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Date: 20000616

Dossier: 1999-3683-IT-I

ENTRE :

ROGER A. JULIEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu Jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1]            Ces appels ont été entendus à Toronto, en Ontario, le 5 juin 2000. L'appelant a témoigné et a reçu l'aide de son représentant Bernard Faibish. Plusieurs pièces ont été déposées.

Question à trancher

[2]            La question à trancher dans ces appels consiste à savoir si l'appelant, pour les années 1987, 1988, 1989, 1990, 1991 et 1992, avait le droit de déduire de son revenu certaines pertes locatives d'une propriété située au 310, rue Elmgrove, à Oshawa, Ontario (la « propriété » ). Avant de répondre à cette question, il faudra déterminer si, au cours de ces années, l'appelant avait une attente raisonnable de profit.

Faits

[3]            Les principaux faits sont les suivants :

1.              L'appelant a acquis la propriété, soit une maison d'un étage et demi à l'avant et d'un garage isolé servant d'atelier de bricolage ( « atelier » ) de deux étages à l'arrière en août 1984 pour 79 000 $.

2.              L'appelant a déclaré avoir eu l'intention, en effectuant cet achat, de louer la maison et, éventuellement, d'utiliser l'atelier pour exploiter une entreprise se spécialisant principalement dans la fabrication et la transformation d'armoires.

3.              L'appelant a financé 100 p. cent du prix d'achat de la propriété avec un prêt hypothécaire de premier rang d'un montant de 70 000 $ et un prêt de 10 000 $ de sa soeur. En 1986, l'appelant a obtenu un financement additionnel sur la propriété avec un prêt hypothécaire de deuxième rang d'un montant de 29 300 $. L'appelant a utilisé 10 000 $ dudit montant afin de rembourser sa soeur. Le solde de 19 300 $ a été utilisé afin de couvrir les dépenses effectuées de 1984 à 1986. La nature précise de ces dépenses n'a pas été expliquée.

4.              L'appelant a refinancé la propriété le 1er mars 1988 avec un nouveau prêt hypothécaire de premier rang de 108 500 $ et le 6 octobre 1988 avec un nouveau prêt hypothécaire de deuxième rang de 35 000 $. L'appelant a utilisé une partie des 108 500 $ pour rembourser le montant non réglé de 64 960 $ sur le prêt hypothécaire de premier rang initial et le montant non réglé de 31 152 $ sur le prêt hypothécaire de deuxième rang initial. Le solde des 108 500 $ a été déboursé comme suit : 1 345 $ de frais d'acte et de courtage, 2 098 $ pour Consumers' Gas et environ 9 000 $ pour les fins de flux de trésorerie prévu afin de couvrir les rénovations. Selon l'appelant, les fonds de 35 000 $ du prêt hypothécaire de deuxième rang ont été utilisés pour des rénovations, des versements hypothécaires et des affaires personnelles, mais aucune preuve détaillée n'a été déposée.

5.              À l'époque où l'appelant a acheté la propriété, il demeurait dans une maison en rangée à Oshawa et il travaillait au Vanier Collegiate à Oshawa comme enseignant en arts industriels.

6.              En septembre 1984, l'appelant a été nommé directeur de département au Anderson Collegiate à Whitby, Ontario.

7.              L'appelant a subi des pertes locatives par rapport à la propriété en 1984. Il n'a pas rempli de déclarations pour 1985 et 1986. Pour 1987 et 1988, l'appelant a déclaré des pertes locatives par rapport à la propriété de 4 127 $ pour 1987 et de 10 975 $ pour 1988.

8.              Pour les années 1989 à 1992, les détails de son revenu de location brut, des dépenses et des pertes sont les suivants :

1989

1990

1991

1992

Revenu de location brut

10 800 $

8 550 $

11 400 $

11 400 $

Dépenses

Impôt foncier

1 509 $

2 496 $

- $

2 835 $

Entretien et réparations

    1 030

1 284

1 068

4 410

Intérêts

16 714

17 446

16 583

15 637

Assurances

    325

   345

404

   478

Éclairage, chauffage

et eau

    521

   531

242

-

Autres

     66

-

   66

-

Publicité

       -

   236

-

-

Total des dépenses

   20 165 $

22 338 $

18 363 $

23 360 $

Moins partie personnelles des dépenses

-

-

-

808

Dépenses nettes

20 165 $

22 338 $

18 363 $

22 552 $

Perte locative nette

   9 365 $

13 788 $

6 963 $

11 152 $

(La perte locative peut avoir été d'environ 16 000 $ en 1990, tel qu'il appert d'une modification faite à la déclaration pour cette année-là, mais ce n'est pas pertinent).

                Pour les années 1993, 1994 et 1995, le revenu brut et les pertes nettes sont reproduits ci-dessous :

Année

Revenu brut

Perte nette

1993

11 400 $

3 347 $

1994

10 450 $

1 945 $

1995

7 200 $

4 592 $

9.              Durant les années en question, l'appelant recevait un revenu d'emploi de sa profession d'enseignant d'environ 60 000 $ à 70 000 $ par année.

10.            Voici un bref exposé portant sur les locataires qui ont occupé la propriété :

                Août 1984 à mai 1986                                            John Mackenzie (le vendeur original) et pendant un certain temps au cours de cette période, l'atelier a été loué à un M. Kelly

                M. Mackenzie a occupé l'atelier et la maison et il a continué à exploiter une entreprise prospère de réparation électronique jusqu'en mai 1986, lorsqu'il a pris sa retraite et qu'il a émigré en Angleterre. Le loyer mensuel de M. Mackenzie s'élevait à 600 $ pour la résidence et à 400 $ pour l'atelier. M. Mackenzie a continué à exploiter l'entreprise après la vente de la propriété en août 1984 jusqu'en mai 1986 parce qu'il était incapable de trouver un acheteur pour l'entreprise qu'il exploitait dans l'atelier. Le loyer mensuel de M. Kelly pour l'atelier s'élevait à 400 $. Pendant ce temps, l'appelant avait accès au deuxième étage de cet atelier pour y effectuer des rénovations de base comprenant le nettoyage et l'installation d'un isolant. L'appelant avait l'intention d'exploiter éventuellement une entreprise de fabrication d'armoires à partir de l'atelier. L'appelant a mis cette aventure en veilleuse lorsqu'il a été nommé directeur de département de la section professionnelle du Anderson Collegiate Institute en septembre 1984.

11.            Un certain Paul Jensen a loué l'atelier de mai 1986 à août 1987 et y a exploité un atelier de réparation de machines à boules. Durant cette location, l'appelant a également effectué des rénovations additionnelles à l'atelier. Le loyer payé par M. Jensen pour l'atelier s'élevait à 400 $ par mois.

12.            Durant la période du mois août 1987 au mois de décembre 1991, la propriété au complet, soit la résidence et l'atelier, a été louée initialement à une certaine Susan Smith et ensuite, à une « famille Williams » . Le loyer payé durant ces deux périodes s'élevait à environ 950 $ par mois. Aucune entreprise n'a été exploitée dans l'atelier durant cette période, mais celui-ci était disponible aux locataires pour fins d'entreposage.

13.            Durant la période de janvier 1992 jusqu'en novembre 1994, la totalité de la propriété a encore une fois été louée à une certaine Leslie Poole et une certaine Hilda Hood, toujours à 950 $ par mois.

14.            Comme aucune entreprise n'était exploitée à partir de l'atelier, après quelque temps, le zonage commercial dérogatoire antérieur est devenu caduc et l'atelier a été ensuite zoné résidentiel. Cependant, l'état de l'atelier, principalement en ce qui concerne son manque d'alimentation en eau et l'absence d'égouts ainsi que d'autres problèmes, le rendait impossible à louer pour des fins résidentielles. Si l'appelant avait tenté de le louer dans cet état, la municipalité lui aurait imposé de lourdes amendes. Par conséquent, il n'a, en fait, pas été en mesure de louer l'atelier, que ce soit pour des fins commerciales ou résidentielles.

15.            L'appelant soutient qu'il n'a pas rénové l'atelier pour le rendre conforme aux exigences de la réglementation en matière résidentielle, principalement à cause du coût exorbitant. En particulier, il estimait qu'il lui en coûterait 35 000 $ pour creuser une grande tranchée et installer les services d'égout et d'eau. Des dépenses additionnelles devraient être faites pour étayer l'allée du voisin. Ainsi, les rénovations afin de convertir l'atelier en résidence ont été reportées. L'appelant a ajouté qu'il attendait la mise en application d'une loi en Ontario permettant le raccordement des conduites d'eau et d'égouts au système en place dans la maison. Apparemment, ce procédé avait été élaboré en Australie et il pourrait être réalisé à très peu de frais. L'appelant avait lu quelque chose à ce sujet et il pensait que c'était la manière de procéder la plus opportune, c.-à-d., d'attendre l'adoption d'une loi qui lui permettrait d'effectuer une telle connexion directe de la maison à l'atelier. Au soutien de sa prétention, il a soumis le projet de loi 120 qui a été adopté par la législature ontarienne le 31 mai 1994. L'appelant prétendait que, jusqu'à ce que ce projet de loi soit adopté, il ne pouvait effectuer les connexions à partir de la maison, bien que ce fait n'ait pas été prouvé de manière définitive.

Observations de l'appelant

[4]            L'appelant a soumis, par l'entremise de son représentant, qu'il n'avait pas de contrôle sur les causes des pertes. Il s'agissait principalement du fait qu'il avait raisonnablement accepté son nouveau poste au Anderson Collegiate en septembre 1984, réduisant ainsi considérablement le temps qu'il pouvait consacrer aux rénovations et à l'exploitation d'une entreprise. Il a également soumis qu'il ne pouvait pas effectuer les rénovations, puisque le projet de loi n'avait pas été adopté avant 1994 et qu'il lui était difficile d'envisager la possibilité d'effectuer des rénovations et de démarrer son entreprise pendant la période où il demeura à London et enseigna à Anderson, compte tenu des déplacements.

Observations de l'intimée

[5]            L'avocat de l'intimée a fait référence à la jurisprudence et nous reviendrons sur certaines décisions plus loin. L'avocat a soumis qu'il y avait un élément personnel dans l'entreprise proposée de fabrication d'armoires. Il a aussi affirmé que, si la perte en 1993 était considérablement réduite comparativement à celle de l'année précédente, c'était uniquement à cause de la décision, par l'appelant, d'attribuer un montant considérable des dépenses à son usage personnel de la maison, dans sa déclaration de cette année-là. L'avocat soumet que cette attribution n'était pas raisonnable, puisque cette année-là, l'appelant n'occupait qu'un appartement au sous-sol de la maison. De plus, bien que de faibles profits aient pu être réalisés en 1996 et en 1997, je ne devrais pas tenir compte de ces profits ultérieurs. L'avocat a, de plus, affirmé que l'intérêt sur certains des fonds hypothécaires, principalement le prêt hypothécaire de deuxième rang s'élevant à 35 000 $ en 1988, ne devrait pas être accepté, parce que l'appelant n'a pas prouvé que les fonds empruntés étaient liés à la propriété. L'avocat a aussi fait remarquer que certains des éléments d'entretien et de réparation constituaient des immobilisations et que, par conséquent, ils ne devraient pas être acceptés. Cependant, le principal argument de l'avocat, consiste à affirmer qu'au cours de toutes les années en question, aussi bien qu'en 1993, 1994 et 1995, les loyers n'étaient pas même suffisants pour couvrir les coûts fixes, soit les intérêts hypothécaires et les taxes. Il a fait référence à la jurisprudence à ce sujet, laquelle sera examinée plus loin. L'avocat a également soumis que, même s'il y avait une attente raisonnable de profit, les dépenses n'étaient pas raisonnables et que, par conséquent, elles ne devraient pas être acceptées selon l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « loi » ).

Analyse et décision

[6]            Je suis lié par les décisions de la Cour d'appel fédérale. Les décisions qui suivent sont toutes des décisions de cette cour.

[7]            Dans Tonn c. Sa Majesté la Reine, [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001), le juge Robertson a déclaré ce qui suit :

ANALYSE

Je suis maintenant prêt à trancher le litige. Au fil des années, plusieurs facteurs servant à prouver qu'une activité est objectivement raisonnable ont été proposés. Dans l'arrêt Moldowan, ces facteurs ont été énumérés comme suit :

On doit alors tenir compte des critères suivants : l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive

Une autre liste de facteurs a été proposée dans l'arrêt Sipley (P.D.) c. Canada:

Le critère objectif comporte un examen de l'état des profits et pertes pour les années antérieures, un examen du plan opérationnel et des circonstances qui ont donné lieu à sa mise en oeuvre, y compris de la voie sur laquelle le contribuable entend s'engager. Le critère comporte également un examen du temps consacré à l'activité, ainsi que des antécédents, de la formation et de l'expérience du contribuable

Enfin, dans Landry (C.) c. Canada, l'examen des facteurs suivants est proposé :

Outre les critères énumérés par le juge Dickson, ceux dont la jurisprudence a tenu compte, à ce jour, pour déterminer s'il y avait espoir raisonnable de profit, comprennent les suivants: le temps requis pour rentabiliser une activité de ce genre, la présence des ingrédients nécessaires à la réalisation éventuelle de profits, l'état des profits et pertes pour les années postérieures aux années en litige, le nombre d'années consécutives pendant lesquelles des pertes ont été enregistrées, l'accroissement des dépenses et la diminution des revenus au cours des périodes pertinentes, la persistance des facteurs qui causent les pertes, l'absence de planification, et le défaut d'ajustement. Par ailleurs, il ressort de ces mêmes arrêts que la bonne foi et la réputation du contribuable, la qualité du résultat obtenu, le temps et l'énergie consacrés, ne suffisent pas, en eux-mêmes, à transformer en entreprise l'exercice d'une activité.

[8]            Dans Mastri c. Sa Majesté la Reine, [1998] 1 C.F. 66 (97 DTC 5420), le juge Robertson a déclaré ce qui suit :

Premièrement, il a été décidé dans l'arrêt Moldowan que pour avoir une source de revenu, un contribuable doit avoir une attente raisonnable de profit. Deuxièmement, « on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit » (supra, à la page 486). Si, comme conclusion de fait un contribuable est jugé ne pas avoir d'attente raisonnable de profit alors il n'y a aucune source de revenu et, par conséquent, aucun fondement à l'égard duquel le contribuable est en mesure de calculer une perte locative. Il est évident que après l'arrêt Moldowan, la Cour a suivi et appliqué cette décision : voir Landry (C.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 3 (C.A.F.); Poetker c. Ministre du Revenu national, [1996] 1 C.T.C. 202 (C.A.F.); et Hugill (R.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 16 (C.A.F.). La seule question qui reste à trancher est de savoir si l'arrêt Tonn s'écarte de cette jurisprudence lorsqu'il prévoit que le critère de l'attente raisonnable de profit n'est pas pertinent en ce qui a trait à la question du caractère déductible des pertes jusqu'à ce qu'il puisse être établi que l'affaire comporte une déduction d'impôt inappropriée, la présence d'un élément personnel important ou de circonstances suspectes. Deux passages de l'arrêt Tonn sont cités à l'appui de cet argument et il convient d'en faire état (supra, à la page 96 et aux pages 103 et 104) :

Par conséquent, le critère de l'arrêt Moldowan est un critère utile qu'il est possible d'appliquer pour conclure qu'une activité du contribuable est inappropriée en l'absence d'éléments de preuve plus directs. Ainsi, lorsque les circonstances ne soulèvent nullement la question de savoir si une perte d'entreprise a été engagée dans un but personnel ou dans un but non lié à l'entreprise, le critère devrait être appliqué avec modération et avec une latitude favorisant le contribuable, dont le sens des affaires a peut-être fait défaut.                                                                          



[...]

[...] je, par ailleurs, reconnais que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué avec modération lorsque l' « appréciation commerciale » du contribuable est concernée, qu'aucun élément personnel n'a été établi et que le montant des déductions réclamées n'est pas contestable à première vue. Cependant, lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise. Par conséquent, des circonstances douteuses appelleront plus souvent un examen plus approfondi comparativement à celles qui ne soulèvent aucun doute.

Avec égards, aucun des extraits cités précédemment n'appuie l'argument juridique invoqué par le ministre et les contribuables. Il n'est tout simplement pas raisonnable d'affirmer que la Cour avait l'intention d'établir une règle de droit selon laquelle, même s'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit, les pertes sont déductibles d'autres sources de revenu à moins, par exemple, que l'activité productrice de revenu comporte un élément personnel. La mention que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué « avec modération » n'est pas destinée à devenir une règle de droit, mais à être une ligne directrice fondée sur le bon sens pour les juges de la Cour de l'impôt. En d'autres termes, l'expression « avec modération » visait à expliquer que dans certains cas, par exemple, où il n'y a aucun élément personnel, le juge devrait appliquer le critère de l'attente raisonnable de profit de façon moins assidue qu'il ne l'aurait fait en présence d'un tel facteur. C'est dans ce sens que la Cour dans l'arrêt Tonn a fait une mise en garde en ce qui concerne l'appréciation rétrospective des décisions commerciales des contribuables. De crainte qu'un doute soit soulevé à ce sujet, il n'est pas nécessaire d'aller plus loin que l'analyse effectuée par la Cour dans l'arrêt Tonn.

[9]            Dans Mohammad c. Sa Majesté la Reine, (C.A.), [1998] 1 C.F. 165 (97 DTC 5503), le juge Robertson a déclaré ce qui suit :

Il arrive souvent que des contribuables achètent un immeuble résidentiel à des fins de location en finançant la totalité du coût d'acquisition. La situation type est celle d'un contribuable qui occupe à plein temps un emploi tout à fait indépendant. Trop fréquemment, le montant des intérêts annuels payables sur le prêt dépasse de beaucoup les revenus de location auxquels on pouvait raisonnablement s'attendre. Cela est vrai, même en faisant abstraction des baisses imprévues du marché locatif ou de la survenance d'autres événements qui ont des répercussions négatives sur la rentabilité de l'activité locative, par exemple, les frais d'entretien et de réparation et des dépenses autres qu'en capital. Dans bon nombre de cas, la composante intérêts est si importante qu'une perte locative est enregistrée avant même que d'autres dépenses locatives autorisées soient prises en compte dans l'état des résultats. Les faits sont tels qu'il n'est pas nécessaire d'avoir l'expérience d'un analyste du marché immobilier pour comprendre qu'un bénéfice ne peut être réalisé tant que les frais d'intérêts ne sont pas réduits en remboursant le principal du prêt. Autrement dit, il y a des cas où le contribuable n'est pas en mesure de respecter à première vue la doctrine de l'expectative raisonnable de profit. Il ne s'agit pas de cas où l'on demande à la Cour de l'impôt de faire des conjectures sur le sens des affaires d'un contribuable dont l'entreprise commerciale ou l'investissement se révèle moins rentable que prévu. Ce sont plutôt des cas où, dès le départ, les contribuables savent qu'ils subiront une perte et qu'ils devront compter sur d'autres sources de revenu pour payer la dette relative à l'immeuble en location.

[...]

Abstraction faite des considérations précitées sur les motifs que poursuivent les contribuables, il ressort que ce groupe de contribuables ne peut avoir aucune expectative raisonnable de profit parce que la composante intérêts des dépenses locatives excède le revenu brut que l'on peut s'attendre de tirer de la location. Donc, tant que le principal des prêts ayant servi à l'acquisition n'est pas réduit, il ne peut y avoir d'expectative raisonnable de profit. Toutefois, si la composante intérêts des dépenses locatives peut être réduite d'une façon quelconque, il est plus facile de soutenir que l'activité peut être rentable, conclusion qui permettra au contribuable de déduire une partie de la perte locative de son revenu d'emploi.

[...]

L'analyse précitée a pour but de démontrer qu'il ne peut y avoir d'expectative raisonnable de profit tant et aussi longtemps que des paiements importants ne sont pas faits sur le principal de la dette. Cela mène inévitablement à la question de savoir si une perte locative peut être réclamée même si aucun paiement de ce genre n'a été fait au cours des années d'imposition en question. Je répondrais par l'affirmative, mais en ajoutant cependant quelques réserves. Le contribuable doit établir à la satisfaction de la Cour de l'impôt qu'il ou elle avait un plan réaliste en vue de réduire le principal de l'emprunt. Comme tout propriétaire l'apprend tôt ou tard, presque toutes les mensualités hypothécaires sont imputées au paiement des intérêts pendant les cinq premières années d'un prêt hypothécaire amorti sur vingt à vingt-cinq ans. Il est tout simplement irréaliste de s'attendre à ce que le système fiscal canadien subventionne l'acquisitions d'un immeuble de rapport pour des périodes indéfinies. Les contribuables qui ont l'intention de financier l'acquisitions d'un immeuble à usage locatif de façon qu'aucun bénéfice ne soit déclaré, malgré qu'ils aient touché la totalité des revenus locatifs prévus, ne doivent pas s'attendre à bénéficier d'un traitement fiscal favorable en l'absence d'une preuve objective et convaincante de leur intention et de leur capacité financière de rembourser une part importante de l'emprunte ayant servi à l'achat dans les quelques années qui suivent l'acquisition du bien. Si, en raison du niveau de financement, l'immeuble ne peut générer suffisamment de bénéfices pouvant servir à réduire l'emprunt en cours, alors le contribuable doit trouver d'autres sources de revenu pour parvenir à ce résultat. Si les autres sources de revenu d'un contribuable, par exemple, le revenu tiré d'un emploi, sont insuffisantes pour lui permettre de réduire le montant de l'emprunt qui a servi à l'acquisition, alors il se peut que le contribuable ait à supporter le plein coût de la perte locative.

[10]          Après avoir appliqué les principes énoncés dans les décisions ci-dessus, je suis d'avis que l'appelant n'avait pas, au cours des années en question, une attente raisonnable de profit. Il est vrai qu'il existait des circonstances atténuantes, lesquelles ont été décrites ci-dessus. Mais, parce que l'appelant a continué de subir des pertes pendant au moins dix ans, et possiblement douze si 1985 et 1986 constituaient des années où il a subi des pertes (l'appelant n'a pas rempli de déclarations en 1985 et en 1986 et n'a donc pas déclaré de pertes locatives) et, de plus, parce que l'appelant était loin de pouvoir couvrir les coûts fixes avec les loyers provenant à chaque année de la propriété, je dois en venir à la conclusion que l'appelant n'avait pas une attente raisonnable de profit.

[11]          Par conséquent, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juin 2000.

« T. P. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de juin 2002

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-3683(IT)I

ENTRE :

ROGER A. JULIEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 5 juin 2000 à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge Terrence P. O'Connor

Comparutions

Représentant de l'appelant :                  Bernard Faibish

Avocat de l'intimée :                            Me Adam R. Brebner

JUGEMENT

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1987, 1988, 1989, 1990, 1991 et 1992 sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juin 2000.

« T. P. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de juin 2002

Mario Lagacé, réviseur

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