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Date: 20000831

Dossier: 98-2826-IT-I

ENTRE :

JAMES F. DAVIDSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET ENTRE :

98-2827(IT)I

AGNA DAVIDSON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Pour les appelants : Me James F. Davidson

Pour l'intimée : Me François Bordeleau

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Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience le 3 mai 2000, à Sudbury (Ontario))

Le juge Mogan, C.C.I.

[1]            Les appels interjetés par James et Agna Davidson, qui sont mari et femme, ont été entendus ensemble sur preuve commune. Les années faisant l'objet de l'appel pour James sont 1994, 1995 et 1996 et pour Agna, 1994 et 1995. La demande d'Agna se rapporte à certains crédits comme le crédit pour taxe sur les produits et services, lequel dépend soit du revenu familial, soit du revenu des deux appelants en tant que conjoints. Par conséquent, le sort des appels interjetés par Agna suivra le sort des appels interjetés par James. Cela a été tiré au clair par les parties au début de l'audition. Les appelants ont choisi la procédure informelle.

[2]            Les faits relatifs à ces appels remontent, en réalité, à un certain nombre d'années avant 1994, la première année faisant l'objet de l'appel. En 1987, les appelants ont constitué en personne morale la 704770 Ontario Incorporated (la « société à dénomination numérique » ) afin d'acquérir un motel à Pembroke, Ontario. La société à dénomination numérique a exploité le motel pendant environ deux ans. En 1989, le motel a été vendu et la société à dénomination numérique a consenti un prêt hypothécaire d'environ 190 000 $.

[3]            M. Davidson a ensuite trouvé une propriété à Smiths Falls, Ontario, laquelle semblait constituer un bon investissement parce qu'elle comprenait une station-service, un dépanneur et un lave-auto. Les baux de ces trois commerces semblaient être en bon ordre et, par conséquent, les appelants ont fait acheter cette propriété située au 69, rue Lombard, à Smiths Falls par la société à dénomination numérique pour environ 1 018 000 $. Comme l'a expliqué M. Davidson dans son témoignage, la valeur de la propriété dépendait réellement des baux de la station-service, du dépanneur et du lave-auto et la valeur propre de la propriété n'atteignait pas un million de dollars sans ces baux.

[4]            Le contrat d'achat a été conclu le 15 décembre 1989 ou vers cette date et le principal locataire était Congo Gas qui, je présume, exploitait la station-service, le dépanneur et le lave-auto. À l'insu des appelants, le locataire de la station-service était dans une situation financière dangereuse à l'époque de l'achat. En janvier 1991, seulement treize ou quatorze mois après l'achat, le locataire a fait faillite et n'a plus été en mesure d'exploiter la station-service ou de continuer les paiements de location. Cet événement s'est avéré une catastrophe financière pour la société à dénomination numérique, parce qu'elle avait acheté la propriété et qu'elle dépendait du loyer provenant des baux afin de payer le prêt hypothécaire de la propriété.

[5]            Les appelants et la société à dénomination numérique ont tenté de trouver quelqu'un d'autre pour exploiter la station-service mais, pendant qu'ils s'affairaient à trouver un autre locataire, on a porté à leur attention la présence d'un problème environnemental sur la propriété. Il n'y a pas de détail précis, mais je présume que cela est lié au fait qu'il y avait des réservoirs souterrains qui contenaient de l'essence ou d'autres produits pétroliers. C'est un fait bien connu que, si un réservoir de ce type se met à fuir, le sol qui l'entoure peut être contaminé, occasionnant des travaux de nettoyage coûteux. Une fois que les appelants ont été mis au courant du problème environnemental, il était pratiquement impossible de trouver quelqu'un pour exploiter la station-service. Je conclus du témoignage de M. Davidson que la propriété est demeurée sans locataire à compter du début de 1991 jusqu'à la fin de 1992 et qu'aucun paiement de location n'a été perçu pendant cette période.

[6]            Sans aucun paiement de location, la société à dénomination numérique ne pouvait pas payer les intérêts du prêt hypothécaire. Le créancier hypothécaire a engagé une procédure à l'égard de la propriété et, à la fin de 1992, il a procédé à la vente forcée de la propriété à un prix se situant aux alentours de 450 000 $, ce qui, bien entendu, a causé une perte très importante pour la société à dénomination numérique. Également, en 1990, 1991 ou 1992, la personne qui avait acheté le motel de Pembroke a fait faillite et n'a pas été en mesure de continuer l'exploitation du motel. La société a donc perdu le prêt hypothécaire qu'elle avait consenti à titre de vendeur du motel. Ainsi, la société à dénomination numérique, que j'appellerais une société de portefeuille pour les appelants, a connu une double catastrophe financière.

[7]            Les appelants en ont conclu qu'il y a eu, en quelque sorte, de la négligence professionnelle relativement à l'acquisition de la propriété de Smiths Falls. Une action a été intentée par les appelants et la société à dénomination numérique contre trois personnes : (i) Daniel Kimmel, qui était l'avocat qui les a représentés lors de l'acquisition de la propriété; (ii) Dennis Girard, un agent immobilier qui a collaboré à l'acquisition de la propriété et qui les a conseillés et (iii) Canada Trust. Je ne suis pas certain à quel titre Canada Trust a été poursuivie, mais il peut s'agir du courtier qui employait Dennis Girard comme agent immobilier ou bien du courtier inscripteur. De plus, je ne suis pas certain à quel titre les autres parties ont été poursuivies, parce que la déclaration déposée à la Cour de l'Ontario contre ces défendeurs n'a pas été produite en preuve. Je ne sais pas quels dommages précis leur ont été réclamés. Je remarque, à partir du témoignage de vive voix de James Davidson, que l'un des chefs de dommages se rapportait au salaire perdu d'environ 270 000 $, représentant neuf ans de salaire à 30 000 $ par année, parce qu'il n'a reçu aucun salaire comme directeur de la société à dénomination numérique depuis qu'elle a acquis la propriété de Smiths Falls en décembre 1989.

[8]            Je présume qu'il y avait d'autres réclamations en dommages-intérêts telle que la perte en capital subie lorsque la société à dénomination numérique a vendu la propriété de Smiths Falls pour seulement 450 000 $ environ après l'avoir acheté à environ 1 018 000 $. Je n'ai pas de copie des défenses déposées au nom des différents défendeurs et, de ce fait, je ne sais pas ce qui a été mentionné comme moyen de défense contre les demandes. C'est dommage, parce que ces deux documents (déclaration et défense) sont importants pour les appels des appelants. Les appelants auraient dû le savoir, avant qu'ils se présentent devant le présent tribunal avec leur demande de déduction de frais d'avocat reliés à cette poursuite et certaines dépenses accessoires aux réclamations qu'ils ont engagées en rapport avec la poursuite. La poursuite constitue la pierre angulaire des appels des appelants, mais je n'ai pas les actes de procédure et je ne peux pas déterminer précisément ce qui a été réclamé contre les défendeurs. J'ai trouvé que l'appelant, James Davidson, constituait un témoin très crédible. Je n'ai aucun doute que, lors de son témoignage, il tentait de se rappeler et de décrire ce en quoi consistait la réclamation de la société à dénomination numérique. Il a mentionné une réclamation de 270 000 $ que j'ai déterminée avoir été établie à partir d'un taux de 30 000 $ par année pendant neuf ans, puisque, apparemment, l'action n'a pas été intentée avant 1997 ou 1998, soit huit ou neuf ans après l'achat original.

[9]            Je suis déçu de ne pas avoir les actes de procédure dans l'affaire qui est devant la Cour de l'Ontario parce que je connais quelques principes de droit commercial enseignés à la plupart des avocats dans le cadre de leur formation juridique et qui font partie de leur bagage de connaissances après qu'ils sont admis à pratiquer le droit. J'aurais pensé qu'une défense possible contre chacun des demandeurs, si M. Davidson réclamait des salaires perdus, serait ce que les avocats appellent l'absence de lien contractuel entre les défendeurs et James Davidson. Aucun des défendeurs ne deviendra un jour un employeur de James Davidson. Ils avaient des qualités différentes. Me Kimmel était l'avocat agissant pour la société acheteuse, la société à dénomination numérique. Dennis Girard était un agent immobilier et son lien professionnel principal était peut-être avec le vendeur. Si Canada Trust était le courtier, il est possible qu'ils entretenaient une relation de client avec le vendeur, si celui-ci était le courtier pour qui travaillait M. Girard. Il me semble qu'aucun des défendeurs ne deviendra un jour un employeur de James Davidson. Je penserais que s'il réclamait des dommages dans la poursuite, l'absence de lien contractuel entre les défendeurs nommément désignés et M. Davidson pourrait constituer un des moyens de défense possibles. S'il a un droit d'action pour perte de salaire, il me semble que son seul droit d'action soit contre sa propre société, la société à dénomination numérique. Il s'agit seulement d'une spéculation de ma part, parce que je n'ai pas les actes de procédure. Bien qu'il n'y ait rien de mal à faire une réclamation pour perte de salaire dans une action comme celle qui a été décrite, en l'absence des actes de procédure, sans connaître précisément ce qui a été réclamé et surtout, quelle défense y est opposée, il est difficile pour moi de dire s'il y avait une cause d'action raisonnable ou si cette action constituait une tentative de percevoir un salaire dû.

[10]          Je suis porté à croire, d'après ce qui m'a été dit dans le témoignage, que l'action vise principalement la perte de la propriété et la perte en capital subies lorsque l'acheteuse a payé 1 018 000 $ pour une propriété qui peut avoir été fortement surévaluée. Elle peut avoir été surévaluée à cause de la négligence de certaines des personnes conseillant l'acheteuse à ce moment-là, laquelle a été amenée à croire que tout était en ordre relativement à la cote de crédit du vendeur et de celle de la locataire potentielle.

[11]          Ce qui manque également dans la preuve, ce sont les déclarations de revenus des appelants individuellement. Aucune des parties (ni les appelants ni l'intimée) n'ont cru bon de déposer les déclarations de revenus en preuve, en particulier celles de M. Davidson. Je ne sais pas en quoi consistaient ses sources de revenus en 1994, 1995 et 1996 contre lesquelles les dépenses sont déduites. Il a affirmé, en réponse à une de mes questions, qu'au cours des années faisant l'objet de l'appel, son revenu provenait principalement de pensions. Les pensions comme source de revenu sont très différentes de l'emploi, si différentes qu'elles sont, la plupart du temps, reçues après une période d'emploi. Les montants sont cependant déduits comme si les réclamations se rapportaient à l'emploi comme source de revenu. L'avis d'appel commence par ceci :

                [TRADUCTION]

J'ai encouru les frais d'avocat et de bureau dans le but de déposer avec 704770 Ontario Inc. une action conjointe afin de récupérer les pertes sur l'investissement et, pour moi-même, le revenu de travail de 30 000 $ par année.

Apparemment, cela constituait le but de la réclamation et l'emploi constituerait une source de revenu. Le revenu d'emploi est décrit à l'article 5 de la Loi de l'impôt sur le revenu et, en vertu de l'article 8 de cette loi, il y a un nombre limité de déductions que l'on peut prendre et soustraire du revenu d'emploi. La seule qui, je pense, se rapporte à la réclamation faite par l'appelant, James Davidson, se trouve à l'alinéa 8(1)b) qui est libellé comme suit :

8(1)          Sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

                [. . .]

b)             les sommes payées par le contribuable au cours de l'année au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu'il a engagés pour recouvrer le traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ou ancien employeur ou pour établir un droit à ceux-ci;

[12]          La seule personne (et j'utilise ce mot dans son sens juridique) qui pourrait être décrite comme un employeur, un ancien employeur ou un employeur potentiel de James Davidson, c'était la société à dénomination numérique. Il s'agit, selon lui, de la personne de qui il s'attendait à recevoir 30 000 $ par année. En effet, il a pris la peine de rédiger un contrat d'emploi entre lui-même et sa propre société qui est daté du 1er janvier 1994, lequel est joint à son avis d'appel et qui débute ainsi :

                [TRADUCTION]

James F. Davidson, de la ville de Kingston dans la province d'Ontario, accepte le poste de directeur, en contrepartie du salaire annuel de 30 000 $, et il s'engage à respecter les conditions suivantes.

Il y a quatre ou cinq conditions, chacune d'une longueur de deux ou trois lignes et, jointe à cela, il y a une autre page intitulée [TRADUCTION] Fonctions de base, qui sont de gérer les opérations et les fonctions quotidiennes de la société afin d'assurer la protection des intérêts de la société. Il y a ensuite une série de tâches et de responsabilités. Je ne doute pas que M. Davidson ait rédigé et signé ce contrat de bonne foi mais, dans un sens, il s'attendait à ce que le litige contre les défendeurs nommément désignés soit couronné de succès et que certains biens soient restitués à la société à dénomination numérique qui pourrait ensuite l'employer en une qualité quelconque pour gérer ses affaires. Jusqu'à ce que cette attente se réalise (et je n'affirme pas que cette attente n'est pas raisonnable), la société à dénomination numérique ne possède ni ne possédera aucun bien. Sans bien, la société à dénomination numérique ne sera pas en position d'employer qui que ce soit parce qu'il n'y aura aucun bien à faire gérer par ladite personne.

[13]          Selon la preuve qui m'a été présentée et en l'absence des documents que j'ai mentionnés, je ne vois pas de motif sur lequel m'appuyer pour dire que James Davidson ou sa femme a un droit d'action contre les défendeurs nommément désignés pour perte de salaire. Manifestement, aucun des appelants n'allait devenir un employé des personnes désignées comme défendeurs dans cette action; Me Kimmel, l'avocat, Dennis Girard, l'agent immobilier ou Canada Trust. Tout au plus, James Davidson aurait pu être employé par sa société si elle avait acquis une propriété commerciale prospère et si cela avait généré un profit suffisant pour permettre le versement d'un salaire à M. Davidson. Il a raté l'occasion lorsque la société a perdu ses biens. Son droit d'action, s'il en existe un, pour perte de salaire, serait à l'encontre de la société à dénomination numérique, ce qui revient à intenter une poursuite contre lui-même, parce que lui et sa femme constituent les seuls actionnaires de la société.

[14]          Il n'y a pas d'action comme celle-là en cours présentement. Par conséquent, je suis d'avis que les frais de justice en relation avec l'action intentée contre les défendeurs nommément désignés, Me Kimmel, M. Girard et Canada Trust, ne sont pas déductibles par l'appelant et sa femme. Il est plus probable qu'ils financent le litige en faveur de la société à dénomination numérique. En réalité, la véritable demanderesse est la société à dénomination numérique en tant qu'ancienne propriétaire enregistrée de la propriété de Smiths Falls mais, sans aucun actif, la société à dénomination numérique n'a pas les moyens de mener le litige en tant qu'ancienne propriétaire. Ce qui se produit ici, c'est que les actionnaires de la société à dénomination numérique financent son litige parce que, en tant qu'acheteuse, c'était la partie qui avait subi le plus de pertes lorsque la propriété a été perdue, particulièrement si elle l'a été par suite d'un acte donnant ouverture à des poursuites de la part de l'un des défendeurs nommément désignés. Le résultat sera connu seulement lorsque la Cour de l'Ontario rendra sa décision.

[15]          Parce que les frais de justice ne sont pas déductibles par l'appelant (James Davidson), j'en viens à la conclusion que les autres dépenses mentionnées dans l'annexe A de la réponse à l'avis d'appel ne seraient pas plus déductibles, parce qu'elles se situent dans le même domaine. Elles constituent ce que j'appellerais des frais accessoires et occasionnels qui n'ont été engagés qu'en relation avec la poursuite du litige contre les défendeurs nommément désignés. Il s'agit, dans l'ensemble, de frais de litige et, parce que le litige n'est pas structuré en vue de tirer un revenu pour l'un ou l'autre des appelants, les montants qui ont été déduits dans le calcul du revenu pour les années faisant l'objet de l'appel ne sont pas légalement déductibles. Les cotisations faisant l'objet de l'appel sont bien fondées et elles devraient être maintenues. Je rejette les appels de l'appelant, James Davidson, pour chacune des trois années et, parallèlement, je rejette les appels de sa femme, Agna Davidson, portant sur deux années.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour d'août 2000.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 12e jour de juin 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

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