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Date: 20011220

Dossier: 2000-155-IT-G

ENTRE :

ALLEN WARAWA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsde l'ordonnance

Le juge Mogan

[1]            L'appelant a déposé un avis d'appel à l'encontre de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1985, 1986, 1987, 1988, 1989 et 1990. D'après les actes de procédure (paragraphe 13 de la réponse de l'intimée), les cotisations se rapportant aux années d'imposition 1985, 1986, 1987 et 1988 ont été établies après l'expiration de la « période normale de nouvelle cotisation » au sens du paragraphe 152(3.1) de la Loi. Dans le cadre d'une instance judiciaire tout autre, l'appelant a été accusé aux termes d'une dénonciation faisant état de 59 chefs selon lesquels il aurait commis des infractions prévues aux alinéas 239(1)a) ou d) de la Loi. Les infractions auraient été commises entre 1985 et 1990.

[2]            L'affaire criminelle a été entendue par le juge C. P. Clarke, de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta. Pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelant exploitait une ferme, en association avec son épouse, ainsi que sa propre entreprise de services de comptabilité. Les fonctionnaires de Revenu Canada qui ont fait enquête sur sa situation fiscale et sur celle de certains des clients de son entreprise de comptabilité ont obtenu de l'appelant certains documents ainsi que des déclarations orales. Lors de l'audition par le juge Clarke de l'affaire criminelle, un certain nombre de questions ont été soulevées dans le cadre d'un voir-dire concernant l'admissibilité des documents en question et des déclarations orales obtenues de l'appelant. Ce dernier (c'est-à-dire l'accusé dans le dossier criminel) a fait valoir que les règles de la common law sur le caractère volontaire d'une déclaration avaient été violées et qu'il avait été porté atteinte aux droits qui lui sont garantis par les articles 7 et 8 de la Charte des droits et libertés.

[3]            Les articles 7 et 8 de la Charte sont libellés dans les termes suivants :

7.              Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

8.              Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Dans de longs motifs publiés dans 98 DTC 6471, le juge Clarke a déterminé (i) que les droits garantis à l'appelant par l'article 7 de la Charte avaient été violés et (ii) que les droits qui lui étaient garantis par l'article 8 de la Charte avaient également été violés. Compte tenu de cette conclusion, le juge Clarke a déterminé que tous les documents et toutes les déclarations orales obtenus de l'appelant par des fonctionnaires de Revenu Canada devaient être exclus (aux termes de l'article 24 de la Charte) des procédures relatives aux infractions alléguées aux alinéas 239(1)a) ou d) de la Loi. L'article 24 de la Charte est libellé dans les termes suivants :

24(1)        Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

24(2)        Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Le juge Clarke ayant exclu les documents et les déclarations, la Couronne a abandonné les poursuites judiciaires contre l'appelant relativement aux infractions alléguées prévues aux alinéas 239(1)a) et d) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[4]            Dans le cadre d'un appel à la Cour canadienne de l'impôt à l'encontre des cotisations établies pour les années d'imposition 1985 à 1990 inclusivement, l'appelant a déposé une requête afin qu'il soit statué sur les questions suivantes :

                [TRADUCTION]

Dans les circonstances, est-il juste et raisonnable d'annuler les cotisations d'impôt pertinentes quant au présent renvoi en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte des droits et libertés?

Subsidiairement, les éléments de preuve obtenus par suite de l'exécution des mandats de perquisition mentionnés dans la présente demande devraient-ils tous être déclarés inadmissibles dans la présente instance conformément au paragraphe 24(2) de la Charte des droits et libertés, et devrait-il être interdit au ministre d'invoquer quelque élément de preuve ou renseignement que ce soit obtenu par suite de l'exécution des mandats de perquisition?

L'appelant demande également une ordonnance interdisant qu'on le soumette à un interrogatoire préalable. Il fonde sa requête sur l'article 58 des Règles de procédure générale de la Cour, dont les parties pertinentes sont reproduites ci-dessous :

58(1)        Une partie peut demander à la Cour,

a)             soit de se prononcer, avant l'audience, sur une question de droit soulevée dans une instance si la décision pourrait régler l'instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement l'audience ou résulter en une économie substantielle des frais;

b)             soit de radier un acte de procédure au motif qu'il ne révèle aucun moyen raisonnable d'appel ou de contestation de l'appel,

et la Cour peut rendre jugement en conséquence.

58(2)        Aucune preuve n'est admissible à l'égard d'une demande,

a)             présentée en vertu de l'alinéa (1)a), sauf avec l'autorisation de la Cour ou le consentement des parties;

b)             présentée en vertu de l'alinéa (1)b).

[5]            L'appelant se fonde sur l'alinéa 58(1)a). En ce qui concerne le paragraphe 58(2), son avocate a précisé qu'elle ne tentait pas d'introduire quelque preuve que ce soit à l'appui de sa requête, et que la requête de l'appelant reposait sur deux propositions :

(i)                    L'acte de procédure de l'appelant soulève la question de droit suivante : les nouvelles cotisations visées par l'appel (établies le 6 octobre 1999) doivent-elles être annulées parce qu'elles sont fondées sur une preuve obtenue en violation des droits qui sont garantis à l'appelant par la Charte? Voir l'avis d'appel, paragraphes 23, 24, 25, 26, 27, 35, 36 et 37. Voir aussi la réponse, paragraphes 1 et 18 b).

(ii)                  La détermination de la question de droit pourrait régler l'instance en totalité ou en partie ou abréger substantiellement l'audience.

[6]            Dans l'affaire Gregory c. La Reine, C.C.I., no 1999-488(IT)G, 17 mars 2000 (2000 DTC 2027), le juge en chef adjoint Bowman a dit de la demande présentée en vertu de l'article 58 des Règles qu'elle donnait lieu à un examen en deux étapes. Aux pages 5 et 6 (DTC : à la page 2029), il a dit ceci :

Je conviens, avec l'avocat de l'intimée, qu'une demande de précisions sur une question présentée en vertu de l'article 58 comporte un examen en deux étapes : au départ, il faut décider si la question posée est susceptible d'être tranchée en vertu de l'article 58 et, dans l'affirmative, il faut entendre les arguments et trancher la question. Cela semble aller de soi.

Lors de l'audition de la requête de l'appelant, l'avocat de l'intimée a fait valoir, dans le cadre d'une objection préliminaire, que les questions posées par l'appelant n'étaient pas des questions de droit et que, par conséquent, l'appelant ne pouvait pas présenter de demande en vertu de l'article 58 des Règles. Après avoir entendu un résumé de la thèse de l'intimée sur l'objection préliminaire, j'ai décidé d'entendre au complet les arguments de l'avocate de l'appelant sur chacune des deux étapes même si l'avocat de l'intimée avait déclaré qu'il était disposé (à ce moment) à débattre du premier volet uniquement concernant la question de savoir si l'appelant pouvait satisfaire aux conditions nécessaires à la présentation d'une demande en vertu de l'article 58 des Règles.

[7]            En ce qui concerne l'alinéa 58(1)a) des Règles reproduit au paragraphe 4 des présents motifs, il doit y avoir « une question de droit soulevée dans une instance » . L'avocate de l'appelant soutient que la question de droit est soulevée dans les paragraphes suivants des actes de procédure :

                [TRADUCTION]

Avis d'appel

23.            En 1993, l'appelant a été accusé d'avoir enfreint les alinéas 239(1)a) ou d) de la Loi.

24.            Au cours d'une enquête portant sur les affaires de l'appelant et celles de certains de ses clients, Revenu Canada a recueilli des éléments de preuve orale et documentaire.

25.            Dans le cadre d'un voir-dire tenu devant le juge C. P. Clarke, de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, l'admissibilité des éléments de preuve orale et documentaire recueillis par Revenu Canada a été contestée. Le juge Clarke a conclu que certains éléments de preuve orale et documentaire obtenus de l'appelant étaient inadmissibles au procès parce que Revenu Canada avait violé les droits garantis à l'appelant par les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » ) lors de l'obtention de ces éléments de preuve, et que l'article 24 de la Charte ne permettait pas d'annuler l'effet de ces violations. Le juge Clarke a déterminé qu'un fonctionnaire de Revenu Canada avait délibérément menti à l'appelant pour l'induire en erreur sur la nature véritable de ses activités d'enquête et qu'un autre fonctionnaire de Revenu Canada avait induit l'appelant en erreur en lui indiquant qu'il effectuait simplement une vérification. Par conséquent, le juge Clarke a conclu que l'utilisation au procès d'une preuve obtenue dans de telles circonstances aurait pour effet de déconsidérer l'administration de la justice.

35.            L'appelant soutient que les première et deuxième nouvelles cotisations étaient fondées sur des renseignements illégalement obtenus de l'appelant, en violation des droits qui lui sont garantis par les articles 7 et 8 de la Charte.

36.            Les années d'imposition 1985 à 1989 de l'appelant étant frappées de prescription au moment où les premières cotisations ont été établies, il incombe au ministre d'établir l'existence des faits requis pour démontrer qu'il a été satisfait au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi relativement à ces années d'imposition. Le ministre ne pourra s'acquitter de sa charge sans utiliser la preuve illégalement obtenue. L'appelant, dont les droits constitutionnels ont été violés par le ministre, fait valoir qu'il n'est ni juste, ni raisonnable de le forcer à présenter une défense à l'encontre des deuxièmes nouvelles cotisations alors que celles-ci sont fondées sur la preuve obtenue par suite de violations commises par le ministre lui-même.

37.            L'appelant fait valoir que les deuxièmes nouvelles cotisations établies à l'égard d'une année qui n'est pas frappée de prescription devraient être annulées au motif qu'elles reposent sur des éléments de preuve obtenus illégalement.

Réponse à l'avis d'appel

1.              L'intimée admet la véracité des allégations de fait exposées aux paragraphes 3, 4, 6, 19, 21, 22, 23, 24 et 25 de l'avis d'appel.

18.            Les questions à trancher dans le présent appel sont les suivantes :

a)              [...]

b)             les éléments de preuve obtenus par le ministère du Revenu national devraient-ils être exclus en tout ou en partie en vertu des articles 7 et 8 et du paragraphe 24(2) de la Charte des droits et libertés (la « Charte » )?

Il ne fait aucun doute, en ce qui concerne la prétention de l'appelant, que certains documents et déclarations ont été obtenus illégalement, que ces documents et déclarations devraient être exclus de la preuve à l'audition des appels et que les nouvelles cotisations visées par l'appel devraient être annulées. L'appelant invoque également la décision rendue par le juge Clarke, de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta. Le fait que ces questions ont été soulevées dans les actes de procédure déposés par l'appelant ne signifie pas nécessairement qu'elles sont uniquement des questions de droit.

[8]            L'intimée soutient que les questions posées à la Cour dans la requête de l'appelant ne sont pas des questions de droit, mais des questions mixtes de fait et de droit. Si elles sont en partie des questions de fait, l'alinéa 58(2)a) des Règles qui prévoit qu'une preuve n'est pas admissible sauf avec l'autorisation de la Cour ou le consentement des parties fera en sorte que la présente requête ne pourra pas être entendue en vertu de l'article 58 des Règles. Au début de la présentation de ses arguments, l'avocate de l'appelant a déclaré ceci :

                                [TRADUCTION]

[...] Nous avons tenté d'obtenir l'accord du ministre quant aux faits, mais en vain. [...]

(transcription, page 1, lignes 23 à 25)

L'avocate de l'appelant n'a pas demandé à la Cour l'autorisation d'admettre quelque élément de preuve que ce soit à l'appui de sa requête, mais elle invoque le fait que l'intimée a admis la véracité des faits allégués aux paragraphes 23, 24 et 25 de l'acte de procédure de l'appelant. L'appelant fait valoir qu'il y a chose jugée et préclusion (issue estoppel) relativement aux violations de la Charte et à la décision rendue par le juge Clarke.

Analyse

[9]            Pour les motifs énoncés ci-après, j'ai conclu que l'appelant ne peut obtenir gain de cause relativement à l'une ou l'autre des questions soulevées dans la requête, et que celle-ci doit être rejetée. Dans les faits, l'appelant soutient que la procédure instituée devant la Cour (c.-à-d. les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1985 à 1990) doit être réglée à la lumière de la décision favorable qu'il a obtenue devant la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta. On peut se reporter aux paragraphes 35, 36 et 37 de l'avis d'appel, reproduits au paragraphe 7. La difficulté fondamentale à laquelle l'appelant doit faire face est la profonde différence qui existe entre un litige au criminel et un litige au civil.

[10]          Au cours de la période relativement courte écoulée depuis l'entrée en vigueur de la Charte, un certain nombre de décisions ont limité l'application de ses articles 7 et 8. Dans l'affaire Thomson Newspapers Ltd c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, des ordonnances de comparution avaient été signifiées à la société appelante et à plusieurs de ses dirigeants, leur enjoignant de comparaître devant la Commission sur les pratiques restrictives du commerce afin d'être interrogés sous serment et de produire des documents. L'enquête visait à déterminer s'il existait des preuves que Thomson Newspapers avait commis une infraction aux termes de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Les ordonnances avaient été délivrées en vertu de l'article 17 de la loi en question. La société appelante et ses dirigeants avaient demandé à la Cour de l'Ontario de rendre un jugement déclarant que les ordonnances de comparaître et de produire des documents étaient incompatibles avec les dispositions des articles 7 et 8 de la Charte. Les cinq juges de la Cour suprême du Canada qui ont entendu l'appel dans l'affaire Thomson Newspapers n'étaient pas unanimes. Les juges La Forest et L'Heureux-Dubé ont conclu que les ordonnances de comparaître et de produire des documents ne contrevenaient ni à l'article 7, ni à l'article 8 de la Charte. La juge Wilson est arrivée à la conclusion que les ordonnances contrevenaient et à l'article 7 et à l'article 8. D'après le juge Lamer, les ordonnances en question contrevenaient à l'article 8. Il n'a cependant formulé aucune opinion sur l'article 7. Le juge Sopinka a statué que les ordonnances ne contrevenaient pas à l'article 8, que les ordonnances de produire des documents ne contrevenaient pas à l'article 7, mais que les ordonnances de comparaître et de témoigner contrevenaient, elles, à l'article 7. La juge Wilson a dit ceci aux pages 495 et 496 :

Ce ne sont pas toutes les saisies qui violent l'art. 8 de la Charte, seulement celles qui sont abusives. En d'autres termes, un individu n'a droit qu'à une attente raisonnable en ce qui concerne le respect de sa vie privée. Il vient en effet un moment où le droit de l'individu au respect de sa vie privée doit céder le pas à l'intérêt plus grand qu'a l'État à ce que soient communiqués des renseignements ou un document. L'intérêt de l'État ne l'emporte cependant que si on a pris soin de porter le moins possible atteinte au droit de l'individu au respect de sa vie privée. C'est cette nécessité de soupeser délicatement les différents intérêts qui a poussé le juge Dickson dans l'affaire Hunter à énoncer plusieurs critères à remplir pour qu'une fouille ou perquisition effectuée dans le cadre d'une enquête criminelle satisfasse au critère du caractère raisonnable. Je crois que le juge Holland en première instance a bien résumé ces critères dans le passage reproduit antérieurement dans les présents motifs. Je conviens toutefois que lesdits critères ne constituent pas des règles absolues à suivre dans tous les cas, quelle que soit la nature du texte législatif en cause. Ce qui peut être raisonnable en matière réglementaire ou civile peut ne pas l'être dans un contexte criminel ou quasi criminel. L'important n'est pas tant que les critères stricts soient appliqués automatiquement dans chaque cas, mais que le texte législatif tienne compte de façon significative des préoccupations exprimées par le juge Dickson dans l'arrêt Hunter. Cela dit, toutefois, j'estime que plus une loi s'apparente au droit criminel traditionnel, moins il est probable que le non-respect des critères établis dans l'arrêt Hunter sera toléré. [...]

[11] Bien qu'elle ait conclu que l'article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions contrevenait à la fois à l'article 7 et à l'article 8 de la Charte, la juge Wilson a établi une distinction entre ce qui peut être raisonnable dans un contexte réglementaire ou civil et ce qui peut l'être dans un contexte criminel ou quasi criminel. Elle a déclaré, à la page 498, que le régime créé par la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions pouvait très bien être imposé dans le Code criminel. Par conséquent, à son avis, l'article 17 se situait dans un contexte criminel ou quasi criminel. À mon avis, la Loi de l'impôt sur le revenu se situe dans un contexte réglementaire ou civil.

[12] La décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, a été rendue le même jour que la décision dans l'affaire Thomson Newspapers. Au cours d'une vérification fiscale effectuée à l'égard de McKinlay Transport, Revenu Canada a exigé que la société fournisse certains renseignements et produise certains documents conformément au paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La société ayant omis d'obtempérer, une dénonciation a été délivrée, dans laquelle il était allégué que la société avait violé le paragraphe 238(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La question était de savoir si le paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu permettait une saisie au sens de l'article 8 de la Charte. Les cinq juges de la Cour suprême qui n'étaient pas unanimes dans l'affaire Thomson Newspapers étaient unanimes dans l'affaire McKinlay Transport. Ils sont arrivés à la conclusion que le paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu ne viole pas l'article 8 de la Charte. La juge Wilson a déclaré ceci aux pages 645 et 646 :

Puisque les attentes des gens en matière de protection de leur vie privée varient selon les circonstances et les différents genres de renseignements et de documents exigés, il s'ensuit que la norme d'examen de ce qui est « raisonnable » dans un contexte donné doit être souple si on veut qu'elle soit réaliste et ait du sens. Je crois que ce point de vue a été bien exposé par A.D. Reid et A.H. Young dans leur article intitulé « Administrative Search and Seizure under the Charter » (1985), 10 Queen's L.J. 392, aux pp. 398 à 400 :

[TRADUCTION] [...] Il existe donc un grand nombre d'activités sociales et commerciales à l'égard desquelles les attentes en matière de vie privée sont très faibles. La question n'est pas de savoir si des renseignements doivent être communiqués pour répondre aux exigences légitimes de l'État, mais plutôt de savoir quand cela doit se faire, dans quelle mesure et à quelles conditions. On peut considérer que quiconque produit une déclaration d'impôt annuelle s'attend peu à garder pour lui seul les renseignements ayant trait à son revenu. Mais cela est sûrement tempéré par l'attente que les demandes de renseignements aient des limites et qu'elles respectent des modalités justes et raisonnables. Voilà de quoi retourne l'article 8 de la Charte.

Elle a ajouté ceci à la page 647 :

                Je cite ces arrêts non pour en approuver ou désapprouver l'issue mais plutôt pour prouver la nécessité d'une interprétation de l'art. 8 de la Charte qui soit souple et fondée sur l'objet visé. J'estime qu'il est conforme à cette interprétation de faire une distinction entre, d'une part, les saisies en matière criminelle ou quasi criminelle auxquelles s'appliquent dans toute leur rigueur les critères énoncés dans l'arrêt Hunter et, d'autre part, les saisies en matière administrative et de réglementation, auxquelles peuvent s'appliquer des normes moins strictes selon le texte législatif examiné. [...]

[13]          Bien que la demande faite en vertu du paragraphe 231(3) dans l'affaire McKinlay Transport soit moins intrusive que la perquisition et la saisie effectuées à l'égard de M. Warawa, il me faudrait disposer d'éléments de preuve démontrant lesquels des documents en la possession de Revenu Canada ont été obtenus avant que soient effectuées la perquisition et la saisie. D'après les motifs prononcés par le juge Clarke, il s'est écoulé au moins quatre ans — la période au cours de laquelle Revenu Canada a examiné les dossiers de M. Warawa — avant que la perquisition et la saisie soient effectuées, le 22 juillet 1992. La question de fait de savoir quels documents (y compris les déclarations de revenu de l'appelant) étaient en la possession de Revenu Canada avant que la perquisition et la saisie soient effectuées le 22 juillet 1992 ferait obstacle à la demande de l'appelant en vertu de l'article 58 des Règles.

[14]          Dans l'affaire R. c. Fitzpatrick, [1995] 4 R.C.S. 154 ((1995) 129 D.L.R. (4th) 129), l'accusé faisait la pêche commerciale du poisson de fond, autorisée en Colombie-Britannique aux termes de la Loi sur les pêches. Il a été accusé d'avoir pris et gardé du poisson en une quantité supérieure aux contingents fixés. Au procès, le ministère public a cherché à faire admettre des rapports que les pêcheurs sont tenus de fournir aux termes de l'article 61 de la Loi sur les pêches et qui indiquent les espèces de poissons pris, la date, l'heure, l'emplacement et le poids des prises. L'omission de fournir les rapports pouvait entraîner l'imposition d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement (en cas de deuxième infraction). Le juge de première instance a exclu les rapports au motif qu'ils étaient auto-incriminants et que leur utilisation violerait les droits garantis à l'accusé par l'article 7 de la Charte. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a accueilli l'appel du ministère public et a ordonné la tenue d'un nouveau procès. La Cour suprême du Canada a rejeté l'appel de l'accusé. Le juge La Forest, qui a rendu le jugement pour la Cour, a déclaré ceci à la page 171 (D.L.R. : aux pages 141 et 142) :

Ce qui est en cause en l'espèce, c'est la capacité du gouvernement de faire respecter d'importants objectifs relatifs à la réglementation de la conservation et de la gestion des ressources en poisson de fond. J'estime que ce serait aller au-delà des objectifs de la Charte que d'affirmer que l'art. 7 de la Charte empêche de « mobiliser » contre eux-mêmes les particuliers qui pratiquent de leur plein gré cette pêche, en utilisant contre eux des renseignements qu'ils étaient sciemment tenus de fournir comme condition d'obtention de leur permis de pêche. Le droit de ne pas s'incriminer n'a encore jamais eu une si grande portée, et il ne devrait pas l'avoir. La Charte n'a pas été conçue pour lier les mains de l'État réglementant.

Pour déterminer la portée du principe interdisant l'auto-incrimination en l'espèce, il est important de prendre en considération le contexte dans lequel émane la demande de l'appelant. Notre Cour a souvent affirmé que le contexte d'une demande fondée sur la Charte est crucial pour déterminer la portée des droits invoqués; [...] « un droit garanti par la Charte peut avoir dans un cadre réglementaire une portée et une incidence différentes de celles qu'il aurait dans un contexte criminel proprement dit » , et que « les normes constitutionnelles élaborées dans le contexte criminel ne peuvent être automatiquement appliquées aux infractions réglementaires » . Il faut avoir ces commentaires à l'esprit en abordant la demande de l'appelant, car elle est faite dans le contexte d'un régime détaillé de réglementation qui gouverne la conservation et la gestion des ressources halieutiques par l'État. Compte tenu de ce contexte de réglementation, nous devons prendre garde d'appliquer automatiquement des règles qui ont été conçues relativement à l'auto-incrimination en matière criminelle.

Puis, à la page 181 (D.L.R. : à la page 149) :

Ma conclusion qu'il n'est pas abusif de la part de l'État de poursuivre ceux qui pratiquent la surpêche, en utilisant leurs rapports radio et journaux de bord comme preuve de l'infraction qu'ils ont commise, est renforcée par la jurisprudence de notre Cour quant à l'application de l'art. 8 de la Charte dans le contexte d'une réglementation. En donnant à l'art. 8 une interprétation fondée sur le contexte, notre Cour a, à maintes reprises, souligné que les fouilles, les perquisitions et les saisies de documents se rapportant à une activité que l'on sait réglementée par l'État ne sont pas assujetties à la norme élevée qui s'applique à celles effectuées dans le contexte criminel. Il en est ainsi parce que l'attente en matière de vie privée est moins grande relativement à des dossiers qui sont préparés dans le cours normal des affaires; [...]

[15]          Dans l'affaire Fitzpatrick, la Cour suprême a encore une fois fait une distinction entre la procédure civile et la procédure criminelle. La requête de M. Warawa soulève la question suivante : dans la mesure où il a saisi certains registres de l'entreprise de l'appelant le 22 juillet 1992 et les lui a remis par la suite, Revenu Canada peut-il délivrer à l'appelant une assignation à produire pour lui enjoindre d'apporter les registres en question à la Cour au moment de l'audition de ses appels visant les années 1985 à 1990 (une instance civile)? Si la requête de l'appelant est accueillie, ces registres ne seront pas admissibles. Est-ce que cela ferait une différence si les registres devaient obligatoirement être tenus aux termes de l'article 230 de la Loi de l'impôt sur le revenu? À mon avis, il est préférable que ces questions soient tranchées par le juge de première instance.

[16]          La décision de la Cour d'appel de l'Alberta dans l'affaire Regina v. Jarvis (15 novembre 2000) 193 D.L.R. (4th) 656, concerne une personne accusée d'évasion fiscale qui soutient que les droits qui lui sont garantis en tant qu'accusé par les articles 7 et 8 de la Charte ont été violés. Les faits sont résumés dans les termes suivants dans le sommaire de la décision.

                                [TRADUCTION]

                L'appelant, accusé d'évasion fiscale, avait été interrogé par un vérificateur de Revenu Canada. Le juge de première instance a conclu que cet interrogatoire visait à obtenir des renseignements en vue de poursuivre l'accusé. Il a conclu également que l'accusé ignorait qu'il avait le droit de garder le silence au motif qu'il était visé, non pas par une vérification, mais par une enquête, et qu'il croyait être dans l'obligation de fournir des renseignements aux représentants de Revenu Canada conformément au paragraphe 231.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.). Le juge de première instance a par conséquent conclu que l'interrogatoire avait porté atteinte aux droits garantis à l'accusé par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et que les déclarations de ce dernier lors de l'interrogatoire n'étaient pas admissibles. Le juge de première instance a supprimé également les portions d'une dénonciation visant à obtenir des mandats de perquisition qui étaient basées sur les déclarations de l'accusé, ainsi que les portions qui, à son avis, étaient fausses. Le juge de première instance a conclu que les mandats de perquisition n'auraient pu être délivrés sur le fondement des portions qui restaient, de sorte que les perquisitions étaient injustifiées et déraisonnables, et qu'elles violaient les droits garantis à l'accusé par l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le juge de première instance a exclu les éléments de preuve obtenus par suite des perquisitions ainsi que les documents bancaires obtenus au moyen des demandes péremptoires formulées conformément au paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

                La Couronne a interjeté appel. Bien qu'il ait maintenu la décision du juge de première instance suivant laquelle l'interrogatoire mené par le vérificateur avait violé les droits de l'accusé garantis par l'article 7 de la Charte, et bien que, une fois les allégations viciées supprimées de la dénonciation visant à obtenir les mandats de perquisition, la preuve restante n'ait pas été suffisante pour justifier la délivrance de mandats de perquisition, le juge de la cour d'appel en matière de poursuites sommaires a conclu que la Couronne disposait de renseignements qui, s'ils avaient été présentés à l'époque de la demande initiale, auraient justifié la délivrance des mandats de perquisition, de sorte que ceux-ci étaient valides et que l'article 8 n'avait pas été violé. Le juge de la cour d'appel en matière de poursuites sommaires a également conclu que les relevés bancaires obtenus conformément aux demandes formulées en vertu du paragraphe 231.2(1) auraient dû être obtenus au moyen d'un mandat de perquisition, et il a confirmé que l'analyse, par le juge de première instance, de la preuve se composant de documents bancaires à la lumière du paragraphe 24(2) de la Charte était juste.

[17]          L'appel interjeté par l'accusé a été rejeté par la Cour d'appel de l'Alberta. Le juge Berger, qui a rendu le jugement de la Cour, a déclaré ceci aux pages 670 et 671 :

                                [TRADUCTION]

                Il ne faut pas oublier cependant que, dans les arrêts R. c. White et British Columbia Securities Commission c. Branch, précités, la Cour suprême du Canada a établi une distinction entre les admissions orales faites sous la contrainte et les documents contenant des déclarations faites avant cette contrainte et indépendamment de celle-ci. Bien que, dans certaines circonstances, la contrainte empiète sur le droit de garder silence, la Cour a déclaré ce qui suit dans l'affaire British Columbia Securities Commission (à la page 33) :

                Nous ne connaissons aucun cas où on a laissé entendre que le droit de garder silence, reconnu en common law, qui protégeait les communications d'un suspect à la police, visait aussi les documents d'un suspect.

                De fait, les exigences législatives permanentes de la Loi de l'impôt sur le revenu relatives au maintien de livres et de registres par tout contribuable et l'obligation correspondante d'en permettre l'accès aux fins d'une inspection ultérieure et d'une utilisation possible dans le cadre de poursuites intentées par le fisc constituent des éléments essentiels du régime d'autocotisation; elles n'imposent aucune obligation assimilable à la contrainte interdite par la Charte.

En mai 2001, M. Jarvis a obtenu l'autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada.

[18]          L'affaire O'Neill Motors Limited c. La Reine, C.C.I., no 94-820(IT)G, 9 novembre 1995 (96 DTC 1486), a été soumise à la Cour en vertu de l'article 173 de la Loi de l'impôt sur le revenu afin qu'il soit statué sur une question. Les parties se sont entendues sur tous les faits pertinents et, comme le juge Bowman l'a indiqué à la page 3 (DTC : à la page 1487) :

L'avocat de l'intimée a clairement admis que la perquisition et la saisie effectuées en vertu de l'article 231.3 de la Loi violaient les droits garantis à l'appelante par l'article 8 de la Charte et que les renseignements ainsi obtenus étaient essentiels à l'établissement des cotisations qui sont ici en cause.

Dans le contexte de l'affaire O'Neill Motors, le juge Bowman a répondu à la question soulevée en application de l'article 173 d'une manière qui a eu pour effet d'annuler les cotisations en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte. Dans l'appel de la Couronne à l'encontre de la décision de la Cour de l'impôt, le juge Linden, qui a prononcé le jugement de la Cour d'appel fédérale ([1998] 4 C.F. 180 (98 DTC 6424)), a déclaré ceci aux pages 190 et 191 (DTC : à la page 6428) :

Je tiens particulièrement à souligner les termes employés par le juge de la Cour de l'impôt, qui emportent ma complète adhésion, selon lesquels ce genre de mesure de redressement extrême ne doit pas être accordé automatiquement, mais être réservé aux cas de graves atteintes aux droits pour lesquels les autres réparations s'avèrent insuffisantes. Il a écrit :

Je ne voudrais pas que la conclusion que j'ai tirée en l'espèce soit considérée comme sanctionnant dans tous les cas l'annulation des cotisations établies par le ministre lorsqu'elles sont en partie fondées sur des renseignements obtenus d'une façon inconstitutionnelle. Il peut y avoir des cas dans lesquels il suffit d'exclure l'élément de preuve, d'autres cas dans lesquels l'élément a peu d'importance ou n'en a aucune aux fins de l'établissement des cotisations ou dans lesquels son utilisation ne déconsidérerait pas l'administration de la justice [...] En exerçant le pouvoir discrétionnaire qui lui est dévolu par l'article 24 de la Charte, la Cour doit veiller à établir l'équilibre entre les droits protégés par la Charte et le fait qu'il est important de maintenir l'intégrité du régime d'autocotisation. Au fur et à mesure que des cas se présenteront, ces facteurs et, sans aucun doute, d'autres facteurs s'appliqueront et il faudra accorder à chacun d'eux son importance relative. Compte tenu des circonstances de l'affaire, j'ai conclu qu'il convient d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de façon à annuler les cotisations.

[19]          Dans la requête présentée par M. Warawa, il n'y a aucun accord entre les parties ni aucune admission, par l'intimée, que les nouvelles cotisations visées par l'appel pour les années 1985 à 1990 reposent entièrement sur des documents qui ont été saisis en violation des droits garantis au contribuable par l'article 8 de la Charte ou sur des déclarations obtenues de ce dernier en violation des droits qui lui sont garantis par l'article 7 de la Charte. En l'absence d'un accord ou d'une telle admission, des éléments de preuve seraient nécessaires; la présente demande ne pourrait porter uniquement sur une question de droit; enfin, la requête ne serait plus admissible aux termes de l'article 58 des Règles.

[20]          Dans l'affaire Donovan c. Canada (Procureur général) (C.A.), [2000] 4 C.F. 373 (2000 DTC 6339), Revenu Canada a ajouté des montants substantiels au revenu déclaré du contribuable et a imposé des pénalités. M. Donovan a interjeté appel, faisant valoir que certains éléments de preuve utilisés à l'appui des cotisations en cause avaient été obtenus par suite d'une saisie illégale qui violait les droits qui lui étaient garantis par l'article 8 de la Charte. Le contribuable a obtenu gain de cause en partie seulement devant la Cour d'appel fédérale, le juge Linden (qui s'est prononcé pour la Cour) indiquant ceci à la page 383 (DTC : aux pages 6342 et 6343) :

En l'occurrence, ce qui est demandé avec insistance c'est que la « coopération » entre la direction de la vérification et l'UES, dans les premières phases de l'enquête, mène à l'annulation des nouvelles cotisations ou à l'exclusion des éléments de preuve dans une poursuite civile de la même façon qu'elle le ferait dans une poursuite criminelle. Je mets dans la catégorie des instances civiles les affaires où il est question d'une pénalité civile à payer relativement à une infraction à une loi fiscale. À mon avis, l'utilisation, dans une poursuite criminelle, d'éléments de preuve entachés de vice constitue une question beaucoup plus grave que s'il s'agissait d'une instance civile de sorte que le pouvoir discrétionnaire d'une cour devrait être exercé beaucoup plus libéralement dans une affaire criminelle, où la liberté de l'intéressé est en cause. Toutefois, un tel pouvoir discrétionnaire pourrait être utilisé avec plus de retenue dans les affaires civiles, où la liberté n'est pas menacée et où l'obligation de payer des impôts constitue le seul enjeu.

Il a ajouté ceci à la page 387 (DTC : à la page 6344) :

[...] Autrement dit, avant qu'une nouvelle cotisation puisse être annulée, on doit avoir établi que la mesure de redressement plus légère que constitue l'annulation de la preuve n'est pas adéquate quant à la violation de la Charte. En outre, pour qu'il soit « convenable et juste » d'annuler une nouvelle cotisation, il faut qu'il soit clair que les éléments de preuve obtenus illégalement étaient tellement « essentiels » aux nouvelles cotisations que celles-ci ne pouvaient pas être maintenues sans eux (la décision O'Neill Motors, C.C.I., précitée, à la page 3 (DTC : à la page 1493)). Bref, ce type de « mesure de redressement extrême » , ainsi que je l'ai écrit dans l'arrêt O'Neill Motors, est réservé « aux cas de graves atteintes aux droits pour lesquels les autres réparations s'avèrent insuffisantes » [...]

[21]          Une décision récente de la Cour d'appel fédérale (La Reine c. Jurchison, C.A.F., no A-798-99, 26 avril 2001 (2001 DTC 5301)) confirme mon opinion selon laquelle l'appelant ne peut obtenir gain de cause dans la présente requête en vertu de l'article 58 des Règles. M. Jurchison et sa société étaient accusés d'évasion fiscale aux termes de l'article 239 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Lorsque l'affaire relative aux accusations portées au criminel a été entendue par la Cour provinciale de l'Ontario, le juge présidant l'audition a conclu que le droit de M. Jurchison à la protection contre les perquisitions et les saisies déraisonnables avait été violé. Il a annulé les mandats de perquisition, exclu certains éléments de preuve obtenus par suite d'une « seconde enquête » et acquitté le contribuable. La décision du juge de la Cour provinciale a été maintenue en appel, mais on ne peut dire avec certitude quels éléments de preuve avaient été obtenus en violation de la Charte.

[22]          M. Jurchison a interjeté appel d'une nouvelle cotisation établie pour l'année d'imposition 1990 — l'année relativement à laquelle il avait été accusé d'évasion fiscale. Il a présenté une requête en vertu de l'article 58 des Règles (procédure générale), demandant à la Cour de l'impôt d'annuler la nouvelle cotisation ou, subsidiairement, d'exclure certains éléments de preuve. Lors de l'audition de la requête, mon collègue le juge Bowie a accueilli la requête du contribuable et déterminé que M. Jurchison ne devait pas être soumis à un interrogatoire préalable (C.C.I., no 98-1755(IT)G, 26 novembre 1999 (2000 DTC 1660)). La Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel de la Couronne à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge Bowie. Le juge Sexton, qui a rendu le jugement de la Cour d'appel, a indiqué ceci aux pages 7 et 8 (DTC : à la page 5304) :

[10]          En règle générale, il convient de laisser la question de l'admissibilité d'éléments de preuve au juge de première instance qui, étant saisi de l'ensemble des faits et de la preuve, peut rendre la décision la plus éclairée. Il y a évidemment des cas, comme celui dont était saisi le juge Bowman dans O'Neill Motors Ltd. c. La Reine, 96 D.T.C. 1486, qui se prêtent particulièrement bien à la détermination de cette question avant le procès. Il faut toutefois avoir à l'esprit le fait que, dans cette affaire, la question à trancher avait été soumise à la cour suivant le consentement des parties conformément à l'article 173 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui prévoit que le ministre et le contribuable peuvent convenir de faire trancher des questions de droit, de fait ou de droit et de fait. Contrairement à la présente affaire, il y avait un exposé conjoint des faits de la part des parties.

[11]          Pour déterminer si les éléments de preuve obtenus en contravention des droits garantis aux contribuables par la Charte en l'espèce sont admissibles, il faut examiner les différentes normes applicables aux fouilles, aux perquisitions et aux saisies qui ont été établies en matière de poursuites criminelles et d'exécution civile de la Loi de l'impôt sur le revenu par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. McKinlay Transport, [1990] 1 R.C.S. 627. Il se peut que ces éléments de preuve soient inadmissibles pour les fins d'une poursuite criminelle, mais qu'ils soient admissibles pour les fins d'un procès civil. Voir l'arrêt Donovan c. La Reine, [2000] 4 C.F. 373 (C.A.). Une telle détermination exigerait l'examen des éléments de preuve contestés, de la méthode par lesquels ils ont été obtenus, de la gravité de toute violation de la Charte et de la question de savoir si ces éléments de preuve étaient déjà en possession de la Couronne ou auraient été découverts de toute manière. Voir R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607, à la page 664. Il semble presque impossible d'effectuer une telle détermination en l'absence de fondement factuel. En l'espèce, il n'y a aucun accord entre les parties quant aux faits pertinents.

[12]          Je suis donc d'avis d'accueillir l'appel et de rejeter l'appel incident concernant les requêtes présentées en vertu de la règle 58. Les questions relatives à l'admissibilité des éléments de preuve et à la partie sur laquelle repose le fardeau de preuve quant à la validité des cotisations doivent être laissées à l'appréciation du juge qui entendra les appels des nouvelles cotisations.

[13]          J'exprime cependant l'opinion que, de toute manière, le juge de la Cour de l'impôt n'a commis aucune erreur en refusant d'annuler entièrement les cotisations et qu'il a eu raison de souligner qu'il fallait donner à la Couronne la possibilité de présenter sa preuve à l'aide des éléments de preuve non viciés recueillis lors de la vérification initiale.

La Cour d'appel fédérale a en outre accueilli l'appel de la Couronne et ordonné que M. Jurchison soit soumis à un interrogatoire préalable.

[23]          À mon avis, à moins que les parties soient d'accord sur tous les faits pertinents, l'article 58 des Règles (procédure générale) ne permet pas à une partie, par voie de requête, d'écarter le juge de première instance qui, ordinairement, déterminera quel élément de preuve est admissible aux fins de résoudre les questions soulevées au procès. Dans la requête de M. Warawa, il n'y a pas eu d'accord entre les parties relativement à quelque fait que ce soit. Plus particulièrement, l'avis de requête demande l'exclusion de [TRADUCTION] « tous les éléments de preuve obtenus par suite de l'exécution des mandats de perquisition mentionnés dans la présente demande » . Même si j'étais disposé à accorder réparation à l'appelant dans une certaine mesure (je ne suis nullement disposé à le faire), je ne peux déterminer quels éléments de preuve ont été obtenus du fait de l'exécution des mandats de perquisition, si certains documents obtenus grâce aux mandats de perquisition étaient déjà en la possession du ministre du Revenu national, ni si certains documents obtenus grâce aux mandats de perquisition étaient des livres et des registres comptables que l'appelant devait obligatoirement tenir en vertu de l'article 230 de la Loi de l'impôt sur le revenu et qui étaient admissibles compte tenu des affaires McKinlay Transport et Fitzpatrick.

[24]          Au sujet du principe de la chose jugée, l'avocate de l'appelant a fait valoir que la Couronne ne forme qu'une entité, que ce soit à titre de procureur général dans le cadre d'une poursuite intentée à l'encontre d'une personne pour évasion fiscale aux termes de l'article 239 de la Loi de l'impôt sur le revenu ou de ministre du Revenu national dans le cadre de l'établissement d'une cotisation en vertu de l'article 152 de la même loi. Cet argument peut être fondé en théorie constitutionnelle, mais les droits et les attentes d'une personne comme M. Warawa, lorsqu'il est accusé d'une infraction aux termes de l'article 239, sont très différents de ses droits et de ses attentes lorsqu'il se présente en cour pour interjeter appel aux termes de l'article 169 en vue d'obtenir réparation relativement à une cotisation. Dans une instance criminelle pour évasion fiscale, le contribuable concerné a le droit de garder le silence. Si le même contribuable interjette appel à la Cour aux termes de la Procédure générale, l'article 146 des Règles permet à l'intimée d'assigner le contribuable à témoigner et de le contre-interroger.

[25]          J'ai déclaré au paragraphe 9 que le problème fondamental de l'appelant est la différence profonde qui existe entre un litige au criminel et un litige au civil. Cette différence a été invoquée par la Cour suprême du Canada et la Cour d'appel fédérale dans nombre d'affaires. La requête de l'appelant est rejetée sur tous les points. Compte tenu de la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Jurchison, M. Warawa peut être soumis à un interrogatoire préalable, sous réserve de son droit de s'opposer à toute question qui peut tirer son origine d'éléments de preuve obtenus en violation des droits qui lui sont garantis par la Charte. L'intimée a droit aux frais suivant l'issue de l'instance.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de décembre 2001.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de juin 2002

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-155(IT)G

ENTRE :

ALLEN WARAWA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Requête entendue les 20 et 21 juin 2001 à Edmonton (Alberta) par

l'honorable juge M. A. Mogan

Comparutions

Avocates de l'appelant :    Me Cheryl A. Gibson et Me Allison Downey

Avocats de l'intimée :        Me L.A.J. Williams et Me Deborah Horowitz

ORDONNANCE

          Vu la requête de l'appelant en vertu de l'article 58 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) afin qu'il soit statué sur certaines questions;

          Et vu les actes de procédure et autres documents déposés;

          Et vu les exposés des avocats des parties;

          Il est ordonné que la requête de l'appelant soit rejetée, l'intimée ayant droit aux frais suivant l'issue de l'instance.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de décembre 2001.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de juin 2002

Martine Brunet, réviseure

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