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Date : 20020516

Dossier : 1999-5017-IT-G

ENTRE :

ROSARIO POIRIER INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Rosario Poirier Inc. (RPI) interjette appel à l'encontre de cotisations d'impôt sur le revenu établies par le ministre du Revenu national (ministre) à l'égard des années d'imposition 1994, 1995, 1996 et 1997 (période pertinente). Dans le calcul de l'impôt dû par RPI, le ministre a refusé une partie de la déduction accordée aux petites entreprises (DPE). L'intimée soutient que RPI n'a pas droit à la partie refusée de la DPE parce qu'elle était une société associée, au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi), à une autre société, Trab Inc. (Trab), au cours de la période pertinente. Selon l'intimée, RPI contrôlait Trab directement ou indirectement de quelque manière que ce soit. Sauf pour ce qui est de l'année 1995, il s'agit là du seul motif invoqué par l'intimée à l'appui des cotisations du ministre. À l'égard de 1995, l'intimée soutient de plus que RPI ne pouvait en appeler de la cotisation du ministre puisqu'aucun impôt n'était exigible. RPI reconnaît par l'intermédiaire de son avocat qu'il ne pouvait en appeler d'une cotisation dite « néant » .

Les faits

[2]            Monsieur Rosario Poirier, qui est fils de cultivateur et qui a très peu de scolarité, habite à St-Alphonse, un village situé dans la péninsule gaspésienne, plus précisément dans le comté de Bonaventure. C'est là où il a fondé une scierie. RPI a été constituée en société par actions en vertu de lettres patentes données le 19 mars 1973 et, le 23 décembre 1993, son existence a été continuée sous le régime de la partie IA de la Loi sur les compagnies du Québec. À partir du 18 février 1994, monsieur Poirier détenait 80 % des actions ordinaires de RPI alors que son fils, Luc Poirier, en détenait le reste. Luc Poirier fait aussi partie du conseil d'administration de RPI depuis cette époque. Il semble qu'auparavant monsieur Rosario Poirier détenait toutes les actions de RPI. Ce dernier a converti en février 1994 toutes les actions ordinaires qu'il détenait alors en actions privilégiées dont la valeur a été établie à 888 300 $. Ce remaniement du capital-actions de RPI a toutes les allures d'un gel successoral partiel. Compte tenu de ses débuts modestes, RPI semble avoir bien réussi et monsieur Rosario Poirier a raison d'en être fier.

[3]            Au début, RPI s'occupait elle-même de la coupe du bois et de son transport. Elle possédait uncamion pour transporter les billes de bois de la forêt à la scierie. Le transport des produits finis s'effectuait par l'intermédiaire d'un transporteur public. Dès qu'il a eu 18 ans, Luc Poirier aurait commencé à conduire le camion. Il a abandonné l'école après son secondaire II, à l'âge de 16 ans. L'été, il a travaillé à la scierie comme opérateur de chariot à palettes, et l'hiver, il a travaillé comme chauffeur du camion ou comme opérateur de débusqueuse dans le bois, selon les besoins du moment.

[4]            Quand Luc Poirier a atteint la vingtaine, son père désirait, selon ses dires, qu'il acquière de l'expérience dans la gestion d'une société et qu'il ait une plus grande sécurité financière dans l'éventualité où RPI ne pourrait plus lui fournir d'ouvrage. Son père l'a donc encouragé à acheter, le 10 août 1988, toutes les actions de Trab à un certain Boudreault pour une somme de 6 000 $. Trab ne possédait alors que deux biens, soit un vieux camion de transport de billes de bois, qui avait une valeur d'environ 200 $, et un permis de transport de billes de bois, d'une valeur d'environ 5 500 $. Ni Rosario Poirier ni Luc Poirier ne se rappelaient comment avait été financé l'achat des actions de Trab.

[5]            Peu de temps après l'acquisition de Trab par Luc Poirier, cette société a acquis le camion de RPI pour une somme de 1 $. Luc Poirier a reconnu qu'il s'agissait là d'un don déguisé. Selon lui, le camion avait peu de valeur économique. Même si RPI a transféré la propriété de son camion à Trab, ce sont ses employés qui ont continué à le conduire.

[6]            C'est d'ailleurs monsieur Rosario Poirier qui a choisi le premier chauffeur du camion qui a conduit le camion de Trab. Luc Poirier affirme s'être occupé de l'entretien du camion le samedi avec l'aide d'un autre employé de RPI, mais il ne recevait aucun salaire de Trab pour ce service. De façon générale, ce camion a été utilisé principalement durant la période de coupe de bois. Au début, on l'a employé surtout pour le transport de jour. Par la suite, on s'en est servi 24 heures par jour, cinq jours par semaine.

[7]            Durant la période pertinente, RPI était pratiquement le seul client de Trab. Dans les états financiers de Trab pour les exercices terminés le 31 mai 1994 et 1995, on trouve la mention suivante : « La société réalise tous ses revenus de transport de bois auprès d'une société affiliée. » À partir de 1996, la mention est la suivante : « La société réalise la totalité de ses revenus de transport de bois et de location d'équipements auprès d'une société affiliée. » Selon un énoncé de fait dans la Réponse à l'avis d'appel, lequel a été admis, 92 %, 88 % et 100 % des revenus de Trab pour les exercices financiers de 1995, 1996 et 1997 provenaient directement de RPI alors que d'autres revenus provenaient du transport fait pour des personnes qui avaient pris contact avec monsieur Rosario Poirier.

[8]            Notamment, à l'automne 1995, Trab a effectué du transport de bois pour un montant de 12 075 $ pour la société 9011-6989 Québec Inc. (JGT). L'actionnaire de JGT, un certain Jean-Guy Thériault, avait communiqué avec monsieur Rosario Poirier concernant le transport de billes de bois à être chargés sur un navire. L'année suivante, Trab a aussi effectué du transport pour les Entreprises Bernard Lepage (EBL), appartenant à un ami personnel de Rosario Poirier. Lors de son témoignage, Luc Poirier ne se souvenait pas de ce dernier contrat de transport.

[9]            Luc Poirier a reconnu ne pas avoir soumissionné pour d'autres contrats de transport. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi Trab ne s'était pas développée davantage en faisant l'acquisition d'autres camions et en servant d'autres clients, il a répondu qu'il n'aimait pas se lever la nuit pour s'occuper d'une panne du camion — et sans doute n'aimait-il pas non plus se lever pour remplacer les chauffeurs de camion.

[10]          En plus d'être le seul actionnaire de Trab, Luc Poirier en est aussi le seul administrateur depuis 1988 jusqu'à aujourd'hui, sauf pour ce qui est d'une courte période d'un an à compter de juin 1994 durant laquelle son père a aussi fait partie du conseil d'administration. Lorsqu'il a été interrogé sur la gestion de Trab, Luc Poirier a eu de la difficulté à fournir des réponses précises. Il a indiqué que c'étaient la secrétaire de RPI et le comptable de RPI et Trab qui s'occupaient de toutes les questions touchant la gestion.

[11]          Parmi les faits sur lesquels le ministre s'était fondé pour établir sa cotisation, il y a le suivant : Luc Poirier aurait confirmé à la vérificatrice du ministre lors d'une conversation téléphonique que « Trab, c'est plus Rosario Poirier qui s'en occupe » . Lors de son témoignage, Luc Poirier n'a pas nié cette conversation avec la vérificatrice. De plus, des résolutions du conseil d'administration de Trab, en date du 6 mai 1992 et du 23 juin 1992, autorisent monsieur Rosario Poirier et son épouse, madame Sergine Dugas, à signer tous documents jugés nécessaires et également à prendre toutes les décisions se rapportant à Trab[1].

[12]          Les deux principales, sinon les seules, tâches administratives remplies par Luc Poirier se limitent à signer les chèques de Trab pour les quelques dépenses qu'elle paie à l'occasion et à choisir le camion de remplacement à tous les trois ans. Lors de l'achat d'un de ces camions, a affirmé Luc Poirier, il en a choisi un doté d'un moteur plus gros que celui que lui aurait suggéré son père. Pour expliquer son peu d'implication dans la gestion de Trab, Luc Poirier s'est décrit plutôt comme un homme de terrain. Depuis 1991, Luc Poirier travaille à plein temps et à longueur d'année pour RPI. Même s'il a le titre de directeur de production de RPI, ses responsabilités consistent principalement à faire l'entretien de l'équipement, à conduire un chariot à palettes, à remplacer au besoin des employés qui font fonctionner l'équipement de la scierie ou à planifier les coupes de bois. Il est rémunéré à la semaine, tout comme son père. Son seul revenu d'emploi provient de RPI. Les autres employés de cette société sont rémunérés à l'heure.

[13]          Selon sa version, monsieur Rosario Poirier ne s'implique pas dans la gestion de Trab. Il ne fait que donner des conseils à son fils, qu'il considère comme son bras droit, son confident et son partenaire de chasse et de pêche. De plus, il a ajouté qu'il ne connaît rien aux camions et, comme preuve, il a affirmé avoir consulté des membres de sa famille qui s'y connaissent davantage lorsqu'il a eu à en acheter dans le passé. Par contre, la preuve révèle que monsieur Rosario Poirier était présent lors de l'emprunt obtenu par Trab pour financer l'achat du premier camion neuf pour remplacer le camion acquis de RPI. Messieurs Rosario et Luc Poirier ont affirmé que ni monsieur Rosario Poirier ni RPI n'ont fourni de caution pour l'obtention de ce prêt.

[14]          D'autres faits révèlent que monsieur Rosario Poirier a été plus impliqué dans la gestion de Trab qu'il n'est prêt à le reconnaître. En plus d'avoir été la personne qui semble avoir négocié les deux contrats de transport de bois avec JGT et EBL, c'est lui qui s'est occupé de la perception des frais de transport. Ayant eu peur que Trab ne soit pas payée pour ses services rendus à JGT, monsieur Rosario Poirier avait obtenu une lettre de caution personnelle de monsieur Thériault. Lorsque JGT n'a pas payé la somme de 12 075 $ qu'elle devait à Trab, c'est RPI (et non Trab) qui a envoyé une mise en demeure à JGT. Grâce au sens et à l'expérience des affaires de monsieur Rosario Poirier, Trab a été le seul fournisseur de JGT à être payé.

[15]          De façon générale, les tâches administratives simples de Trab sont du ressort de la secrétaire de monsieur Rosario Poirier, qui est employée de RPI. Notamment, c'est elle qui, avec l'aide du comptable externe de Trab (le même que celui de RPI), s'occupait de dresser les factures de Trab pour le transport effectué pour RPI[2]. Les dépenses d'exploitation de Trab, soit les salaires[3], le carburant, l'huile et la graisse, étaient payées par RPI. Ces dépenses étaient ensuite facturées à Trab à des intervalles irréguliers : souvent à tous les mois, mais parfois pour une période de 2 ou 5 mois. De plus, les feuillets T4 pour les camionneurs ont été établis par RPI. En plus d'utiliser les services administratifs et le personnel de RPI, Trab utilisait aussi les mêmes locaux et le même téléphone. Trab n'était pas elle-même inscrite dans l'annuaire téléphonique.

[16]          Pour Luc Poirier, l'acquisition de Trab constituait une source de revenus d'appoint. Selon ses états financiers, Trab a réalisé des bénéfices nets d'environ 32 000 $ en 1994 et 1995, de 135 549 $ en 1996 et de 146 774 $ en 1997. L'avoir des actionnaires est passé de 157 718 $ en 1994 à 190 095 $ en 1995, à 304 253 $ en 1996, à 441 427 $ en 1997 et à 527 628 $ en 1998. Ces bénéfices tirés du transport effectué pour RPI a permis à Trab de verser à Luc Poirier des dividendes de 9 000 $ le 1er juin 1995 et le 4 janvier 1996 et de 28 000 $ le 4 janvier 1998. Grâce à ces dividendes, Luc Poirier a pu faire l'acquisition d'une roulotte et d'une propriété locative.

[17]          En outre, il a été admis par les parties que RPI et Trab se sont prêté de l'argent lorsqu'il y avait un manque de liquidités, sans qu'aucun intérêt n'ait été exigé sur ces prêts. Luc Poirier a affirmé que Trab était rémunérée en fonction de la quantité de bois transportée pour RPI et que le prix était fixé selon le taux du marché. De mai à décembre 1994, Trab avait demandé à RPI des frais de transport inférieurs au taux du marché et un rajustement de 2 $/m3 a dû être effectué en décembre 1995. Dans la région de St-Alphonse, il existe au moins deux autres scieries et au moins deux entreprises de transport de billes de bois.

Position des parties

[18]          Le procureur de l'intimée soutient que RPI contrôlait Trab directement ou indirectement de quelque manière que ce soit durant la période pertinente puisqu'il existait une grande dépendance économique de Trab par rapport à RPI à cette époque. De plus, les activités de Trab étaient intimement intégrées à celles de RPI.

[19]          Le procureur de RPI reconnaît que sa cliente exerce une influence sur les activités de Trab. Par contre, cette influence n'est pas suffisante pour que RPI ait le contrôle de fait de Trab. C'est Luc Poirier qui prend les décisions importantes pour Trab et qui exerce une influence prédominante dans la conduite des affaires de cette entreprise. Selon le procureur, si on adoptait une interprétation large du paragraphe 256(5.1) de la Loi, ce paragraphe pourrait s'appliquer à des cas non prévus par le législateur. Il a notamment donné comme exemple le cas du gouvernement américain qui, par l'adoption de mesures fiscales, pourrait même occasionner la fermeture de la scierie.

[20]          De façon subsidiaire, le procureur de RPI soutient que même si on pouvait conclure à l'existence d'un contrôle de fait en raison de l'application du paragraphe 256(5.1) de la Loi, pareille conclusion n'est pas possible lorsqu'il existe un contrôle de droit, comme cela est le cas ici. En effet, comme Luc Poirier contrôle 100 % des actions de Trab, personne d'autre ne peut exercer un contrôle de fait sur cette société. En d'autres mots, il ne peut y avoir conclusion à un contrôle de fait que lorsqu'une seule personne a le contrôle de droit d'une société. Il fonde cette interprétation sur le libellé du paragraphe 256(1.2) de la Loi dont les effets sont limités aux paragraphes 256(1) à (5). Le paragraphe 256(5.1) échappe donc à l'application du paragraphe 256(1.2). Le procureur de RPI a rappelé que la règle énoncée à ce dernier paragraphe avait été adoptée par suite de la décision Southside Car Market Ltd. c. La Reine, [1982] 2 C.F. 755, 82 DTC 6179, où l'on avait conclu qu'il ne pouvait y avoir deux contrôles concomitants par deux personnes ou deux groupes de personnes distincts. Ici, il ne pourrait exister à la fois un contrôle de droit exercé par Luc Poirier et un contrôle de fait exercé par RPI.

Analyse

[21]          La seule question en litige est de savoir si Trab était contrôlée directement ou indirectement de quelque manière que ce soit par RPI durant la période pertinente. Si elle l'était, la cotisation du ministre doit être confirmée. Dans le cas contraire, RPI aurait droit au plein montant de la DPE qu'elle a demandée. Si un tel contrôle était présent, Trab et RPI seraient des sociétés qui étaient associées au cours de la période pertinente.

[22]          Les dispositions pertinentes en l'espèce sont les suivantes, qui se trouvent à l'article 256 :

256. (1) Sociétés associées — Pour l'application de la présente loi, deux sociétés sont associées l'une à l'autre au cours d'une année d'imposition si, à un moment donné de l'année :

a) l'une contrôle l'autre, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit;

b) la même personne ou le même groupe de personnes contrôle les deux sociétés, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit;

c) la personne qui contrôle l'une des deux sociétés, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, est liée à la personne qui contrôle l'autre société, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, et l'une de ces personnes est propriétaire d'au moins 25 % des actions émises d'une catégorie, non exclue, du capital-actions de chaque société;

d) la personne qui contrôle l'une des deux sociétés, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, est liée à chaque membre du groupe de personnes qui contrôle l'autre société, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, et cette personne est propriétaire d'au moins 25 % des actions émises d'une catégorie, non exclue, du capital-actions de l'autre société;

e) chaque membre du groupe lié qui contrôle l'une des deux sociétés, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, est lié à tous les membres du groupe lié qui contrôle l'autre société, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, et une ou plusieurs des personnes membres des deux groupes liés sont propriétaires, seuls ou ensemble, d'au moins 25 % des actions émises d'une catégorie, non exclue, du capital-actions de chaque société.

(1.2) Précisions sur les notions de contrôle et de propriété des actions — Pour l'application du présent paragraphe et des paragraphes (1), (1.1) et (1.3) à (5) :

a)     un groupe de personnes s'entend de plusieurs personnes dont chacune est propriétaire d'actions du capital-actions de la même société;

b)     il est entendu :

(i)       d'une part, qu'une société qui est contrôlée par un ou plusieurs membres d'un groupe donné de personnes est réputée être contrôlée par ce groupe de personnes,

(ii)      d'autre part, qu'une personne ou un groupe donné de personnes peut contrôler une société même si une autre personne ou un autre groupe de personnes contrôle aussi ou est réputé contrôler aussi la société;

c)     la société, la personne ou le groupe de personnes qui est propriétaire, à un moment donné, d'actions du capital-actions d'une autre société dont la juste valeur marchande correspond à plus de 50 % de la juste valeur marchande de toutes les actions émises et en circulation du capital-actions de cette autre société, ou qui est propriétaire, à ce moment, d'actions ordinaires du capital-actions de cette autre société dont la juste valeur marchande correspond à plus de 50 % de la juste valeur marchande de toutes les actions ordinaires émises et en circulation du capital-actions de cette autre société, est réputé contrôler cette autre société à ce moment;

d)     les actions du capital-actions d'une société dont une autre société est, à un moment donné, propriétaire ou réputée propriétaire en application du présent paragraphe sont réputées être la propriété à ce moment de chaque actionnaire de cette autre société dans la proportion égale [...]

[...]

e)     les actions du capital-actions d'une société qui sont des biens d'une société de personnes à un moment donné ou qui sont réputées être la propriété de la société de personnes à ce moment en application du présent paragraphe sont réputées être la propriété à ce moment de chaque associé de la société de personnes dans la proportion égale [...] :

f)      les actions du capital-actions d'une société dont une fiducie est à un moment donné propriétaire ou réputée propriétaire en application du présent paragraphe :

(i)         sont réputées, [...]

g)     dans la détermination de la juste valeur marchande d'actions du capital-actions d'une société, toutes les actions émises et en circulation de ce capital-actions sont réputées ne pas conférer de droit de vote.

(5.1) Contrôle de fait — Pour l'application de la présente loi, lorsque l'expression « contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, » est utilisée, une société est considérée comme ainsi contrôlée par une autre société, une personne ou un groupe de personnes — appelé « entité dominante » au présent paragraphe — à un moment donné si, à ce moment, l'entité dominante a une influence directe ou indirecte dont l'exercice entraînerait le contrôle de fait de la société. Toutefois, si cette influence découle d'un contrat de concession, d'une licence, d'un bail, d'un contrat de commercialisation, d'approvisionnement ou de gestion ou d'une convention semblable — la société et l'entité dominante n'ayant entre elles aucun lien de dépendance — dont l'objet principal consiste à déterminer les liens qui unissent la société et l'entité dominante en ce qui concerne la façon de mener une entreprise exploitée par la société, celle-ci n'est pas considérée comme contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par l'entité dominante du seul fait qu'une telle convention existe.

[23]          Ici, l'intimée se fonde sur l'alinéa 256(1)a) de la Loi pour conclure que RPI et Trab étaient associées. Le paragraphe 256(5.1) précise la portée et l'étendue de la notion de contrôle direct ou indirect exercé de quelque manière que ce soit. Le but de cette disposition est d'élargir le concept de contrôle défini dans la jurisprudence (notamment Buckerfield's Ltd. v. M.N.R., 64 DTC 5301, 5303 et M.N.R. v. Dworkin Furs (Pembroke) Ltd., 67 DTC 5035), qui l'avait limité au contrôle de droit, en y ajoutant la notion de contrôle de fait qu'avait d'ailleurs écartée cette jurisprudence. Une société sera « [contrôlée], directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » , lorsqu'une entité dominante (ici RPI) a une influence directe ou indirecte dont l'exercice entraînerait le contrôle de fait de la société dominée (en l'occurence Trab). Il s'agit là d'une question de fait.

[24]          À mon avis, une telle situation existe ici dans les faits. Les indices révélant une pareille influence sur Trab sont les suivants. Tout d'abord, une résolution du conseil d'administration de Trab autorise depuis le 6 mai 1992 monsieur Rosario Poirier à signer tous les documents jugés nécessaires et également à prendre toutes les décisions se rapportant à Trab. Or, monsieur Rosario Poirier a le contrôle de droit de RPI et, grâce à cette résolution, RPI peut, par l'intermédiaire de monsieur Rosario Poirier, exercer des droits de gestion à l'égard de Trab.

[25]          En outre — et c'est là l'élément primordial — Trab se trouve dans une grande mesure dans une dépendance économique par rapport à RPI. Cette dépendance existe du fait que RPI est le seul client de Trab. D'ailleurs, les états financiers le confirment : « La société réalise tous ses revenus de transport de bois auprès d'une société affiliée » . Il y a dépendance même lorsque le bénéficiaire du transport n'est pas RPI, comme dans le cas des transports effectués au bénéfice de EBL et de JGT. Si RPI décidait de mettre fin au contrat de transport, Trab pourrait difficilement continuer l'exploitation de son entreprise, faute de clients. Il lui faudrait alors en trouver rapidement d'autres, ce qui n'est pas nécessairement évident dans la région de St-Alphonse. De ce fait, RPI est en mesure d'exercer une influence telle qu'elle peut contrôler Trab dans les faits.

[26]          Un autre indice de l'existence de cette domination est l'intégration des activités de Trab et de celles de RPI. Tous les employés nécessaires à l'exploitation de l'entreprise de Trab sont des employés de RPI. Le coût des services fournis par ces employés est remboursé par la suite par Trab. Trab n'a aucun lieu d'affaires distinct de celui de RPI. Un autre indice est le degré d'implication de monsieur Rosario Poirier dans la gestion de Trab. Notamment, c'est ce dernier qui a négocié les contrats de transport avec JGT et EBL; c'est lui qui a pris les démarches pour obtenir le paiement des sommes auxquelles Trab avait droit. Finalement, il faut ajouter le fait que Luc Poirier, le seul actionnaire de Trab, est un employé de RPI et tire tous ses revenus d'emploi de RPI. Trab ne lui verse aucun revenu d'emploi. Non seulement Luc Poirier est-il employé à temps plein de RPI mais ses activités sont très peu reliées à celles de Trab. Ce sont d'autres employés de RPI qui s'occupent davantage de l'exploitation de Trab. Finalement, Luc Poirier est le fils de monsieur Rosario Poirier, qui a le contrôle de droit de RPI. Voilà autant de faits qui font mieux comprendre l'existence d'une dépendance économique de Trab par rapport à RPI.

[27]          Dans ces circonstances, il m'apparaît clair que RPI constitue une entité dominante qui a une influence dont l'exercice non seulement entraînerait le contrôle de fait mais ici, a effectivement permis à RPI d'avoir le contrôle de fait de Trab.

[28]          De façon subsidiaire, le procureur de RPI soutient qu'il ne peut exister de contrôle simultané de Trab par RPI et Luc Poirier, compte tenu du fait que Luc Poirier a le contrôle de droit de 100 % des actions avec droit de vote de Trab. Il se fonde notamment sur la décision Southside Car Market Ltd. (précitée). À mon avis, cette décision de la Cour fédérale — Division de première instance n'est d'aucune pertinence aux fins de l'interprétation de l'alinéa 256(1)a) de la Loi. Dans l'affaire Southside Car Market Ltd., deux sociétés, A et B, étaient contrôlées par monsieur W. Une autre société, D, était détenue en parts égales par monsieur W et un autre contribuable. Le ministre s'était fondé sur l'alinéa 256(1)b), tel qu'il était rédigé à l'époque[4], pour conclure que A, B et D étaient associées entre elles. Le juge Cattanach a conclu que les deux premières sociétés étaient contrôlées par une personne alors que la société D était contrôlée par un groupe de personnes. Selon lui, il aurait fallu que les trois sociétés soient contrôlées par la même personne ou par le même groupe de personnes. Voici ce qu'il écrit aux pages 769 et 770 C.F. (page 6186 DTC) :

                À mon avis, il résulte implicitement du texte cité que si une seule personne détient un nombre suffisant d'actions dans une compagnie, il n'est pas nécessaire d'examiner la question de fait consistant à savoir quel groupe de personnes détient un tel nombre d'actions. Par conséquent, si une seule personne est propriétaire d'un nombre suffisant d'actions pour exercer le contrôle, la question de savoir si un groupe de personnes contrôle la compagnie est exclue. La condition suspensive en matière d'examen du contrôle dans un groupe est qu'une seule personne n'exerce pas de contrôle.

                Tel est, à mon avis, le sens précis de l'alinéa 256(1)b).

La difficulté d'interprétation existant dans Southside Car Market Ltd. ne se présente pas ici. D'ailleurs, il ne s'agit pas en l'espèce du même alinéa du paragraphe 256(1) de la Loi.

[29]          À mon avis, l'alinéa 256(1)a) est clair et précis et ne laisse planer aucun doute quant à sa portée. Dès qu'une société contrôle une autre directement ou indirectement de quelque manière que ce soit, ces deux sociétés sont associées l'une à l'autre. Le fait qu'un autre contribuable a le contrôle de droit de Trab, n'a aucune pertinence ici puisque RPI en a le contrôle de fait suivant l'alinéa 256(1)a) de la Loi.

[30]          De plus, selon le sous-alinéa 256(1.2)b)(ii) de la Loi, rien n'empêche de conclure qu'une société (RPI) a le contrôle de fait d'une autre (Trab) selon l'alinéa 256(1)a) de la Loi même si quelqu'un d'autre (Luc Poirier) exerce un contrôle de droit sur cette dernière société. Le sous-alinéa 256(1.2)b)(ii) de la Loi s'applique clairement à l'alinéa 256(1)a). En d'autres mots, il n'est pas nécessaire que le paragraphe 256(1.2) de la Loi fasse référence au paragraphe 256(5.1). Le renvoi au paragraphe 256(1) suffit.

[31]          Par conséquent, les appels de RPI doivent être rejetés avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2002.

« Archambault, P. »

J.C.C.I.

NO DU DOSSIER DE LA COUR :                        1999-5017(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 ROSARIO POIRIER INC.

                                                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 19 novembre 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                                      le 16 mai 2002

COMPARUTIONS :

                Pour l'appelante:                                                   Me Robert Marcotte

                Pour l'intimée :                                                       Me Daniel Marecki

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

                Pour l'appelante :

                                                Nom :                                       Me Robert Marcotte

                                                Étude :                                     Cap-Rouge (Québec)

                Pour l'intimée :                                                       Morris Rosenberg

                                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                                Ottawa, Canada

1999-5017(IT)G

ENTRE :

ROSARIO POIRIER INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus à Québec (Québec) le 19 novembre 2001 par

l'honorable juge Pierre Archambault

Comparutions

Avocat de l'appelante :                                  Me Robert Marcotte

Avocat de l'intimée :                                     Me Daniel Marecki

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994, 1995, 1996 et 1997 sont rejetés avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2002.

J.C.C.I.



[1] Il faut aussi mentionner que RPI a donné un pouvoir similaire à monsieur Luc Poirier en mai 1992.

[2] Sur les 8 factures de Trab produites en preuve (représentant 89 % des revenus de transport pour 1996), 6 ont l'en-tête de RPI et non celui de Trab.

[3] Selon monsieur Rosario Poirier, ces salaires comprenaient non seulement ceux des chauffeurs mais aussi celui de la secrétaire de RPI. À ces salaires, on ajoutait 20 % à titre de frais généraux.

[4] Cet alinéa se lisait ainsi : 256(1) Aux fins de la présente loi, une corporation est associée à une autre dans une année d'imposition si, à une date quelconque de l'année,

[...]

b)          les deux corporations étaient contrôlées par la même personne ou par le même groupe de personnes,

[...]

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