au 28 février 1999 était de 22 023,00 $. Il déclare que son salaire a diminué probablement parce qu'il y avait moins de travail.

[22]          L'agente des appels a interrogé l'appelant et Sébastien Pollet. Ce dernier lui aurait déclaré qu'il ne savait pas le nombre d'actions qu'il possédait, et que l'appelant administrait la compagnie de a à z et qu'il n'y avait pas d'assemblées d'affaires entre les deux actionnaires. Ne connaissant pas l'expression « prête-nom » , il a déclaré qu'il faisait partie de la compagnie en nom seulement.

[23]          La Cour a lu attentivement la jurisprudence des deux parties. Lorsqu'il s'agit d'appliquer les critères pour déterminer s'il existe un contrat de louage de services il faut tenir compte des circonstances particulières établissant les relations contractuelles entre les parties. Chaque cas est un cas d'espèce.

[24]          Il est vrai que le payeur est une entité légale et distincte de ses actionnaires. Il faut considérer le lien de subordination servant à déterminer l'existence d'un contrat de travail.

[25]          Dans la cause Scalia c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) [1994] A.C.F. no 798, le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale exprime ainsi :

                À l'analyse de la preuve, cependant, on constate que le requérant avait sur la compagnie, sur ses activités, sur les décisions de son bureau de direction composé de lui-même, de son neveu et de sa belle-soeur, un ascendant tel qu'entre lui-même et la compagnie ne pouvait exister ce rapport d'indépendance nécessaire à la création d'un véritable lien de subordination.

[26]          Dans la cause Dalcourt c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) [1996] A.C.F. no 882, le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale réitère le même énoncé en écrivant :

... C'est à bon droit qu'il a conclu que, comme dans Scalia, le requérant avait sur le payeur « un ascendant tel qu'entre lui-même et la compagnie ne pouvait exister ce rapport d'indépendance nécessaire à la création d'un véritable lien de subordination » .

[27]          Dans la cause Bouillon c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) [1996] A.C.F. no 742, le juge Desjardins de la Cour d'appel fédérale conclut le jugement en ces termes :

                L'imbroglio ainsi décrit jette un sérieux doute quant à l'existence du payeur comme entité distincte de ses principaux actionnaires, MM. Bruno Bouillon et Ghislain Bélanger. Ceux-ci ont agi comme si le troisième « actionnaire » n'existait pas au point même de l'exclure du dividende. Ils avaient mainmise complète ... sur le payeur qui n'a joué qu'un rôle de convenance et a servi de paravent à leurs activités. Je conclus à l'inexistence de quelque entente que ce soit entre le requérant et le payeur, et à plus forte raison, à l'inexistence d'un contrat de louage de service. J'en déduis que le requérant travaillait à son propre compte durant les périodes pertinentes.

[28]          Il est vrai qu'un actionnaire peut agir en deux capacités dans une compagnie, soit à titre d'administrateur et d'employé; par contre, il faut examiner le rôle qu'a joué l'appelant dans la cause sous étude.

[29]          L'appelant a expliqué qu'il voulait former une compagnie afin d'intéresser ses deux fils dans cette entreprise familiale. Selon l'appelant, le comptable lui a conseillé de diviser les actions entre lui et ses deux fils en attribuant à chacun 1/3 des actions, mais l'aîné des fils, ingénieur de profession, n'a pas consenti à faire partie de la compagnie.

[30]          Le comptable a suggéré que 62 % des actions soit attribué à l'appelant et 38 % à son fils Sébastien. Les procès-verbaux annuels de la compagnie indiquent que l'appelant était président et que le fils était secrétaire.

[31]          Le fils, Sébastien Pollet, étudiant universitaire en 1996, n'a pas investi d'argent dans la compagnie bien qu'il détenait 62 % des actions et n'a reçu aucune dividende ou bénéfice de la compagnie pendant les périodes en cause. Il a même remplacé son père pendant sa maladie en 1996 ou 1997 et n'a reçu aucune rémunération. Il affirme qu'il n'a pas beaucoup contribué au bon fonctionnement de la compagnie.

[32]          La preuve a démontré que le fils se désintéressait de la compagnie et qu'il avait pas d'expérience dans ce genre d'expertise.

[33]          Le fils affirme que son père lui a montré rapidement les états financiers et ajoute que ce n'était pas important pour lui. Il déclare que son père lui a proposé de lui attribuer 62 % des actions, mais qu'il n'y comprenait pas « grand chose » .

[34]          Il ne se souvient pas des décisions ni des profits ou pertes financières de la compagnie parce que c'était son père qui l'administrait. Il ne connaissait pas le salaire de son père ou même la raison pour laquelle son père avait subi une perte de salaire. Le fils ne s'occupait de la gestion de la compagnie et ne connaissait pas les heures de travail de son père ni ses vacances ou ses mises à pied.

[35]          Le fils n'a reçu aucun bénéfice de la compagnie. Les rapports financiers démontrent qu'il y a eu des investissements de 20 000,00 $ et 5 000,00 $. Le fils n'a investi aucune somme dans la compagnie. L'appelant ne pouvait donner aucune explication quant à la provenance de ces sommes.

[36]          En retenant les énoncés de la Cour d'appel fédérale dans les causes précitées, l'appelant était l'âme dirigeante de la compagnie, il n'y avait pas de véritable lien de subordination entre l'appelant et le payeur et il n'existait pas de véritable contrat de louage de services.

[37]          L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa (Canada), ce 10e jour de septembre 2001.

« J.F. Somers »

J.S.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        2000-5076(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Philippe Pollet et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 12 juillet 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge suppléant J.F. Somers

DATE DU JUGEMENT :                      Le 10 septembre 2001

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                    Me Grégoire Cadieux

Pour l'intimé :                                         Me Vlad Zolia

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                       Me Grégoire Cadieux

                                                                               

                                Étude :                     Me Grégoire Cadieux

                                                                                Longueuil (Québec)

Pour l'intimé :                                         Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2000-5076(EI)

ENTRE :

PHILIPPE POLLET,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 12 juillet 2001 à Montréal (Québec), par

l'honorable juge suppléant J.F. Somers

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me Grégoire Cadieux

Avocat de l'intimé :                             Me Vlad Zolia

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa (Canada), ce 10e jour de septembre 2001.

« J.F. Somers »

J.S.C.C.I.

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